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Voyage en thérapie: L'homme qui rêvait d'aller mieux
Voyage en thérapie: L'homme qui rêvait d'aller mieux
Voyage en thérapie: L'homme qui rêvait d'aller mieux
Livre électronique186 pages2 heures

Voyage en thérapie: L'homme qui rêvait d'aller mieux

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À propos de ce livre électronique

L’émission de François Bobin, célèbre animateur télé, pulvérise tous les records d’audience. Sa vie bascule le jour où il s’en prend violemment à l’un de ses invités en pleine émission, le laissant à moitié inanimé sous les yeux de centaines de milliers de téléspectateurs médusés.

Les conséquences sont lourdes : François Bobin est condamné par la justice, licencié par son entreprise et plaqué par Louise, son épouse.

Alors qu’il est au plus mal, il se décide enfin à aller consulter un psychiatre. Le lendemain matin, au réveil, il se retrouve à Paris, propulsé près d’un siècle en arrière, à l’Hôpital Sainte Anne.
Pour lui commence alors un long voyage en thérapie qui va l’emmener à la rencontre de quatre thérapeutes hors du commun.
LangueFrançais
Date de sortie30 août 2022
ISBN9782312125169
Voyage en thérapie: L'homme qui rêvait d'aller mieux

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    Aperçu du livre

    Voyage en thérapie - Roland Rupage

    cover.jpg

    Voyage

    en thérapie

    Roland Rupage

    Voyage en thérapie

    L’homme qui rêvait

    d’aller mieux

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2022

    ISBN : 978-2-312-12516-9

    12 juillet 2021 sur le plateau de JTV

    – En régie, c’est ok ? demandais-je à Sam, mon opérateur.

    – C’est bon François. Dans dix secondes, je lance le générique, me répondit-il.

    J’avais toujours ce petit frisson quand Sam lançait le compte à rebours, une petite montée d’adrénaline qui me mettait à chaque fois dans un état presque second. Il faut dire que des centaines de milliers de téléspectateurs, plus nombreux chaque jour, scrutaient cette émission.

    Je m’appelle François Bobin. J’étais présentateur télé sur une chaine Mainstream depuis plusieurs années. Ce jour-là, ma vie a basculé. Un évènement s’est produit au moment même où je m’y attendais le moins. On ne refera pas l’histoire mais peut-être aurais-je dû être tout simplement plus attentif aux signaux qui m’avaient été adressés ce matin-là. Je n’étais pas très superstitieux mais tout de même. Le lacet de ma chaussure avait d’abord cédé. Puis au moment même où je m’apprêtais à quitter mon appartement, c’est un de mes boutons de manchette qui avait rendu l’âme à son tour, venant heurter la poignée de la porte d’entrée. N’ayant plus le temps de le remplacer tant le timing devenait serré, je me rendais au studio avec un drôle de présentiment, celui d’avoir perdu mon équilibre. Il était pourtant impossible que ce petit attribut, signe extérieur de richesse s’il en est, ait pu venir me déstabiliser. Parfois, il en faut peu pour se sentir bancal.

    Quelques minutes après le début de l’émission…

    – Laurent, vous ne vous êtes pas encore exprimé ce matin ? demandais-je à cet ancien patron de presse qui finissait sa carrière parmi nous sur la quotidienne que j’animais tous les matins de 10 h à 11 h 30.

    – J’écoute ce qu’il se dit avec le plus grand intérêt mon cher François mais permettez-moi de vous dire que ce n’est pas à la hauteur du débat. Cessons d’effrayer nos concitoyens. Cela devient vraiment insupportable.

