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Fausse balle: Une enquête de Gaétan Tanguay
Fausse balle: Une enquête de Gaétan Tanguay
Fausse balle: Une enquête de Gaétan Tanguay
Livre électronique296 pages3 heures

Fausse balle: Une enquête de Gaétan Tanguay

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À propos de ce livre électronique

Fanny Poulin, une lanceuse québécoise, s’apprête à devenir la toute première femme à jouer dans les ligues majeures de baseball. Mais à quelques jours de cet exploit historique, elle reçoit des menaces de mort anonymes qui lui enjoignent de quitter l’équipe avant le match d’ouverture.

Refusant d’abandonner son rêve, la jeune athlète veut percer l’identité de son mystérieux intimidateur. Elle fait donc appel aux célèbres journalistes sportifs Gaétan Tanguay et Tarah Dalembert, qui sont de passage à Boston pour couvrir ses débuts.

Les deux associés s’engagent alors dans une enquête effrénée où ils constateront que le danger peut emprunter de nombreux visages.

QUAND ON BRISE UN PLAFOND DE VERRE, ON IGNORE CE QUI PEUT NOUS TOMBER DESSUS…
LangueFrançais
Date de sortie3 avr. 2024
ISBN9782897926045
Fausse balle: Une enquête de Gaétan Tanguay
Auteur

Mikaël Archambault

Mikaël Archambault est auteur dans le domaine de l’humour, scénariste à la télévision et scripteur pour de nombreux artistes. Avec Dernière manche, son quatrième roman, il signe un thriller enlevant de la première à la dernière page.

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    Aperçu du livre

    Fausse balle - Mikaël Archambault

    Couverture : Hors-jeu - Une enquête de Gaétan Tanguay, de Mikaël Archambault. Photo : Une balle de baseball posée sur un marbre tachés de sang. Logo : Éditions de Mortagne.

    Mikaël Archambault

    Fausse balle

    Une enquête de Gaétan Tanguay

    Logo: Éditions de Mortagne

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre : Fausse balle : une enquête de Gaétan Tanguay / Mikaël Archambault.

    Noms : Archambault, Mikaël, 1990- auteur.

    Identifiants : Canadiana (livre imprimé) 2024000177X | Canadiana (livre numérique) 20240001788 | ISBN 9782897926021 | ISBN 9782897926038 (PDF) | ISBN 9782897926045 (EPUB)

    Classification : LCC PS8601.R372 F38 2024 | CDD C843/.6—dc23

    Tous droits réservés

    Les Éditions de Mortagne

    © Ottawa 2024

    Édition et direction littéraire : Valérie Gagné

    Révision linguistique : Marie Laporte

    Correction d’épreuves : Élaine Parisien

    Maquette de couverture : Kinos.ca

    Mise en pages : Ateliers Prêt-Presse

    Adaptation numérique : Studio C1C4

    Dépôt légal

    Bibliothèque et Archives Canada

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque nationale de France

    2e trimestre 2024

    Logo: Financé par le gouvernement du CanadaGouvernement du Québec - Programme crédit d'impôt pour l'édition de livres - Gestion SODECLogo: Association nationale des éditeurs de livres

    Membre de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL)

    À Vladimir Guerrero

    Jour un

    Zone des prises

    1.

    Lundi 29 mars

    Pour qu’un rêve se transforme en cauchemar, il suffit ­parfois d’un claquement de doigts.

    Ou, dans le cas présent, d’une vingtaine de mots couchés sur un morceau de papier.

    Fanny Poulin flottait encore sur un nuage en circulant dans les couloirs du Fenway Park. Étroits, à plafond bas, bétonnés, ils auraient pu paraître étouffants aux yeux du claustrophobe ou du néophyte. La recrue des Red Sox s’y sentait plutôt comme dans un cocon. Un temple.

    Les catholiques ont le Vatican, les musulmans, le Taj Mahal. Les fidèles de la balle ont le Fenway. Le plus mythique des stades en Amérique, tous sports confondus. Le plus vieux en activité. Le plus beau, encore et toujours. Il aurait pu paraître vétuste, mais, comme les rides sur un visage qui a beaucoup vu et beaucoup vécu, son âge était précisément ce qui lui conférait tout son cachet.

    Ici, les murs n’avaient pas seulement des oreilles : ils parlaient. Et ils en avaient long à raconter. Depuis 1912, ils avaient connu des championnats, des défaites cruelles, des héros. En traversant les corridors tapissés d’images immortalisant les exploits des Bostonnais, Fanny tournait les pages d’un livre d’histoire géant. Chacune lui rappelait une légende qu’elle avait vue à la télé ou que son père et son grand-père lui avaient relatée, les yeux brillants de souvenirs.

