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La wilaya II historique: L'ombre de constantine
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La wilaya II historique: L'ombre de constantine
Livre électronique419 pages4 heures

La wilaya II historique: L'ombre de constantine

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À propos de ce livre électronique

L'auteur, Abdelaziz Khalfallah, connu sous le nom de Boutmira Mostefa, adhéra dans sa ville natale, Constantine, aux idées révolutionnaires du nationalisme et engagea dans sa wilaya un combat armé multiforme contre le colonialisme français, et ce, jusqu'à l'indépendance du pays. Dans son présent récit-témoignage, prenant exemple de sa wilaya, l'auteur se soucie, avant tout, de transmettre aux jeunes générations, le sens et la nature du combat en décrivant en termes clairs, les moyens et structures organisationnelles tout en faisant la genèse des principaux événements qui avaient eu lieu dans la wilaya II historique, et, dont certains avaient eu une portée nationale autant qu'internationale. Plongeant les lectrices et lecteurs dans le vif du combat en abordant les différents aspects et lieux de celui-ci, l'auteur les guide ensuite dans le dédale de la crise de l'été 1962 et déploie dans le détail le déroulement des événements jusqu'à "l'élection de la Constituante algérienne". L'auteur, en sa qualité de cadre de l'État engagé dans le combat pour le développement économique national, eut à connaître les rouages du pouvoir exercé après l'indépendance et de ce fait, il put évaluer l'impact lourdement négatif de cette crise de l'été, et ce, tant au niveau de la société qu'au niveau d'un État devenu dysfonctionnel et dévoyé.




LangueFrançais
ÉditeurChihab
Date de sortie25 avr. 2024
ISBN9789947397152
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    Aperçu du livre

    La wilaya II historique - Abdelaziz Khalfallah

    LA_WILAYA_II_HISTORIQUE.jpg

    La wilaya II historique

    L’OMBRE DE CONSTANTINE

    ABDELAZIZ KHALFALLAH

    La wilaya II historique

    L’OMBRE DE CONSTANTINE

    CHIHAB EDITIONS

    © Éditions Chihab, 2021.

    www.chihab.com

    Tél. : 021 97 54 53 / Fax : 021 97 51 91

    ISBN : 978-9947-39-405-2

    Dépôt légal : juillet 2021.

    À la mémoire de mon fils Mehdi qui tenait tant à ce que je publie ce témoignage.

    À Nezha mon épouse qui m’a soutenu dans les moments difficiles, et à mes enfants bien-aimés.

    AVANT-PROPOS

    J’ai longtemps hésité à laisser un témoignage concernant les faits et événements que j’ai eu à connaître ou à subir, et qui étaient en relation avec ma contribution à la lutte armée. Il faut dire que j’ai été tenté, par devoir envers les combattants du Nord-Constantinois, d’écrire l’histoire de la Wilaya II, écriture que Boubnider Salah, ex-commandant de cette dernière voulait superviser de son vivant. Il était de ces responsables qui donnaient l’exemple par son courage, son humilité et son sens du partage, et il aurait pu associer de nombreux contributeurs à ce travail de mémoire. Au moment où j’ai commencé le travail d’approche, Boubnider s’occupait des relations avec les organisations de masse au sein du Secrétariat Exécutif du parti FLN¹, organe issu du coup d’État du 19 juin 1965. J’étais son adjoint et je supervisais tout spécialement le syndicat UGTA² dont le Secrétariat était issu d’un congrès auquel j’avais apporté une contribution active. En effet, je voulais soutenir et protéger le syndicat des travailleurs contre les visées corporatistes du système issu du putsch, souci que je partageais d’ailleurs avec Abdelaziz Zerdani qui était alors ministre du Travail, et avec lequel j’avais collaboré au sein de la Commission centrale d’orientation du FLN que présidait Hocine Zehouane en sa qualité de membre du Bureau Politique. Zerdani et moi faisions partie des rescapés de ceux qu’on appelait alors, la gauche nationaliste du Parti FLN, et avions décidé de défendre nos idées, croyant ou voulant faire semblant de croire en le soutien éventuel que certains hauts officiers de l’Armée nationale pourraient nous apporter.

