Rafa: À l’école de la rue
Par Raphaël Chiron
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Footeux dans l’âme – pas celui de la télé, mais celui qui consiste à courir sur un vrai terrain avec de vrais gens –, Raphaël Chiron s’est inspiré de sa passion pour imaginer les aventures de Rafa au Brésil, la terre du football.
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Aperçu du livre
Rafa - Raphaël Chiron
1
Des débuts prometteurs
Rafa n’aimait pas jouer dans les cages.
Pour lui, être goal, c’était la pire des punitions. Dans les buts, il se sentait prisonnier, comme un condamné de sa cellule.
Ses amis l’obligèrent pourtant ce jour-là à enfiler les gants (c’était à croire qu’aucun d’entre eux n’y connaissait rien en football).
S’il avait été un grand sorcier, il leur aurait jeté un sort, mais n’étant ni grand ni sorcier, il se contenta d’y penser et de sourire à cette idée.
Les buts se mirent rapidement à pleuvoir.
Il s’agissait même, pour être honnête, d’un véritable déluge.
Chaque fois qu’un attaquant adverse se présentait devant lui, et cela arrivait souvent, Rafael multipliait les plongeons… pour éviter à tout prix la balle qui faisait un mal de chien.
Dans cet exercice d’esquive, il démontrait un certain talent, il fallait bien l’admettre.
Cela à tel point qu’il ne fut pas long avant que l’un de ses coéquipiers lui attribue le surnom de « petite passoire ».
Quand le score fut de 4 à 0, Pépé, un môme aux portes de l’adolescence, insista auprès de son équipe pour qu’on le change de poste.
Le fait qu’il se prenne un but par Gerardo, un petit maigrichon qui faisait de l’asthme et qui, du fait d’avoir une jambe plus courte que l’autre, boitait comme un canard avait été la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase.
Pour son âge, le physique de Pépé était impressionnant. C’était un athlète puissant à la charpente aérodynamique qui avait le haut du corps véritablement très musclé.
Peu de temps après qu’il eut ouvert la bouche, Rafael le regarda droit dans les yeux et constata alors qu’ils étaient profondément enfoncés dans leurs orbites et rougis par l’effort.
Il se racla la gorge, cracha un énorme mollard entre ses pieds et dit dans la foulée à son équipe :
— Oh, les gars, on pourrait pour une fois essayer de faire jouer Rafa en attaque. Il ne pourra de toute façon pas être plus nul que comme goal !
Pour Rafael, cette phrase avait eu quelque chose de christique et il se mit à regarder tout à coup Pépé comme s’il avait été une espèce de messie.
— Arrête la fumette mec, tu délires, lâcha Silvio, un grand mince à lunettes qui avait la particularité de se frotter le nez à la fin de chacune de ses phrases.
En guise de réponse, Pépé lança un petit clin d’œil à Rafa, ce qui eut le don de le rassurer un peu quant à son sort.
Les avis étaient partagés, chacun des petits footballeurs donnait son avis.
La valse des arguments fallacieux et des contre-arguments non moins orientés allait bon train tandis que Rafael attendait silencieusement la sentence.
Et puis, au bout de quelques minutes qui lui parurent interminables, il laissa finalement sa place dans les buts au grand Léo. Un môme guère plus épais qu’un fil de fer avec des bras qui étaient à eux seuls plus grands que des géants, et tout le reste en proportion.
Étant donné l’heure déjà tardive, les deux équipes décidèrent d’un commun accord de mettre en pratique la règle du but en or : le premier qui marquait gagnait la partie (ce qui était en soi une bonne nouvelle, car remonter quatre buts n’était pas l’affaire de cinq minutes).
Son état était tout à coup devenu celui d’un astronaute sur le point de découvrir une nouvelle planète.
Tout son corps vibrait d’impatience à l’idée de faire danser ses pieds au rythme du jeu et il se sentait à présent la force de déplacer des montagnes.
Mais malheureusement pour lui, ce ne fut là qu’un vain sentiment, car à l’instant de toucher son premier ballon, ses jambes se retrouvèrent sans énergie, liquéfiées en une espèce de pâte molle. Cela lui fit l’effet qu’elles allaient s’écrouler, comme une mauvaise fondation.
Et le pire arriva lorsque Lucas, un petit gros d’une dizaine d’années, lui subtilisa le ballon dans les pieds. Un léger coup d’épaule de sa part avait suffi pour le faire valser dans les airs.
