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Saint François de Paule 1416 – 1507: Un thaumaturge apôtre de la charité Fondateur de l'Ordre des Minimes
Saint François de Paule 1416 – 1507: Un thaumaturge apôtre de la charité Fondateur de l'Ordre des Minimes
Saint François de Paule 1416 – 1507: Un thaumaturge apôtre de la charité Fondateur de l'Ordre des Minimes
Livre électronique427 pages5 heures

Saint François de Paule 1416 – 1507: Un thaumaturge apôtre de la charité Fondateur de l'Ordre des Minimes

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À propos de ce livre électronique

En mai 1483, peu de semaines avant sa mort, le vieux roi Louis XI appelle à ses côtés l’ermite François de Paule venu de Paola en Calabre dont la réputation de thaumaturge a dépassé les frontières du royaume de Naples. Son austérité de vie, son idéal de pauvreté et de charité, sa pratique de la méditation que consigneront les contemporains lors des procès de canonisation, interrogent et séduisent. Cette recherche d’une nouvelle spiritualité s’exprime à travers la fondation d’un nouvel Ordre religieux, celui des Minimes, dont le Règle est approuvée en 1493, largement inspirée par l’idéal franciscain de saint François d’Assise. L’ermite devenu désormais cénobite y ajoutera la pratique du jeûne de Carême tout au long de l’année. En cela, François de Paule reste l’un des plus grands réformateurs des Ordres religieux, dans le sens d’une austérité plus marquée et participe à ce qu’on appelle la Pré-réforme catholique. Peu d’années après sa mort en 1507 en son couvent fondé près de Tours, François de Paule est canonisé en 1519.

Il inspira, par sa modernité, un mouvement spirituel faisant une place essentielle à l’oraison, à la pauvreté et à la charité. Au cours des siècles, la France et l’Europe se couvrent de couvents de Minimes. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’Ordre des Minimes compta parmi ses membres d’illustres scientifiques dont Mersenne, ami de Pascal et Maignan et le premier évangélisateur de l’Amérique participant au second voyage de Christophe Colomb.
Trop peu connue en France, l’histoire de saint François de Paule et de l’Ordre des Minimes, son extension en France et en Europe, ne méritaient pas seulement une réécriture. Il s’agissait, en revenant aux sources, en puissant dans les études et travaux de chercheurs italiens difficilement accessibles, d’exercer un esprit critique et d’analyse sur les ouvrages par trop hagiographiques et d’analyser avant tout les faits par rapport à leur contexte.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Michel Laurencin, professeur honoraire agrégé d’histoire, est l’auteur de plusieurs ouvrages dont la Vie quotidienne en Touraine au temps de Balzac (Hachette), couronnée par l’Académie française. Spécialiste de l’histoire religieuse et des mentalités, il a consigné dans cet ouvrage sur saint François de Paule (1416-1507) ses années de recherches sur l’un des personnages qui, fondateur de l’Ordre des Minimes, a impulsé la réforme des ordres religieux et fut conseiller de Louis XI et de Charles VIII. C’est toute la vie et la spiritualité de ce thaumaturge, apôtre de la charité, pratiquant le jeûne et l’oraison qui est redécouverte et mise en valeur.

LangueFrançais
Date de sortie29 avr. 2023
ISBN9782364529199
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    Aperçu du livre

    Saint François de Paule 1416 – 1507 - Michel Laurencin

    Remerciement de l’éditeur

    L’éditeur remercie pour leur fraternel soutien

    le Père Stéphane Jeanson,

    président de l’Association des Amis de saint François de Paule

    Monsieur Jean-Luc Lunot,

    neveu de Michel Laurencin

    Monsieur Bertrand Vincent,

    délégué diocésain à la communication du Diocèse de Tours

    Monsieur Donatien Mazany,

    docteur en Histoire, auteur, qui a apporté

    toute son attention à la dernière lecture du texte

    Présentation

    C’est avec un grand plaisir que j’ai accepté la demande du Professeur Laurencin, celle de présenter son travail sur saint François de Paule dont je suis concitoyen parce que je suis moi aussi natif de Paola, fils spirituel en tant que religieux de son Ordre, successeur dans le gouvernement de l’Ordre du moment où j’ai assumé la charge du Correcteur Général de l’Ordre. Je me suis senti honoré par cette demande pour la qualité du travail produit par un érudit dont je connais depuis longtemps la préparation scientifique et les qualités humaines.