    Vautrin nous avait rejoint dans l’émission il y a près de trois ans. Sexagénaire, petit et mince, cheveux gris. Des costumes toujours très sombres et beaucoup trop grands pour lui. Traits tirés, yeux cernés, teint pâle, il donnait l’impression que son corps souffrait. Pour camoufler son mal-être, il plaçait chaque jour une pochette à fleurs, en soie, aux couleurs très vives, dans la poche avant de son costume. Soigneusement pliée, cette petite touche colorée lui évitait de sombrer définitivement dans le sinistre. Ce jour-là, je me souviens que sa pochette était mauve, un bouquet de lilas. Comme à son habitude, sa mâchoire était crispée, ses sourcils froncés. Tout indiquait qu’il s’était mis en position d’attaque. À chaque fois que cela allait se produire, il plaquait nerveusement, avec la paume de sa main gauche, sa mèche grise et rebelle, de l’arrière vers l’avant. En face de lui, et toujours à ma droite se tenait Yvon Rifoulo. Septuagénaire libertaire, Yvon avait un petit humour british, subtil et incisif. Il portait ce vendredi matin une veste kaki en velours, une chemise claire et élégante, un pantalon jaune moutarde, confortable, parce qu’il aimait se sentir à l’aise. Toujours prêt à riposter aux assauts de son éternel opposant, il fixait Vautrin droit dans les yeux lui signifiant qu’il était lui-aussi prêt au combat. La testostérone avait pris l’ascendant dès le début de l’émission. La tension était déjà palpable. Ces deux-là offraient aux yeux des téléspectateurs un antagonisme qui ne cessait de croître. Un jour ou l’autre, cela deviendrait problématique. J’appréciais beaucoup Yvon. Beaucoup moins Vautrin, je dois le reconnaître. On me l’avait imposé et je devais composer avec lui. Jusqu’alors, j’avais toujours pris soin de ne pas le bousculer et je n’envisageais pas le moins du monde de lui être disgracieux. Il convenait de rester courtois à une heure de forte audience.

    Yvon venait de repositionner ses lunettes rondes sur le bout de son nez. En bon professionnel, il se présentait chaque jour avec ses petites fiches soigneusement griffonnées. Au quotidien, il était équipé d’un carnet et d’un Bic quatre couleurs dont il ne se séparait jamais. Il se faisait un point d’honneur à arriver toujours bien documenté. Avec Yvon, je ne m’inquiétais jamais sur le niveau des débats tant il était consciencieusement préparé. À qui voulait l’entendre, il répétait à l’envie une célèbre citation d’Abraham Lincoln qui disait : « Si je disposais de neuf heures pour abattre un arbre, j’en consacrerais six à affûter ma hache. » Et il avait raison, c’est aussi en cela qu’il séduisait son public. Avant d’embrasser une carrière de journaliste, il avait fait Sciences Po Lille et remporté de surcroît de nombreux concours d’éloquence. Il excellait dans l’art oratoire. Son jeu était complet : savoir, savoir-faire, savoir-être. Celui qui en face de lui n’avait pas la pleine maitrise de son sujet se faisait concasser en bonne et due forme. Malgré la courtoisie dont il ne se départissait jamais, il restait intraitable jusqu’à porter le coup fatal s’il le jugeait utile. C’était d’autant plus important lorsque son adversaire se nommait Vautrin.

    Yvon s’appuyait toujours sur des faits avérés, irréfutables. Ceci était devenu extrêmement rare sur les plateaux Télé et c’était justement sa marque de fabrique. Nul ne maniait mieux que lui la rigueur du raisonnement qui, assortie d’une profonde sincérité, venait toucher le spectateur en plein cœur. Il incarnait des valeurs d’une grande noblesse. Elles le portaient sans cesse. Et pour rien au monde, il ne les aurait trahies. Quelle que fût l’épaisseur de la liasse de billets, il avait fait le choix, de son vivant, de demeurer un être incorruptible. C’est pour cette raison qu’Yvon était chaque jour mon plus fidèle lieutenant quand il s’agissait de rétablir quelques vérités.

