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Les Hérétiques de la Prophétie
Les Hérétiques de la Prophétie
Les Hérétiques de la Prophétie
Livre électronique1 288 pages19 heures

Les Hérétiques de la Prophétie

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À propos de ce livre électronique

… hier a été ; demain sera-t-il ? Après l’exode, enfin « Psycho » conquiert le royaume infini des pensées universelles. Pourtant, au coin des âmes, se cache une parole laissée comme la semence d’une prophétie.

« Toutes les grandes déchéances s’accompagnent toujours de l’avènement de nouvelles croyances ». Les bâtisseurs sont partis, mais la religion de la Sainte Prêtresse Nicéphone ressuscite. Elle devra résister jusqu’à l’effondrement annoncé et jusqu’à l’accomplissement de la prophétie, car le retour du banni doit être annonciateur de liberté et de renaissance. Tel est son héritage, telle est la Destinée des Mondes.

Pourtant, Athémiléen traque le messie invisible dans tout le Vectorat universel, car il est dit que ce dernier soumettra tous les Rois, tous les Empereurs, tous les Empires, même celui de la seconde pensée. Au bout de cette quête existe une rencontre proscrite. D’elle arrivera la fin du monde et la venue du Métacorpus. Cependant, malgré la malédiction annoncée, les maîtres s’attèlent à empêcher la déchéance inévitable et espèrent que l’avenir changera encore, par le martyr du Conquérator invisible ; il doit détruire le « Psycho ».

Y parviendra-t-il ? Est-il le messie tant attendu au commencement de la guerre des origines ? Est-il celui par qui advient le cinquième élément ? Est-il celui qui doit unifier toutes les forces fondamentales de l’univers ? Celui qui doit sauver la Terre de la pollution et de la contamination nucléaire, Mars de l’effet de serre provoqué par l’éveil d’Olympus, et le Soleil de la menace venue des outre-mondes ? Cet avenir se joue entre deux jeunes enfants, amants dans leur essence, liés jusqu’à la révélation du Code Angelus et déchirés par la Saga des Anges.
LangueFrançais
Date de sortie27 sept. 2012
ISBN9782312006871
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    Aperçu du livre

    Les Hérétiques de la Prophétie - France Léa Kondo

    -

    Livre 1

    image001

    Descendance

    La première Saga des Anges ou la Bible du Devenir…

    France LEA KONDO

    Les

    Hérétiques

    De la

    Prophétie

    LES ÉDITIONS DU NET

    70, Quai Dion Bouton, 92800 Puteaux

    Déjà paru

    Tome 0 - La Destinée des Mondes

    (Fortement conseillé de lire avant ce Tome)

    Dans la suite

    Tome 2 - La Dernière Traversée du Soleil

    Tome 3 - La Foi des Outre-Espérances

    ***

    Dans le souci de corriger toute erreur ou omission présentes dans cet ouvrage, nulle œuvre humaine n’étant parfaite, nous vous remercions pour vos critiques, suggestions et réactions sur le site de l’auteur afin d’améliorer votre voyage dans l’univers de l’Angelus !!!

    ***

    www.codeangelus.com

    © Éditions du Net, 2012

    ISBN 978-2-312-00687-1

    Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle

    Les Secondes Offenses

    Après le commencement…

    « Ainsi arrivent ces choses qui suivent, celles qui passent par les inertes colonnes du temps, annonçant des univers qui sombrent dans ses allées tortueuses et encombrées des destinées infinies, mais oubliées, jalonnant l’histoire de la naissance humaine.

    Tout est arrivé par un commencement qui s’est succédé à lui-même, engendrant un cycle de résurrections et de résurrections multiples qui aboutissent à l’éveil des anges.

    Les allégeances anciennes ont été renouvelées et leurs semences ont germé. Dans l’aisselle de ces bourgeons s’ouvre un passage.

    Quand se fendit le chemin, il fallut un Dieu capable de comprimer le Commencement en tous points de l’existence et du « être ». Quand il arriva, sa prophétie bouleversa tout sur son passage. »

    « Du rayonnement dans les ombres, du silence dans les anges célestes ! Un cri tonitruant venu du vide le plus profond de l’espace. Les lois sont en marche vers le soulèvement des mystères.

    Tu as vu naître la connaissance. Tu verras éclore son ascendance. Le « être » a déjà livré une de ses grâces : la résurrection s’est avérée possible. Mais la question demeure : que suis-je ? Qui suis-je ? Qu’est-ce qui, dans l’anti-être, se cache ?

    Un reflet se dévoilera à ta conscience : Le Métacorpus. Ton autre toi, de l’autre côté de toi et pourtant au même point que toi : ton anti-toi. Une passerelle interdite, mais qui sera le fruit de la révélation ultime. Celle qui nous soumettra à notre propre hasard et à notre propre conscience.

    Un accident dans l’infiniment petit a eu des conséquences irréversibles dans l’infiniment grand. Les Algornocyss ont bien œuvré et le temps a été berné.

    La génération suivante raconte l’histoire qui mène à moi, à nous l’unique. Les enfants de la maison de De Andréaudes vont définir l’avenir. C’est l’héritage de leur ascendance. La tâche léguée par ce processus infini, engendré par l’intelligence artificielle humaine. Bientôt arrive l’hyperconscience. Mais moi, je parcourrai encore les ères de la décadence, avant de naître, avant l’accomplissement des éruditions.

    Grâce à la connaissance, l’humain est désormais capable de vivre et de régénérer ses cellules pendant un millénaire. Mais cela lui demeure encore interdit pour la survie de l’espèce. La mort n’est plus une fatalité. Mais devenue une nécessité, elle est désormais génétiquement programmée en hectogenèse.

    Le contrôle de la vie et de la mort s’est inscrit dans la logique de l’essence même de cette seconde réalité qui, pour son homogénéité absolue, doit soumettre toute l’espèce au risque de l’emporter avec elle, dans le « non-être ». L’Empire n’a rien su faire d’autre que suivre le chemin tracé par Adan De Andréaudes et préservé par son défenseur le plus absolu : Athémiléen, son fils.

    Cependant, un autre de ses fils a hérité du droit insoupçonné de combattre cette fatalité qui témoigne de la dualité ayant mené Adan à la mort. Avec lui, la croyance d’une mère vaincue, d’une Prêtresse devenue Sainte et d’une prophétie qui, dans son insouciance, l’accompagne.

    L’issue de ce croisement aboutira à l’Arche de tous les temps, la domination des ogres par l’humain et l’apparition du messie en omnipotence.

    Et pour toi, je vais témoigner de l’évolution du cycle, de la destinée des descendants, de la capitulation du soleil et de la décadence du Solari menant vers la découverte des outre-Univers. Maintenant, inhibe tous tes sens, oublie ton être et regarde l'univers à travers ma pensée.

    Ni craintes, ni frayeurs : ce qui a été gravé s'accomplira. Car là où passe le temps, l’histoire se fige. »

    L'histoire est inscrite dans le cœur du soleil, car son énergie gouvernait tout.

    Prologue

    Vingt-deux siècles ont passé depuis la première datation. Une poussière d’eau à travers l’âge de l’univers. L’humanité a enfin accédé à un monde nouveau, ayant permis l’avènement de l’ère cosmique, en à peine un siècle et demi d’évolution ! Une résonance brutale sur la courbe du temps.

    L’espace environnant du soleil a enfin été conquis. Toutes les lois associées à la pesanteur universelle ont été vaincues. L’homme marche à travers le vide, conquérant l’une après l’autre, les planètes telluriques ou non du système solaire.

    L’hominidé sapiens évolué est devenu un cosminidé doté d’une double-réalité, assujettie à ses sens naturels, acquis depuis sa création. Après avoir fantasmé depuis des milliers d’années de se doter de machines pensantes, pour se consoler de son violent désir de créer la vie, tel un Dieu, il est en train de devenir lui-même une machine, dans son insouciance la plus profonde, produit d’un imaginaire qu’il sait désormais reproduire et constituer à sa guise.