    J’ai aussi accepté par amitié et gratitude : je sais avec quel amour et dévouement, à l’école du feu Mgr Robert Fiot, l’auteur a entretenu en France, et surtout à Tours, le souvenir de saint François de Paule, notamment dans les années où il dirigeait l’Association des Amis de saint François de Paule. L’Ordre doit lui être reconnaissant pour ce service qu’il lui a rendu. Moi-même, au cours des douze années de service à l’Ordre comme correcteur général, j’ai trouvé dans le professeur Laurencin un appui sûr pour les questions à négocier avec la France, surtout pour la question de l’achat par l’Ordre de ce qui reste de l’ancien couvent du Plessis près de Tours et de la chapelle abritant le tombeau de saint François.

    L’ouvrage qu’il présente est un essai synthétique, mais nullement superficiel, sur saint François de Paule et l’Ordre des Minimes, qui ont marqué l’histoire de France. Le livre sert à fixer cette vérité historique dans la mémoire de la culture française, qui risque de rester dans l’ombre, car en France les études historiques sur la figure de cet ermite n’avaient pas suffisamment avancé.

    De plus, comme l’affirme lui-même l’auteur, les nombreuses études produites en Italie ces dernières années sont peu connues du vaste public français. L’absence des religieux Minimes en France, deuxième patrie de l’Ordre, pendant près de deux siècles, a beaucoup contribué à cet oubli.

    Le professeur Laurencin place son œuvre dans une continuité idéale avec l’écriture, désormais lointaine dans le temps, de l’abbé Rolland (Histoire de saint François de Paule, fondateur de l’Ordre des Minimes et de son couvent du Plessis-lez-Tours, Paris 1874), qui espérait déjà à l’époque une reprise des études sur l’ermite calabrais, arrivé en France à Tours en 1483 et mort en 1507, puisant dans une documentation historique plus fiable, justement pour redonner à cet ermite, qui quitte la Calabre parce que demandé au pape Sixte IV par le roi Louis XI dans l’espoir d’obtenir de lui la guérison. Ces nouvelles études, espérées par Rolland, existent désormais et sont capables, si elles sont connues du grand public, de dépasser les stéréotypes hagiographiques dans lesquels, malheureusement, le fondateur des Minimes est cantonné, ignorant le grand rôle qu’il a joué dans l’histoire religieuse et politique de l’époque aux côtés de Louis XI, Charles VIII et Louis XII qui ont trouvé en lui un guide spirituel très attentif. Les religieux Minimes, dans les siècles suivants, jusqu’à la Révolution du xviiie siècle, ont illustré l’histoire religieuse, civile et culturelle de toute la France. Avec son œuvre, le professeur Laurencin veut mener à bien ce travail de diffusion des conclusions auxquelles ont abouti ces études, produites surtout en Italie à travers une série des conférences organisées par l’Ordre, et auxquelles ont également participé de nombreux savants français.

    L’auteur retrace les étapes importantes de la vie de François non seulement pour exposer les faits et les événements de sa vie comme une simple chronique, mais, en tant qu’historien compétent et perspicace, enquêtant également sur l’humanité et la sainteté de la vie du grand ermite calabrais. De cette façon, il porte son propre jugement, qui est le principal résultat de ces nouvelles études autour de la figure de l’ermite calabrais, sur le rôle réformateur qu’il a joué dans l’Église de l’époque, avec les implications inévitables également dans l’histoire civile de l’Europe du temps. En effet, il constate que la vie de François de Paule est renfermée entre la fin du Grand Schisme d’Occident (1417) et la présentation des 95 thèses par Martin Luther (1517), deux ans avant sa canonisation. Dans ce laps de temps, de nombreux grands événements qui touchent l’histoire de l’Église et des nations européennes passent par son action ferme et décisive d’ascète contemplatif, qui porte le regard de Dieu sur les grands événements de la société, sans jamais renoncer aux exigences de fermeté évangélique et de justice sociale devant les puissants de l’époque (voir la force évangélique avec laquelle il affronte à la fois Ferrante d’Aragon à Naples puis Louis XI en France).

