Entre cousines: Les retrouvailles
Par Vivianne Moreau
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À propos de ce livre électronique
Vivianne Moreau
Détentrice d’une maîtrise en lettres et travaillant dans le milieu de l’édition depuis plus de vingt ans, Vivianne Moreau a contribué à des centaines d’ouvrages, que ce soit à titre de réviseure, de rédactrice, de traductrice ou de graphiste. Lorsqu’elle n’a pas un bouquin entre les mains, elle aime jardiner, restaurer sa vieille maison, cuisiner pour sa famille et faire du bénévolat. Aimer sans frontières est son cinquième roman jeunesse.
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Aperçu du livre
Entre cousines - Vivianne Moreau
À Lucie, Lynn, Josée, Mélanie,
Sylvia, Mélissa, Sarah, Martine et Myriam.
Je vous aime comme des sœurs !
1
Laura, l’exaspérée
— Salut, la sœur ! me lance Marie-Lou avec entrain lorsque j’ouvre la porte. T’es prête pour notre grande aventure ?
Ça fait quarante-cinq minutes que je l’attends, mais je choisis de ne pas commenter son retard. Je ne la changerai pas ! Et puis, je savais à quoi m’attendre lorsque j’ai accepté qu’elle m’embarque. Comme elle habite Rouyn-Noranda et moi Val-d’Or, il allait de soi qu’elle me cueillerait en passant et que nous descendrions ensemble à Saint-Sauveur. Je lui souris et la prends dans mes bras.
— Allô, ma belle ! Ça fait trop longtemps qu’on s’est pas vues, dis-je en lui donnant un gros câlin.
À part papa et maman, aucune autre parenté n’habite l’Abitibi. Isolées comme nous le sommes, il est surprenant que nous ne nous voyions pas plus souvent, Marie-Lou et moi. Mais mes horaires atypiques à l’hôpital, le parascolaire des deux préados de Marie-Lou et les quatre-vingts minutes de route qui nous séparent l’une de l’autre font en sorte que nous pouvons passer plusieurs mois sans nous voir. Ce week-end de retrouvailles entre cousines me donnera l’occasion de profiter de sa présence pendant deux jours complets. Je suis vraiment contente qu’elle ait accepté de venir ! Comme elle a près de quinze ans de moins que la plupart d’entre nous, elle aurait très bien pu lever le nez sur le projet. Malaïka est heureusement aussi dans la jeune trentaine, alors Marie-Lou aura au moins quelqu’un de sa génération avec qui parler.
Mes yeux quittent son joli visage constellé de taches de rousseur pour se poser sur le vieux VUS déglingué qu’elle a garé dans ma cour. Je n’arrive pas à dissimuler mon inquiétude :
— Euh… t’as pas pris ton autre char ?
Son regard suit le mien jusqu’au tas de ferraille ambulant.
— Ouin, ben non. Je pouvais pas l’emprunter en fin de semaine. Éric en avait besoin pour aller à son tournoi de hockey à Ville-Marie. C’est pas à porte, tsé…
Batinse… Saint-Sauveur est pas mal plus loin que Ville-Marie ! Et on doit franchir la réserve faunique La Vérendrye, qui est un véritable désert. Aucune résidence ni aucun commerce à deux cent cinquante kilomètres à la ronde. Heureusement, la couverture cellulaire s’est réellement améliorée depuis quelques années. N’empêche, on ne s’y aventure pas dans un bazou. Je grince des dents. J’ai toujours trouvé que son chum manquait de considération. Ils sont ensemble depuis le secondaire, et Éric continue de se comporter comme un ado malgré ses responsabilités parentales.
— Me semble qu’il aurait pu te le laisser ! ne puis-je m’empêcher de faire remarquer avec énervement. On peut pas traverser le parc là-dedans !
— Ben voyons, tu t’en fais pour rien. Ce char-là a des centaines de voyages à Montréal à son actif. De toute façon, si y arrive de quoi, on a juste à appeler la CAA.
— La CAA ? Ça va pas nous servir à grand-chose si on tombe en panne près du Domaine ! Sérieux, Marie, c’est trop risqué. Prenons mon auto à la place.
— Hum… c’est que j’ai pas mal de stock dans le coffre. Je pense pas que ça va rentrer dans ta petite deux portes.
