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L' Algorithme de Rebecca Mendelson
L' Algorithme de Rebecca Mendelson
L' Algorithme de Rebecca Mendelson
Livre électronique673 pages9 heures

L' Algorithme de Rebecca Mendelson

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À propos de ce livre électronique

2040. Rebecca Mendelson, génie de la bio-informatique et des nanotechnologies, offre à l´humanité un immense cadeau en programmant Transparence, un algorithme qui garantit longévité, bonheur et paix aux êtres humains. Objectif ultime: éradiquer la religion et les guerres de la face du monde.

Dans un univers futuriste où règne la doctrine dathéiste (les métadonnées au service de l’athéisme) et où les terres encore saintes du Vatican et d’Israël se dressent vigoureusement contre l’irrémédiable apogée de Transparence, Rebecca Mendelson doit composer avec des menaces insoupçonnées. Alors qu’on vient de lui décerner le prix Nobel de la paix, elle est kidnappée par une mystérieuse organisation qui souhaite mettre la main sur le code source de l’algorithme que certains cherchent à reproduire… ou à détruire.

Durant sa captivité, elle rencontre Jéricho, un homme d’exception qui la plongera dans des expériences métaphysiques troublantes. Tiraillée entre ses certitudes à l’égard de sa propre création et sa fidélité envers son associé Velasco Moras, grand théoricien et promoteur de l’idéologie dathéiste, la scientifique doit absolument trouver un moyen d’interrompre l’ultime phase de son invention: l’évolution de Transparence vers l’immortalité…
LangueFrançais
Date de sortie9 nov. 2022
ISBN9782898273780
L' Algorithme de Rebecca Mendelson
Auteur

Christophe Roux-Dufort

Christophe Roux-Dufort est professeur titulaire à l’Université Laval où il enseigne et conduit des recherches sur la gestion en situation de crise. Ses travaux lui ont valu de nombreux prix. Il a publié une trentaine d’articles et de chapitres et huit ouvrages en plus de collaborer régulièrement avec Le Devoir, La Presse, le Soleil, The Gazette, Le Monde, Libération, etc. Les manuscrits de la main morte est son tout premier roman.

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    Aperçu du livre

    L' Algorithme de Rebecca Mendelson - Christophe Roux-Dufort

    Prologue

    Fullerton Hotel, suite présidentielle, Singapour

    15 maïed 8 (15 mai 2039)

    Votre espérance de vie garantie

    est maintenant de 160 ans.

    félicitations !

    Nous vous remercions d’avoir souscrit à la convention Immortalité, offerte exclusivement par les équipes d’Ataraxia qui œuvrent sans répit à exaucer par contrat et contre remboursement une longue vie, saine et heureuse, dans un monde en paix.

    En faisant ce choix, vous rejoignez les milliards de collaborateurs qui participent par leur engagement libre à l’édification de l’ère dathéiste, où votre transparence devient la clé de voûte de votre immortalité et de votre paix. En signant ce contrat, vous contribuez à faire reculer l’Imposture Suprême contre laquelle l’Organisation mondiale du Bonheur s’érige depuis bientôt dix ans afin que tous sur Terre puissent vivre un jour selon les principes supérieurs du dathéisme.

    Ataraxia et l’Organisation mondiale du Bonheur, partenaires de votre immortalité, vous remercient de cette importante décision.

    Ataraxia. L’immortalité au creux de votre main, susurra la voix publicitaire mielleuse sur fond de jingle Dig Age¹ avant que le slogan ne s’évanouisse dans les entrailles des serveurs.

    •••

    — C’est stupéfiant ! s’écria l’émissaire du Bureau 610 alors que le message d’accueil s’affichait sur l’écran du dataphore prêté pour la démonstration. Et donc, vous me certifiez que je vivrai vraiment jusqu’à cet âge ? lança-t-il à son interlocutrice, dont la froideur hermétique doucha sa curiosité.

    — Si vous respectez à la lettre les instructions que vous suggère la machine, oui, répondit-elle stoïquement.

    — Si j’en crois tous les rapports que j’ai lus sur cette… comment dirais-je ? cette intelligence… Elle vous ouvrirait les portes des arcanes de chacun.

    — En effet, confirma la femme.

    — Hum… Ça reste à vérifier, la nargua l’émissaire avec un sourire entendu.

    — Grâce à cette intelligence, comme vous dites, je peux entendre le bruit de fond du magma intime qui gronde sous vos entrailles, le provoqua la geek aux allures soignées, à des années-lumière de ces va-nu-pieds hirsutes de Shenzen ou de la Silicon Valley.

    — J’aimerais bien voir ça ! s’esclaffa le fonctionnaire.

    — Ce bruit qui m’informe sur… (Elle regarda l’écran tourné devant elle) votre alimentation déséquilibrée au vu de vos factures pléthoriques de fast-food, vos nuits de sommeil courtes et fractionnées, si je m’en tiens à vos mouvements nocturnes entrecoupés de consommation excessive d’hypnotiques et de consultations de données pour le moins peu catholiques…

    Le terme jeta un froid dans la petite assemblée réunie dans la suite présidentielle.

    — Oups ! Excusez-moi pour cette hérésie, murmura-t-elle sans embarras.

    Son associé fronça les sourcils.

    — … Rectification : peu dathéiste.

    L’atmosphère se détendit un peu. Elle poursuivit.

    — Je sais aussi tout de vos horaires de travail… hum… erratiques, de vos activités physiques inexistantes, si j’en crois le nombre de pas quotidien moyen de la dernière année, alors qu’aucune autre donnée ne m’indique une quelconque blessure qui justifierait cette inertie mortifère… Elle balaya son écran… Je passe sur l’absence complète de synchronisation cérébrale. Votre respiration est incessamment courte et saccadée, et vous êtes sans cesse en mouvement… Les nanotubes de carbone tissés dans votre chemise connectée rapportent des niveaux anormaux de cortisol dans votre sueur, signe évident d’un stress élevé et nocif…

    L’émissaire, pris à la gorge par la litanie glaciale de la geek sophistiquée, tenta d’intervenir.

    — Je n’ai pas fini ! le coupa-t-elle sèchement. Alors oui, monsieur, vous recevrez des instructions au sujet de tous les secteurs vitaux de votre existence, mais aussi à propos des rapports sociaux que vous devrez entretenir, des lectures que vous devrez effectuer, des restaurants où vous devrez vous rendre, des examens médicaux auxquels vous devrez vous soumettre, etc. Au sujet de vos rapports sexuels également… laissa-t-elle tomber délibérément.

    — Pardon ? se crispa l’homme, dont quelques taches rougeâtres dans le cou trahirent le malaise.