    Afin d’entreprendre les travaux d’écriture de l’histoire de la wilaya en question, j’avais conçu et mis au point un questionnaire devant être adressé à des responsables sélectionnés pour leurs connaissances des faits et événements marquants de la lutte armée dans le Nord-Constantinois. Ces questionnaires, une fois retournés, pouvaient constituer une base d’informations susceptibles de guider mon travail. Le formulaire fut donc mis en circulation et fut aussitôt repéré et récupéré par les services de sécurité de Boumediene, qui ne manquèrent pas d’alerter ce dernier, et lui en souligner la dangerosité. Boumediene s’empressa de convier Boubnider afin de lui conseiller de renoncer à ce projet en lui faisant remarquer qu’il s’agissait là d’un travail d’envergure nationale et qu’il valait mieux le réaliser dans le cadre d’une commission centrale, laquelle, promettait-il, était dotée de moyens audio-visuels modernes et de supports logistiques adéquats. Autrement dit, il lui signifiait gentiment de renoncer à son projet d’écriture craignant sans doute que ce travail n’apporte un éclairage sur certains aspects gênants pour les occupants illégitimes du pouvoir et ne nuise ainsi à leur image de marque et à celle de leurs troupes, devenues puissantes en dehors des champs de bataille. Les choses en restèrent là jusqu’au jour où le colonel Tahar Zbiri se rebella pour des raisons personnelles en relation avec l’exercice de ses prérogatives en sa qualité de chef d’État-major. L’échec prévisible de son coup de force nous éclaboussa et signa l’arrêt brusque de notre tentative d’opposer une quelconque résistance au groupe d’Oujda, un instrument politique de Boumediene qui prit alors de l’ascendance et s’attelant à squatter tous les espaces socio-politiques. Ainsi marginalisés, Boubnider et moi, abandonnâmes notre projet d’écriture et décidâmes, chacun de son côté, de nous retirer de la politique clandestine et de nous occuper de nos propres affaires pour survivre dans la décence et la dignité, et cela, jusqu’au jour où le destin nous réunit encore une fois en nous appelant au devoir national, celui de joindre nos efforts à d’autres forces républicaines pour sauver la patrie en danger, au lendemain de l’arrêt du processus électoral. En effet, c’était durant toute cette période dénommée la décennie noire, que je fus désigné comme membre du CCN³ puis membre du CNT⁴ pendant que Boubnider eut, de son côté, à assumer les fonctions de président de la Commission nationale de Surveillance des élections sous la présidence de Zeroual.

    Les années passèrent et je finis par chasser nombre de mes scrupules tel que le manque de conviction consistant à croire que mon témoignage ne serait d’aucune utilité historique et ne pourrait en aucun cas changer l’image que voulaient donner certains fabulateurs ou falsificateurs de l’histoire de notre guerre de libération. Il faut aussi dire que, d’une façon générale, j’étais comme tant d’autres collègues, découragé par le niveau de dégradation et d’indigence atteint par la culture générale des Algériens dans leur ensemble, et du désintéressement pour la connaissance de l’histoire nationale de la part d’une large catégorie sociale de notre pays. Les nouvelles générations, habituées à la tricherie et à la consommation sauvage sans rapport avec le labeur et l’honnêteté, n’ont plus d’intérêt à la chose publique ni d’attachement aux valeurs républicaines ni même au civisme tout court. Combien de fois lors d’un contact avec le public n’ai-je pas entendu des réflexions éhontées comme celle-ci : « Ya El Hadj, pourquoi avez-vous chassé la France ? ».

    En effet, pour la génération présente, faire de la politique, consiste à user de tous les recours possibles afin de s’intégrer dans un clan de prédation, comme un parti politique au pouvoir, un syndicat professionnel, une association civile ou même un groupement quelconque, l’essentiel étant de se positionner dans une file d’attente au sein d’un réseau de clientélisme porteur. Certains éléments de ces générations, lassés de trop attendre, instruits ou non, démunis ou non, et qui ont eu la chance d’échapper aux rets de l’islamisme, ont fini par fuir une situation intenable pour aller vivre et travailler, en sécurité, dans des pays où l’on respecte les libertés fondamentales et le mérite.