    L’auteur rappelle l’action diplomatique menée par l’homme de Paola au nom du pape et du roi de Naples (craignant les prétentions des rois de France sur le royaume de Naples en tant que descendants de la dynastie d’Anjou) auprès de la Cour du roi de France pour garder la paix en Europe, le rôle joué dans la tentative de conquête du royaume de Naples par Charles VIII comme moment essentiel de la nouvelle croisade contre les Turcs, le rappel lancinant au pape de ne pas sous-estimer précisément le danger d’une invasion musulmane en Europe, œuvre du sultan turc, l’adhésion aux mouvements de réforme par le bas dans l’Église, nombreux au xve siècle, qui constituent les tentatives d’une Réforme catholique avant la Réforme protestante. Ce sont autant d’aspects que la nouvelle historiographie a traités dans ces dernières décennies de la vie de François de Paule et que notre auteur veut faire connaître au vaste public français avec ce livre.

    Les longues années de séjour en France du grand homme de Paola (de 1483 à 1507) lui ont permis de lier son nom à la réforme de l’Église, rejoignant les rangs des pré-réformateurs de l’époque, qui revendiquaient la manière évangélique de comprendre la réforme, c’est-à-dire celle qui devait partir de la conversion du cœur humain. Le professeur Laurencin suit l’opinion, que je partage aussi, de son maître Mgr Robert Fiot. À cet égard, il convient de souligner l’espace consacré par l’auteur à l’Assemblée de Tours de 1493, sur laquelle tout n’a pas encore été dit en ce qui concerne François de Paule et son action réformatrice avec la fondation de l’Ordre des Minimes et l’approbation par l’Église de sa Règle, originale par rapport aux autres, entièrement fondée sur l’ascèse du Carême. Dans cette Assemblée, l’Ermite ultramontain est officiellement le grand absent, mais toujours présent dans les références implicites que les évêques et abbés qui y ont participé lui ont réservées ainsi qu’à sa Règle, fermes adversaires d’un retour à l’ascétisme classique et envieux du succès que François recueillait en France (le prieur de l’abbaye de Marmoutier, François Binet, avait fait le choix de suivre l’homme de Paola, malgré l’opposition de son abbé).

    La place de François parmi les réformateurs de l’époque renverse le jugement sévère d’A. Renaudet sur le rôle de l’homme de Paola qui n’aurait exercé aucune influence sur l’histoire de l’Église de l’époque. Le professeur Laurencin trouve ce jugement disproportionné. Et c’est à partir de ce constat qu’il développe la deuxième partie du volume, concernant l’histoire de l’Ordre des Minimes en France, surtout pour ce qui concerne la participation des religieux Minimes à la défense de la foi catholique lors des guerres de religion (l’on cite les noms de quelques religieux parmi les grands prédicateurs de l’Ordre tels que Guichard et Ropitel etc.). L’auteur s’attarde ensuite dans la présentation détaillée de la diffusion de l’Ordre avec tous ses couvents et religieux illustres de sainteté et de doctrine, jusqu’à la disparition de l’Ordre lui-même du sol français. Il souligne comment les Minimes ont non seulement imité l’ascèse de leur fondateur, mais se sont généralement distingués dans toutes les branches du domaine scientifique (Mersenne, Niceron, Maignan etc.), dans le domaine spirituel (Avrillon), et dans l’éducation des garçons pauvres (Barré). Dans ce contexte, il fait une allusion particulière à l’Église de la Trinità dei Monti à Rome, le célèbre centre de la culture philosophique, théologique et scientifique française à Rome.