    — Nous savons que vous côtoyez régulièrement de jeunes partenaires, rétorqua-t-elle sans un soupçon d’émotion. En principe, c’est le moment où ils affichent ce petit air outré pour sauver les apparences.

    — Je ne vous permets pas ! Je suis marié. Je…

    Et voilà !

    — Nous ne vous jugeons pas, monsieur. Nous voulons seulement vous dire que la machine reconnaît tous ceux qui vous approchent tant qu’ils sont eux aussi abonnés à nos services. Mais qui ne l’est pas aujourd’hui ? Elle nous fournit ainsi de précieux renseignements sur votre réseau relationnel, y compris les femmes avec qui vous couchez.

    — Vous faites erreur, je vous assure. Vous inventez…

    Inutile de vous débattre. Une fois dans les filets de l’intelligence, comme vous dites, il n’y a rien que vous puissiez me cacher.

    — Sachez, monsieur, que le programme ne commet aucune erreur ! protesta la femme, sortant un instant de sa coquille autistique. Comment pouvez-vous concevoir que nous garantissions une espérance de vie contractuelle de 160 ans à des milliards d’êtres humains avec des erreurs ? lança-t-elle comme un trait d’arbalète empoisonné. La machine est justement pensée et conçue pour pallier VOS erreurs et les prévenir. Ne renversez pas les rôles !

    Lassé par cet assaut, l’émissaire recula sur son siège. Un suintement glissa dans le sillon graisseux de son dos.

    — Tenez, regardez, si vous ne me croyez pas !

    Elle retourna impatiemment l’écran du dataphore qu’elle scrutait depuis le début de la pénible rencontre que son associé lui avait imposée avec Li Huang, le représentant du Bureau 610, le Groupe central chargé des religions hérétiques relié directement au Comité Central du Parti Communiste chinois.

    — Pendant que vous mettiez en doute ma création, l’algorithme a eu le temps de rassembler et de digérer les millions de téradonnées que vous nous avez confiées depuis que vous vous êtes connecté au dataphore de démonstration, il y a quatre mois environ. Et voici ce que ça donne.

    Des courbes et des indices tout aussi hermétiques les uns que les autres s’affichaient sur l’écran. La geek fit danser le bout de ses doigts sur la surface tactile comme pour réassembler les pièces d’un puzzle.

    — Si je croise tout cela avec votre profil génétique… hum… Voici ce que nous obtenons.

    Alors que de nouvelles informations parfaitement explicites, cette fois-ci, apparaissaient, le Chinois blêmit.

    — Comment… Comment pouvez-vous savoir ça ?

    Un rictus de satisfaction déforma le coin des lèvres figées de la femme.

    — Et ceci n’est qu’un échantillon de ce que nous savons, l’interrompit-elle sans manière. À partir de là, la machine va tirer toutes les ficelles de votre existence et vous recommander tout ce qu’il vous faut absolument respecter pour vivre jusqu’à 160 ans, et ce, sans aucune erreur, glissa-t-elle ironiquement.

    — Et si je refuse de suivre les recommandations ? répliqua-t-il en guise de provocation.

    — Il va sans dire que vous êtes libre de ne pas vous y conformer.

    — Mais ?

    — Mais vous ne feriez pas très longtemps l’école buissonnière, rétorqua la femme sans lever les yeux de son écran.

    — Eh bien ?

    — C’est le but de la deuxième phase du plan de déploiement, monsieur, embraya l’homme d’affaires au regard obscur qui complétait le duo. Il arborait un sourire réjoui devant la démonstration parfaitement rodée de sa partenaire.

    — La deuxième phase ? J’avoue ne pas comprendre. Quelle est la première ?

    — La première, que nous appelons l’adhésion, débute avec la souscription à la convention Immortalité et ce message d’accueil qui fait de vous un nouveau collaborateur dathéiste. Elle est alimentée par la curiosité, l’enthousiasme naïf du début et, surtout, une motivation de taille : le mimétisme et la compétition sociale. Après tout, tout le monde brûle d’envie d’essayer quelque chose qui lui garantit de vivre jusqu’à 160 ans, surtout grâce à ce merveilleux gouvernail. (Il pointa l’écran de son interlocuteur et l’invita à y jeter un œil.) Allez-y, regardez. Je vous en prie.

    L’émissaire avisa son dataphore et constata qu’une mention s’était affichée. Il trahit une moue vexée.

    Collaborateur Li Huang

    espérance de vie contractuelle à 160 ans : 0,3 % (groupe ɑ = 98,87 %)

    — Pas fameux, je vous le concède, mais c’est seulement un début. Cette jauge variable est notre plus belle invention. Les yeux rivés dessus à longueur de journée, le collaborateur alterne plusieurs fois par jour entre l’euphorie de la toute-puissance, lorsqu’elle frise les 100 %, et l’angoisse existentielle générée par les chutes de probabilités qui sanctionnent en temps réel l’ignorance des instructions. Nous jumelons la jauge avec un indicateur de suivi des collaborateurs alpha…

    — Alpha ?

    — Les collaborateurs alpha sont des modèles de rigueur dans l’utilisation et le respect des conditions contractuelles d’espérance de vie, compléta la femme. Les fanatiques du dathéisme, en quelque sorte. Ils suivent l’ensemble des programmes suggérés par l’intelligence artificielle, qui se sert de leurs données et de leur expérience pour apprendre et enrichir les instructions.

    — Bref, ce sont les modèles à suivre, ajouta son associé. Ceux que l’on envie et que l’on jalouse. Lorsqu’il mesure instantanément que chaque écart l’éloigne irrémédiablement de l’immortalité pendant que les alphas s’y rendent tout droit, la culpabilité du collaborateur est telle qu’il revient très vite sur l’autoroute des 160 ans et se met à suivre religieusement les instructions. Il s’interrompit. Rectification : dathéistement. La jauge est un implacable levier de discrimination entre les simples mortels et les alphas. Elle est la mesure ultime de l’obéissance aux principes supérieurs du dathéisme.

    — Culpabilité du collaborateur que nous mesurons par un effet ciseau entre la montée en flèche de son taux de cortisol dans le sang et une chute soudaine du niveau de dopamine, renchérit la geek avec une délectation distillée. À tout le moins pour ceux qui décident de se faire poser en option une nanopuce qui analyse leur concentration hormonale en temps réel. C’est un projet en développement. À défaut, j’ai mis au point des sous-programmes capables de détecter immédiatement des pics de consommation compulsive et excessive, comme la junk food ou la porno, typique des comportements de compensation. Ils nous fournissent des indicateurs agrégés approximatifs de culpabilité sur lesquels il est aisé de jouer pour enfoncer le clou et pousser les brebis égarées à revenir dans le droit chemin.