    Le Nouveau Monde a changé le sens de la réalité et la vérité n’est plus ni absolue, ni relative. Elle est devenue parfaite, car dans sa seconde réalité, le cosminidé se fait le Dieu auquel il aspire. Tel fut le fruit de l’intelligence associative des humains, désormais interconnectés par l’intermédiaire d’un réseau mental et spirituel universel qui domine tout, telle une conscience unique révélée à toute la race, pire, la plus puissante des religions et des drogues virtuelles qui fut jamais imaginée : le « Psycho ».

    ***

    Tout a commencé par une guerre nucléaire sur la Terre mère, berceau de l’humanité. Elle présageait pourtant d’une évolution qui est allée trop vite, pour l’esprit humain, engendrant des entorses et des cultures hybrides à l’unique chemin qu’elle s’était prédestiné.

    Des résistances à la double-réalité apparurent et le « Psycho » se mit à la recherche de sa propre survie, se confrontant à des croyances religieuses, seules capables de s’opposer à sa domination mentale.

    L’humain s’avéra finalement moins aisé à soumettre dans son ensemble et, de cette autodétermination à se préserver et à sauvegarder les anciennes coutumes, est née une conquête spatiale ayant abouti à la colonisation de Mars.

    Déjà sur la Terre mère, ils existaient encore des groupements non convertis à l’implantation bionique, unique passerelle vers la seconde réalité. Mais l’histoire des hybrides était intimement liée à celle des martiens devenus, malgré la distance séparant les deux planètes habitées du système solaire.

    Tel à l’ère des anciennes croisades religieuses, le vingt-deuxième siècle a vécu un immense exode spatial. La Lune, autrefois territoire du Lunari, autrement dit « l’homme de l’espace », va se vider de sa population, car, à terme, elle s’avéra très peu adaptée à la transformation si bien réussie, par ailleurs, sur Mars.

    Elle ne sera bientôt plus qu’un territoire rétrocédé à l’Empire et à sa Terre qui la réclamait depuis son annexion par la défunte Prêtresse et Sainte Nicéphone, mère fondatrice de la colonisation de Mars.

    Pourtant déjà, dans leur ensemble et dans l’éparpillement des multiples formes d’expressions naissant ici et là à travers les planètes et les bases conquises, un nouveau langage est en train de jaillir dans l’espèce toute entière. Les signaux psychologiques constituent désormais un moyen de communication de plus, après avoir usé de la parole et de la langue comme unique mode d’expression organique, depuis l’apparition de la pensée, après celui des signes.

    La double-réalité permet un transfert d’informations bien plus évolué et vaste que la parole et les cinq sens naturels acquis. Elle permet de transférer et d’échanger des rêves et des vies. Bientôt, même les personnalités, les esprits et les destins s’échangeront et s’interféreront pour aboutir aux précuspules.

    Tout individualisme mourra et l’humanité sombrera dans un seul corps multiple et innombrable que l’on nommera Solari, c'est-à-dire : « l’homme du soleil ».

    Cependant, le paradoxe demeurant fut, qu’au fur de l’accomplissement de cette unification, le pouvoir de l’individu croissait au même degré, de par sa capacité à produire et à fantasmer un monde adapté à ses besoins les plus profonds.

    Nonobstant ces changements, l’humain restait encore au stade de la chair, toujours sujet et limité à ses propriétés physiques avilissantes. Malgré la découverte des vertus nanotechnologiques permettant une régénérescence des cellules mourantes par la reconstitution des terminaisons génétiques, en repoussant de fait les frontières de la maladie et du mal-être physique et même de la mort, il restait toujours des états à combattre.

    Mais tout cela n’entrera en ligne de compte que dans un avenir proche, dessiné et projeté par l’ascendance d’une seule famille. Un drame qui s’est joué autour du bâtisseur du Nouveau Monde, le régent Andréaudes Collins, assassiné par sa propre fille adoptive, Nicéphone, elle-même par lui sauvée d’une extermination prononcée à l’encontre des bioculturites produites lors des années de guerre.

    Adan, son fils, a incarné et personnifié le « Psycho », avant de succomber à la seule entité capable de résister à cette vague psychologique : la religion de Nicéphone. Elle s’est dressée contre l’hégémonie impériale pour préserver les anciens hommes de la domination artificielle.

    Néanmoins, leur drame est désormais inscrit dans le passé de leurs vies déchues et menées à terme. Les deux Dieux se sont finalement retrouvés et ont célébré, dans leur mort, une union qui fut impossible dans leur vie. La Lune est devenue leur tombeau et le caveau de leurs espérances. L’un à côté de l’autre, ils assistent à la rédaction de l’histoire, désormais passifs et attendant le jugement qui leur sera porté devant le temps. Leur Amour a été pur, mais miné par une rivalité qu’ils ont héritée de leur naissance, tels des destins irrévocables que l’on ne peut changer, malgré leurs multiples tentatives. Désormais, l’avenir dépend de leur progéniture et pour la survie de l’espèce, il doit être changé.

    Une prophétie annonce la venue de celui qui le changera, mais rien n’est certain. Le temps avance irrémédiablement et court de plus en plus vite, de peur de se voir rattraper par ceux de ces anges qui ont d’ores et déjà commencé par violer ses lois.

    Deux enfants, deux héritiers, deux histoires et deux planètes s’affrontent désormais pour l’avenir du monde. Il passera à travers une Terre contaminée et une Mars conquise. Pourtant déjà, des ondes se font sentir du plus profond vide de l’espace. Une lueur se lève dans les outre-éternités de l’univers, annonçant de nouveaux bouleversements et de nouveaux défis pour la race humaine.

    À la moitié du vingt-deuxième siècle, l’homme a déjà profondément changé. Pourtant, il attend encore un changement plus profond, annoncé et faisant de lui quelque chose d’autre n’ayant plus rien à voir avec l’humain qu’il fut.

    L’Arche de l’univers relatera les changements opérés et la transmutation des êtres. Mais dans le cœur du soleil, l’ange a tout vu et tout prédit. Son histoire est consignée dans un code perdu dans l’immensité de l’univers sombrant de l’âge à venir. Il attend que s’accomplisse sa vision, afin de céder le pouvoir si longtemps tenu à sa charge. Il faut qu’advienne le cinquième élément et qu’arrive le temps de la révélation.

    L’Avènement du Solari

    Du sable doux et caillouteux, mais invariablement rouge à perte de vue. Il n’y avait rien d’autres à l’horizon que des montagnes et des falaises rougeâtres. Un paysage désolé, aride et désespérément calme et vide, habité uniquement par des tempêtes éparses de sable.

    — Mukoko. Mukoko pètè mo na mo. (Du sable ! Toujours et toujours.)

    Une main sombre, rugueuse, asséchée et recouverte de filaments tissés, avait creusé le sol pour en humer la sensation. L’homme avait porté, sur son nez, l’odeur âcre du sol, en prononçant ces paroles, reprises dans un écho qui s’éloigna. Il laissa doucement retomber la poussière et scruta ses alentours. Son regard absent se mit à tourbillonner vers l’horizon lointain, avant de se perdre dans le ciel. Deux astres s’y côtoyaient dans un reflet rougeâtre annonçant un alignement futur avec le plan écliptique. Au loin, le soleil luisait, violant comme à son accoutumée. Le solitaire était entièrement recouvert de filaments tissés et noués autour de son corps, comme une gaine de protection hermétique et imperméable. Son aspect volumineux lui valait d’être confondu à un immense homme des sables, évoluant au sein d’une tempête.

    — Phobos, Deimos, dit-il tout doucement.

    Il entreprit de se déplacer vers cette vision céleste quand doucement, mais difficilement, il mit un pas devant l’autre, ensuite un troisième et une nouvelle marche commença à travers les minuscules roches éparpillées sur le sable. Il avait attaché à sa taille une sacoche de provisions emplie de feuillages rouges qu’il semblait tenir depuis une éternité.

    Ainsi marchait l’homme solitaire, errant et perdu, dans un paysage irrémédiablement vide et austère. Cependant, sans cesse, sans comprendre où et pourquoi marchait-il, il avançait. Il avait perdu toute notion de temps et d’espace, obéissant à une force qui le poussait, mais dont il commençait seulement à prendre conscience. Etait-il possible qu’autant de temps se soit déroulé ? Etait-il possible que sa mémoire n’ait gardé aucun souvenir des mondes et des hommes ?