    Dans deux jours, elle en écrirait une nouvelle. La sienne.

    Celle de la toute première femme à participer à un match de saison régulière dans les ligues majeures de baseball.

    Pour l’heure, elle sortait gonflée à bloc d’une rencontre individuelle avec le gérant de l’équipe, Frank Carlson. L’officialisation de sa présence au match d’ouverture avait suscité un engouement médiatique exceptionnel qui aurait submergé n’importe quel athlète. Le vieux routier avait tenu à s’entretenir avec sa nouvelle lanceuse pour la préparer le mieux possible à ce qui l’attendait sur le terrain. Dans son minuscule bureau, il avait soliloqué au sujet de leurs adversaires, de stratégie, de technique. Fanny avait apprécié qu’il lui parle de baseball, et seulement de baseball. Pas une fois il n’avait fait allusion à sa situation pour le moins historique. Après tout, elle pouvait seulement contrôler la balle qu’elle tiendrait dans ses mains, et non les attentes de tous ceux qui espéraient la voir réussir — ou échouer — dans sa quête de défoncer le plafond de verre. Elle devait bloquer de son esprit autant les encouragements exaltés que les ricanements de mépris.

    Au demeurant, Frank se fichait bien de son sexe, tant qu’elle se montrait capable de retirer des frappeurs au bâton. À soixante-huit ans bien sonnés, il n’était pas forcément plus ouvert d’esprit qu’un autre ; c’est simplement que rien ne comptait davantage pour lui que la victoire. Comme il l’avait maintes fois répété depuis des semaines : « Si, pour gagner, je dois engager un nain à trois nichons, je vais le faire. » (Après s’être fait taper sur les doigts par les relationnistes de l’organisation, qui s’arrachaient les cheveux à chacune de ses déclarations, il avait accepté de moderniser son message : « Si, pour gagner, j’ai besoin d’engager une personne de petite taille à trois nichons, je vais le faire. ») Il n’était certes pas l’entraîneur le plus progressiste du circuit, mais, au moins, il s’efforçait de suivre la modernité comme il le pouvait.

    Les talons de Fanny résonnaient dans les coulisses exiguës du stade à chacun de ses pas. L’équipe était rentrée le matin même de son camp d’entraînement à Fort Myers, en Floride, et le personnel d’entraîneurs avait accordé aux joueurs un rare après-midi de congé. Plusieurs avaient décidé de se rendre au Fenway pour suer dans la salle de musculation ou pour pratiquer leur élan au bâton dans les cages des frappeurs, mais Fanny semblait l’une des dernières personnes encore sur place. Le calme des lieux distillait un effet apaisant.

    Mais il pouvait aussi s’avérer terrifiant.

    En pénétrant dans le vestiaire désert, elle sut tout de suite que quelque chose clochait. Depuis qu’elle avait intégré l’équipe, on lui avait offert de l’installer dans un local privé adjacent, mais elle tenait à se mêler à ses coéquipiers et à participer à la vie de la chambre afin de ne rien manquer des conversations stratégiques ou badines, essentielles à l’esprit de corps. Les préposés à l’entraînement lui avaient donc réservé le casier du fond et avaient monté un paravent afin de lui permettre de se changer à son aise. Elle prenait rapidement sa douche la première, puis laissait les gars aller se laver à leur tour. Cette façon de procéder avait nécessité une certaine période d’adaptation, mais tous s’y étaient faits assez rapidement.

    Or, son paravent gisait maintenant au sol, et Fanny doutait fort qu’il se soit écroulé de lui-même.

    En l’enjambant, elle constata qu’on avait déplacé ses effets personnels. Pourquoi ? Tous les joueurs dans ce vestiaire gagnaient plusieurs millions de dollars par année ; elle imaginait mal l’un d’entre eux jouer les pickpockets…

    Elle comprit rapidement qu’on ne lui avait rien dérobé : au contraire, quelqu’un avait glissé un bout de papier sous ses affaires.

    Quand elle le déplia pour prendre connaissance de son contenu, Fanny sentit son sang quitter ses joues. Rédigé en anglais, le message ne laissait place à aucune ambiguïté.

    On ne veut pas de toi dans l’équipe !

    Rentre chez toi, salope !

    Sinon, on va te faire la peau !

    Visage grimaçant, dont les yeux ont été remplacés par des X.

    La calligraphie était violente, les mots, gravés profondément dans le papier. On sentait la colère chez celui qui avait tenu le crayon. Oui, celui : Fanny savait trop bien qu’il s’agissait d’un homme.