    — C’est prodigieux ! ricana le Chinois, qui tentait de se dépêtrer des tentacules numériques de cette pieuvre pâle aux yeux verts qui ne daignait même pas le regarder. C’est…

    — C’est le prix à payer pour devenir immortel, rien de plus, coupa sèchement la femme.

    Li Huang se crispa devant les inconvenances répétées de cette geek arrogante qui piétinait tous les égards dus à son rang.

    — Pardonnez les maladresses de ma partenaire, monsieur, intervint l’homme d’affaires, qui perçait l’impatience de l’apparatchik. Les génies oublient parfois les convenances les plus élémentaires. (Elle leva les yeux au ciel.)

    — Hum… Je n’ai jamais vu de génie en tailleur et talons hauts, grogna-t-il.

    Sans lui laisser le temps de se formaliser davantage, il enchaîna.

    — C’est là que débute la deuxième phase du plan. Après avoir essayé Transparence, le collaborateur entre dans un circuit de la récompense typique des dépendances. La jauge devient sa boussole, sa maîtresse, son destin, sa dose, sa raison de vivre… Il ne la quitte plus du regard et est prêt à consentir beaucoup pour rester sur la barre des 100 % d’espérance de vie. C’est pourquoi nous avons baptisé cette phase le data trip, la phase de dépendance. Il n’y aura rien que le collaborateur ne puisse faire pour échapper aux instructions de la machine, sous peine de sombrer dans de profondes crises de manque. Un trip sans risque de surdose. L’eldorado de tous les camés numériques. Les données sont le plus puissant des stupéfiants. Surtout lorsque leur consommation promet le paradis sur Terre, l’immortalité.

    La femme compléta froidement l’argumentaire.

    — L’algorithme est conçu de telle façon que chaque fois qu’un collaborateur suit les instructions, la vision en direct de l’augmentation de la jauge libère des doses de plus en plus massives de dopamine dans le cerveau et provoque un plaisir et une accoutumance proches de ceux connus avec l’héroïne. En l’absence de connexion et de données, les symptômes du manque commencent à se faire sentir : sueurs, maux d’estomac, angoisse, crise de panique… Seule une reconnexion peut les pallier.

    Son associé laissa planer un court silence, puis il enfonça le clou solennellement.

    — Les données, le sang du dathéisme ; les serveurs, le corps du dathéisme. C’est ainsi que chaque jour, plusieurs fois par jour, en pressant sur la touche Enter de l’écran tactile de son dataphore, chaque collaborateur communie avec un au-delà numérique immanent aux banques de données.

    Li Huang écoutait sans broncher le discours hypnotique de cet homme énigmatique dont le regard sombre alternait entre les ténèbres inquiétantes d’un trou noir et la profondeur d’un sage. Lorsque, mandaté par le Bureau 610, il l’avait contacté pour arranger cet entretien confidentiel dans la suite d’un palace de luxe de Singapour, il savait qu’il n’était pas le premier responsable militaire à qui s’adressait ce duo diabolique. Les enchères montaient très vite pour mettre la main sur cette invention qui était en train de révolutionner l’espèce humaine.

    — L’algorithme est en voie de devenir le nouvel opium des peuples, poursuivit l’homme d’affaires. Les plus grands pays du monde l’ont déjà adopté et font entrer les uns après les autres tous leurs concitoyens dans ce New Deal de l’espèce humaine qui éradiquera sous peu les racines du mal, l’Imposture Suprême, et pérennisera l’ère dathéiste. La Chine ne peut pas se permettre de rater ce train. Sans compter les incomparables avantages que tout gouvernement peut trouver à tirer les ficelles de l’existence de ses administrés, conclut-il habilement. Vous savez mieux que quiconque de quoi je veux parler.

    Le représentant du Bureau 610 marqua un temps de silence.

    — Intéressant.

    — Intéressant ? reprit l’homme d’affaires, un tantinet vexé.

    — Mais votre promesse est mensongère.

    — Je crains de ne pas bien comprendre.

    La geek se redressa et arrangea nerveusement sa chevelure. Qu’est-ce qui ne va pas avec vous, Li ? Faut-il vraiment que je vous montre l’étendue de vos égouts ? Vous croiriez assurément qu’il s’agit d’un autre.

    — Il ne fait aucun doute que 160 ans est une espérance de vie exceptionnelle.

    — Mais ?

    — Mais vous ne faites que repousser l’échéance de la mort. Ce faisant, vous la rendez encore plus redoutable et inacceptable. Vivre jusqu’à 160 ans, ce n’est pas l’immortalité. Or, tant que nous resterons mortels, peu importe l’âge de notre décès, vous laisserez la porte grande ouverte à l’Imposture Suprême. La mort est son fonds de commerce, ne l’oubliez pas.

    L’homme d’affaires et la geek raffinée échangèrent un regard complice. En s’opposant, l’émissaire venait de leur dérouler le tapis rouge. Celui qui mènerait la Chine, si elle signait, à obtenir une suprématie politique et militaire inédite dans l’histoire de l’humanité.

    Elle posa les coudes sur la table et glissa précieusement les mains sous son menton en fixant l’émissaire. La manche de son chemisier blanc glissa et découvrit son avant-bras, laissant apparaître une cicatrice qui rappelait le signe mathématique de l’infini.

    Li Huang les interrogea tour à tour du regard sans masquer son scepticisme.

    — Vous avez raison, monsieur, enchaîna-t-elle avec une voix plus chaude. Il vous manque cependant une donnée capitale.

    — Une donnée ? Laquelle ?

    — La troisième phase du plan. La plus exaltante.

    — …

    — La résurrection. Rectification : la reviviscence.

    — Grâce à cette merveille, Rome, la cité éternelle, tombera, et sur ses cendres se dressera la nation immortelle, la Chine ! enchaîna l’associé avec un sourire radieux.

    1En 2039, le style musical Dig Age (âge digital) a remplacé le New Age. Le Dig Age est conçu par une intelligence artificielle intégrée à l’algorithme et diffuse une ambiance personnalisée selon les besoins et l’humeur du collaborateur tels que captés et analysés par le dataphore. La musique Dig Age est donc chaque fois une pièce originale et éphémère. Dans les lieux publics, le Dig Age diffuse des ambiances composées à partir de l’analyse de la moyenne des humeurs des collaborateurs présents.

    Partie I

    L’apocalypse

    selon Román

    1

    Le sacrement du dernier jour

    North Hatley, Québec, Canada

    30 septembre 2012 (30 septed 19 av. E.D.)

    — Il n’y eut ni soir ni matin… Dernier Jour.