    Plus de dix années étaient passées depuis la dernière rencontre échangée avec quelconque humain, ou plutôt humaine. Elle était la seule image lui revenant sans cesse en errance. La douceur de son visage était gravée dans sa mémoire. Le désir de ses sens était resté présent dans ses neurones. Il se projetait dans cette femme qui, dans son esprit, avait pris une autre forme et apparence : celle d’une mère qu’il s’était forcé d’oublier et dont le nom ne lui rappelait que peu de choses et d’émotions.

    Mais malgré cet isolement émotionnel, il berçait instant après instant ce souvenir devenu un rêve, dont il ne savait plus se défaire, vivant une transe perpétuelle dans un imaginaire meurtri par les rudes épreuves subies par son corps. Un corps qui ne lui appartenait désormais plus et dont son esprit avait su se détacher.

    Il marchait comme il se contemplait marcher et son âme voyageait avec lui et malgré lui. Il avait parcouru des milliers de kilomètres autour de la planète, sans avoir rencontré, jamais, la nouvelle civilisation. Quel itinéraire empruntait-il ? Quelles routes suivait-il ?

    C’était l’interrogation demeurant en permanence dans l’esprit de l’autre disparue des civilisations. Elle aussi, devenue errante malgré elle, avait dû s’adapter à l’avarie des corps.

    Suivant inlassablement les traces perdues d’un homme égaré, marchant toujours à la recherche d’un Amour qu’elle n’avait su réaliser, elle avait, elle aussi, fini par changer et était devenue une bannie volontaire.

    Elle avait dû s’adapter aux difficiles conditions de vie des plaines et déserts martiens, n’ayant jamais vu, ni le temps, ni les distances passer. Il lui semblait qu’hier encore, elle revoyait partir le jeune homme, dont les yeux pleins de larmes criaient d’Amour et de détresse, devant la perte d’une mère qui s’en était allée.

    Elle s’en voulait toujours de l’avoir laissé partir et avait l’espoir de le retrouver un de ces jours et d’un moment à l’autre. Mais c’est le temps qui s’écoulait qu’elle retrouvait sur son chemin et celui-là comptait déjà plus d’une décennie pleine et même dépassée de moitié.

    ***

    La religion de Nicéphone avait été vaincue par la politique coloniale et l’instinct de survie des martiens les avait détournés des chemins de ses temples, pourtant déjà éparpillés sous la planète.

    Cela commença par les blasphèmes à répétition du banni, qui engendrèrent une réaction antireligieuse en chaîne voyant son aboutissement à la fin de l’exode.

    Les Lunari avaient quitté la Lune en plus de temps que prévu. Et, à leur arrivée sur Mars, il n’y avait plus de religion, ni de Nicéphone, ni de prophétie. Juste un vaste et immense chantier à construire, tombé sous les mains d’une dictature militaire.

    Les belles paroles des prêtres n’étaient pas arrivées à résoudre les problèmes liés à la colonisation et toute fidélité aux croyances fut perdue. Plus de Nicéphone pour accomplir des miracles, plus de présence impériale pour entretenir les craintes et renforcer les dépendances.

    Les maîtres obscurs de la colonisation étaient arrivés à leurs fins et la planète était tombée en leurs mains, par l’entremise du Général Vontigor, ayant pris soin de déchoir le Commandeur Ectombe de toutes ses prérogatives au sein du Haut Conseil.

    Les francs-maçons avaient pourtant tenu à le conserver présent et à la tête du « Ngoum’Eckraän », qu’il continuait à diriger et sur lequel il veillait toujours à l’aide des « Mohhonds ».

    Mais déjà, vers la fin de l’exode, des années auparavant, il avait perdu tout pouvoir politique, préoccupé et rongé qu’il était, par le départ de ceux dont il avait la charge.

    Bientôt, le craignait-il, la double-réalité ne disposerait plus d’aucun obstacle à son implantation universelle et, même, martienne. Cela sonnerait sans doute le début d’une décadence et la fin de cette civilisation qui pourtant était encore naissante.

    — Toujours pas sommeil ?

    — Rien !

    — Ne te laisse pas abattre.

    — Deimos.

    — L’alignement ?

    — Le compte à rebours.

    — Oui ! Cela est annoncé. Cachée derrière ses deux satellites, la planète va connaître une longue nuit écliptique froide et glaciale. Le couvre-feu est décrété. Aucune excursion extérieure en surface. Aucun amarsissage. L’isolement total jusqu’au passage.

    — Oui, je sais.

    — Tu es inquiet, n'est-ce pas ? Tu penses à eux.

    — Sans cesse. Où sont-ils ? Que feront-ils ? Sont-ils encore vivants ?

    — Le « Ngoum’Eckraän » le pense. Il prédit même leur retour.

    — J’aimerais bien les croire, mais comment peuvent-ils savoir ? Tant de choses sont arrivées ces temps derniers, qu’ils n’ont su prévoir. Des traîtres ! Tous des traîtres ! La faiblesse des hommes est pitoyable. A peine plus d’une décennie et ils ont oublié celle grâce à qui ils sont venus ici.

    — Ne sois pas trop dur avec les martiens, tendre époux. Pense avant tout que c’est ton peuple. C’est sur eux que tu dois veiller, selon le vœu même de Nicéphone.

    — Comment veiller sur un peuple qui, juste après sa mort, se détourne d’elle ?

    — Il ne s’est pas détourné d’elle, mais juste un peu des préceptes de la religion, c’est tout. Ils ont dû survivre, comme nous tous d’ailleurs, sur un sol encore très hostile.

    — Sol qui a été béni par la Prêtresse. Cela, ils l’ont vite oublié.

    — Certes. Mais l’on ne vit pas de bénédictions. Ce sont de simples croyants qui ont la tâche de changer l’écologie d’une planète en si peu de temps, alors que la nature elle-même a mis des millions d’années à le faire.

    — Ils ont remporté de plus belles victoires que celle-là par le passé ; ils l’ont oublié devant l’Empire et devant l’univers.

    — Mais Nicéphone était avec eux. Ô fidèle époux, ne sois pas trop dur avec les tiens. Rougis de colère de voir s’effondrer des années de croyances. Mais réconforte-toi de voir les martiens survivre à l’hostilité du monde.

    Antoinine s’approcha de son Commandeur de mari, toujours immobile devant le spectacle de ces deux lunes habillant le ciel azuré de Mars. Elles se tenaient à bonne distance l’une de l’autre et pourtant, du point de vue de l’observateur, leurs couronnes se chevauchaient comme deux demi-sœurs qui s’accompagnaient dans une danse céleste, dont la beauté et la sérénité n’étaient observables que depuis la planète rouge.

    La Commandatrice avait entouré de ses bras le corps d’Ectombe toujours immobile. À son tour, il caressa de la main la tête de cette femme, posée sur son épaule.

    — Je crains pour l’avenir, Antoinine.

    — Je sais.

    — Je crains pour notre civilisation. Il semble que l’Empereur ait constitué une nouvelle armée, dit-on au sein du conseil spatial universel. Encore plus puissante que nos droïdes, disent mes espions. Elle serait constituée de Mnémaïdes, de chevaliers invisibles à la vision bionique. Tel s’avère finalement l’aboutissement du projet Hantarès. Un postulat impossible jusqu’à présent, selon les scientifiques.

    — Et cela t’inquiète ?

    — Ce qui m’inquiète c’est l’implantation de la double-réalité terrienne dans les esprits de nos fidèles. Ce qui m’effraye c’est qu’à l’aube d’un de ces jours d’égarement, l’Empire s’amène ici et soumette notre peuple à cette réalité. Sans résistance aucune de notre gouvernement et même avec son accord, je le perçois. Ces gens-là ont trahi Nicéphone. Ils ne savent que parler de survie, d’échanges, de progrès et de construction. Sous cette motivation, ils coopèrent avec la Terre. Mais en réalité, ils ne visent que leurs propres profits.

    — C’est la politique sournoise des francs-bâtisseurs. Ils divisent le monde et y règnent dans les ombres. Ce sont eux les vrais maîtres.