Je hausse les sourcils. Face à mon visage interrogatif, Marie-Lou esquisse une mine de petite fille insouciante. Je m’avance vers son véhicule afin d’en inspecter le contenu et j’aperçois son matériel de vendeuse itinérante. Des boîtes estampillées Plastigo, Sent-heures et Épices et cie occupent quasiment tout l’espace et masquent une partie de la lunette arrière. Calvince ! Marie-Lou a l’intention de profiter de la réunion de famille pour essayer de faire une piastre en vendant des bougies parfumées, des mélanges de poudres aromatisées et d’autres gugusses dont personne n’a besoin. J’aimerais la raisonner et lui faire comprendre que son projet risque de foirer. Les cousines ne lui achèteront sans doute rien. Sans compter le fait que ça causera un malaise parmi les cousines, qui n’aimeront pas être ainsi mises au pied du mur et forcées d’assister à une séance de vente sous pression.
— Es-tu certaine que ce soit une bonne idée ? Les filles vont se sentir obligées de te prendre quelque chose…
— Come on, tout le monde utilise des épices ou des plats en plastique pour conserver la bouffe. C’est pas une dépense superflue. Pis les couz viennent toutes d’hériter d’un paquet de cash. Elles peuvent bien se permettre d’acheter un ou deux kits pour encourager leur petite cousine qui a pus une cenne, elle.
Je la dévisage avec de gros yeux. Quand elle est décédée il y a deux ans, notre tante Alice a légué son avoir à ses dix neveux et nièces. Une fois la succession réglée, j’ai reçu un chèque de quatre-vingt-douze mille dollars. Une petite fortune pour une mère de famille monoparentale ! J’ai sagement investi la majeure partie de l’argent dans mes REER et j’ai fait un paiement anticipé sur mon hypothèque. Puis, je me suis ouvert un compte d’épargne, où j’ai versé quelques milliers de dollars. De temps à autre, je me paie une petite folie. Une virée au spa. Un sac à main griffé. Alice aurait voulu que j’en profite pour me gâter. La dépense pour louer la maison de campagne en fin de semaine entre dans cette catégorie. De son côté, qu’a fait Marie-Lou ? Elle s’est laissé convaincre par son chum de se porter acquéreuse d’un lopin de terre non défriché perdu dans le fond du bois. « Un investissement qui rapporte déjà ! » selon Éric, qui part s’y réfugier plusieurs fois par année pour y chasser le gibier. « On sauve gros sur la viande ! Pus besoin d’en acheter à l’épicerie », soutient-il. Je doute fortement qu’il puisse réellement réaliser des économies une fois soustraits les jours sans solde qu’il doit prendre à l’ouvrage, les dépenses pour son matériel, le coût du permis et la facture pour le débitage, mais je dois reconnaître qu’il revient rarement bredouille de ses expéditions et qu’il garnit bien le congélateur. Sauf que Marie-Lou a investi l’héritage de tante Alice en entier dans ce projet, de sorte qu’elle n’avait pas les moyens de venir à Saint-Sauveur. C’est donc moi qui lui avance sa part des coûts. Je ne suis pas dupe. Je sais fort bien que je ne reverrai jamais la couleur de cet argent. Je soupire longuement et capitule :
— Il reste de la place pour mettre mes choses, au moins ?
— Ben oui, ben oui. Passe-moi tes sacs de bouffe et ta valise, je m’en occupe.
Je lui cède mes bagages et vais saluer mon fils avant de partir. À seize ans, Jérémy est assez vieux pour passer trois jours sans supervision. C’est à peine s’il lève les yeux de son écran lorsque j’ouvre la porte de sa chambre. Je me doute qu’il va passer les soixante-douze prochaines heures à gamer, à manger des chips et à veiller toute la nuit. Je gage qu’il ne prendra même pas sa douche ! Convaincue qu’il ne mourra pas d’une mauvaise diète et d’une hygiène déficiente, je pars l’esprit tranquille. Je lui réitère tout de même les consignes de base, puis je lui rappelle que s’il y a un gros pépin pendant mon absence, il peut demander l’aide de mes parents, qui habitent à vingt minutes d’ici, à Malartic.
Deux minutes plus tard, je prends place sur le siège passager. Marie-Lou embraye en s’exclamant :
— Wouhou ! C’est parti, mon kiki !
Elle a raison, c’est super excitant de partir ensemble !