    Quant à moi, j’étais le gardien du temple. J’étais aussi celui des horloges, à devoir répartir le plus équitablement possible le temps de parole entre chacun de mes invités. Et sans cesse, sans relâche, apaiser les tensions, calmer les frustrations des uns et des autres de peur que Monsieur Doloris, le patron de la chaîne, ne trouve bon de venir s’en mêler. Ces derniers temps, il avait eu le licenciement facile. Je marchais sur des œufs. Tout faux pas à l’antenne m’aurait été fatal même si je sais qu’il m’appréciait. Ma langue pouvait à tout moment fourcher. Je dois bien reconnaître que je n’étais pas le journaliste le plus rompu aux lois du politiquement correct ce qui nous faisait un point commun avec Yvon. Je m’appliquais à restituer une information la moins travestie possible. Mais je dois bien en convenir, la neutralité et l’indépendance des médias en France relevaient désormais d’un passé révolu. Le moindre dérapage pouvait avoir des conséquences fâcheuses sur les affaires de Monsieur Doloris. Et son business, c’était sacré. Du moins, je ne devais pas être dupe de ce qui se jouait en coulisses. Ce n’était pas pour faire de l’info qu’il avait racheté JTV. C’était son outil de propagande. Il l’orchestrait avec méthode pour influencer l’opinion. Depuis quelques mois, il avait aussi une nouvelle marotte, l’obsession égocentrique de figurer au sommet des classements les plus prestigieux, Forbes et Challenges en tête. Ces deux magazines avaient trouvé le filon, celui d’exhiber sans pudeur les fortunes devenues indécentes des plus gros milliardaires de ce monde. Et ces derniers aimaient cela. Ils s’en réjouissaient, excités qu’ils étaient à l’approche de la parution du prochain numéro.

    Quand Doloris perdait une place au palmarès, il pouvait devenir infect pendant plusieurs jours. Souvent, les murs de JTV tremblaient. Jusqu’alors, j’avais conservé toute sa confiance. Je le flattais toujours un peu, je dois bien l’avouer et il adorait cela. Je ne faisais que nourrir son orgueil. Son besoin de reconnaissance était sans limite. Je m’étais toujours demandé ce qui avait pu lui manquer étant plus jeune. Qu’est-ce qui avait bien pu clocher ? Pourquoi nos premières années impriment-elles donc une trace si prégnante, presque indélébile sur nous pour le restant de notre vie ? L’enfance est une période décisive. L’enfant est une éponge qui absorbe tout, le bon comme le moins bon. Aussi, je faisais attention avec le patron.

    Il me faisait confiance et m’avait offert ce créneau en prime time, me considérant comme l’un de ses trois présentateurs vedettes. Régulièrement, il avait revu mes émoluments à la hausse. Pourtant je ne réclamais rien. Je pouvais le dire, j’étais grassement payé. J’étais fier de pouvoir afficher des rémunérations à six chiffres. Ce privilège était réservé à un club très fermé d’animateurs. Mais pour durer, je devais composer avec la ligne éditoriale édictée par le boss. Sans ne jamais sourciller. J’étais rompu à cette forme de soumission aux règles depuis fort longtemps. C’est en effet celui qui paye qui fait l’information et la désinformation. Je l’acceptais, même si parfois, cela contrevenait à quelques-uns de mes principes les plus cardinaux.

    Depuis quelques temps, je devais modérer les ardeurs de Yvon dont les idées sur certains sujets n’étaient pas dans la droite ligne du parti. Il finissait par baisser les yeux comme un pauvre chien battu pour finalement obtempérer. Ça me faisait mal au cœur de devoir en arriver là car derrière ses airs parfois un peu belliqueux, c’était un vrai gentil et un honnête homme surtout. Je ne pouvais pas faire autrement. J’avais encore une famille à nourrir et des emprunts à rembourser.

    – Je peux poursuivre ? Vous m’interrompez sans cesse, cela devient insupportable ! reprit Vautrin en fusillant Yvon d’un regard noir.

    – Poursuivez Laurent, lui répondis-je.

    Je devais faire preuve de fermeté, d’autorité tout en me gardant bien de froisser les susceptibilités.

    Je rendais la parole à ce pauvre Vautrin. Je suis certain que je perdais une audience importante avec ce sale type qu’on m’avait mis entre les pattes.