    Mais lequel ?

    Effrayée, elle se dépêcha de cacher le message au fond de son sac à dos, comme si être vue en sa possession la rendait coupable d’un crime.

    Elle ne remarqua pas l’ombre, à l’extérieur du vestiaire, qui épiait sa réaction avec une satisfaction cruelle.

    2.

    Boston, ville de sports. Les Red Sox, les Bruins, les Celtics. Les Patriots, tout près. Le marathon. Les équipes universitaires.

    Si un jour Gaétan Tanguay était envoyé au paradis, il risquerait fort de réapparaître quelque part par ici.

    Il n’aurait pu demander mieux comme première escapade romantique avec sa blonde. Sa blonde. Le terme lui paraissait encore légèrement saugrenu, lui qui avait passé les trente-deux premières années de son existence seul et parfaitement heureux ainsi.

    Tarah Dalembert était entrée dans sa vie comme une enfant avec les doigts tachés de Doritos dans un salon tout en blanc. Elle avait d’abord sollicité un poste d’assistante pour son site Web de statistiques avancées, Référence sport, que Gaétan avait jusque-là toujours développé en solo. Tarah l’avait entraîné dans une enquête dont les résultats avaient fait exploser la popularité de sa plateforme et l’avaient convaincu d’en faire son associée. Depuis, elle avait le don de le plonger dans des aventures dangereuses qui élargissaient sa zone de confort avec la douceur d’un accouchement de quintuplés. La dernière en date, lors de la Coupe du monde de soccer tenue huit mois plus tôt, les avait rapprochés au point qu’ils formaient maintenant officiellement un couple. Un statut que l’éternel vieux garçon apprenait encore à apprivoiser. Jusqu’alors, il avait partagé sa vie avec Sidney Crosby, LeBron James, Serena Williams, Tiger Woods et des milliers d’autres athlètes, mais n’avait pas encore appris à laisser une autre personne pénétrer dans son intimité. Lui qui n’avait jamais été friand de nouveauté, il était maintenant servi.

    Pourtant, ce chaos ne lui déplaisait pas, bien au contraire. Il estimait que la présence de Tarah dans son existence réglée comme une horloge suisse augmentait son indice de bonheur d’au moins soixante-quinze pour cent — même s’il pouvait difficilement s’expliquer pourquoi. Il comprenait tout des modèles de calcul sabermétrique permettant de prédire les performances statistiques des joueurs de baseball, mais il avait depuis longtemps renoncé à percer les mystères de l’amour…

    Pendant qu’ils louvoyaient parmi les hordes de touristes bravant la température maussade pour apprécier Faneuil Hall et le marché Quincy, Tarah étira le bras pour qu’ils marchent main dans la main. Une pratique qu’elle affectionnait beaucoup, mais que Gaétan considérait comme très malcommode. D’abord, ils nuisaient à la fluidité de la circulation sur les trottoirs. Deuxièmement, le contact prolongé augmentait significativement la moiteur de leur paume respective. Enfin, puisque sa copine lui concédait une vingtaine de centimètres, il s’avérait impossible de garder la main à une hauteur ergonomiquement optimale : celle de Gaétan était toujours trop haute, et celle de Tarah, trop basse. Ils se magasinaient assurément des douleurs cervicales.

    Or, selon elle, les couples qui s’aimaient agissaient ainsi, et il se trouvait que Gaétan aimait effectivement Tarah. Par conséquent, il lui tenait la main et tentait autant que possible de garder pour lui ses remarques sur ses raideurs au cou et sur l’humidité excessive de sa paume. Ce qui, dans son cas, représentait la plus grande des marques d’affection.

    Ils avaient chacun déjà visité la région en d’autres occasions, mais la parcourir à deux leur permettait de la redécouvrir sous un angle nouveau. L’œil des amoureux est toujours plus prompt à relever la beauté du monde. Boston bruissait en outre d’une fébrilité exceptionnelle, même pour une ville habituée aux grands événements. Partout, on parlait de la nouvelle : une femme allait jouer pour les Red Sox en match officiel.

    Tarah photographia une boutique de souvenirs dont la vitrine débordait d’affiches de Fanny Poulin dans son uniforme rouge et blanc marqué du numéro 44.

    – On va interviewer les propriétaires ? proposa-t-elle.

    Au-delà du voyage d’agrément, le duo s’était déplacé au Massachusetts pour couvrir les débuts de la Québécoise dans le baseball majeur. Gaétan avait toujours privilégié les analyses statistiques sur Référence sport, mais Tarah avait ajouté une dimension plus humaine à leurs articles, ce qui avait grandement contribué à accroître leur lectorat. Le parcours remarquable de Poulin promettait déjà de battre des records de clics. Toute la province s’était ralliée derrière la prodige de Blainville.