Ça fait à peu près une heure que nous roulons. Tandis que Marie-Lou bavasse et me met au fait des dernières nouvelles concernant sa vie, j’admire le décor. J’adore ce coin de pays et je ne me lasse jamais de contempler les grappes de lacs scintillants. Pour une rare fois, comme ce n’est pas moi qui conduis, je peux m’attarder aux marécages qui bordent l’autoroute en essayant d’y distinguer des barrages de castors. Les aiguilles des mélèzes ont désormais une teinte dorée, signe que l’hiver sera bientôt à nos portes. Les pentes sablonneuses qui ponctuent le décor de part et d’autre du chemin nous rappellent que l’endroit était autrefois enfoui sous l’eau, lorsque la mer de Champlain recouvrait la région il y a treize mille ans. Notre coin de pays est si magnifique ! Lorsque j’avais treize ans, ma famille a migré ici et j’ai d’abord cru que je ne m’en remettrais jamais. Seuls mes parents et moi connaissions les circonstances de notre déménagement hâtif et nous ne les avons jamais révélées à quiconque. Peu à peu, et contre toute attente, j’en suis venue à véritablement aimer cette contrée sauvage.
Je suis si absorbée par mes pensées que je n’ai pas remarqué que l’auto ralentissait. Marie-Lou s’apprête à se ranger sur l’accotement.
— Qu’est-ce qui se passe ? Il y a un problème ? dis-je, un peu paniquée.
Nous sommes au milieu de nulle part. Si le VUS de Marie-Lou est kaput, nous sommes cuites ! Elle allonge le bras vers l’arrière de l’habitacle et tire sur un sac pour libérer de l’espace sur la banquette. Pendant qu’elle s’affaire, elle me renseigne :
— Ne-non, tout est beau. Je viens de voir un dude qui a besoin d’un lift. On va l’attendre.
Euh, pardon ? Telle une chouette, je tourne la tête vers l’arrière. Je distingue effectivement la silhouette d’un individu aux cheveux longs et au manteau de jean délavé qui avance tranquillement vers nous. Mais d’où sort-il, au juste ? Autour de nous, je n’aperçois que des troncs d’arbres calcinés, des plages rocailleuses et de la broussaille. À ma connaissance, il n’y a pas de réserve ni de pourvoirie dans les environs. Qu’est-ce qu’un homme peut bien faire sur la route dans cet endroit perdu ? Son char est-il tombé en panne ? Non. Il n’y a pas de voiture à l’horizon. Des scénarios abracadabrants se bousculent dans mon cerveau. Je n’en reviens pas que Marie-Lou s’apprête à commettre une imprudence pareille.
— Marie-Lou ! T’es pas sérieuse ? Tu peux pas prendre un homme – un inconnu – sur le pouce !
— Ben voyons, la sœur ! Tu capotes pour rien ! Qu’est-ce que tu t’imagines ? Qu’il va nous tronçonner en petits morceaux et nous laisser en pâture aux coyotes le long de la 117 ?
— Euh, oui ! m’exclamé-je, les yeux braqués sur la menace qui se rapproche.
— Tu regardes trop de films, toi ! J’embarque souvent du monde, pis y se passe jamais rien. Ça me fait quelqu’un à qui parler. Pis, y faut ben s’entraider un peu. Y a pas de transport en commun dans le coin, tsé.
Oh mon Dieu ! Sa naïveté et sa bonté me déroutent momentanément. Mais le sentiment d’urgence qui m’habite reprend vite le dessus.
— Tu joues avec le feu, Marie ! C’est beaucoup trop dangereux ! Un jour, il va t’arriver un malheur !
Marie-Lou me dévisage pendant une fraction de seconde. Elle doit bien lire sur mes traits à quel point je suis terrifiée. Le gars ne se situe qu’à quelques enjambées du véhicule. Elle jette dans le rétroviseur un regard mi-courroucé, mi-vaincu, puis elle redémarre.
Ouf !
L’auto s’éloigne abruptement de l’autostoppeur, dont le visage impassible m’indique que ce n’est sans doute pas la première fois qu’il se fait faire le coup. Je relâche le contenu de mes poumons et me détourne vers l’avant. Ce faisant, mes yeux balaient l’habitacle et j’aperçois le petit sac de transport que Marie-Lou emploie habituellement pour trimballer son chihuahua. Non… ce n’est pas possible ! Elle n’aurait pas fait ça !
— Est-ce que Taco est dans l’auto ?