    Il reprit de plus belle :

    – Vais-je enfin pouvoir bénéficier de trente secondes sans être interrompu ? On ne peut jamais développer une pensée cohérente ici. On dirait que cela vous dérange. Je sais bien que je gêne, se plaignit une fois encore Vautrin avant de poursuivre avec véhémence :

    – Maintenant, ça commence à bien faire. Vous êtes tous des irresponsables, disait-il en pointant du doigt ce pauvre Yvon.

    Ce dernier en bafouillait son latin tant il était déstabilisé par les propos de Vautrin systématiquement alignés sur ceux de la pensée dominante. Excédé, Vautrin se mit alors à hurler.

    4 septembre 2021 – 10 h consultation chez le psy

    – À ce moment-là Docteur, mon sang n’a fait qu’un tour. Je ne contrôlais plus rien. D’un geste réflexe, j’ai saisi ma chaise des deux mains pour ensuite me ruer sur Vautrin. Je lui ai asséné plusieurs coups. Des coups d’une extrême violence.

    – Je sais, je sais… me rétorqua-t-il avec beaucoup de compassion d’une voix chaude et grave.

    J’imaginais qu’il avait certainement dû voir ces images pathétiques sur le Net. Avec plus de 20 millions de vues, mon agression sur Vautrin avait fait le buzz sur les réseaux sociaux.

    – Depuis, Docteur, la scène repasse en boucle dans ma tête et je ne peux l’interrompre. Tout en moi est terre brûlée. Je suis esclave de mes pensées. À n’importe quel moment, je me revois le frapper. J’entends ses hurlements et je continue à cogner de toutes mes forces. Ma chaise lui explosa la pommette gauche ainsi que la mâchoire. Par chance, les agents de sécurité se jetèrent sur moi pour me neutraliser. Aujourd’hui, je ne peux que les en remercier. Sans eux, je crois que je l’aurais tué. J’étais véritablement possédé. Il s’en est finalement sorti avec une commotion cérébrale, une fracture de la mâchoire, deux dents sectionnées et une côte fêlée. Les rumeurs disent qu’il a ensuite été alité près de trois semaines, nourri à la paille par les aides-soignantes. Il a bénéficié de huit semaines d’incapacité temporaire de travail. Voici Docteur la raison de ma visite. La suite est peu glorieuse : licenciement pour faute lourde, peine de prison avec sursis. Mon casier judiciaire était jusqu’alors vierge. Travaux d’intérêt général. Résultats de l’opération : carrière brisée, chômage, humiliations, insultes de toutes parts pendant des semaines. Et comme si cela n’était pas encore suffisant, ma femme m’a plaqué quelques jours seulement après l’émission à la suite de quelques mots malheureux prononcés un peu hâtivement. Le surmenage de deux êtres plongés dans le vacarme d’un monde devenu infernal alors que nous ne nous disputions somme toute assez peu. Notre vie amoureuse n’avait jamais connu la routine. Nous faisions l’amour moins souvent qu’avant mais nos ébats étaient restés fougueux. Je compris ce jour-là que ma vie venait de basculer en un instant. Louise était partie sans que je ne puisse la retenir.

    Il m’écoutait très attentivement. Il avait une petite soixantaine d’années. Son crâne était fortement clairsemé, sa barbe de trois jours un peu grisonnante. La pilosité de son visage me donnait l’impression d’une forme d’équilibre, rassurant. Il portait un chino bleu roi, une chemise bien blanche. De très belles bottines noires. C’était la première fois que je venais consulter un psy. J’avais besoin de trouver un lieu d’expression libre avec quelqu’un qui ne me jugerait pas. Avant de s’exprimer, il pesa consciencieusement ses mots pour ne pas m’être indélicat. Son métier ressemblait à celui d’un équilibriste. Quelqu’un qui marche sur un fil. Le patient est souvent un être fragilisé et méfiant dont il est essentiel de gagner la confiance.

    – Comment vous sentez vous quand vous y repensez ? me demanda-t-il d’une voix étrangement douce.

    Chaque mot qui sortait de sa bouche était si calmement articulé que j’avais l’impression de percevoir chaque silence entre les sons. Sa question était une invitation à approfondir, à exprimer davantage mes ressentis. Il ne cherchait manifestement aucune rationalité de ma part,

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