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L'ivresse des profondeurs
L'ivresse des profondeurs
L'ivresse des profondeurs
Livre électronique163 pages2 heures

L'ivresse des profondeurs

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À propos de ce livre électronique

Pourquoi fallait-il que mon père quitte Eisenstadt, calme et séduisante bourgade autrichienne ? De Vienne à Berlin et Paris, pour finir en Normandie, au travers des émeutes, des exodes et des guerres, qui peut résister à de tels séismes ? Mes parents n’y ont pas survécu. J’ai repris cette errance depuis la Normandie, en passant par Nice et Paris. Mais trop d’écueils me guettaient. J’avais tant de mal à y faire face ! Seul antidote, consigner au jour le jour combats et réflexions dans mes cahiers, qui ne cessent de tourner autour du mythe d’Orphée et d’Eurydice. Enfin, vaincu, naufragé, je me suis échoué sur une plage de Vendée. Les soirs d’été y sont si beaux qu’ils parvenaient parfois à calmer mes tourments.
LangueFrançais
Date de sortie23 juil. 2013
ISBN9782312012551
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    L'ivresse des profondeurs - Thor Liender

    cover.jpg

    L’ivresse des profondeurs

    Thor Liender

    L’ivresse des profondeurs

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-01255-1

    « Il faut se cultiver dans l’art de se parler à soi-même, au sein de l’affect, et d’utiliser celui-ci, en tant que cadre de dialogue, comme si l’affect était précisément un interlocuteur qu’il faut laisser se manifester, en faisant abstraction de tout esprit critique. Mais, ceci une fois accompli, l’émotion ayant en quelque sorte jeté son venin, il faut alors consciencieusement soupeser ses dires comme s’il s’agissait d’affirmations énoncées par un être qui nous est proche et cher. Il ne faut d’ailleurs pas s’arrêter en cours de route, les thèses et antithèses devant être confrontées les unes avec les autres jusqu’à ce que la discussion ait engendré la lumière et acheminé le sujet vers une solution satisfaisante. Pour ce qui est de cette dernière, seul le sentiment subjectif pourra en décider. Naturellement, en pareil débat, biaiser avec soi-même et chercher des faux-fuyants ne nous serviraient de rien. Cette technique de l’éducation de l’anima présuppose une honnêteté et une loyauté pointilleuses à l’adresse de soi-même, et un refus de s’abandonner de façon prématurée à des hypothèses concernant les desiderata ou les expressions à attendre de l’autre côté. »

    Carl Gustav Jung

    Dialectique du moi et de l’inconscient

    Le jour s’esquive doucement et traîne après lui un tapis d’étoiles, éclaboussures d’argent sur un fond noir d’encre de chine, teinté en dégradé d’une infinie variété de mauves et de bleus, des plus denses à l’azur pastel éclairé par les derniers feux du soleil sur la voûte céleste.

    À l’horizon une ligne d’or rouge fond lentement dans la mer où rétrécissent des reflets irisés sur le plissement des vagues.

    Le nez en l’air, je contemple la majestueuse beauté, la pureté du ciel, la délicatesse des teintes, je hume encore une fois l’air parfumé du soir.

    Une petite feuille, caprice du vent et du hasard, interrompt ma contemplation. Elle plane un instant, continue son va et vient inerte, hésite, virevolte et vient s’abattre à mes pieds. Elle est sèche, recroquevillée et dans un coin un peu de vie, un peu de vert s’est retiré, agonisant.

    Je survis au même rythme que cette feuille, je finirai presqu’en même temps qu’elle. Demain, une semaine, un mois tout au plus ?

    Et puis je ne serai plus !

    La grève s’estompe lentement dans l’obscurité qui me cerne et je ne distingue plus que les vagues miroitantes qui viennent mourir à mes pieds. Un seul flux et reflux sont l’image même d’une vie : la vague s’élance à l’assaut de la plage, sûre d’elle, fière et forte et puis elle se retire, se tasse sur elle-même, penaude, vaincue. Ses griffes nacrées s’accrochent une dernière fois sur le sable qui crisse et ne peut retenir le flot, comme je ne peux retenir ma vie.

    N’être qu’une vague, une seule, quelle dérision ! Quelle importance a cette vague, insignifiante au bord d’un océan sans limite ? Et ne laisser aucune trace sur le sable que l’eau égalise après chaque passage ! Je maugrée en écho aux paroles du Zarathoustra de Nietzsche :

    « Tu crieras un jour : je suis seul. Tu crieras un jour : tout est faux ». Ce soir, je tente de peser équitablement le pour et le contre de ce qui a fait ma vie et parfois je m’accable. Le plus dangereux ennemi que tu puisses rencontrer sera toujours toi-même, me dit encore le prophète du mazdéisme.