    Par souci d’accomplir un devoir de mémoire, je me suis finalement résolu à laisser ce témoignage en essayant de lever le voile sur des faits qui ont marqué des moments périlleux de notre Révolution. Étant auteur et acteur de ce récit-témoignage, le lecteur ou la lectrice aura probablement à se faire une idée de ma personne à travers mes activités et comportements durant mon engagement dans la lutte armée, et au cours de la crise de l’été 1962. Toutefois il m’a semblé utile d’ajouter quelques informations personnelles permettant au lecteur ou à la lectrice de mieux me situer. Né en 1933 à Constantine, je suis issu d’une famille de montagnards de la région de Taher (Ouled Asker) et composée de trois frères. Jeunes orphelins, ces derniers, à l’ombre de leur oncle installé à Constantine, s’adonnèrent à l’activité de ramasseurs de peaux auprès de l’abattoir municipal de la ville et finirent par prospérer dans le métier et devenir propriétaires de tanneries et de commerces, dont un café maure géré par mon père, Boutmira Tahar⁵, qui fut enlevé, à l’âge de 58 ans en août 1956, par la Main rouge et exécuté sommairement. C’était un notable très estimé dans le quartier, et un fervent supporteur des associations sportives, artistiques et culturelles. Personnellement, ayant été renvoyé du collège moderne de garçons de Constantine pour longues absences, que je consacrais aux activités clandestines, je me présentai alors en candidat libre pour le BAC en 1955, et je m’inscrivis ensuite, après l’obtention du diplôme, en classe de Philosophie au Lycée d’Aumale où j’eus un rôle actif dans le déclenchement de la grève des étudiants à Constantine⁶ et qui eut des répercussions à l’échelle régionale puis nationale⁷. Après l’indépendance, je m’inscrivis à la Faculté de droit et sciences économiques d’Alger où j’obtins ma Licence en droit international et économie en 1968. Au cours de ma carrière professionnelle, je devins un spécialiste dans la gestion des entreprises publiques après avoir obtenu un diplôme en Gestion et Organisation (DES, CNAM à Paris, France, 1976). J’eus à occuper des postes à l’étranger, dont le plus important fut celui de directeur-adjoint du CIEP⁸ et dont le siège se trouvait à Ljubljana en Yougoslavie socialiste, d’où je sortis en retraite administrative en 1989. Lors de « la décennie noire », en ma qualité de membre du Conseil national de l’ONM⁹, je fus coopté pour devenir membre du CCN sous la présidence de Boudiaf Mohamed puis reconduit comme membre du CNT sous la présidence de Zeroual. Je pris définitivement ma retraite politique après la mort lente du CCDR¹⁰ dont je fus membre et adjoint de Boubnider Salah en sa qualité de président de ce Comité, et avec lequel je partageais d’une manière constante les mêmes objectifs patriotiques et républicains.

    Mon témoignage va peut-être soulever des pans d’ombre concernant la courte période de l’été 1962 qui fut chargée d’événements qui ont eu des répercussions considérables sur le cours de l’histoire de notre pays, au point que, toutes proportions gardées, je les ai assimilés aux Dix jours les plus longs de John Reed, un journaliste américain, relatant la prise du pouvoir par les bolcheviques en octobre 1917. On verra que tous les faits et événements qui relèvent de ce qui, désormais, a pris le nom de la crise de l’été 1962, ont fait l’objet de plusieurs écrits confus et parfois malintentionnés qui ont été publiés et qui risquent de travestir la vérité historique. C’est encore une autre raison qui m’a incité à ajouter mon grain de sel en espérant que cela permettra aux spécialistes de se faire leur propre jugement et que des lecteurs curieux y trouveront pour leur part des informations restées longtemps dans l’ombre.

    Dans la première partie, j’ai souhaité, ne serait-ce que superficiellement, en tant qu’acteur, relater le parcours de notre wilaya historique qui porta, après le Congrès de la Soummam, le nom de Wilaya II. Elle couvrait l’étendue de l’est du pays qu’elle engloba de manière homogène selon un modèle qui favorisait les initiatives collégiales et individuelles, avec une composante sociale de militants aguerris issus du mouvement nationaliste et qui constituèrent sa grande force face aux infiltrations ennemies et aux opérations « Challe et Crépin ». Il va sans dire que la Wilaya II reposait également sur la ville de Constantine, devenue Zone V, et à laquelle je consacre un chapitre spécial en ajoutant son « ombre » au titre même du présent ouvrage. En effet, Constantine était devenue le cœur de cette wilaya, battant fort et arrosant de son sang les bras qui frappaient sans laisser aucun répit à l’ennemi et qui approvisionnaient régulièrement la résistance armée en équipements, armements, informations et finance. C’est une ville restée fidèle à sa réputation de combattante, et, durant la guerre de libération, de par la ténacité et l’héroïsme de ses fidâyyine, elle finit par être surnommée la citadelle du fidâ.