    C’est avec ces mots inspirés du récit de la Genèse que Román conclut son dernier sermon. Ainsi commençait l’apocalypse. Son apocalypse. Celle dans laquelle il prédisait ce dernier jour. Tout serait bientôt accompli. Et si tout se passait comme il l’espérait, C. se dévoilerait bientôt pour lui confier le mystère. Ce n’était plus qu’une question de minutes. Il était au seuil du huitième jour. Ce dernier jour de la Genèse, qui n’avait été révélé qu’à une poignée d’initiés. Aujourd’hui, c’était à son tour. Il en était convaincu. Il ferait bientôt partie de ces élus à qui le secret a été transmis.

    Il serait bientôt… Dieu.

    •••

    Román s’était préparé assidûment et de longue date à cette initiation. Seuls les cœurs purs et droits, formés par l’obéissance stricte aux Écritures, pouvaient s’y présenter. Intangible et rigoureuse, cette discipline avait exigé de lui des sacrifices et des actes que seuls des êtres choisis par l’Éternel pouvaient accomplir. Cette nuit, sans aucun doute possible, C. viendrait. Mais avant cela, il lui fallait poser un dernier acte.

    Dans la petite chapelle éclairée par quelques cierges à moitié consumés, les quatorze disciples s’étaient réunis, malgré l’heure avancée de la nuit. Assis côte à côte sur les bancs étroits et inconfortables du sanctuaire, ils attendaient anxieusement le signal. Lorsqu’ils entendirent ces ultimes paroles de Román –… Dernier Jour –, un silence épais écrasa l’assemblée. Le moment était venu. Les minutes qui suivirent furent interminables.

    •••

    Ils étaient presque tous là. Fidèles parmi les fidèles. Tous ceux qui le suivaient depuis près de huit ans sur les traces du Christ. Le Christ. Le vrai. Le seul que Román aimait. Si loin de cette pâle figure de leur folklore familial tiède et hypocrite, produit de l’indigestion religieuse de leur enfance. Là où tous avaient depuis pactisé avec le diable, il avait su les ramener dans le droit chemin. Huit ans qu’il se battait pour eux, puisant dans son inébranlable foi pour exorciser ces démons enracinés dans le tréfonds de ces êtres gangrenés par l’argent, le pouvoir, la drogue et le sexe. Politiciens corrompus, hommes et femmes d’affaires véreux, célébrités droguées ou obsédés sexuels, jeunesse dorée désœuvrée, tous avaient trouvé dans Román un phare et un îlot de vérité dans l’impénétrable brume de leur vie.

    Ses réseaux prestigieux, son regard magnétique, son charisme, sa gouaille habitée, mais surtout sa foi incarnée, quasi charnelle, qui rendait palpable, presque sensorielle l’inspiration divine avaient hypnotisé ces puissants au point de les convaincre de remettre leur vie en friche entre les mains de Román. Au fil du temps, il avait brisé une à une les digues bétonnées qui séparaient ses disciples du Dernier Jour. Grâce à un cocktail d’enseignements, de prières, de jeûnes draconiens, de méditations interminables et surtout de messes résurrectionnelles, Román les avait préparés à se présenter devant le plus élevé de tous les sacrements.

    •••

    Le poids du silence confinait les disciples dans une atmosphère surnaturelle et engourdie dans laquelle tout semblait être en apesanteur. Au cours des jours précédents, ils avaient constaté que leurs réflexes s’étaient progressivement émoussés. Leurs jambes étaient devenues plus lourdes. Le sommeil les gagnait facilement. Leur appétit s’était tari sous l’effet des douleurs gastriques intenses. Chaque mouvement devenait un effort surhumain, et les mots trop pesants ne sortaient plus de leur bouche. Ils s’étaient enfermés dans le mutisme. Et cette soif, cette soif intarissable qui ne les lâchait plus.

    Román prit le calice posé sur l’autel et y fit lentement couler le vin qu’ils buvaient depuis plusieurs offices maintenant. Le sang du Dernier Jour. D’un rouge grenat, son goût plus acide brûlait l’estomac. Le feu purificateur des derniers péchés, selon Román. Il porta haut le récipient sacré pour l’offrir au ciel et fit un signe de la tête au jeune homme barbu qui était à sa droite. Zélé et plus vif que le reste des fidèles, Velasco, ganté de soie, descendit solennellement la marche qui le séparait d’une longue table drapée de blanc et aligna quatorze calices d’un bout à l’autre. Dans chacun d’eux, il versa sans trembler le reste du précieux liquide en quantité égale. Lorsqu’il eut terminé, il prit cérémonieusement le premier calice entre ses deux mains et fit deux pas vers l’arrière, attendant les instructions de Román.

    •••

    Le sacrement du Dernier Jour. Le point d’orgue de l’enseignement de Román. Cette initiation, le disciple la recevait lors d’un rite à l’issue duquel il était ordonné Compagnon de la résurrection. Román était convaincu qu’en l’absence de ce sacrement, l’enseignement christique n’avait aucune valeur ni aucune consistance. Le baptême, la communion, le mariage, même l’eucharistie n’étaient à ses yeux que des gesticulations rituelles au regard de ce huitième sacrement que lui seul se targuait de pouvoir donner. Il ne s’agissait pas seulement pour les pauvres hypocrites de recevoir l’hostie du dimanche pour être lavés de leurs péchés, il fallait qu’ils se donnent corps et âme au Christ pour être ressuscités d’entre les morts. De ce point de vue, il en voulait terriblement à l’Église d’avoir laissé croire au salut des âmes sans aucune autre contrepartie des fidèles, sinon une tiède participation aux offices du dimanche.

    Dix ans auparavant, celui qui s’appelait encore le père Iulian Románescu, officiant dans le diocèse de Timisoara, en Roumanie, s’élevait déjà contre la mollesse des autres prêtres et de la hiérarchie ecclésiastique. Il les accusait de vendre l’âme du Christ en accordant les sacrements de l’Église à tous sans distinction, y compris et surtout aux impurs, aux infidèles, aux prostitués, aux corrompus et à tous les impies de ce monde qui achetaient leur salut à coups de donations minables. Dans des sermons enfiévrés auprès des fidèles, il incriminait les églises de devenir le refuge des démons, et les prêtres, d’en être les avocats. Il défendait ardemment cette conviction que le Christ ne se donnait qu’aux cœurs purifiés et aux âmes élevées. Personne ne pouvait se déclarer chrétien s’il n’était pas prêt à donner son corps au Seigneur.