    En tant que religieux minime, qui rêve toujours du retour de l’Ordre en France, je remercie sincèrement le professeur Laurencin pour son travail qui contribuera à faire vivre en France la mémoire de François de Paule et de son Ordre, en attendant que le temps de Dieu mûrisse pour ce retour. Paola et Tours, et tout ce que ces deux lieux ont signifié pour François de Paule, pour nous les religieux Minimes, sont comme les deux poumons à travers lesquels la spiritualité pénitentielle de François de Paule et de son Ordre peut respirer et vivre.

    + p. Giuseppe Fiorini Morosini O.M.

    Archevêque Métropolitain émérite de Reggio Calabria-Bova

    Avant-propos

    En ce xve siècle, au sortir de la Guerre de Cent-Ans, c’est sur les bords de la Yèvre depuis Bourges, de la Vienne depuis Chinon, de la Loire depuis Amboise et Tours que se prennent les décisions du pouvoir royal. Là résident les monarques de la dynastie des Valois et Tours est promue « ville royale » de 1356 à 1520 en devenant le centre de l’administration du royaume de France. En son manoir du Plessis-lès-Tours, aux portes de la cité martinienne, Louis XI, roi de 1461 à 1483, s’efforce de tisser sa toile pour rétablir l’unité du royaume et reconquérir les terres prises par ses ennemis.

    Au printemps 1483, quelques semaines avant sa mort, le vieux roi, malade, appelle à ses côtés l’ermite François de Paule venu de Paola en Calabre et dont la réputation de thaumaturge a dépassé les frontières du royaume de Naples. Son austérité de vie, son idéal de pauvreté et de charité, et sa pratique de la méditation, que consigneront les contemporains lors des procès de canonisation, interrogent et séduisent. Cette recherche d’une nouvelle spiritualité s’exprimera à travers la fondation d’un nouvel Ordre religieux, celui des Minimes, dont la première Règle approuvée en 1493 par le pape Alexandre VI est largement inspirée par l’idéal franciscain de saint François d’Assise. L’ermite devenu désormais cénobite, directeur d’un Ordre religieux reconnu, familier de Louis XI et de Charles VIII, y ajoutera la pratique du jeûne de Carême tout au long de l’année. En cela, François de Paule reste l’un des plus grands réformateurs des Ordres religieux, dans le sens d’une austérité plus marquée, d’une pratique plus conforme aux principes évangéliques et participe ainsi à ce qu’on appelle la Préréforme catholique, quelques décennies avant l’affirmation de la Réforme protestante. À quelques années près, la vie de François de Paule (1416-1507) prend place entre la fin du Grand Schisme d’Occident (1417) et l’énoncé des 95 thèses de Martin Luther à Wittenberg le 31 octobre 1517.

    Quand il décède en son couvent Jésus-Maria à quelques distances du manoir royal du Plessis-lès-Tours, sur des terres offertes par Charles VIII en bordure du Cher, en ce Vendredi saint 2 avril 1507, c’est une foule considérable qui le porte au tombeau. Béatifié dès 1513, il est canonisé le 1er mai 1519 par le pape Léon X. Aux procès de canonisation, les témoins relatent les guérisons obtenues, soulignent son ascétisme et sa pauvreté, exaltent sa pratique de la charité et de l’oraison. Philippe de Commynes, historiographe de Louis XI et de Charles VIII, se plaît à souligner « qu’il ne pense jamais avoir vu homme vivant de si sainte vie… il sembla même que le Saint-Esprit parla par sa bouche, car il n’était clerc ni lettré… ».

    Depuis Paola en Calabre et Tours, le nouvel Ordre monastique se répand à travers l’Europe aux xviie et xviiie siècles, notamment en France où, à la veille de la Révolution, il rassemble dans ses 154 monastères près de mille religieux attirés par l’ascétisme, la pauvreté, la contemplation et la charité, œuvrant aussi au service des paroisses. Protégés par le pouvoir royal, aidés par la générosité des notables locaux, les Minimes se signalent aussi par leurs travaux et leurs recherches dans des sciences aussi variées que l’histoire, la botanique, les mathématiques, la physique, la cosmologie ou se consacrent à l’éducation des enfants pauvres. En témoignent Marin Mersenne, correspondant de Descartes et de Pascal, Emmanuel Maignan, Jean-François Niceron, Charles Plumier, François Jacquier, Jean-Baptiste Avrillon et Nicolas Barré. Le Minime Bernardo Boyl accompagne Christophe Colomb au Nouveau Monde pour l’évangélisation, non sans prendre ses distances, comme Bartolomé de las Casas plus tard, à l’égard des abus du pouvoir politique, au nom de la défense des droits des Amérindiens.