    Dans la deuxième partie, je relaterai les événements et faits qui ont constitué l’engrenage de cette crise en fournissant quelques détails, et cela en ma qualité d’acteur impliqué entièrement dans cette dernière.

    Sachant que la génération actuelle n’a qu’une vague idée de la lutte de libération, j’ai voulu, par ce récit-témoignage, mettre dans le bain tous les lecteurs, en leur faisant vivre certaines péripéties de notre combat, tant au niveau du maquis qu’en ville, et, montrer à travers mon expérience personnelle, la participation réelle et le dévouement fidèle de tout un peuple à la cause nationale. En annexes, le lecteur trouvera des documents, des articles de presse et des photos qui illustrent mon témoignage et qui peuvent surtout servir de base de recherche pour des historiens et autres spécialistes. Enfin il est à remarquer que cet ouvrage ne constitue nullement un bilan des opérations militaires ou de fidâ. Pour ce faire, il est loisible de trouver toutes ces informations auprès des Organismes des Moudjahidine des wilayas administratives ONM. L’ONM de Constantine, par exemple, a répertorié l’ensemble des activités de fidâ, du 1er Novembre 1954 au cessez-le-feu 1962, dans un fichier numérique.

    PREMIÈRE PARTIE :

    LA WILAYA II FACE À L’ENNEMI

    I.

    LE NORD-CONSTANTINOIS

    1. Le mouvement politique dans le Constantinois

    L’Est algérien, couramment appelé le Constantinois à l’époque coloniale, constituait un vaste espace allant de Souk-el-Tnine (Oued Kherrata) en longeant la côte jusqu’à Oum-Teboul (frontière tunisienne) puis se dirigeant vers le Grand Sud, dépassait l’Oasis de l’Oued, longeant encore les frontières de la Libye et du Niger puis remontant vers Touggourt, Sétif, en fermant la boucle à Souk-el-Tnine. C’était le plus grand département français d’Algérie dont la population était majoritairement musulmane, une caractéristique qui peut expliquer pourquoi cet espace a été, à l’époque coloniale, une source importante de recrutement de militants politiques et nationalistes, et où les manifestations les plus marquantes du nationalisme algérien ont eu lieu.

    Sur le plan historique et selon des sources romaines, cet espace correspondait grosso modo à celui qu’occupait le royaume de Numidie, habité par des tribus amazighes, et dont le siège était la ville de Cirta¹¹ où régnaient les rois numides dont le célèbre Massinissa qui avait fini par s’allier aux Romains et se mettre à leur disposition pour combattre les Carthaginois établis en Tunisie. Après la longue occupation romaine, ce fut celle des Vandales puis celle des Byzantins dont l’Empire commençait à se délabrer, situation qui profita à des conquérants religieux venus d’Arabie qui avancèrent vers l’Afrique du nord où ils firent face à la résistance des tribus berbères, notamment dans le Sud-Est. Le Maghreb se convertit à l’Islam sans abandonner ses croyances ancestrales et ses traditions païennes. Les confédérations tribales du Maghreb central formèrent des dynasties qui régnèrent, à l’exception de celles des Almohades et des Hammadites, d’une manière turbulente et instable, et ce, jusqu’à l’avènement du tutorat turc, sous lequel la population s’organisa en tribus ayant chacune à sa tête un Cheikh qui jouait en quelque sorte le rôle de vassal du Bey. À l’occupation française, le Bey de Constantine, Bey Ahmed, eut le soutien actif de tous les Cheikhs, y compris Bengana, (devenus plus tard les suppôts zélés de la pacification coloniale), qu’il mobilisa pour repousser un premier assaut des forces d’occupation, et pour opposer une résistance héroïque lors du deuxième assaut qui avait bénéficié de la complicité des tribus de Cheikh Mokrani qui contrôlaient l’accès au défilé de Palestro, ainsi que celle du Bey de Bône qui avait favorisé le débarquement d’une partie de l’armement lourd et des troupes coloniales. Le chef-lieu, Constantine, repoussa vaillamment un premier assaut et ne capitula au deuxième qu’après avoir livré une bataille de rue historique. Le Bey Ahmed fut également lâché par le Sultan turc qui le bernait en lui faisant croire que du matériel de guerre lui serait incessamment livré via la Libye pendant que ses diplomates négociaient l’abandon de l’Algérie aux Occidentaux en échange de quelques futiles concessions dans les Balkans.