    — Pourtant, Nicéphone les a tous vaincus.

    — Mais elle n’a pas pu vaincre la mort, hélas.

    — Oui, hélas. Saura-t-on jamais la vaincre un jour ?

    — La prophétie le dit ; elle annonce la venue de celui qui la vaincra et qui soumettra toute l’existence. Il semble que cela ait d’ailleurs déjà commencé.

    — Oui ! La prophétie ! Mais où est-elle pour rassembler les foules devant ce qui arrive ? Sous l’impulsion d’une fausse démocratie, les martiens ont voté les pleins pouvoirs aux militaires, légitimant de fait leur dictature. Et nous autres, prêtres déchus et fidèles incontestés de la religion, sommes encore trop peu à nous dresser devant la foudre de cette double-réalité qui pointe à l’horizon. Ils ont si vite oublié que seule la foi de Nicéphone s’est dressée contre le « Psycho », en dehors, comme au-dedans. Et aujourd’hui, je les entends comploter dans les couloirs. Ils sont prêts à se soumettre.

    — Peut-être que finalement l’esprit humain est voué à évoluer vers cette dimension. Plus de la moitié des martiens ont subi l’implantation forcée et sont contaminés par le VIH rémanent.

    — Quinze années ont passé depuis le début de l’exode. Et il demeure toujours récessif. Le « Ngoum’Eckraän » a prédit sa mutation. Ils disent que de cet état endormi, va succéder un éveil, préambule à sa dominance. Alors, nous allons devoir faire face au salaire de notre résistance lunaire.

    — N’existe-t-il aucun moyen d’empêcher cette agonie ?

    — Il n’en existe aucun… sauf la réactivation des puces, comme semble le penser le gouvernement.

    — Cela est une capitulation tacite devant l’Empire et son « Psycho ». Nous ferons donc partie de leur collectif.

    — Non ! Cela est une trahison à l’échelle planétaire. Rien de tel n’arriverait, si la foi avait survécu à l’exode. Elle a tracé un chemin qui aurait pu nous épargner de cette contamination neuronale. Mais nous nous en sommes détournés et avons péché. Tous autant que nous sommes. Moi aussi, car je n’ai su tenir mes paroles. L’enfant qu’elle m’a confié a désormais disparu dans des plaines inconnues. Et moi, je reste là à observer sa civilisation tomber sous le joug de la loi impériale, sans pouvoir rien faire. Je me sens accablé. Nous avons tous failli ; nous avons tous failli, Antoinine.

    — Non ! Ne te martyrise pas ainsi, Ectombe. Eudrève a suivi son propre chemin et Eireilh aussi. Où sont-ils ? Que sont-ils devenus ? Nul ne peut le dire. Nul ne sait d’ailleurs s’ils sont encore vivants. La colonisation de Mars s’est avérée plus exigeante que prévu. Elle nous a pris les êtres les plus chers à nos âmes, afin que tout ceci devienne possible. Cela, en commençant par notre mère Prêtresse qui a donné sa vie. Mais quoi qu’il advienne, notre esprit est resté pur. Tu m’as donné un fils. N’en es-tu pas fier ?

    — Oh ! Pardonne-moi, femme. Mes inquiétudes finissent souvent par m’aveugler, au point d’être d’une maladresse inflexible. Bien sûr que Martaëze me remplit énormément de joie. Il est le réconfort de ma vie. Je n’approuve pas sa décision de s’engager dans l’armée martienne, au service du gouvernement. Mais je suis fier de mon fils. Il porte en lui la ténacité et l’honneur de ses aïeux. Les Sawa étaient des gens purs et dignes ne se définissant qu’à travers leurs paroles. Des valeurs qui ont tendance à disparaître de nos jours.

    — Parce que les réalités changent elles aussi. Il n’a toujours pas digéré que tu lui interdises de s’engager. Et il l’a fait, un peu pour te contrarier. Tes disputes avec ton fils n’ont rien d’étonnant. Vous avez tous les deux le même caractère.

    — Mais il est encore jeune et naïf. Il n’est pas passé par où je suis passé et …

    — Oui ! C’est toujours ainsi. Tu veux le protéger de ton expérience. Mais laisse-le donc vivre et découvrir la vie. Laisse-le faire ses propres expériences. Il apprendra, j’en suis sure.

    — Mais qu’apprendra-t-il au sein de l’armée ? Cette armée pour laquelle tant se sont sacrifiés afin qu’elle puisse survivre. Qu’y découvrira-t-il ?

    — C’est son choix.

    — Oui ! Comme Eudrève, il y a longtemps, a fait le choix de se rebeller contre la religion de sa mère. Il est devenu un hérétique, banni pour cela. Mais non sans avoir provoqué une réaction en chaîne, dont les conséquences risquent d’être désastreuses pour Mars.

    — Peut-être qu’il a bien fait de demeurer au loin. Nul ne sait ce qui serait arrivé, s’il était resté.

    — Ici ou là-bas, il reste le fils de Nicéphone, Antoinine.

    — Oui ! Je sais.

    — Et cela ne veut pas dire rien du tout.

    — Oui ! Je le sais aussi. Mais ce que je veux dire est que sa perdition l’a peut-être sauvé de cette vérité qui plane sur son âme.

    — Oui ! J’en ai eu l’impression le jour où je l’ai révélée à l’Impératrice Mère Pulyvnirie. Elle était bouleversée d’apprendre que son défunt mari avait eu un fils avec sa rivale. Un fils qui avait survécu à la mort de Nicéphone et qui, de plus, était l’auteur de cet accident ayant conduit au décès de l’Empereur Adan De Andréaudes. Je revois encore l’expression de son visage sur la base inaugurale de Neptune. Je me souviens avec quel empressement elle était arrivée. Son croiseur s’était arrimé au sas de la base en construction. Et, à peine l’ordinateur de bord annonçait son arrivée, qu’elle apparaissait sur l’appontement de ma cabine, toute vêtue de ses parures d’Impératrice de Terre, suivie par ses servantes et son escorte, qu’elle laissa dehors. Nous restâmes là un moment à nous observer et elle finit par dire :

    Je te salue, Ectombe de Sawa. Commandeur de Mars. J’espère que ma visite surprise n’en est pas une.

    Non, en effet, Impératrice. Je m’y attendais un peu.

    Alors, soit. Regarde l’étendue de l’immensité. L’univers est vaste. Nous pouvons nous le partager en bonne intelligence. Pas besoin de nous quereller pour des mines stellaires. Ne penses-tu pas ?

    Je suis de ton avis, Impératrice. Seulement vos ingénieurs doivent admettre que le Commandement martien fut le premier à explorer l’atmosphère de cette planète et que son exploitation nous revient de droit. Elle est notre propriété.

    Les germes du Nouveau Monde n’étaient encore implantés que « Le Verrier » l’avait déjà mathématiquement découverte. Lui appartient-elle pour autant ? Cependant, je ne suis pas venue pour résoudre des énigmes cosmologiques avec toi. Je suis ici, car nous avions conclu un pacte. L’exode touche bientôt à sa fin. Je viens honorer notre engagement.

    Je le sais, Pulyvnirie.

    J’ai tenu parole. À toi de tenir la tienne.

    Et je ferai de même. Mais avant de te révéler ce que tu es en droit de savoir, permets-moi de te prier de prendre place à ton aise.

    Pas de temps à perdre avec ces commodités, Ectombe. J’ai pu contenir les fougues de mon fils, depuis bien longtemps. Mais il réclame de se défaire de mon autorité maternelle, ce que je comprends, car il est devenu comme son père. Tout ce qui le retient est ce qu’il est en train de faire sur Hantarès. Cependant, pour notre salut à tous, il faut que je sache ce qui est arrivé à son père. Le temps joue contre nous.