    Trop peu connue en France, l’histoire de saint François de Paule et de l’Ordre des Minimes, son extension en France et en Europe, ne méritaient pas seulement une réécriture. Il s’agissait, en revenant aux sources, en puisant dans les études et travaux de chercheurs italiens, difficilement accessibles, d’exercer un esprit critique et d’analyse sur les récits souvent trop hagiographiques. La découverte de nouveaux documents imposait une nouvelle approche du dossier. Entre la légende et la réalité, le récit du merveilleux et l’analyse des faits, l’historien se doit de fixer des limites pour ne retenir que ce qui s’approche de la certitude, en analysant avant tout les données historiques par rapport à leur contexte, sans chercher à suivre les chemins déformants de l’apologie naïve ou de l’anachronisme trompeur.

    À l’occasion de colloques tenus à Paola en 1983, 2000 et 2006 et à Tours en 2007 (Saint François de Paule et les Minimes en France de la fin du xv e au xviiie siècle, par Benoist Pierre et André Vauchez, P.U. François Rabelais, Tours 2010), la place et le rôle du Paolan dans la diffusion de ce nouvel Ordre religieux ont pu être précisés. Il convenait de resituer ces études et de les compléter dans le cadre d’un ouvrage plus général s’appuyant sur les documents, dont la demande s’était souvent exprimée depuis la dernière publication de l’abbé Rolland en 1876.

    Michel LAURENCIN

    Les premiers engagements

    de l’ermite en Calabre

    C’est une Église d’Occident profondément en crise qui affronte les débuts du xve siècle, quand François Martolilla voit le jour en Calabre à Paola, aux bords de la mer Tyrrhénienne au printemps de 1416. Depuis 1378, le Schisme d’Occident a creusé et cimenté les graves divisions, a mis à mal l’unité autour du successeur de saint Pierre et a facilité les interventions et les intérêts temporels des souverains dans le gouvernement et la discipline de l’Église catholique. Plusieurs tentatives pour rétablir l’unité perdue, même la convocation d’un concile à Pise en 1409 réunissant près de 500 évêques, abbés et théologiens n’ont pas permis d’obtenir la renonciation des deux anti-papes : Grégoire XII élu en 1405 et Benoît XIII élu en 1394 en Avignon. La tiare est même partagée par trois pontifes avec l’élection à Pise d’Alexandre V (1409-1410) puis de Jean XXIII comme successeur, déposé en 1415. Si la France pour un temps, l’Angleterre, la Hongrie, le Portugal, quelques états allemands et italiens reconnaissent l’obédience de Jean XXIII, en revanche Benoît XIII garde le soutien de la Castille, l’Aragon, la Navarre, la Bretagne, l’Écosse puis la France tandis que Grégoire XII a ses partisans au royaume de Naples, en Bavière, au Palatinat et dans plusieurs électorats allemands ; il renonce toutefois à la tiare en 1415 pour permettre le retour à l’unité. Il faudra attendre la réunion à Constance, à partir de 1414, d’un nouveau concile, pour qu’enfin l’unité soit rétablie avec l’élection du cardinal Oddone Colonna sous le nom de Martin V, le 11 novembre 1417, jour de la saint Martin, et l’abdication ou la déposition des « antipapes ».