    Durant les années trente, le Constantinois connut les premières effervescences politiques à travers des mouvements d’inspiration égalitaire et identitaire à la fois, et qui furent portées notamment par le Docteur Bendjelloul, le pharmacien Ferhat Abbas, le Docteur Sadane et Cheikh Abdelhamid Ben Badis, pendant que naissait en banlieue ouvrière parisienne, un mouvement nationaliste porté par le parti populaire algérien sous la direction d’Ahmed Messali Hadj, un leader nationaliste d’un charisme exceptionnel, qui insuffla aux Algériens un nationalisme populaire et fort.

    À la fin de la Seconde Guerre mondiale à laquelle participèrent de nombreux jeunes algériens au sein de l’Armée française pour combattre l’Armée hitlérienne, les mouvements unifiés algériens, dans une déclaration des AML¹² soutenue par Lamine Debaghine et endossée par Ferhat Abbas, exprimèrent ouvertement leurs revendications nationalistes. La réponse à ce manifeste, ne tarda pas à venir à l’occasion de manifestations organisées les premiers jours du mois de mai. En effet, le 8 mai 1945, les forces coloniales déclenchèrent à travers le Constantinois et notamment dans la région de Sétif et de Guelma, une répression aveugle qui toucha particulièrement les militants du PPA¹³ et une partie de la population. Une répression qui restera gravée à jamais dans la mémoire de l’histoire de l’Algérie. À la suite de ces événements douloureux, le mouvement nationaliste PPA fut interdit et ses adeptes durent changer le nom de leur parti afin de pouvoir reprendre leurs activités militantes. C’est ainsi que le parti PPA devint le MTLD¹⁴. En son sein prit naissance une tendance dure, acquise à l’idée que seul le recours à l’action armée pourrait changer le statut des Algériens et les affranchir du colonialisme. C’est alors que pour répondre aux vœux de cette tendance fut créée une organisation spéciale, l’OS, chargée de préparer les structures de base pour enrôler des militants aguerris et disciplinés en vue de mener une lutte armée le jour venu. Mohamed Belouizdad en fut le valeureux artisan. Il avait trouvé dans le Constantinois, au lendemain des massacres du 8 mai 1945, un terrain propice au recrutement de fervents éléments, prêts à s’engager dans l’insurrection armée, comme Guerras Abderrahmane, Zoubir Daksi, Mohamed Méchati et Habachi Abdeslam. Il fit de Constantine son siège pour lancer l’OS qui fut créée officiellement au sein du MTLD lors de la réunion constitutive de ce dernier. Il retourna à Constantine pour confier sa succession à Boudiaf Mohamed assisté de Didouche Mourad, Guerras Abderrahmane et Tayeb Thaalbi dit « Si Allal ». Terrassé par la tuberculose qui l’empêchait d’assumer convenablement sa responsabilité, il mourut en 1952, après une longue hospitalisation en France, à Paris. Après son départ de Constantine, l’OS fut rudement secouée par un événement malheureux qui eut lieu dans le Constantinois, connu sous le nom de l’affaire de Tébessa, et qui provoqua, en 1950, des arrestations massives, dont la plupart des membres de cette organisation.

    La réorganisation de l’OS connut des moments difficiles car la situation nouvellement créée exigeait des responsables légaux du parti de s’occuper des rescapés de l’OS comme Bentobal Lakhdar, Méchati Mohamed, Abdeslam Bekkouche dit « Sassi », Abdeslam Habachi et les évadés de la prison d’Annaba comme Zighoud Youcef, Amar Benaouda, Slimane Barkat, etc.

    Il serait long de décrire la situation dans laquelle s’étaient retrouvés ces éléments activement recherchés par la police, et, souvent abandonnés à leur triste sort par le parti. Ils changeaient souvent de lieu d’hébergement et vivaient de subsides comme des parias. Ils étaient nombreux, ces héros anonymes, à avoir sacrifié leur vie et leur jeunesse pour que la voie d’un combat libérateur devienne, un jour, une idée ancrée dans l’esprit populaire.