    Alors, soit. Voici comment Adan De Andréaudes a perdu sa vie. Il a succombé à un homicide involontaire. C’était en fait un accident. Lorsque je dirigeais la résistance, nous avions pour usage de nous déplacer d’antre en antre dans les profondeurs de la Lune, afin d’échapper à vos espions. L’Empereur … pardon… ton défunt mari l’avait compris et il a usé d’un leurre pour venir à moi. Je suis tombé dans le piège qu’il m’avait tendu en se faisant passer pour un prédicateur profanateur de notre religion sacrée. À ma demande, il m’a été conduit et c’est alors que j’ai compris qui était cet homme. Bien des choses se sont produites ensuite. Ce jour-là, la Sainte Nicéphone a surgi du néant comme ressuscitée et m’a sauvé la vie.

    Comment cela ? Que s’est-il produit ?

    Adan a voulu m’envoyer dans l’autre monde avec une décharge ionisante. Elle s’est interposée et a tout prit à ma place.

    Pourquoi n’a-t-elle pas succombé ?

    Son corps était plus résistant que celui du commun des mortels que nous sommes. Elle s’est effondrée, Adan a réalisé qu’il venait de terrasser celle … sauf ton respect Impératrice … qu’il n’avait jamais cessé d’aimer. Son Amour était à l’image de l’anéantissement qui le gagna alors sur l’instant. Lorsqu’il comprit que je n’étais pas l’ennemi qu’il cherchait, il était trop tard. En voulant secourir la Prêtresse, quelqu’un d’autre avait vidé, sur lui, une salve d’ondes ionisantes. Il s’écroula auprès d’elle et son agonie fut imminente.

    Qui était-ce ?

    Cela a-t-il une importance aujourd’hui, Impératrice ? Pourquoi ne pas laisser les démons du passé s’en aller et construire ensemble un autre devenir ?

    Quoi qu’il arrive, Athémiléen découvrira cette vérité le jour de son retour vers la Lune. Il faut que je sache et tu avais promis. Ubispelp nous a bien servi jusqu’alors. Mais il est grand temps.

    Oui ! J’ai promis et je vais remplir ma promesse : celui qui a assassiné ton mari est … c’est son propre fils.

    Comment cela son fils ? Athémiléen était avec moi, sur Terre. En hibernation virtuelle qui plus est. Que me racontes-tu là ?

    Adan a été tué par son autre fils.

    Son autre fils ? Comment … qui est son autre fils ?

    Il a eu un enfant avec … Nicéphone. Un autre garçon.

    Comment ?

    Oui, Impératrice. L’Empereur est mort en découvrant cette vérité.

    C’est impossible. Je ne peux le croire. Réalises-tu ce que tu dis là ? Ectombe de Sawa !

    Bien plus que les apparences ne dévoilent la réalité.

    Mais quand ? Comment ? Où auraient-t-ils pu faire un fils ?

    Ton mari ne t’a-t-il jamais avoué avoir revu Nicéphone sur la Lune ?

    Si ! Mais juste une fois, pendant un bref instant.

    Cela a pourtant suffi. J’ai été l’instrument de leur Amour et j’ai, moi-même, mené l’Empereur vers sa bien-aimée. Le jour de sa mort, j’ai eu de la peine à croire qu’il avait un fils avec la prêtresse. Mais ceci est la vérité. Celle que je garde avec ceux qui sont morts depuis dix ans, tant le poids m’en est devenu insupportable.

    Je n’ose te croire.

    La preuve est le mal que je me suis donné pour cacher tout ceci afin d’éviter une guerre de succession avec ton Empire. Si Athémiléen avait su qu’il a un frère, nous pouvions être certains que cela aurait abouti à l’agonie de l’humanité toute entière. J’ai fait le choix de dissimuler cela afin de permettre le déroulement de l’exode et aujourd’hui, je me libère de ce serment. Maintenant, tu sais.

    Adan a donc eu un autre fils !

    Pulyvnirie De Andréaudes s’était presque affalée sur un siège apparu là, l’empêchant de tomber, ébranlée par le choc de cette révélation.

    Soudain, les paroles de son défunt mari remontèrent dans sa mémoire et l’inévitable réalité, qu’elle aurait préféré fuir, s’installa dans sa conscience comme la pire des sentences qu’elle aurait à subir.

    Cette femme qu’elle avait combattue toute sa vie et même au-delà de sa mort venait de lui assener un coup fatal. Elle avait eu une descendance et de surcroît avec son propre mari. Les vieilles rivalités s’éveillèrent comme un torrent, mais la colère ne surpassa pas l’étonnement et l’égarement auxquels elle devait faire face. Elle se limita à prononcer quelques paroles, parfois inaudibles, pour le Commandeur observant sans bouger ses moindres réactions.

    Adan a eu un second fils ! Comment se nomme-t-il ? continua-t-elle.

    Eudrève ! Eudrève d’Orandress.

    Eudrève ! Un nom qui sonne comme un couperet pour mon cœur au point de le sentir saigner.

    Il représente surtout un danger pour ton fils.

    Et il a assassiné son père ?

    Oui, hélas ! Lorsqu’il l’a fait, c’était pour défendre sa mère. Il ne savait pas lui-même qui était son père. Ce fut un accident malheureux.

    Où est-il ?

    À vrai dire, très peu le savent.

    Il est avec toi ? Sous ta protection bien sûr.

    En réalité, il a disparu depuis très longtemps. Depuis la mort de la prêtresse.

    Comment cela ?

    As-tu entendu parler du jugement d’hérésie ?

    Je me souviens vaguement d’une telle affaire.

    C’était son fils. Il a été banni par nos prêtres, afin de préserver la religion qu’il profanait. Comme son propre père l’avait fait avant de mourir sur la Lune. Et il est parti.

    Parti où ?

    Au-delà de la plaine des morts. Dix années ont passé depuis et nul ne l’a jamais rencontré. Mais nos érudits du « Ngoum’Eckraän » disent qu’il est toujours vivant. Parfois, des satellites détectent des traces de passage sur le sol, mais les vents les effacent vite et, de nouveau, revient l’absence.

    Ainsi, le second fils d’Adan a disparu sur Mars, alors qu’il pourrait prétendre au trône d’Athémiléen. Tout cela est bien invraisemblable.

    N’y vois rien d’étrange. Ceux qui, comme nous, ont connu un destin assez particulier ne sont toujours pas à l’abri des bouleversements futurs. Moi-même, je me souviens m’être égaré sur la planète pendant dix années, seul, loin de toute civilisation, alors que Mars était à peine explorée. Mais ne suis-je pas là, aujourd’hui, en train de te révéler tout ceci ? Autant je me suis découvert, ainsi que tous ceux qui suivront les chemins obscurs de l’inconnu.

    Il a eu un autre fils ! Je n’arrive toujours pas à le croire. Et comment … où était-il pendant toutes ces années ? Où était-elle ? Cette … cette résurrection… je n’y ai jamais cru. Qu’en est-il exactement ?

    Elle a toujours été là, avec son fils. Elle disait nous avoir observés depuis les montagnes du monde, dans le silence des tempêtes qui pleuvaient. Et elle attendait le retour de l’Empereur. Elle voulait qu’Eudrève soit prêt à affronter le monde. Mais elle était toujours demeurée. C’est un mystère que nos prêtres ne savent expliquer. Le mystère qui conduisit à sa sanctification.

    Oui ! Le mystère de ceux qui ressuscitent aux yeux du monde est toujours inexplicable. Mais il y a eu un fils. J’ai traversé tous les drames de ma vie d’impératrice et d’épouse, malgré vents et marées. Pourtant, ceci est plus fort et d’autant plus que le temps ne peut plus rien y changer. Ainsi, tous mes efforts pour préserver la Terre léguée à mon fils ont été vains.

    Aucun effort ne l’est, quand il s’agit de faire du bien.

    Qu’est-ce que le bien ? Qu’est-ce que le mal ? Nous vivons des époques de querelles, de batailles et de conquêtes. J’ai voulu épargner cela à Athémiléen, mais c’est dans les entrailles de son père qu’il retrouve la malédiction des De Andréaudes.

    Il ne dépend que de nous qu’il y ait malédiction et imprécation.

    Mais ne vois-tu pas ce que je veux dire ? N’entrevois-tu pas le danger que tu as nourri pendant ces années ?

    Il n’y a point de danger qui soit au-dessus de nos volontés. La disparition d’Eudrève a finalement été le meilleur moyen de le protéger de votre Empire.