    Les crises et les déchirures affectent gravement le pouvoir pontifical. Dans un décret adopté lors du concile de Constance, le 30 mars 1415, les participants déclarent que le concile « représentant l’Église catholique militante tient son pouvoir immédiatement du Christ ; tous, de quelque état ou dignité qu’ils soient, celle-ci fût-elle papale, sont tenus de lui obéir pour ce qui concerne la foi et l’extirpation dudit schisme ». Cet affaiblissement du pouvoir papal, réaffirmé plus fermement lors du concile de Bâle dans sa session du 27 avril 1433, favorise en fait les prétentions des souverains temporels tendant à s’assurer un contrôle direct des institutions ecclésiastiques, notamment dans le choix des évêques et des dignitaires religieux. En France, le contrôle du roi sur l’Église dans son royaume est devenu réalité avec la Pragmatique Sanction de Bourges édictée par Charles VII le 7 juillet 1438 : dans le sillage du concile de Bâle, la supériorité des conciles généraux sur le pape y est énoncée ; le droit de nomination aux évêchés et bénéfices ecclésiastiques par le pape est supprimé au profit des chapitres épiscopaux et abbatiaux sous influence directe du pouvoir royal. Les bases du gallicanisme sont déjà posées, que Bossuet codifiera en 1682.

    Parallèlement, la crise se double d’une déchirure spirituelle, profonde et menaçante pour le dogme catholique. En Angleterre, John Wyclif (1330-1384) conteste l’autorité hiérarchique de l’Église et rejette les apports de la tradition. Se réclamant des écrits de saint Augustin, les interprétant parfois jusqu’à l’excès, il soutient l’idée de la distinction dès l’origine entre les prédestinés au salut et ceux condamnés à la damnation, préfigurant l’opposition luthérienne entre la foi et les œuvres. En Bohême, Jan Hus, ou Jean Huss (1372-1415), excommunié en 1411, mort sur le bûcher à Constance en 1415 pour hérésie, apparaît comme un précurseur du protestantisme et un initiateur de la Réforme ; depuis la Bohême, sa doctrine se répand dans une partie des états allemands. L’année 1483 marque la naissance du moine réformateur Martin Luther ; c’est aussi celle de l’arrivée en terre tourangelle de François de Paule, l’ermite venu de Calabre auprès de Louis XI quelques mois avant sa mort.

    À quelques années près, la vie de François de Paule (1416-1507) prend place entre la fin du Grand Schisme d’Occident (1417) et l’énoncé des 95 thèses de Martin Luther à Wittenberg le 31 octobre 1517.

    L’immersion du jeune François dans l’esprit franciscain

    C’est en Calabre à Paola en Italie méridionale, une cité établie aux bords de la mer Tyrrhénienne et aux pieds des Apennins, relevant du diocèse de Cosenza, que naît François d’Alessio (Alesso ou Alexio) le 27 mars 1416, du mariage de Giacomo d’Alessio (dit Martolilla) et Vienna de Fuscaldo, d’une lignée noble calabraise¹². Propriétaire terrien, Giacomo disposait d’une certaine aisance. Si l’on en croit l’Anonyme³, la naissance d’un premier enfant était attendue depuis plusieurs années. Selon le Minime Hilarion de Coste⁴, descendant de la sœur de François de Paule par sa mère, cette naissance aurait été obtenue par l’intercession de saint François d’Assise ; aussi ce prénom fut tout naturellement choisi. C’est encore au poverello que l’on attribue la guérison de l’œil de l’enfant ; et, selon la promesse faite par sa mère, François, âgé de 14 ans, entre au couvent des Frères Mineurs de saint François d’Assise à San Marco Argentano près de Cosenza. Il n’y demeure toutefois qu’une année, de 1431 à 1432. Souhaitait-il mener une vie encore plus austère que celle des Frères du Poverello, comme certains de ses hagiographes l’ont écrit ? Le voyage qu’il effectue ensuite à Rome avec ses parents⁵ de 1432 à 1435, lui faisant découvrir opulences et richesses ostentatoires, l’a-t-il définitivement marqué, ainsi que celui qu’il effectue au monastère bénédictin du Mont-Cassin ? Sa visite à Assise, sur les traces du Franciscain et le témoignage de pauvreté et de charité qu’il en a recueilli ont-ils orienté son choix de vie ? L’exemple du poverello, renonçant aux fastes et aux honneurs pour mener une vie plus austère a assurément scellé les choix de l’adolescent calabrais. Il inspirera en tout cas, plus tard, bien des éléments de la Règle de l’Ordre des Minimes.