    Humour, ironie, dérision, désinvolture. Voilà mes pinceaux, ma palette, mes couleurs. Pour peindre quoi ? Une vie en demi-teintes, des caricatures dont en réalité j’étais le modèle.

    Mon regard s’enfonce dans l’océan qui s’estompe, se perd dans l’immensité, se noie. Comme tant d’autres, je suis à mon tour le naufragé qui tend une dernière fois la main aux bateaux qui croisent à proximité sans me voir. Ils s’éloignent et poursuivent leur course sur l’océan de la vie. C’est ainsi depuis l’aube des temps.

    Lentement, le sable prisonnier de ma main s’écoule au gré du vent. Grains de temps, poudre de sablier qui s’égrènent dans ma mémoire et entraîne des images qui remontent d’un passé dont je me demande parfois avec stupeur s’il a jamais existé. Ai-je vraiment vécu cela, était-ce bien moi ? Toute mon histoire ne fut-elle qu’un songe ?

    Figées, nettes ou floues, comme de vielles photos jaunies, les images se succèdent en vrac. Banales, je souris, je passe. Mais parfois brûlantes, elles s’attardent. Les couleurs se précisent et le passé rallume ses feux, réchauffe les personnages qui s’ébrouent, reprennent vie, prêts pour rejouer leurs grandes scènes. Il me suffit de fermer les yeux.

    Le rideau va se lever. Derrière, ombres et lumières s’agitent. Décors et costumes se reconstituent. Les années enfouies sous les couches du temps refont surface. Tout est en place.

    Alors les acteurs recommencent à se mouvoir, lentement d’abord, puis reprennent leur rythme, leur souffle. Gestes et attitudes s’animent.

    Les mots, les images, reviennent de loin… de si loin…

    I

    Je n’aime pas beaucoup cette petite voiture verte qui tente rageusement de se garer entre un camion qui lui ne risque rien et ma superbe Triumph blanche. Grands dieux, mes pare-chocs chromés prennent de sales coups ! Je sors de ma voiture sous l’averse et patauge dans le caniveau, l’eau monte dans mes chaussures, la pluie ruisselle sur mon visage et mon taux d’adrénaline me sature jusqu’aux yeux qui doivent clignoter en rouge.

    Depuis ce matin il ne cesse de pleuvoir. Ce Paris d’un mois d’octobre des années 70 est sombre et triste et je suis fatigué, énervé d’avoir parcouru une demi-douzaine de rues pour trouver une place, après une heure d’embouteillages.

    Et cet abruti au volant qui braque, contre-braque et heurte à chaque fois mes pare-chocs ! Je m’approche de la vitre, je frappe, je me penche.

    Une jeune femme cesse ses manœuvres destructrices, baisse le carreau et me regarde d’un air interrogateur. Je reste en apnée quelques secondes. Seigneur, quels yeux superbes ! Alors brusquement le monde change, je lévite dans le caniveau et la pluie fait un détour au-dessus de ma tête. Ce beau visage à dix centimètres du mien se met à gambader dans mes méninges. Des connexions s’agitent, mes pulsations s’accélèrent : cette jolie femme a un je ne sais quoi qui me séduit à la seconde même où elle m’apparaît. Une vague impression de déjà vu se faufile quelque part derrière mes yeux. L’aurais-je déjà rencontrée, mais où, quand ? Ma mémoire me joue sûrement des tours. Ce ravissant minois ne m’est pas inconnu. Est-ce cette ressemblance avec la fascinante Audrey Hepburn ? Oui, sans doute. Je mets donc mon intuition au rancard : à Orly j’ai eu la chance de croiser un jour cette divine actrice, cela ne s’oublie pas, et puis j’ai vu et revu Charade.

    Pourtant… cette forte impression de connaître ma belle apparition motorisée persiste.

    Et pour être franc je ne dois pas omettre la vision de jambes admirables que l’effort dans la manœuvre a un peu dévoilées. Bref, je reste coi.

    Merci au hasard qui, s’il m’assène quelque désagrément, me permet aussitôt un bonheur olympien, une joie himalayenne, parce qu’il m’offre tout-à-coup ce qu’il recèle de plus enivrant.

    Bah, quelques éclats de chrome n’empêcheront pas mes six cylindres de piaffer. Je passe une main sur mes cheveux et mon visage ruisselants et j’esquisse un sourire pour la rassurer.

    – Ma voiture qui prend de sérieux coups de boutoir m’a supplié de vous venir en aide, vous voulez bien ?

    – Ah oui, volontiers ! Mon essuie-glace fonctionne mal, je rame comme une folle depuis dix minutes et je n’arrive à rien.