Mon ton outré lui fait comprendre que je désapprouve fortement cette possibilité. Marie-Lou hausse les épaules, comme si la présence du passager clandestin la laissait indifférente. Cibole ! Une mauvaise décision n’attend pas l’autre, avec elle ! Je tente de ravaler mes reproches, mais ne peux m’empêcher de lui rappeler :
— Tu sais que les animaux ne sont pas permis, là où on va, hein ?
— Je l’sais ! Que c’est que tu voulais que je fasse ? Éric pouvait pas s’en occuper. Le motel où il dort pendant le tournoi accepte pas les chiens. J’ai pensé mettre Taco en pension, mais c’est rendu tellement cher… Eille, vingt piastres par jour pour une cage grosse comme ma main. J’étais censée demander à ma voisine, mais elle agissait comme si elle me faisait une immense faveur en prenant soin des enfants, faque j’ai pas osé lui mentionner que Taco aussi avait besoin d’une gardienne.
— Pourquoi tu m’en as pas parlé tantôt, avant de partir de Val-d’Or ? On aurait pu le laisser avec Jérémy pour la fin de semaine !
— J’sais pas ! J’y ai pas pensé ! Je suis pas organisée comme toi. C’est ça que tu veux que j’te dise ? crache Marie-Lou avec rancœur.
Houlà, notre escapade commence bien mal. Et moi qui espérais que nous aurions la chance de nous rapprocher. Je n’ai pas envie que nous nous crêpions le chignon, ce qui arrive assez fréquemment. Vu les quatorze années qui nous séparent, j’ai toujours surprotégé Marie-Lou. C’est normal, je suppose. Ce l’est d’autant plus qu’elle a un trouble du déficit de l’attention, ce qui signifie qu’elle oublie souvent des trucs et que ça la fait paraître irresponsable. En la couvant ou en la réprimandant, je creuse bien malgré moi un fossé entre nous. Il faudrait que je me modère. Je dois m’efforcer de me souvenir qu’une grande sœur est plutôt censée endosser le rôle de complice.
— Excuse-moi, je sais pas pourquoi je m’énerve avec ça. Ça doit faire trop longtemps que j’ai pas pris de vacances !
Le visage de Marie-Lou se radoucit.
— Taco est tellement mini, je suis certaine que personne s’apercevra de sa présence. Il jappe presque pas et dort tout le temps, renchérit-elle.
— Une chance, dis-je pour clore le sujet.
De toute façon, le mal est fait. Il n’est pas question que nous rebroussions chemin. Au moins, j’ai réussi à lui faire passer le message que son pitou devra demeurer discret.
Après deux heures de route, nous nous arrêtons aux abords du Domaine pour une pause-pipi. Je prends ensuite place à l’arrière du VUS afin de tenir compagnie au chihuahua. Il semble heureux de sortir de sa cage, même si ce n’est que pour se pelotonner sur mes genoux plutôt que sur son coussin.
Comme nous avons épuisé pas mal tous les sujets de conversation usuels, Marie-Lou me propose de mettre de la musique. Les ondes radio étant difficiles à débusquer dans le parc, je branche mon cellulaire et sélectionne une liste de lecture. Je me laisse bercer par les balades des Cowboys Fringants, d’Isabelle Boulay et de Daniel Bélanger tandis que les kilomètres défilent.
Je flatte distraitement le pelage court et soyeux de Taco. La petite bête doit bien avoir quatorze ou quinze ans. C’est moi qui l’ai offerte à Marie-Lou, grande amoureuse des animaux. À l’époque, elle habitait encore chez papa et maman, tandis que moi, je vivais déjà ma vie d’adulte. Je me souviens de la querelle monstre que ça a suscitée entre mon père et moi. Maintenant que j’y repense, j’aurais vraiment dû demander à mes parents leur permission et ne pas les mettre devant le fait accompli. N’empêche… je n’avais pas tous les torts dans cette histoire.
Je contemple le profil de Marie-Lou en catimini. Un beau brin de fille. Des cheveux roux uniques. Personne d’autre qu’elle n’a une tignasse flamboyante comme celle-là. Elle et moi avons les mêmes yeux. Même si je lui témoigne souvent de l’animosité, je l’aime viscéralement. Soudain, mon regard est attiré vers le tableau de bord, où je remarque un témoin lumineux en fonction. Je glisse ma tête entre les deux sièges pour mieux distinguer l’icône et constate, catastrophée :
— Eille ! C’est la lumière du « check engine » que je vois ?
Ça y est, mes pires craintes sont confirmées ! Le char de Marie-Lou va s’embraser et nous ne parviendrons pas à destination !