    Ses sermons, loin d’effrayer les foules, commencèrent à rassembler autour de lui quelques pratiquants conservateurs déçus du laxisme de l’Église, puis une communauté d’anciens dignitaires nostalgiques du régime communiste de Ceausescu, qui retrouvaient dans les discours du père Románescu une idéologie musclée et structurée qui offrait un sens aussi fort que l’idéal auquel ils avaient cru et qui s’était effondré vingt-trois ans auparavant. Cette ancienne nomenklatura devint le fonds de commerce de cet homme d’Église, qui se fit rapidement connaître dans tout le pays. Puis vinrent les nouveaux riches, rescapés heureux de la chute du régime, qui s’achetaient une conscience et frissonnaient secrètement d’espérance en fréquentant les offices enflammés du jeune prêtre.

    Les prêches du fougueux curé remontèrent jusqu’à l’archidiocèse de Bucarest, où son cas fut étudié. Le père Románescu y fut convoqué plusieurs fois pour y être recadré. Sans succès. L’affaire fit du bruit jusqu’au Vatican, qui coupa court à ces pitreries et excommunia le père Románescu pour hérésie. À partir de ce jour, Iulian Románescu disparut de la circulation, puis il réapparut un an plus tard au cœur d’un petit village du sud-est du Québec, North Hatley, dans lequel il installa, dans un chalet rénové au bord du lac Massawippi, le siège des Compagnons de la résurrection.

    •••

    Román rompit le silence et entonna la prière du Credo.

    — Je crois en Dieu, le Père Tout-Puissant, Créateur du ciel et de la Terre…

    Les disciples lui emboîtèrent le pas en égrenant scrupuleusement les paroles sacrées de la profession de foi.

    — Je crois en Dieu, le Père Tout-Puissant, Créateur du ciel et de la Terre…

    — Je crois en la résurrection de la chair…

    — Je crois en…

    À ces mots, les disciples frémirent. Certains les ânonnèrent, d’autres n’eurent pas la force de les prononcer. Román s’interrompit et les fixa sévèrement.

    — Je crois en la résurrection de la chair ! répéta-t-il avec force.

    — Je crois en la résurrection de la chair… capitulèrent-ils du bout des lèvres.

    Lâché par ses jambes trop chancelantes, l’un d’eux s’effondra sur le banc. D’un mouvement de la main, Román ordonna à Velasco d’aller le redresser. Il s’exécuta promptement, nullement impressionné par la mise en scène. Le disciple finit par reprendre un peu de contenance.

    — … à la vie éternelle. Amen.

    — … à la vie éternelle. Amen.

    Román invita chacun à venir se placer devant la table. Son cœur s’emballa. Ses tempes résonnaient comme des tambours. Une fièvre s’empara de son corps, brûlant son visage et ses yeux qui, en quelques secondes, se noyèrent de larmes. Était-ce de la joie ? De la peur ? Les grands mystiques avaient décrit des états d’âme identiques au moment d’approcher du Dernier Jour.

    •••

    Ce soir, ses plus fidèles compagnons accéderaient eux aussi au secret. Il allait les offrir à Sa Grâce, et par cet acte incroyable, attirerait le Verbe à lui. Les autres adeptes avaient quitté le navire depuis longtemps avec perte et fracas, le traitant de gourou, de manipulateur ou d’illuminé. Ignorants et faibles qu’ils étaient ! La vie du Christ n’était pas une promenade de santé. C’était un engagement jusque dans la chair. Que croyaient-ils ? Son fidèle Velasco avait raison, ceux-là ne méritaient rien d’autre que de retourner dans l’enfer duquel Román les avait tirés. Tous étaient des dégénérés de la pire espèce. Aucune lumière ne saurait les extirper de leurs ténèbres. Velasco… Un authentique disciple, brillant et aimant. Un conseiller autant qu’un confident dans lequel il avait placé toute sa confiance. Il méritait cette initiation au Dernier Jour plus que tous les autres. Il l’avait réclamée avec tellement de ferveur.

    Mais elle… où était-elle ?

    Pourquoi était-elle partie précipitamment durant la soirée sans prévenir ? Avait-elle eu peur ? Non, c’était impossible. Avec Velasco, elle était la plus engagée et la plus douée de ses disciples. D’une intelligence hors du commun et habitée par une foi brûlante, elle se disputait avec Velasco les attentions de Román. C’était la meilleure de tous. Et surtout, c’était… Il ne s’autorisait pas encore cette idée.

    Elle était celle qui l’avait mis à l’épreuve et avait failli le précipiter dans la géhenne. Il l’avait rencontrée quatre ans auparavant lors d’une réunion d’information qu’il animait à propos des Compagnons de la résurrection dans une petite salle de l’église Saint-Pierre-Apôtre, au centre-ville de Montréal. Elle s’était assise sur l’une des chaises installées en rond, puis s’était timidement présentée. Elle n’avait pas encore dix-huit ans et venait d’emménager en ville. Son père entrepreneur et sa mère informaticienne avaient quitté Toronto après que son frère eut perdu la vie dans une dramatique noyade alors qu’ils étaient partis pour un week-end de pêche en famille. Là-bas, tout était trop douloureux. Ils avaient fui les lieux de la souffrance, mais restaient collés à son foyer ardent.

    Elle avait confié à Román qu’elle avait déclaré la guerre à la mort et qu’un jour, elle deviendrait immortelle. Román avait souri à ce doux rêve d’une adolescente en quête de réponse au mal qui lui ravageait les entrailles. Mais il fut subjugué lorsqu’elle affirma avec assurance qu’elle voulait connaître le seul qui l’avait fait avant elle : le Christ. Ce témoignage de foi si rare pour une jeune fille de son âge produisit chez lui une incontrôlable attirance. Il ne vit plus alors qu’un être de chair fragile devant ses yeux désireux. Sa beauté était une éclosion de lumière dans ce local austère. Ses yeux verts tirant sur le gris, ses longs cheveux sombres aux mèches ondulées, sa manière de les replacer en y passant négligemment les doigts, ses lèvres dessinées et ses courbes insolentes, tout avait incendié en quelques secondes les barricades pulsionnelles que Román avait consciencieusement érigées pour maintenir intacte la pureté de son âme. Une onde chaude l’avait traversé de la tête aux pieds et avait déferlé dans l’intimité de son corps, lui provoquant une érection qu’il aurait voulu fouetter pour faire disparaître le désir ardent de sa chair inassouvie.