Il invectiva aussitôt après le monde entier d’une telle injustice, mais, comme ses camarades de jeu, le monde avait, semble-t-il, autre chose à faire que de s’apitoyer sur son sort. D’autant que lors de la première audience, le jury populaire lui avait offert une issue favorable (la justice est aveugle, paraît-il).
Au final, Rafael se sentit profondément blessé dans son orgueil. Et l’humiliation se mit à planer au-dessus de sa tête comme un oiseau de mauvais augure.
La certitude de son inutilité, réelle et indiscutable cherchait à s’insinuer en lui, à l’envahir.
Il la chassa avec le sang-froid du désespoir, posa un genou au sol, et fixa son regard sur l’horizon. Là-bas où ressortaient vaguement dans l’épaisse poussière les délimitations du but adverse (deux grands poteaux de bois d’aspect miteux).
Il contempla ainsi ce lointain objectif un moment sans bouger avant que sa soif de vaincre ne le pousse finalement à se relever.
Marquer était un sentiment génial, un sentiment de liberté intense. Peu importe la façon, du pied, de la tête, du nez, des fesses, il voulait mettre ce ballon au fond des cages. Et il en faudrait plus que le coup d’épaule d’un petit grassouillet pour l’en empêcher, définitivement. En un rien de temps, ses jambes retrouvèrent leur élasticité, et ses pieds devinrent légers comme des plumes.
Il se remit à courir tout en gardant un œil sur Guilherme qui longeait à ce moment-là, balle aux pieds, la ligne de touche avec une habileté telle qu’on aurait dit un funambule sur son fil.
Son corps flirtait avec les lois de la physique, oscillant de manière incroyable entre l’équilibre et la chute. La balle lui collait tellement aux pieds qu’on aurait dit que, d’une certaine façon, elle faisait partie de son corps.
Le petit gaucher termina finalement sa course par un centre dans une sorte de déséquilibre esthétique. L’objet en plastique arriva ensuite comme par magie droit sur Rafael. D’une certaine façon, la passe était parfaite et il aurait été idiot de ne rien tenter.
Il s’élança donc au-dessus d’une foule de joueurs et retomba dans la seconde qui suivit si violemment sur le dos qu’il en eut le souffle coupé.
Mais cette désagréable sensation ne fut rien en comparaison de la joie qui le traversa au moment où le contact entre le ballon et son pied se fit.
Une joue plaquée contre le sol, dans un silence de cathédrale, il observa la petite boule blanche cheminer dans les airs.
Elle ne lui sembla alors pas avancer vraiment et ce n’est véritablement qu’à l’instant où elle se mit à rebondir sur le sol que le temps lui sembla retrouver sa cadence normale. C’était comme si quelqu’un avait d’un seul coup réenclenché le mode Play d’un magnétoscope.
Les dés étaient jetés et il ne restait désormais plus qu’à voir ce que le sort lui réservait.
Au final, Tom qui était alors dans les buts eut beau plonger de tout son long, il ne toucha même pas la balle.
Et comme l’ensemble de ses coéquipiers, il constata les dégâts de ce tir, impuissant. C’était le but de la victoire et il n’y avait là aucune contestation possible.
Au moment où Rafa voulut se relever, il ne put s’y résoudre. Et pour cause, ses coéquipiers étaient venus lui sauter dessus comme un seul homme aussitôt après que le ballon eut franchi la ligne.
Sous l’effet de la mêlée, il crut étouffer mille fois, mais une partie de son cerveau pensa que c’était sans doute là le privilège d’une belle mort. Il ne se débattit pas, serra les dents et supporta la douleur… en héros.
Ce que ne savaient pas ses amis et qu’il se garderait naturellement bien de leur dire, c’était qu’il avait glissé et que mettre la tête avait été sa première idée.
Le talent tient parfois à peu de choses !
Plus tard
(À quelques minutes près)
2
Numéro 13
Le jour se levait paresseusement sur la Rocinha, mais le soleil inondait déjà de ses puissants rayons une favela encore largement endormie.
Il n’était pas huit heures et il faisait déjà chaud d’une chaleur sachant vous plomber l’envie de faire quoi que ce soit.
Mais rien faire n’était pas du goût de Rafael.
En l’espace d’à peine cinq minutes, il se leva de son lit, se dirigea vers la salle de bain, s’y lava énergiquement les dents, enfila un short à peu près propre, un t-shirt pas tout à fait sale, prit son petit déjeuner, laça ses baskets poussiéreuses d’un double nœud solide et sortit dans la rue.