— Tu capotes pour rien, la sœur ! Éric m’a dit ce matin que, quand c’est jaune, ça signifie que c’est pas un problème mécanique urgent, tente calmement de me convaincre Marie-Lou. Il s’allume toujours.
— Quoi ? Tu veux dire que c’était comme ça avant notre départ ?
En proie à de l’exaspération mêlée d’incrédulité, je passe mes deux mains dans mon toupet. Qui prend la route à bord d’une bagnole mal entretenue et, de surcroît, s’aventure dans une région n’étant pas desservie par des services d’urgence adéquats ? Marie-Lou, voilà qui ! Je me penche vers l’avant pour récupérer mon cellulaire sur le support à téléphone. Je pitonne fébrilement. Il n’y a aucun garage dans les environs. Le plus près est situé à Grand-Remous, qui se trouve à une demi-heure de route. Pourvu que nous nous y rendions…
2
Virginie, la maniaque du contrôle
D’un œil satisfait, je contemple la pile de bacs en plastique bien alignés près de la porte d’entrée de ma maison. Je crois n’avoir rien oublié. C’est fou la quantité de trucs dont j’ai besoin pour m’évader le temps d’un court week-end !
Je consulte mon cellulaire pour vérifier l’heure. Selon ce qui a été entendu, ma cousine Joannie devrait arriver dans douze minutes exactement. Ouf… Soudain, une petite émotion s’empare de moi, et mon cœur se met à battre plus vite. Dans quelle galère me suis-je embarquée ? Tu parles d’une drôle d’idée : passer la fin de semaine avec des cousines que je n’ai pas vues depuis… depuis… cinq ans ? dix ans ? Oh, plus que ça ! C’était quand, les funérailles de grand-maman ? Je fais un calcul mental rapide et j’en arrive à la conclusion que je n’ai pas croisé certaines d’entre elles depuis près de deux décennies. De quoi allons-nous parler ? Allons-nous nous emmerder ? J’ai beau suivre les membres de ma parenté sur Facebook et connaître les grandes lignes de la vie de chacun – études, métier, enfants, ennuis de santé –, le contact demeure superficiel. Au fond, nous sommes pratiquement des étrangères.
Plus j’y pense, plus l’angoisse m’envahit. Ce n’était peut-être pas une bonne idée. Il est sûrement trop tard pour annuler… Je pourrais prétexter une indisposition ? Oh mon Dieu, oh mon Dieu, il faut que je me calme ! Je ne peux pas faire marche arrière et laisser mes cousines en plan comme ça ! Qu’est-ce qu’elles mangeront, qu’est-ce qu’elles feront de leur week-end si je me défile ? C’est moi qui ai tout organisé, qui ai loué l’endroit. De plus, je me suis chargée d’acheter une bonne partie des provisions.
Mon doux, prends sur toi, Virginie !
La meilleure chose à faire pour éviter que mon cerveau s’emballe, c’est de le garder occupé. Je saisis donc ma liste d’articles à emporter et je la passe en revue une ultime fois, question de m’assurer que je n’ai rien oublié. Sous-vêtements, pyjama, robe de chambre. Coché ! Trousse de voyage, étui à maquillage. Coché ! Ensemble de thé à tante Alice, plats de service. Coché ! Assaillie par un doute soudain, j’ouvre un sac contenant une partie de la nourriture et le vide partiellement afin de repérer la marmelade. Je respire. Elle est bel et bien là.
— Ça va ? Es-tu sur ton départ ? me demande mon conjoint, qui a apparemment terminé sa réunion virtuelle et qui a sorti la tête par la porte de son bureau.
Il s’avance vers l’entrée et observe mon attirail en se retenant pour ne pas sourire. Ça fait deux semaines que j’envahis son aire de travail avec mes préparatifs. Il trouve évidemment que j’exagère et que j’emporte beaucoup trop de choses pour une escapade de deux jours. De fait, il me lance une énième blague à ce propos :
— Veux-tu aussi la moppe, au cas où il y aurait un dégât à ramasser ?
— Ha, ha. Très drôle, Phil. Quoique…
L’image d’une vadrouille poisseuse et nauséabonde surgit dans mon esprit. Qui sait à quelle fréquence les propriétaires de la maison de campagne où nous séjournerons, mes cousines et moi, remplacent leurs articles ménagers ? Ça ne figure certainement pas en haut de leur liste de priorités, entre deux locations…
Voyant que je considère sérieusement sa proposition – qui