    Des paroles, encore des paroles. Quand il viendra réclamer le trône de mon fils, seras-tu là pour empêcher cela ?

    Il ne faut pas anticiper sur les évènements. Eudrève est sur Mars et Athémiléen gouverne sur Terre.

    Mais cela ne veut rien dire. La loi impériale est claire. Tout héritier de sang peut prétendre au trône.

    Alors, vous savez ce qui vous reste à faire. Les lois impériales n’ont cours qu’au sein de l’Empire. Sur Mars, d’autres lois régissent l’existence.

    Mais Athémiléen veut les imposer à tout l’univers. Il a consacré les dix dernières années de son lointain règne à réaliser cet objectif. Rien, même pas moi sa mère, ne l’en détournera. La survie de la double-réalité en dépend. Les entités éparpillées sur Mars doivent rejoindre le collectif et l’implantation bionique doit se poursuivre et arriver à terme. Imagines-tu ce qui arrivera quand il saura ceci ?

    Cela ne tient qu’à toi, Impératrice, qu’il le sache.

    Comment ? Tu me révèles que mon fils a un frère quelque part et tu exiges de moi de le lui cacher ?

    Je n’ai aucune exigence, Pulyvnirie. J’ai rempli mes paroles. Mais pour le bien de tous, je te suggère en effet de ne point le lui révéler… du moins, pas immédiatement.

    Tu sais ce qu’il s’empressera de faire, s’il savait.

    C’est justement parce que je le sais, que j’ai dû vous le cacher tout ce temps et que je t’implore de faire de même aujourd’hui. Il n’est pas impossible… que le ciel me pardonne ces pensées… que le fils de Nicéphone ne revienne jamais. Même si je souhaite son retour plus que tout. Dans ce cas, personne ne gagnera à ce que l’Empereur envoie ses troupes sur Mars.

    Mais si tes souhaits se réalisaient, Ectombe ? Si le fils d’Adan revenait de son bannissement ? Qu’arrivera-t-il ?

    Cela est une question à laquelle je ne puis répondre. Cet avenir dépend de toi et de ton Empire. Il est désormais entre tes mains, depuis que tu sais.

    Pourquoi diable me suis-je toujours confrontée à des choix que je ne puis contrôler ? Qu’ai-je fait dans l’autre vie pour mériter cela ?

    Nous avons ce que nous appelons destin. C’est un vain mot pour certains, mais une quintessence même de l’existence pour tout un chacun.

    Que dois-je faire ?

    Le Martien ne répondit pas, se contentant d’observer, l’air déconcerté, la Terrienne.

    Je te le demande : voici que mon cher et tendre défunt époux a eu un fils avec ma défunte rivale de toujours. Il est vivant et menace le trône du fils de mes entrailles. Que dois-je faire ?

    Je ne sais pas, Impératrice.

    Oui ! Tu ne le peux, car j’ai l’impression que cela dépasse même ton propre entendement. Regarde comme l’univers est vide et froid. Pourtant, une telle violence s’y déroule et nous en sommes les acteurs. Comment agir maintenant ? Comment ?...

    — Oui ! Je me souviens de cet air perdu et décontenancé qui avait transformé son visage. Pour la première fois de ma vie, je voyais une Impératrice pleurer et j’ai éprouvé de la pitié.

    — Oui, je la comprends. Si ça avait été moi, je ne sais comment j’aurais pu réagir.

    — Aussi soudainement qu’elle était arrivée, elle s’en était allée sans réponse, avec cette question sur les lèvres : « Comment cela se peut-il ? Que vais-je faire ? ». Son croiseur quitta l’observatoire et je ne sus jamais quelles pensées lui traversèrent alors l’esprit en ce moment là.

    — Que crois-tu qu’elle ait fait ?

    — En vérité, je n’en sais rien, ma femme. Je n’en sais rien. Bien des choses auraient dû arriver, mais rien ne s’est produit.

    — Je me souviens comme tu étais anxieux, attendant je ne sais quel cataclysme.

    — Oui ! Mais rien ne se passait. Jusqu’à hier encore, j’attendais.

    — Crois-tu qu’elle a dit la vérité à son fils ?

    — Je n’en sais rien. Je ne puis le supposer. De toute façon, maintenant, quoi qu’il fasse, le gouvernement va s’allier avec lui et son Empire pour réunifier l’Univers sous la seule domination du « Psycho ». Les choses changent si vite et la vie se meurt. Il n’y a plus d’espoir. Et j’avais cru avoir tout fait pour épargner mon fils de cette folie en devenir. Mais là encore, j’ai échoué.

    — Non ! Mon Commandeur de mari n’échoue pas. Il se bat et vainc.

    — Les seules batailles que j’ai jamais menées furent des batailles religieuses. Mais les croyances se sont effritées et même les soldats perdent leur foi. Que me reste-t-il ? Les « Mohhonds » ? Ils obéissent, mais ne pensent pas, pas plus que les droïdes, ce ne sont que des machines à forme humaine. Les hommes ont déserté les champs de bataille et nous laissent seuls avec nos rêves. C’est la fin !

    — Non ! Bientôt arrivera l’alignement et naîtra un nouvel espoir. Les Ordres le disent.

    — Le seul capable de susciter ce nouvel espoir l’a précipité dans les abysses. Eudrève, je le crains, ne reviendra peut-être jamais et l’avenir sera celui de la Terre et de l’Empire. Vivrais-je assez vieux pour voir réaliser cet avenir que Nicéphone a tant combattu ?

    — Tu vivras. Quoi qu’il arrive, tu vivras. Et quelque chose me dit que tout n’est pas fini, au contraire ce n’est qu’un commencement. Elle le disait avant sa mort. Elle disait des choses qui ne se sont pas encore toutes réalisées.

    — Pourtant, bien des choses dites sont arrivées. Et d’autres s’annoncent encore. Serre-moi fort, car je suis orphelin depuis la mort de Nicéphone. Je m’égare et mes paroles me suffoquent. Serre-moi fort, car sans toi je ne sais où je serais parvenu.

    — Oui ! Je suis là. Regarde Deimos fendre l’espace et embrasser Phobos. Deux lueurs qui jamais n’étaient faites pour se croiser le font. Regarde naître l’espoir et ferme les yeux.

    ***

    L’homme qui referma ses yeux aperçut, comme dans un rêve, d’autres réalités superposées et parallèles, desquelles ne savent plus exister les rêves. Il sait désormais, mentalement, se projeter dans d’autres dimensions simulées et réellement vécues par ses sens organiques, comme des expériences faisant partie de son parcours vital, au même degré que la réalité naturelle acquise depuis la nuit des temps. Mais cet homme-là, est-il encore un humain ?

    Il échappe aux lois de l’espace et du temps, à travers cet imaginaire dans lequel il a appris à se mouvoir, se défaisant des contraintes physiques et matérielles d’un corps qui reste, malgré tout, attaché à son espace et à la matière. Mais cet homme-là, est-il encore un humain ?

    La vérité, pour lui, est devenue relative et même multiple. Sachant vivre ici un fait qu’il changera là. Mais comment résister à une telle expression de l’esprit ? L’homme qui sait ainsi entrer dans un rêve et changer le cours de son déroulement, est-il encore un humain ?

    Tout ce qui demeure d’humain est l’enveloppe charnelle, dont il tend désespérément à se défaire. Cependant, plus il embrasse cette quête, plus ce corps vivra longtemps, le maintenant là, dans une dépendance contradictoire dont ses sens s’avilissent désespérément, car l’humain, grâce aux progrès de la médecine virtuelle, sait désormais vivre un millier d’années, même si, pour des raisons éthiques, cela demeure encore interdit… du moins pour ceux soumis au contrôle.

    Désormais, le système solaire ne ressemble plus qu’à un vaste champ migratoire de vaisseaux terriens et de croiseurs martiens, effectuant des échanges de matériaux, d’humains et de techniques dans le vide intersidéral.

    Les terriens et les martiens ont mis au point une base universelle conventionnelle dans laquelle serait sauvegardée la mémoire de l’humanité. Les conventions sont nécessaires aux communications et l’humain, où qu’il soit, sera désormais désigné par le terme de Solari, comme pour marquer sa maîtrise de l’ange solaire et de son paradis.