    L’expérience érémitique à Paola

    et en Calabre (1435-1483)

    De retour à Paola, en 1435 probablement⁶, et quittant ses parents, il se retire à l’écart du monde, sur un terrain familial, puis dans une grotte. C’est pour y mener une vie d’anachorète, marquée par la contemplation, la prière et l’austérité « dans une caverne taillée dans le roc, pour lit que la terre nue, pour chevet qu’une tuile ou faîtière, pour mets délicieux que des herbes et des racines, pour vêtements qu’un cilice et un pauvre habit, pour l’entretien que l’oraison, sans autre compagnie que celle des anges et sans autre assistance que de Dieu et de ses saints »⁷.

    Non sans emphase, ses hagiographes n’hésitent pas à considérer cette vie d’ermite comme celle menée jadis par les Pères des déserts d’Orient et dans la Thébaïde aux premiers siècles du christianisme… Cette référence devient même un thème itératif et récurrent chez plusieurs historiens de l’Ordre. En publiant en 1761 ses neuf volumes des Vies des Pères des déserts d’Orient, avec leur doctrine spirituelle et leur discipline monastique, le Minime Michel-Ange Marin (1697-1767) participe très largement de cette démarche hagiographique.

    Quelques disciples le rejoignent pour vivre en anachorètes. Les écrits hagiographiques évoquent la présence de douze disciples, sans doute par référence symbolique aux douze apôtres. À Paola, il fait édifier à partir de 1454 une première église dédiée à la Vierge et à saint François d’Assise : « La Vierge, à cause de la dévotion qu’il avait pour elle et saint François à cause de l’obligation qu’il avait à ce patriarche des Mineurs qui semblait avoir pris la conduite et la protection de cette église et de ce couvent, comme d’un lieu qui lui appartenait. »

    Le Minime Hilarion de Coste cite les noms de douze compagnons partageant aux côtés de François de Paule cette vie d’anachorètes, dont ceux de Bernardino de Baroncelli dit de Cropolati, son confesseur, et Baldassare [Balthazar] de Gutrossis, devenu plus tard le confesseur du pape Innocent VIII puis son nonce auprès de Charles VIII en 1488. Le Minime François Giry note que François « vécut avec ses discsiples sous les règles de la vie érémitique dans une austérité, une innocence et une ferveur merveilleuse. Il était aussi comme l’asile de tous les misérables du pays, et non seulement il exerçait en leur endroit la charité spirituelle en les consolant dans leurs afflictions, les conseillant dans leurs doutes et les fortifiant dans leurs tentations ; mais aussi la charité corporelle en guérissant leurs plaies et leurs maladies de quelque nature qu’elles fussent et leur fournissant même miraculeusement de quoi vivre dans leurs nécessités ».

    Le développement de la vie érémitique au xve siècle, en particulier dans les régions méridionales de l’Europe sous influence culturelle de l’Orient byzantin en rupture partielle avec Rome, n’a pas manqué d’inquiéter. Certes, l’expérience ancienne des Pères du désert a pu servir de modèle. Mais les éventuelles déviances ont conduit les théologiens romains à exercer une étroite surveillance sur les anachorètes, leur mode de vie, leur adhésion et leur conformité au dogme catholique. Dès lors, c’est avec prudence et même avec méfiance que les autorités religieuses romaines observent ces expériences d’un ascétisme pratiqué jusqu’à ses extrêmes limites. L’exemple du Franciscain Bernardin de Sienne (1389-1444) avait déjà motivé les réticences de Rome. Réformateur, pourfendeur du luxe et des honneurs, prédicateur de la pauvreté, il est inquiété et doit se justifier devant le pape Martin V lors de son procès en 1427 avant que son orthodoxie soit reconnue.