    Puis, il eut cette intuition étrange et réjouissante. Dieu le mettait à l’épreuve. Une marche de plus vers le Dernier Jour. Elle serait sa croisade, et il extirperait le démon qui demeurait en elle. Ne jamais oublier la discipline. Cette discipline dont il ne s’était jamais détourné depuis qu’il avait formulé de lui-même à l’âge de quinze ans des vœux de chasteté. Il s’y était tenu. À part ce honteux accroc à Bucarest qu’il avait chassé de sa mémoire à jamais. Cette femme rencontrée dans un petit café de la place de l’Université alors qu’il était encore au séminaire. C’était en 1990 (41 av. E.D.). Il avait dix-neuf ans. Elle était plus âgée. Il s’était blotti dans ses bras comme dans ceux d’une maman qu’il n’avait jamais eue. Son désir avait fait irruption comme dans un volcan éteint, et la lave de ses étreintes avait coulé sur le corps endiablé de cette beauté sauvage et mature. Il en était ressorti avec tellement de honte et de culpabilité qu’il s’était infligé plusieurs séances d’autoflagellation. Depuis, plus rien ne l’avait détourné du chemin de la pureté, et cette jeune fille ne serait pas une nouvelle tentation. Elle lui était envoyée pour achever sa propre purification. Il s’était donc consacré à elle puis à Velasco jusqu’à les élever au rang de prêtresse et de prêtre des Compagnons de la résurrection, un grade qu’eux seuls avaient mérité de porter.

    Où était-elle allée ?

    •••

    À l’invite de Román, les disciples quittèrent les bancs sans bruit et se déplacèrent lourdement en file indienne dans la travée centrale de la chapelle, les jambes flageolantes, la tête baissée, transportant leurs corps dépossédés jusqu’à la table où les calices les attendaient. Román allait prononcer la dernière phrase qui les consacrerait Compagnons de la résurrection. Il balaya l’assemblée du regard une dernière fois, posant sur chacun d’entre eux les yeux d’un père aimant. Il puisa dans le silence de son âme la force de prononcer ces derniers mots :

    — Prenez et buvez-en tous, car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’alliance nouvelle et éternelle qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés.

    Ils burent tous jusqu’à la dernière goutte.

    Le Dernier Jour allait se lever.

    2

    Extrait de l’apocalypse selon Román

    Le Dernier Jour est le huitième jour de la création. Ce jour dont les Saintes Écritures n’ont jamais fait mention. Depuis des millénaires, les prophètes à qui Dieu a donné la grâce d’accéder à ce mystère l’ont scellé hermétiquement dans les arcanes de leurs âmes et l’ont emporté dans leur tombeau. Les maîtres qui en ont percé le mystère par leur érudition et leur inspiration divine ont eux aussi volontairement voilé cette connaissance aux yeux des hommes. Ils ont parfois préféré mourir plutôt que d’en dévoiler le mystère.

    Car ce que Dieu a créé le huitième jour est à la fois création et destruction, matière et antimatière, plénitude et vide.

    Malheureux ceux qui ne supportent pas ce mystère, car ils deviendront fous !

    Malheureux ceux qui le retournent contre leur prochain, car ils seront maudits !

    Dans son infinie bonté, Il a envoyé C., Son fruit le plus précieux, pour donner ce trésor à tous les hommes en héritage. Et tous l’ont eu sous les yeux. Là-haut, sur le Golgotha. Mais aveuglés par la haine, les querelles, la jalousie et le vice, ils ne l’ont pas reconnu. Et même lorsque Sa puissance se fut manifestée trois jours après, ils le rejetèrent parce que les hommes connaissaient le séisme que ce mystère préfigurait. Ils redoutaient la ruine de leur corps alors que C. leur offrait l’édification de leurs âmes. L’homme est faible. Sa chair le dirige. L’argent le dresse et le pouvoir l’enivre.

    C’est pourquoi Dieu a désigné des terres stériles et m’a confié à moi, Román, la divine tâche de les fertiliser et de les faire fructifier. Il m’a commandé d’ériger une communauté d’êtres prêts à recevoir la grâce du mystère du Dernier Jour et dont la tâche sera de le répandre parmi les hommes. Il marquera ces êtres du sceau de l’infini et jugera de leur pureté par le sacrement du Dernier Jour.

    3

    4035, rue Memphré

    North Hatley, Québec, Canada

    1er octobre 2012 (1er octed 19 av. E.D.)

    Développez un potentiel infini

    Nouveau best-seller publié par le prolifique François Lebaron dont les conseils ont changé la vie de milliers de personnes depuis près de dix ans. Ancien policier à la Sûreté du Québec devenu coach et conférencier international à la suite d’un burnout, François Lebaron nous fait une fois encore bénéficier de ses précieux enseignements pour cesser de rêver nos vies pour enfin vivre nos rêves. Développez un potentiel infini s’appuie sur les dernières recherches en neurologie pour proposer une démarche complète permettant à chacun de sortir de sa zone de confort et de vivre pleinement la meilleure version de lui-même.

    Développez un potentiel infini, 2010 (1ère édition), chez Le Monde d’Après. Prix : 25 $

    À Marcus, avec vous pour exaucer vos rêves

    François

    Sutton, le 1er juéllet 2010

    •••

    7 h 35

    — 911, quelle est votre urgence ?

    — …

    — Je vous transfère. Ne quittez pas.

    — …

    — Agent Maltais, quelle est votre urgence ?

    — Allô ? J’m’appelle Henri Dubé. J’reste sur Memphré, à North Hatley. Il y a un homme ici la face à terre à la sortie du 4035. Il a pas l’air bien pantoute !

    — Au 4035, vous dites ?

    — Oui. 4035.

    C’est la maison du gourou, ça.

    — Il respire encore ? Est-ce qu’il peut parler ?

    — J’sais-tu moi ! Chu pas médecin, câline ! Il a l’air de respirer, oui. Mais faites ça vite parce qu’il lui en reste pas long.

    — OK, on arrive. Ne bougez surtout pas. Une ambulance sera sur place dans quinze minutes.

    — Chef ! Je viens de recevoir un appel d’urgence. Apparemment, ça brasse chez le gourou. On vient de trouver un gars inconscient dans l’entrée de sa maison.

    — Chez Román ? T’es-tu sûr ? Vérifie quand même, on ne sait jamais. Les gens sont tellement paranos dans le secteur depuis que ce fucké s’est installé.

    — Le gars a l’air vraiment mal en point, chef. Il faut faire vite. J’appelle une ambulance, je prends un char et je rejoins les paramédics sur place.

    — Non, attends ! Je m’en occupe. Toi, reste ici pour répondre aux appels. Ces fouineurs de journalistes ne tarderont pas à se manifester.

    — Mais…

    — Je m’en charge je te dis, merde ! lança-t-il avec une virulente pointe d’accent français qu’il regrettait déjà d’avoir laissé échapper.