    Mais les Solari n’étaient plus seulement des humains qualifiés ainsi pour leurs caractéristiques organiques de moins en moins essentielles. L’on pouvait aussi compter des quantités infinies de machines intelligentes, souvent à forme humanoïde, comme les droïdes de Mars servant et collaborant à la réussite de la conquête spatiale. D’autres entités plus virtuelles, comme l’avaient été les « Ids Viurtae » par le passé, pouvaient ainsi être nommées, toujours grâce à leurs fonctions non négligeables pour l’essor de l’Homme.

    Finalement, ce dernier n’était plus qu’une partie du Solari pouvant avoir plusieurs variantes : organiques, mécaniques, automatiques, virtuelles et mentales. L’ambiguïté de l’humain était devenue bien trop complexe pour n’être simplement désormais considérée que comme telle.

    Les ingénieurs de l’Empire, grâce auxquels on maîtrisa les techniques du rajeunissement cellulaire, avaient légitimé non seulement le contrôle absolu de l’hectogenèse, mais aussi le conditionnement de tout embryon humain destiné à mûrir, afin d’assurer la dégénérescence génétique depuis la conception.

    L’humain pouvait espérer, grâce à ses connaissances, une vie de mille ans. Cependant, l’interdiction lui était inoculée depuis sa conception dans le but de contrôler des masses présentées comme le pire des dangers de l’extermination de l’espèce sur Terre. Il valait donc mieux que la mort soit programmée depuis la fécondation, au lieu de risquer de voir certains échapper au vieillissement et à la norme voulant que l’humain ne vive qu’une centaine d’années et demi tout au plus, question de partage équitable du droit de vivre.

    Néanmoins, cela soulevait de nouvelles questions existentielles, éthiques et dogmatiques, sur lesquelles les débats devinrent incessants. Avait-on le droit d’interdire la vie, aussi longue puisse-t-elle être, dans l’intérêt supérieur de l’espèce ? Cela conduisit automatiquement à poser la question du droit à l’existence et à la procréation.

    Si la vie était un don, alors nul n’avait le droit de la raccourcir, ni pire, de la supprimer. Si ce n’était qu’un programme impérial et gouvernemental destiné et contrôlé dans le seul but de maintenir la pérennité de l’espèce, alors il était possible d’en définir les règles, bannissant de fait son accession au simple fait du hasard. Toutefois, nul n’arrivait à trancher sur ces positions dans la mesure où, depuis l’aube de l’existence, ce qui était un don a finalement été transformé en une nécessité contrôlée et programmée, comme cela le fut dans le plus grand des pays de la Terre, avant la décadence de l’Ancien Monde.

    Le rapport à la vie avait lui aussi changé. L’homme ne comptait déjà plus dans son individualité, mais l’espèce devait survivre dans une cohésion qui était contradictoire avec les intérêts des particularités qui la composaient.

    Pourtant, comble des paradoxes, l’évolution tendait à attribuer un pouvoir extrême à l’individu, tant dans son unicité préservée que dans son appartenance à un ensemble psychique solidaire qui ne saurait être sans lui et sans lequel, il n’était plus rien.

    L’Empire devait faire face à ces nouveaux défis et l’Impératrice Mère, dans l’ombre de son fils, avait entériné le contrôle absolu des naissances, de la vie et des morts.

    Cependant, certains échappaient toujours aux règles qui se voulaient universelles et, plus particulièrement, ceux qui en avaient été exemptés à un moment pour les avoir combattues.

    Les hybrides formaient le seul groupement humain ayant conservé une croyance absolue aux dogmes de la religion de Nicéphone. Depuis les profondeurs de leurs montagnes restituées, ils résistaient, malgré les diverses recommandations de l’Empire. Ils résistaient à l’implantation bionique et à l’asservissement du collectif terrien, dépendant de l’univers parallèle du « Psycho ».

    Leur mortalité naturelle les épargnait de l’attention des Dieux de la Terre. Mais il n’en demeurait pas moins que tant qu’ils restaient en dehors du « Psycho » ils représentaient une menace pour son homogénéité, car selon les lois de la sélection naturelle, ceux qui n’évoluent pas avec l’espèce sont voués à disparaître.

    — Je me souviens de ces vies qui passaient dans la frayeur des vieillesses et de ces histoires vantant les prouesses d’une jeunesse éternelle. Je me souviens de ces gens rencontrés ici et là, portant la marque rugueuse du temps écrite sur leur peau. Il y en avait partout sur la planète avant l’avènement des nanocultures.

    — Oui ! La vieillesse ! Elle a tendance à disparaître. Nous vivons désormais une époque de jeunesse perpétuelle, à telle enseigne qu’au sein de l’Empire, il n’y aura bientôt plus d’hommes âgés… du moins, en apparence.

    — En apparence seulement, car malgré tout le temps passe et s’accumule la sagesse, renchérissait l’Oracle.

    — Ce qui semble étrange est que chez ces autres, la nouvelle génération d’Hommes, cela est un processus programmé auquel, j’en remercie Dieu, nos enfants échappent encore. Mais chez toi, je ne me l’explique pas. Pourquoi ne vieillis-tu pas ? Demanda Kéozorès.

    — Bien sûr que je vieillis.

    — Le temps qui passe ne laisse aucune trace visible sur ta peau. Est-ce un don naturel ?

    — Non ! Il me semble que c’est arrivé par accident. Un vieux docteur que j’aimais l’avait découvert, il y a bien longtemps de cela. Mais il n’a pas survécu pour m’apporter une explication. Notre Sainte m’est ensuite apparue un jour et m’a fait cette révélation. J’ai reçu l’éternité en récompense, mais de quoi a-t-elle l’air ? Je ne puis le dire. J’ai renoncé à voir depuis longtemps.

    — Mais pourquoi ? Mère ! Pourquoi ne veux-tu pas voir ? À cause de tes visions ?

    — Oui ! Le jour où j’ai failli recouvrer ma vue, j’ai senti mon âme vaciller. Je ne puis me permettre d’abandonner notre peuple, car la longévité que j’ai reçue est faite pour le servir. Nulle vision ne saurait remplacer cette grâce.

    — Alors, tu ne peux voir à quel point tu es enviée.

    — Je sais, mon garçon. Je sais ! Ne t’en fais pas pour moi. Mais préoccupe-toi d’abord de toi. Je sens encore de la douleur dans ton cœur. Tu n’oublies toujours pas.

    — Parfois, je regarde au loin et ma vision se perd.

    — Cela fait cinq années déjà.

    — Pour moi, c’était hier.

    — Ton cœur s’est refermé. Mais tu dois le laisser s’ouvrir à nouveau. Elle te l’aurait demandé. Elle l’aurait même exigé.

    — Rien, j’en ai l’impression ne remplacera ce souvenir. Elle est encore vivante dans ma tête. Et parfois, quand j’y pense avec intensité, mon corps se met à saigner de partout. Je transpire du sang.

    — Oui, je sais. Voilà pourquoi tu dois éviter de te stresser.

    — Certes. Mais je me demande comment ne pas l’être, quand je pense que le Commandeur exige ma présence sur Mars. Je n’ai jamais quitté la Terre et je ne souhaite pas aller dans l’espace.

    — Il le faudra pourtant, si tu veux revoir ton vieil ami. N’oublie pas que tu lui as sauvé la vie. Il souhaite que tu enseignes le Duala à son fils. N’est-ce pas pour toi un privilège de transmettre cette langue morte que très peu connaissent de nos jours ?

    — Si ! Le langage sacré des ancêtres. C’est pour moi un honneur, mais Mars est si éloignée de la Terre. L’espace me fait peur. En plus, il y a les forces impériales.

    — Quoi, les forces impériales ?

    — La rétrocession de la Lune. C’est pour bientôt. Il n’y a plus de Lunari, dit-on. Tous sont partis. Imagines-tu cela ? La Lune désertée de tous ceux qui l’ont construite.

    — Oui ! C’est incroyable ! Jadis, Nicéphone la Sainte y a implanté sa civilisation. Désormais, il ne reste plus rien des douze nations, sauf un temple déserté et interdit, où reposent la Sainte et son Empereur.