    Selon Giovanni Vitolo¹⁰ : « L’érémitisme est l’expression au niveau de la spiritualité d’une société en crise qui se replie sur elle-même après avoir vu sa structure politique et sociale bouleversée. Le phénomène, qui affecte l’Occident, était d’une intensité particulière en Italie… et notamment en Calabre. » Pour ce chercheur, la Calabre constitue une « véritable terre promise des ermites, telle qu’elle a été définie, et c’est probablement, non seulement et pas tant pour la renommée des moines italo-grecs, dont les actes étaient bien connus en dehors de l’Italie, mais plutôt pour cette tension érémitique qui marque fortement l’expérience de la plupart des réformateurs monastiques médiévaux et dont la Calabre byzantine donnera l’exemple de toute une variété de réalisations : de l’isolement total au lien plus ou moins organique entre monastères et ermitages ».

    Comme l’observe le R. P. Alessandro Galuzzi : « La vie des ermites calabrais prend une forme très particulière, dans des cavités naturelles ou artificielles, dans d’humbles habitations ou le plus souvent dans des grottes groupées autour d’une église commune pour les actes de piété… Ils étaient aussi d’un grand réconfort et d’assistance spirituelle aux populations voisines : dans certains cas ils s’improvisaient médecins en appliquant une thérapie à base d’herbes. Ce sont des ascètes qui n’ont pas eu peur d’alerter et d’élever la voix pour défendre les opprimés contre les puissants barons. »

    Ainsi en fut-il de l’ermite gréco-italien Nilo da Rossano au xe siècle ou encore de l’ermite franciscain Telesforo di Cosenza lors du Grand Schisme d’Occident à la fin du xive siècle.

    Pour cela et en ce qu’elle n’a en rien un caractère novateur en Italie, l’expérience vécue par François de Paule en ces débuts du xve siècle se rattache à une longue tradition. Aux débuts du xie siècle, le Florentin Jean Gualbert, après avoir partagé la vie cénobitique auprès des Bénédictins, comme le jeune François de Paule auprès des Franciscains, quitte la vie monacale pour se retirer dans la solitude érémitique. Rejoint par quelques disciples venus partager à ses côtés la vie d’anachorètes, il choisit ensuite la vie cénobitique (ou conventuelle) en fondant l’Ordre de Vallombreuse, axé sur la pauvreté, approuvé par le pape en 1055. De même, Guillaume de Verceil (1085-1142), mène une vie à l’écart du monde, d’abord dans les Pouilles, puis sur le mont Virgiliano [Vergine] en compagnie de quelques disciples. Dans ce petit groupe érigé en institut par le pape, l’ascétisme devient la règle avec l’abstinence perpétuelle de viande, laitages et vin. Dans l’isolement des montagnes de Calabre, Bruno le Chartreux (1030-1101) avait mené une vie d’ermite, pratiquant le jeûne et se consacrant à la prière et à la méditation. Le Français Guillaume de Maleval (mort en 1157), renonçant à la vie mondaine, se retire sur l’île de Lupocavio, près de Pise, puis sur le mont Pruno et enfin dans une grotte à Buriano pour y mener, avec un compagnon, la vie des anachorètes, ayant pour nourriture des racines et pratiquant continuellement l’oraison. Approuvés par le pape Grégoire IX en 1248, les Ermites de Saint Guillaume rejoignent les Ermites de Saint- Augustin en 1286.

    Les premières reconnaissances par l’autorité religieuse

    Cette diffusion d’un érémitisme, souvent en marge de l’autorité épiscopale, dans des régions encore marquées par le schisme constantinopolitain, pouvait inquiéter les autorités pontificales. L’austérité de vie et l’orthodoxie spirituelle de l’ermite calabrais et de ses premiers disciples à Paola sont donc soumises à un examen canonique. À la demande du pape Paul II, une enquête est diligentée par l’émissaire et prélat de Curie Baldassare de Gutrossis en 1467. Plus tard, ce prélat, abandonnant la Curie et les honneurs, rejoignit François en France et devint ermite sous le nom de Baldassare di Spino. Le Minime François Giry (op. cit. 9) narre l’entrevue en ces termes : « Cependant les actions prodigieuses qu’il opérait à tous moments faisant grand bruit par toute l’Italie, le pape Paul second, qui monta sur la chaire de saint Pierre le dernier jour d’août de l’année 1464, voulut en avoir des nouvelles assurées et envoya pour

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