    Un autre événement vint ensuite ébranler le pays au cours de l’année 1953. En effet, le Comité central du parti MTLD, sous l’égide de Lahouel Hocine, entra en dissidence avec Messali et se rapprocha de Boudiaf et de Ben Boulaïd, pour créer en mars 1954 un comité de réconciliation, en vue de la tenue d’un congrès extraordinaire permettant de dépasser le conflit et de réunifier les forces militantes du MTLD, avec l’objectif de passer à l’action. Ce comité, qui prit le nom de CRUA¹⁵ échoua dans sa tentative de réaliser sa mission. C’est ainsi qu’après la publication d’un bulletin dénommé le Patriote, et peu après la réunion du « groupe des 22 », Boudiaf décida de mettre fin à l’existence du CRUA dans un communiqué qu’il rendit public le 4 juillet 1954. Pour les jeunes lecteurs, rappelons que le parti MTLD connut une scission entre deux partisans : ceux qui voulaient donner plus de pouvoir au Comité central ayant comme secrétaire général à l’époque, Benkhedda Benyoucef, et, ceux qui étaient pour donner les pleins pouvoirs au président du parti, à savoir, Messali Hadj. Les militants de l’OS, dans leur majorité, adoptèrent une position de neutralisme positif, c’est-à-dire, qu’ils n’étaient ni pour l’une, ni pour l’autre position ; mais la plupart étaient acquis à l’idée de passer à l’action, à l’instar des Marocains et des Tunisiens entrés dans une phase de revendication indépendantiste offensive. Le noyau dur des neutralistes représentés par Ben Boulaïd, Boudiaf, Didouche et Ben M’hidi voulait passer à l’action dans l’immédiat alors que les centralistes continuaient à tergiverser arguant du fait que les conditions n’étaient pas encore remplies, pendant que les messalistes, tout en étant de leur côté également d’accord pour l’action armée, soulignaient que le déclenchement de celle-ci relevait de la seule prérogative de leur chef, Messali. Cependant, malgré leur position, de nombreux neutralistes furent malmenés par les messalistes surtout après la publication du Patriote. Boudiaf fut accusé d’avoir détourné les moyens et le budget du parti à une fin partisane, ce qui lui valut d’être molesté par les messalistes. C’est dans ces circonstances que le noyau dur des neutralistes chargea Boudiaf de réunir les principaux responsables de l’OS pour organiser le déclenchement de la lutte armée, ce qui amena la réunion de 22 membres de l’OS, le 27 juin 1954 au Clos Salembier, à Alger.

    2. Divergence au sein de l’Organisation Spéciale (OS) constantinoise

    On s’était beaucoup interrogés sur la prédominance des Constantinois au sein du groupe des « 22 », dont 17 membres étaient originaires de la région alors que les 7 autres venaient de la ville même. Cela peut s’expliquer de deux manières. La première est que c’était dans l’ancienne région de Constantine que résidait la majeure partie de la population musulmane et donc, statiquement, il devait y avoir plus de sympathisants nationalistes incorporés dans les partis politiques que dans les autres régions du pays. Cela était tellement évident que le général de Gaulle, à un certain moment de la guerre d’Algérie, avait sérieusement envisagé de céder tout l’Est algérien aux musulmans. La deuxième raison était que Boudiaf, qui avait pris l’initiative de cette réunion avec l’aval notamment de Ben Boulaïd et de Ben M’hidi, fut chargé de procéder à la sélection des éléments devant y assister. Boudiaf, ayant eu à exercer ses responsabilités durant de longues années comme responsable régional de l’OS dans le Constantinois, il était normal que son choix se portât sur des militants et responsables qu’il avait vus à l’œuvre et dont il connaissait la prédisposition à s’engager dans la lutte armée. Il faut signaler que le critère géographique n’avait pas non plus été négligé par Boudiaf puisque les éléments convoqués à cette réunion représentaient organiquement toute l’Algérie, même s’ils étaient natifs d’une même région. Au cours de cette réunion dite des « 22 », Ben Boulaïd et Ben M’hidi proposèrent Boudiaf comme coordonnateur de la direction élue, laquelle, composée au départ de cinq membres : Ben Boulaïd Mostefa, Ben M’hidi Larbi, Bitat

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