    Elle se pousse côté passager et dénude un peu plus ses superbes jambes que je feins de ne pas remarquer. Elle tire sur sa jupe.

    – Excusez-moi, j’espère ne pas avoir abîmé vos pare-chocs. Mon Dieu, vous êtes trempé, je suis vraiment désolée !

    Je m’installe. Sans me vanter, en trois mouvements je range sa voiture sans même avoir frôlé le camion et ma Triumph. Charitable, elle me tend une boîte de mouchoirs en papier et j’en profite pour restaurer une apparence que la pluie avait passablement dégradée. Mais tout a une fin.

    – Voilà. Ma voiture n’a rien, ne vous inquiétez pas. Et bien… je vais vous laisser, dis-je, avec des regrets appuyés dans la voix.

    Serais-je anesthésié que je ne m’y prendrais pas autrement. Mes gestes vers la portière sont lents, démultipliés, mon cerveau s’affole : que faire, que dire pour rester encore un peu en sa compagnie. Même s’il s’y cache une réalité, je me refuse à ces banalités grotesques « vous ressemblez tant à… » Ou bien « ne vous ai-je pas déjà rencontré quelque part ? » Mon imagination rarement en panne tourne à vide. Seigneur, vite, une idée, quelque chose, un signe ! Rien, mais rien, le désert mental. Anesthésié, ai-je dit. Alors réveille-toi mon vieux, abrège, décroche, il n’y a pas de miracle. J’ouvre la porte sur le néant, le monde n’existe plus. Oh, et puis non, advienne que pourra. Allez, sois vrai, simple, n’hésite pas, qu’as-tu à perdre ? Je rive mes yeux dans les siens.

    – Peut-être ne vous reverrai-je jamais, alors autant vous dire que ces quelques minutes auprès de vous ont été une divine, une merveilleuse surprise.

    Je mets un pied dehors, je vais choir de l’Olympe.

    – Me revoilà, monde cruel !

    Un pied dans le caniveau, je suis à moitié dehors et la pluie inonde mon visage.

    Son éclat de rire stoppe ma sortie de cabotin. Ce timbre, cette sonorité, cette gaieté, ont un écho dans les tréfonds de ma mémoire. Je me retourne, ébahi. Son rire est contagieux et en quelques secondes, nous voilà tous les deux hilares, les larmes aux yeux, écroulés sur les sièges comme deux enfants qui s’esclaffent d’un rien, sans savoir pourquoi. Les nerfs sans doute. Elle me tend à nouveau la boîte de mouchoirs.

    Brusquement elle me dévisage, me scrute, les sourcils froncés. Elle pose sa main sur mon bras, accroche ma veste.

    – Mais… je vous connais, je suis sûre de vous connaître. C’est extraordinaire, ce même fou-rire est encore présent dans ma mémoire. Vous étiez… vous êtes… attendez…

    A toutes les divinités possibles et imaginables, montent de mon cœur qui se met sérieusement à cogner, actions de grâces et infinis remerciements. Je mettrai un cierge au saint patron de la pluie et demanderai la Légion d’Honneur pour l’inventeur des mouchoirs en papiers.

    – Oui je sais, s’écrit-elle, en tirant sur ma manche, le Lycée du Parc Impérial à Nice en 1956 ! Thor ! Oui, Thor Liender ! Nous faisions souvent le chemin ensemble, rappelez-vous le boulevard du Tzarévitch. Et nous nous mettions parfois à rire de la même façon, sans raison.

    Mon étonnement n’est pas feint. Cette silhouette gracieuse, ce visage de vierge du Parmigiano, les cheveux de geai, les yeux d’émeraude pailleté d’or, les fossettes, le rire communicatif, comment ai-je pu ne pas reconnaître instantanément cette aussi jolie fille !

    – Béatrice ?

    – Elle continue de tirer sur la manche de ma veste.

    – Mais oui, Béatrice Brémond… Vous m’appeliez… - elle rougit - mon Eurydice. Évidement j’ai changé, ce n’était pas hier !

    – Ça alors, est-ce possible ? Béatrice ! Dieu du ciel ! Mais vous aviez treize ou quatorze ans, avec des nattes ou une tresse, non ? C’est vrai que nous éclations de rire pour un rien. Quelle coïncidence, c’est époustouflant. Vous étiez déjà jolie et vous êtes devenue si belle ! Vous êtes vraiment… ravissante, vous savez.

    Son rire est une bénédiction.

    – Vous, vous n’avez pas changé ! Je crois bien que vous étiez un peu amoureux de moi à l’époque, non ?

    Je n’en rajoute pas parce qu’en fait à l’époque j’étais transi, en pâmoison. Et timide au point d’inventer un alphabet d’apparence cunéiforme

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