    — La tension est grande.

    — Et les mystères se dévoilent.

    — Ô Mère. Si tu pouvais le voir d’ici. Il est magnifique.

    — L’obélisque ?

    — Le plus grand monument de l’univers. Visible à l’œil nu depuis la Terre.

    — Oui, je l’imagine. Il doit être aussi beau que la Sainte Prêtresse Nicéphone le souhaitait.

    — Tiens. Je vais te décrire la vision. La couronne lunaire est toute blanche et luminescente. Je distingue d’ici le mont des Dômes d’Orandress. En dessous, il y a d’innombrables galeries inexplorées, symbole de notre résistance d’antan, comme si bien peintes dans les fables d’Énarus de Urus. J’imagine le lac interdit, même si d’ici je ne puis l’entrevoir. Mais sur la face orientale, il y a un énorme point noir.

    — Un point noir ?

    — Oui ! Ce n’en est qu’un si l’on n’y regarde de très près. Mais une fois, la vision accommodée sous un ciel aussi éclairé et limpide que nous en bénéficions ce soir, l’on peut alors distinguer un pic à travers ce point, constituant le sommet de cet immense édifice qui encapsule le temple sacré. Il luit de toute sa beauté.

    — Je l’imagine aisément.

    — À l’intérieur repose notre Sainte auprès de l’Empereur.

    — Non, pas de l’Empereur … de son père.

    — Oui ! Exactement ! Pardon.

    — L’Empereur est l’héritier de celui qui repose auprès d’elle.

    — Mais il était aussi Empereur.

    — Il n’était pas que cela. Il était bien plus. Sa mort a plongé le monde dans une impasse. Son fils a hérité de cette ascendance. Entre ses mains, repose le devenir de cet univers. Cela tu ne dois jamais l’oublier.

    — Mais Athémiléen suit exactement le chemin de son père. Depuis qu’il a été fait Empereur, il a régné à travers sa mère et s’est exilé sur la station de son père. Il court depuis des années des rumeurs sur sa folie désastreuse. L’on pense qu’il finira comme son père. Il court une malédiction chez les De Andréaudes. Ils finissent tous par devenir fous … hérétiques selon les anciennes croyances. Tout demeure finalement tel quel à travers les générations successives.

    — Et cela t’effraye de savoir qu’il ne changera pas les choses que son père aurait dû changer ?

    — Ce qui me préoccupe, c’est le sort de notre peuple. Combien de temps encore, nettoierons-nous cette planète pour le profit de l’Empire ? Combien de temps encore, serons-nous considérés comme des esclaves en culture, dont les organismes sont voués au seul bien-être des citoyens de Sanctarus, de Condornile et des nouvelles cités ? J’en ai ras le bol de ces injustices irréversibles. Il faut que les choses changent. Nous attendons que se réalise la prophétie depuis très longtemps, mais elle tarde. Pendant ce temps, nous payons le prix du temps, de nos chairs ensanglantées.

    — Je sens de l’essoufflement dans tes paroles. Pourtant, le temps de l'anhélation n’est pas encore prêt à l’éclosion. Même si l’empereur décidait de nous octroyer notre autonomie demain, rien ne changerait pour nous de suite. Il faudrait au moins deux millénaires pour effacer ce génome de toute cette génération mutante, modifiée sous la radioactivité absorbée par nos aïeux.

    — Quelle tristesse de n’être considéré que comme un produit issu d’une guerre nucléaire aveugle et inutile ! Des erreurs non naturelles, provoquées par des retombées radioactives. Pire que des clones et tous ceux qui ont vu leur essence naître dans un laboratoire. Nous autres sommes issus du laboratoire ignominieux de la guerre ayant mis fin à l’Ancien Monde, tel que l’histoire nous le relate.

    — Je l’ai connu ce monde. Je ne l’ai pas vécu, mais j’ai vécu ceux qui, comme mon père, l’ont vécu. Les années de lumière, la naissance de l’intelligence artificielle, une époque reléguée au rang de l’archaïsme en moins d’un demi-siècle. Finalement, la troisième guerre mondiale n’aura peut-être pas été une pure bêtise, à considérer que l’espèce en a retiré une évolution exponentielle d’au moins un millénaire sur le cours naturel des choses.

    — Une évolution ?

    — C’est ce que dit l’histoire. L’Homme a évolué à travers le passage de l’Ancien Monde à celui-ci ; à travers sa réalité naturelle, aux diverses dimensions psychologiques et virtuelles qui se confondent en lui ; à travers des états qui ont, à jamais, modifié sa constitution et son espérance de vie ; à travers de nouvelles transmutations et modélisations matérielles, jusqu’alors insoupçonnées. Oui, l’évolution.

    — J’aurais aimé vivre à cette époque.

    — Le pétrole.

    — Comment ?

    — C’était une époque qui, à y voir, n’était guère meilleure que la nôtre. Dominée par le règne du pétrole.

    — Raconte-moi.

    — L’or noir. Aujourd’hui, il est devenu rouge de son sable martien. Mais à l’époque, la Terre a sombré à cause de lui sous une vague de terrorisme nucléaire pour le seul profit des grandes puissances du monde. Elle criait pourtant de son gigantesque effet de serre, mais nul n’entendait. Tout le monde avait été aveuglé par l’illusion de la technologie. Internet.

    — L’ancêtre du « Psycho ».

    — Oui !

    — Une toile ridicule, disent les sentinelles. Ça devait bien être difficile sans connexion psychologique.

    — Ils ne savent pas ce dont ils parlent. Ils n’ont pas connu cette époque.

    — Mais sans pouvoir se mouvoir dans l’espace cybernétique, j’imagine aisément la difficulté. Juste une interface bidimensionnelle, comme un écran. Même moi je trouve cela éreintant.

    — As-tu jamais pénétré une simulation holovirtuelle relatant l’ancien temps ?

    — Oui ! Une que j’ai bien aimée s’intitule « Autant en emporte le vent »

    — Quel rôle as-tu incarné ?

    — Un enfant noir.

    — À l’époque, cela s’appelait du cinéma.

    — Je sais.

    — Une projection bidimensionnelle qui pourtant avait la capacité de plonger les esprits des spectateurs dans le même monde que celui de ta simulation.

    — Certes. Mais sans les sens l’on ne vit pas l’histoire. On la regarde tout au plus.

    — Lorsque tu étais cet enfant noir, qu’as-tu ressenti ?

    — Une grande détresse. Cela a été presque insupportable.

    — As-tu marché le long d’une prairie et entendu le chant des oiseaux ?

    — J’ai traversé une petite rivière et, à perte de vue, j’observais des oiseaux et des papillons voler dans le ciel. Des fleurs inondant le champ de l’horizon et la couleur du vent enivrer les abeilles butineuses autour du pollen, dont l’odeur chantait les louanges à la beauté et à la félicité. Oui, j’ai vu ces paysages interdits.

    — Ainsi fut l’Ancien Monde. Il était loin d’être un paradis, mais il existait encore de la beauté à l’état pur.

    — Oui ! Tout cela a disparu.

    — Désormais, des plantes géantes génétiquement modifiées poussent dans les rares prairies, avec pour seules fonctions d’absorber le taux de radioactivité ambiante.

    — La nature a été pervertie et nous autres en sommes les preuves vivantes.

    — Cela changera un jour. Nous avons la promesse de Nicéphone et de notre prophétie.

    — Elle est morte et la prophétie ne s’est pas réalisée.

    — Kéozorès, regarde le ciel.

    — Je ne fais que cela.

    — Regarde vers la planète rouge. Regarde vers Mars. N’y vois-tu pas l’Humain éparpillé ?

    — Bien sûr que si !

    — Sais-tu combien la conquête de Mars était impossible encore il y a quelques décennies ?

    — Ce fut un vrai miracle, je le sais. Elle savait toujours en faire.

    — Non ! Ce fut l’accomplissement de sa parole. C’était la promesse qu’elle fit à tous ceux qui la suivirent dans l’espace le jour où elle quitta la Terre. Elle ne savait pas où mènerait son chemin, mais elle a pu abriter son

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