À l’exception de quelques oiseaux planant paresseusement et de quelques chiens ayant l’air endormis, aucun être vivant n’était visible à l’horizon.
Rafa décida de se rendre chez son pote Manolo.
Un ami avec lequel il ne ressentait pas le besoin de parler pour se sentir bien.
Quatorze ans, grand, plutôt mince, mais avec néanmoins un petit bide de femme enceinte, un nez fin, de beaux yeux verts et de longs cheveux frisés la plupart du temps coiffés par un large bandeau qui lui cachait les oreilles. En quelques lignes, c’était ça Manolo.
La température montait à vue d’œil et Rafael arpentait la Rocinha à grands pas, le regard affûté, serein. Il aimait marcher tôt le matin dans les rues, car il les trouvait calmes et remplies de mystères.
Ses pieds se posaient en rythme sur l’asphalte et son talon branlant claquait comme un vieux volet dans une maison abandonnée.
À chaque pas qu’il faisait, la semelle de sa chaussure droite se décollait un peu plus. Il était certain qu’il ne tarderait pas à la perdre comme une peau morte et l’idée le déprima quelque peu. Depuis le temps qu’il les portait, c’était un peu comme si ces godasses faisaient partie de lui. Mais il avait beau les adorer, il fallait désormais bien admettre qu’elles étaient bonnes à jeter à la poubelle.
À part le bruit du moteur d’une mobylette qui s’engagea dans le petit chemin de terre bordé de détritus qu’il traversait, il régnait un grand silence.
Le premier être vivant à croiser sa route fut une petite poule toute déplumée.
Il lança un petit caillou en sa direction et il s’en fallut de peu pour que son shoot fasse mouche. Le morceau d’asphalte frôla la crête de la poulette qui se mit alors à caqueter, battre des ailes et à courir partout.
Elle disparut peu de temps après dans une sombre ruelle où était assis à ce moment-là un vieil homme.
D’étonnement, Rafael sursauta quelque peu au moment de l’apercevoir. Il avait l’impression de se retrouver face à une sorte d’épouvantail. C’était un sentiment étrange.
Une petite coupelle métallique était posée à ses pieds et, apposée contre ses genoux, il y avait une pancarte en carton où étaient écrits les mots : Soyez généreux, Dieu vous le rendra.
Même si la plupart des Cariocas croyaient dur comme fer à l’existence du divin magicien, ils ne donnaient souvent rien aux mendiants tels que lui. En vérité, ce n’est pas qu’ils n’avaient pas confiance en la sainte promesse, mais, Dieu ou pas, le peu qu’ils avaient, ils préféraient se le garder. Comme eux, Rafael avait d’abord voulu y croire avant de finalement se faire envahir par le doute. Il s’était couché un soir en bon croyant et au réveil… POUF, plus rien !
Dieu avait déserté son cœur et sans qu’il ne sache réellement se l’expliquer, croire en lui était d’un seul coup devenu une affaire suffisante pour qu’il choisisse de ne plus préjuger de quelque chose qui n’existait pas de façon certaine.
Dieu croyait-il en lui ? Là était la vraie question.
Au moment où il croisa son regard, Rafael s’arrêta net de marcher et le contempla, en silence, avec respect.
Le clochard le regarda quant à lui d’abord avec une certaine indifférence. Et puis, il sortit de son sac à dos une espèce de toute petite trompette et souffla dans son embouchure dans la seconde qui suivit.
La mélodie qu’il se mit à jouer n’était pas jolie en soi, mais l’instrument dégageait un son qui avait quelque chose d’apaisant.
Cela à tel point que Rafa eut soudain le sentiment de pouvoir rester là, à l’écouter jouer durant des heures. Mais il ne joua bien sûr pas aussi longtemps. Cinq minutes, peut-être, au grand maximum.
Aussitôt après qu’il eut joué sa dernière note, il bourra un peu de tabac dans le fourreau de sa pipe, craqua une allumette, l’alluma et aspira une grande bouffée. Une épaisse fumée sortit instantanément de ses naseaux et aussi un peu de sa bouche.
Et puis, il y eut soudain dans son regard une forme de tristesse qui mit Rafael mal à l’aise.
Il aurait aimé pouvoir l’aider d’une quelconque manière sauf qu’il ne savait pas comment, car à part un bonbon mou qui cohabitait depuis plusieurs semaines avec une des poches de son short, il ne lui sembla rien avoir à lui offrir d’un tant soit peu charitable.
Tous les deux restèrent muets, à se regarder comme des chiens de faïence durant de longues secondes avant que Rafa ne donne finalement