    Écoutant distraitement la suggestion de Tarah, Gaétan acquiesça en marmonnant. Elle lui donna un petit coup de coude pour le taquiner.

    – Eh, qu’est-ce qui se passe ? Tu as la tête ailleurs depuis ce matin.

    – Je n’ai pas la tête ailleurs.

    – Arrête, je te connais ! Ça fait deux minutes qu’on se tient par la main. Normalement, ça ferait longtemps que tu m’aurais dit que notre angle de pronation augmente les risques de tendinite et que ça rend ta main quarante pour cent plus humide.

    Gaétan roula les yeux.

    Il détestait quand elle avait raison.

    – N’importe quoi, je n’aurais jamais dit ça… Vingt pour cent, peut-être, mais pas quarante…

    – Donc, tu es sûr que tout va bien ?

    – Oui, tout va bien…

    Évidemment, c’était faux. En fait, il avait reçu quelques heures plus tôt une proposition d’affaires qui l’avait fortement ébranlé, mais il ne pouvait pas en parler à Tarah.

    Surtout pas.

    Sa copine le scruta encore un moment, puis, incapable de le percer à jour, haussa les épaules. Ils interviewèrent rapidement la gérante de la boutique de souvenirs, qui témoigna de l’enthousiasme généré par la grande première de Fanny Poulin. Ils décidèrent ensuite de rentrer se reposer à leur hôtel, le Urban Confort, situé trois quadrilatères plus loin.

    On pénétrait dans le hall par une porte à tambour. Face au comptoir de la réception se tenait un salon d’attente, avec fauteuils, dépliants touristiques et pichet d’eau aromatisée au citron. À l’arrivée de Gaétan et de Tarah, un homme se leva et se dirigea illico vers eux, l’air décidé. Il n’avait pas vingt-cinq ans et cherchait visiblement la discrétion avec plus ou moins de succès. Pas très grand, il portait des souliers noirs, des bas noirs, un pantalon noir, une chemise noire à manches longues, des lunettes fumées noires, une casquette noire. Il desserra à peine les lèvres, laissant tout juste voir ses dents — qui, heureusement, n’étaient pas noires.

    – Êtes-vous Gaétan Tanguay et Tarah Dalembert ? demanda-t-il dans la langue de Rodger Brulotte.

    Un Québécois pure laine, ici, à Boston ? Il parlait d’une voix qu’il voulait ferme, mais qui ne cachait pas complètement sa nervosité. Les deux associés échangèrent un regard étonné. Leurs succès des dernières années leur avaient procuré une certaine notoriété, mais ils n’avaient quand même pas l’habitude d’être apostrophés n’importe où. Encore moins à l’étranger.

    – Oui, c’est nous…, s’amusa Tarah. Pourquoi ?

    L’amateur de noir jeta un regard en biais à Gaétan, étonné.

    – Je vous croyais plus vieux.

    – Je sais. Ça arrive tout le temps, soupira le jeune trentenaire.

    Il avait bien conscience que son prénom et ses habitudes un tantinet routinières convenaient davantage à un homme dans la soixantaine. Pourtant, ses cheveux d’un roux éclatant, encore très bien fournis, ne mentaient pas sur son âge. Il avait beau expliquer que son père l’avait baptisé Gaétan parce qu’il admirait le patineur de vitesse Gaétan Boucher et parce qu’il adorait la symétrie avec Tanguay, on le trouvait généralement encore plus étrange.

    D’origine haïtienne, de cinq ans sa cadette, Tarah paraissait autrement plus dégourdie. Elle raffolait des vêtements colorés et multipliait les accessoires extravagants dans son abondante chevelure, alors que, été comme hiver, Gaétan portait le cheveu ras et la chemise bleue assortie au pantalon de coton beige. Elle ressemblait à un bol poké plein de vitalité, et lui à un bol de gruau nature.

    – Je vous demanderais de me suivre, s’il vous plaît, annonça l’inconnu. Ma voiture est devant l’hôtel.

    – On peut savoir c’est à quel sujet ? demanda Tarah.

    Il secoua catégoriquement la tête.

    – Je ne veux pas vous en parler ici. Tout ce que je peux dire, c’est que ça concerne le prochain match des Red Sox… et que c’est urgent. Je vous en prie, vous êtes les seuls qui pouvez nous aider…

    3.

    Monsieur Mystère les fit asseoir à l’arrière de sa Tesla — noire, évidemment. Gaétan se demanda si elle lui appartenait. Il paraissait un peu jeune pour posséder un modèle aussi dispendieux.