    L’inspecteur Marcus Fraser lâcha Développez un potentiel infini, le bouquin qu’il dévorait pour la troisième fois, attrapa sa tasse de café et sortit du poste en trombe. Il s’engouffra dans la Dodge Charger de patrouille et fila vers l’est en direction de North Hatley. Sur la route, il s’arrêta quelques minutes pour passer un appel. Un quart d’heure plus tard, il arriva le premier sur place. Ce qu’il découvrit dépassait de loin ce qu’il aurait pu imaginer.

    •••

    Au même moment, dans une chambre du service d’oncologie de l’Hôpital général juif de Montréal, Rebecca Mendelson, vingt et un an, s’effondrait en pleurs dans les bras de son père. Au bout d’une nuit éprouvante, sa mère, Nicole, venait de rendre son dernier souffle après avoir lutté contre un cancer fulgurant du pancréas qui l’avait rongée en neuf petits mois. Rebecca avait été prévenue durant la soirée que sa mère ne passerait pas la nuit. Déchirée, elle avait demandé conseil à Velasco au sujet de ce qu’elle devait faire. Il l’avait convaincue de se rendre au plus vite à son chevet et lui avait promis qu’il la couvrirait. À présent, à son indicible peine s’ajoutaient la culpabilité d’être partie comme une voleuse et la peur de la réaction de Román lorsqu’elle reviendrait à North Hatley. Étrange, il ne l’avait pas encore appelée pour lui demander où elle était. Alors qu’elle descendait dans la salle de pause pour prendre un café, elle jeta un œil distrait sur l’écran de télévision qui était installé en hauteur, près de la machine distributrice. Un bandeau d’information attira son attention.

    Scène d’horreur à North Hatley : treize morts dans une mise en scène macabre à l’église des Compagnons de la résurrection.

    Elle perdit connaissance et tomba lourdement sur le sol.

    •••

    Aéroport Pierre-Elliott Trudeau, Montréal, 9 h 15

    Ariana Di Carlo, agente au comptoir d’Alitalia, enregistra sur le vol AZ-305 en direction de Rome, un passager au nom de Giuliano Romano, un citoyen canadien d’origine italienne. L’homme, nerveux, ôta ses lunettes à sa demande pour identification. Ses yeux clairs et perçants aux reflets gris-vert ne la laissèrent pas indifférente. Elle remarqua un tatouage sur son avant-bras qui lui rappela ses cours de mathématiques. Un huit horizontal. Le signe de l’infini. Elle-même originaire du Piémont, en Italie, elle lui sourit et l’interrogea en italien sur le sens de son tatouage. L’homme ne broncha pas. De la sueur perlait sur ses tempes. Elle insista en lui demandant toujours dans sa langue maternelle s’il était originaire de Rome. Perdant patience, l’homme lui répondit en français qu’il n’avait pas le temps de discuter et lui intima de procéder rapidement.

    Formée à la sûreté, Ariana Di Carlo ne put s’empêcher de remarquer que le billet de première classe avait été acheté moins d’une heure avant l’enregistrement, au comptoir Alitalia de l’aéroport, et payé en argent liquide. Elle se rappela que le formateur de chez Global Safety leur avait enseigné que cette façon de faire était fréquente chez les terroristes. Profitant de quelques secondes d’inattention du client, alors qu’il écrivait son nom sur l’étiquette des bagages, elle fit un signe à l’agent de sécurité qui se trouvait tout près d’elle. Lorsque Giuliano Romano quitta le comptoir et s’apprêta à passer le contrôle des bagages, il fut interpellé par deux policiers, qui lui demandèrent de le suivre pour quelques vérifications d’usage. Dans le même temps, un courriel parvint dans le bureau de police de l’unité aéroportuaire de Montréal. Le visage d’Iulian Románescu y figurait avec la mention Recherché.

    À 10 h 05, Iulian Románescu alias Giuliano Romano fut arrêté pour assassinat.

    •••

    North Hatley, église des Compagnons de la résurrection, 10 h 30

    Les équipes de la police scientifique poursuivaient leurs prélèvements sur la scène de crime, où les corps avaient été retrouvés gisant dans les travées de la petite chapelle située dans le sous-sol. Les portes avaient été verrouillées pour éviter que l’un des disciples puisse se traîner en haut jusqu’à un téléphone, et du gaz paralysant avait été disséminé après que les victimes eurent été empoisonnées, et ce, sans doute pour précipiter leur décès. Un masque à oxygène laissé sur la table de la cuisine prouvait que l’auteur des faits avait lui-même déclenché le gaz dans la chapelle et qu’il avait l’intention de fuir. Tout avait été organisé méthodiquement pour perpétrer l’un des assassinats les plus macabres que le pays ait connus depuis l’affaire de l’Ordre du temple solaire, en 1994 (37 av. E.D.).

    L’inspecteur Marcus Fraser grattait nerveusement sa barbe naissante quand l’agent Maltais l’appela pour lui annoncer l’arrestation de Román. À moitié soulagé, il appela à l’hôpital de Sherbrooke pour prendre des nouvelles du seul homme retrouvé vivant à la sortie du 4035. Il avait a priori réussi à briser une petite fenêtre du sous-sol pour se faufiler dehors et échapper au gaz. Il était potentiellement l’unique témoin du drame. Le médecin lui confirma qu’il avait été intoxiqué sévèrement, et que les symptômes laissaient présager un empoisonnement à l’arsenic. L’analyse des prélèvements biologiques devait encore le confirmer.

    — Quand sera-t-il possible de lui parler ? s’enquit Fraser.

    — Il est encore faible. Sa pression et sa température sont très basses. Il a besoin de repos. Pas avant vingt-quatre heures, le temps qu’il se retape un peu.

    Fraser n’insista pas. Il avait à peine raccroché qu’il composa à nouveau le numéro de l’hôpital de Sherbrooke, mais demanda cette fois le service des admissions.

    — Hôpital de Sherbrooke, service des admissions, bonjour, comment puis-je vous aider ?

    — Inspecteur Marcus Fraser de la Sûreté du Québec. Un homme a été transporté ce matin en urgence par la police dans le service du docteur Gagnon.

    — Quel est son nom ?

    — Un certain Velasco, je pense.

    — Attendez, je vérifie… Oui effectivement, ce matin à 8 h 35, monsieur Velasco… Avez-vous son nom complet ?

    — Non, malheureusement, nous n’avons pas encore pu vérifier son identité. Pourriez-vous me donner son numéro de chambre, s’il vous plaît ? J’aurais quelques questions à lui poser.

    — C’est la chambre 424, au quatrième étage.