    L’homme à la casquette ne prononça pratiquement pas un mot de tout le trajet, les yeux concentrés sur la route. Quand ils lui demandaient où ils allaient, il se contentait de répondre :

    – On arrive bientôt.

    Sa réserve n’était pas de nature à rassurer Gaétan, lui qui se demandait encore s’il avait été bien avisé de monter à bord de ce véhicule. En fait, eût-il été seul, jamais Gaétan n’aurait accepté d’y prendre place, mais il savait combien il était vain de chercher à refréner la curiosité de Tarah. Elle l’avait si souvent poussé à des risques inconsidérés qu’il ne tentait même plus de la dissuader.

    Vingt heures approchaient, de sorte que la circulation routière se dispersait. Des flocons de neige fondante venaient mourir sur le pare-brise des voitures et laissaient une gadoue sur la chaussée. Gaétan reconnut l’avenue Huntington et comprit qu’ils traversaient le quartier Back Bay, à l’ouest du centre-ville.

    La Tesla s’engouffra dans le stationnement souterrain d’un immeuble résidentiel d’une douzaine d’étages, à l’ombre de l’iconique tour Prudential. La valeur de l’impressionnant parc automobile entreposé ici laissait croire qu’aucun propriétaire ne peinait à boucler ses fins de mois. Des bâches protégeaient la moitié des véhicules, trop luxueux pour se laisser reluquer par le premier venu.

    Leur hôte se gara dans sa case attitrée et, toujours aussi muet, marcha jusqu’à l’ascenseur au fond du stationnement. Gaétan et Tarah l’imitèrent en renonçant à lui poser davantage de questions.

    Il sélectionna le onzième étage et fixa un point vide devant lui jusqu’à leur destination. Gaétan avait toutes les misères du monde à deviner ce qui se tramait sous sa casquette et ses lunettes fumées.

    Ding ! Ding ! Les portes s’ouvrirent pour les laisser sortir. Un couloir donnait sur une dizaine d’appartements qu’on devinait déjà cossus. L’inconnu cogna au numéro sept.

    – C’est moi. Ils sont là, annonça-t-il.

    Il introduisit sa clé dans la serrure, puis les invita à entrer. Gaétan et Tarah obtempérèrent prudemment, et une jeune femme se leva pour les accueillir. Une camisole de sport et un legging enveloppaient son impressionnante carrure d’athlète, répartie sur près d’un mètre quatre-vingt-dix. Elle leur tendit une main gigantesque avec laquelle elle leur broya les doigts.

    – Fanny Poulin, se présenta-t-elle, même s’ils l’avaient tout de suite reconnue.

    Ils eurent le souffle coupé pendant quelques instants. Pourquoi diable la lanceuse recrue des Red Sox avait-elle sollicité un entretien avec eux ?

    Gaétan se sentit intimidé par sa présence. Elle était jolie, mais ne cherchait pas du tout à mettre son physique de l’avant. Ses cheveux blonds, attachés derrière sa tête, s’arrêtaient au-dessus de sa nuque. De minuscules yeux bleu clair se perdaient dans son visage rond et sévère. Même quand elle souriait, ses sourcils continuellement froncés rappelaient la détermination avec laquelle elle avait toujours dû mener sa vie.

    – C’est… c’est un honneur de te rencontrer, balbutia Tarah.

    – Ben non ! protesta humblement Fanny. C’est moi qui suis honorée que vous ayez accepté de suivre mon chum.

    Le chum en question les remercia d’un signe de la tête. Il ne retira pas sa casquette ni ses verres fumés, même à l’intérieur. Gaétan songea qu’il prenait vraiment son rôle de garde du corps au sérieux.

    – Étienne, va nous chercher à manger et à boire, s’il te plaît, lui demanda Fanny. C’est déjà sur le comptoir.

    Il acquiesça et se dirigea vers la cuisine. L’appartement n’était pas très grand, mais richement meublé. Le salon et la salle à manger partageaient une même aire commune, dont le clou s’avérait la majestueuse fenestration donnant sur Back Bay. Entre deux gratte-ciel, on pouvait admirer les eaux calmes de la rivière Charles, qui séparait Boston de sa banlieue nord.

    Des photos du couple étaient affichées sur un buffet poussé contre le mur. Gaétan n’avait pas reconnu tout de suite Étienne à cause de sa casquette et de ses lunettes, mais il se rappelait maintenant l’avoir aperçu dans des reportages retraçant le parcours de Fanny. Ils s’étaient rencontrés quelques années plus

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