    Trente minutes plus tard, l’inspecteur Marcus Fraser pénétrait dans la chambre 424 de l’hôpital de Sherbrooke. Il y trouva Velasco endormi, bardé de perfusions. Son visage était émacié et les commissures de ses lèvres étaient encore souillées par les vomissements que l’absorption de l’arsenic avait provoqués. Sans perdre un instant, Marcus Fraser ouvrit à la hâte les armoires. Il en sortit les vêtements et les fouilla nerveusement. Rien. Il les remit négligemment en boule et se dirigea vers le lit. Il défit les draps, passa ses mains sous le corps, releva la tête de Velasco encore endormi, retira l’oreiller, retourna la taie. Toujours rien.

    Merde ! Où a-t-il caché ce…

    — Sacrifice ! Mais qu’est-ce que vous faites là ? Et qui êtes-vous ?

    Interrompu par le médecin flanqué de ses étudiants qui venait d’entrer dans la chambre, Marcus Fraser, le dos tourné, reposa discrètement sur le lit l’oreiller qu’il tenait encore et il retourna son imposante carrure vers la petite cohorte qui le dévisageait avec stupéfaction.

    — Je suis l’inspecteur Fraser de la Sûreté du Québec. Je vous ai appelé un peu plus tôt ce matin. Il tendit nerveusement sa carte de police.

    — Je vous avais dit pas avant vingt-quatre heures ! s’emporta le docteur Gagnon. Il n’y a vraiment rien à faire avec vous, les policiers ! Vous ne pouvez pas attendre.

    — Je dois seulement vérifier son identité. On a retrouvé un passeport sur la scène de crime et je dois vérifier que son visage est le même que celui sur la photo.

    — Et depuis quand ce sont les officiers qui se déplacent pour faire cette job-là ? fit le docteur Gagnon en ricanant. Vous n’avez pas les moyens de vous payer des agents pour ces basses œuvres dans la police ? Regardez ! fit-il en désignant le petit groupe, moi, j’ai tout ce qu’il me faut. Allez, inspecteur, sortez et laissez-nous faire notre travail. J’espère au moins que vous ne vous êtes pas déplacé pour rien. C’est bien lui sur la photo ?

    — Non, mais nous finirons bien par l’identifier, répondit Marcus Fraser en se tournant déjà vers la sortie.

    — Ah ! Au fait, inspecteur, on a retrouvé ça sur lui. L’infirmière me l’a donné tout à l’heure. Je m’apprêtais à vous appeler pour vous le communiquer.

    Fraser, le cœur battant à plein régime, se retourna. Le docteur Gagnon lui tendait un petit sac en plastique scellé à travers lequel on apercevait un papier plié plusieurs fois.

    — Il était dans le fond de la poche de son pantalon.

    Marcus grimaça en signe de désapprobation.

    — Pas d’inquiétude, inspecteur. L’infirmière portait des gants lorsqu’elle l’a retrouvé. Il ne devrait pas être souillé par ses empreintes.

    — Avez-vous vu ce que c’était ? demanda le policier du bout des lèvres.

    — Non. Pas le temps. Nous, on soigne les malades. Je m’étonne que vous ne l’ayez pas trouvé lorsque vous l’avez fouillé.

    — L’ambulance est partie à l’hôpital quelques minutes avant que je n’arrive. La survie d’un témoin capital passe avant la fouille. C’est la procédure. Y avait-il autre chose ?

    — Non, rien d’autre.

    — Je vous remercie pour votre collaboration, docteur. L’un de mes gars passera dans la journée pour compléter la fouille de ses effets personnels en bonne et due forme, précisa-t-il. Appelez-moi dès qu’il sera en mesure de parler.

    — Je n’y manquerai pas, inspecteur. Bonne journée.

    Marcus Fraser descendit quatre à quatre les escaliers et rejoignit sa voiture garée plus loin dans le stationnement des visiteurs. Son cœur cognait dans sa poitrine à mi-chemin entre l’excitation d’un enfant et la peur d’un condamné. Il jeta un œil autour de lui, prit une grande inspiration et déplia fébrilement le document.

    CAYMAN NATIONAL BANK LTD., GEORGETOWN, Cayman Islands

    Ordre de virement n° 345555

    Débiteur – First National Bank of Virgin Island – Compte n° 000234543671

    Créditeur – Cayman National Bank Ltd.

    – Compte n° 10000456621

    Somme : 5 000 000 $ US

    Titulaire du compte créditeur : Monsieur Goran Dratoc Titulaire du compte débiteur : Société du Dernier Jour Ltd. Statut : En attente de confirmation du débiteur.

    •••

    — En attente de confirmation du débiteur ? Enfoiré ! hurla-t-il dans l’habitacle, trahissant ce brin d’accent français que ses colères démasquaient trop souvent.

    Surpris par le cri, un jeune couple se retourna et vit un homme affaissé au fond de la voiture, la tête entre les mains.

    — Mon Dieu, regarde-le donc. C’est sûr qu’il vient de perdre un proche. Les hôpitaux sont vraiment des endroits déprimants, murmura la femme à son conjoint.

    Séance de coaching privée au domicile de François Lebaron, Sutton, région des Cantons-de-l’Est, Québec, Canada

    5 décembre 2010 (21 av. E.D.)

    — Vous savez, Marcus, quand j’ai écrit Développez un potentiel infini, je me suis demandé ce qui m’empêchait vraiment de vivre tous mes rêves.

    — Et quelle réponse avez-vous trouvée ?

    — L’histoire, Marcus, l’histoire. Héritage précieux et dangereux motif d’inertie. Lâchez votre histoire, Marcus. Votre mère, ses cris et ses coups sont des chaînes qui vous enferment encore dans votre rôle de policier. Vous voulez faire la justice là où vous avez souffert l’injustice. Mais au fond, quel est votre rêve le plus cher ?

    — Devenir comme vous. Coach, conférencier, formateur.

    — Continuez.

    — Rayonner dans le monde entier par mes livres et mes conférences. Embarquer les foules comme vous le faites. Exercer enfin une autorité saine et utile auprès du plus grand nombre. Je crois que…

    — Que ?

    — … que je serais prêt à tout pour ça.

    4

    Potentiel infini

    Hôpital de Sherbrooke, Québec, Canada

    2 octobre 2012 (2 octed 19 av. E.D.)

    « La confiance, l’estime de soi et l’assurance se cultivent ! Elles ne sont pas acquises une fois pour toutes. Commencez par quitter votre zone de confort. Osez cette sortie de piste qui changera votre vie et vous fera goûter le délice de vos rêves. »

    — Inspecteur Fraser ? Vous pouvez entrer. Il est prêt. Mais allez-y doucement, il est encore un peu faible, même si je dois avouer qu’il récupère très vite, avertit le docteur Gagnon en fixant Marcus par-dessus ses lunettes. En attendant, il revient de

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