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Les Flibustières Bonny & Read
Les Flibustières Bonny & Read
Les Flibustières Bonny & Read
Livre électronique256 pages3 heures

Les Flibustières Bonny & Read

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À propos de ce livre électronique

En ce début du XVIIIe siècle, la piraterie traverse son âge d'or et les bandits des mers perturbent le commerce maritime. Les propriétaires de navires marchands doivent parfois s'adjoindre à grand prix les services de vaisseaux de guerre pour les accompagner lors de leurs expéditions. Les flottes de protection étant insuffisantes, les brigands ont le vent dans les voiles.

Au coeur de cette barbarie, deux femmes se démarquent : Anne Bonny et Mary Read. L'une est fille de juriste, l'autre est une ancienne soldate dont les exploits et les méfaits ont défrayé la chronique. D'abord déguisées en garçons, puis maîtresses de marins célèbres, ces belles aventurières un tantinet libertines se révèlent souvent plus courageuses et manient le sabre et le pistolet plus habilement que les pirates de renom.

On les craint, on les respecte, et malheur à qui les défie ! Mais ces furies des mers sont aussi des amantes passionnées : si Mary reste fidèle à ses amours, Anne se montre plus volage, encline à partager l'affection de plusieurs hommes, dont un puissant gouverneur anglais.

Malgré l'incroyable rudesse de la vie au large des côtes caribéennes, les rivalités entre flibustiers et le code d'honneur à ne pas transgresser, Bonny et Read sillonnent inlassablement l'océan à la recherche du butin de rêve. Une quête qui pourrait s'avérer bien futile si, par mauvaise fortune, elles ne parvenaient pas à éviter la capture puis l'exécution…
LangueFrançais
Date de sortie24 févr. 2016
ISBN9782895857372
Les Flibustières Bonny & Read

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    Aperçu du livre

    Les Flibustières Bonny & Read - Jean-Louis Morgan

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Morgan, Jean-Louis, 1933-

    Les flibustières : Bonny & Read

    ISBN 978-2-89585-737-2

    1. Bonny, Anne, 1700- – Romans, nouvelles, etc.2. Read, Mary, -1720 ? – Romans, nouvelles, etc. I. Titre.

    PS8626.O744F54 2016 C843’.6 C2015-942427-5

    PS9626.O744F54 2016

    © 2016 Les Éditeurs réunis (LÉR).

    Les Éditeurs réunis bénéficient du soutien financier de la SODEC

    et du Programme de crédits d’impôt du gouvernement du Québec.

    Nous remercions le Conseil des Arts du Canada

    de l’aide accordée à notre programme de publication.

    ReconnaissanceCanada.tif

    Illustration de la couverture : Sybiline

    Édition :

    LES ÉDITEURS RÉUNIS

    www.lesediteursreunis.com

    Distribution au Canada :

    PROLOGUE

    www.prologue.ca

    Distribution en Europe :

    DNM

    www.librairieduquebec.fr

    LogoFB.tif Suivez Les Éditeurs réunis sur Facebook.

    Imprimé au Canada

    Dépôt légal : 2016

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque nationale du Canada

    Bibliothèque nationale de France

    Titre_Flib.jpg

    Du même auteur

    chez le même éditeur

    Adieu Rive-Sud, P.Q., roman. Les Éditeurs réunis, 2015.

    Rive-Sud, P.Q., roman. Les Éditeurs réunis, 2014.

    Élisabeth, les amours de la reine vierge, Les Éditeurs réunis, 2013.

    Au service de Bloody Mary, la reine sanguinaire, Les Éditeurs réunis, 2012.

    À Marie-Catherine de Cabarrus,

    dont les ancêtres, hardis navigateurs,

    s’établirent au XVIII e siècle sur les côtes

    de la Nouvelle-France jusque dans les Carolines.

    Préambule

    — Qui est cette pauvre femelle qui me cherche noise ? demanda Laurent de Graaf à la cantonade.

    La taverne était remplie de gens de mer, mais surtout de gens de sac et de corde dont l’hilarité était attisée par cette confrontation entre l’un des plus célèbres flibustiers de son époque et la veuve de feu le boucanier Pierre Lelong, tué lors d’un duel à la suite d’une altercation avec de Graaf.

    —  Je suis Anne Dieu-le-veut, femme libre ! Tu as du culot ! Tu as tué mon homme et tu me traites de « pauvre femelle »… Je ne saurais laisser passer cela, Monsieur le beau parleur. En garde ! lui dit-elle en pointant sur lui son pistolet.

    —  Dieu-le-veut… Bigre… Que voilà tout un programme et un argument décisif auquel nul ne saurait rester indifférent ! Au fait, sais-tu au juste qui je suis, jolie péronnelle ?

    —  Malappris, ose encore me traiter de péronnelle ! Je sais que les Castillans te surnomment Lorencillo et qu’ils te craignent, que tu fréquentes le capitaine Henry Morgan, mais tout cela ne m’impressionne guère, pauvre Hollandais à la godille jouant au Français ! J’ai le choix des armes, car je suis doublement insultée. Moi, je suis Française et je ne te crains pas, espèce de sang-mêlé. J’en ai vu d’autres !

    La belle savait pertinemment qu’elle s’en prenait à une forte partie. On le surnommait aussi « le mulâtre », d’où son surnom espagnol, El Griffe. Au cours des années 1670, il avait notamment capturé la ville de Campêche.

    De Graaf, qui n’avait rien d’un mulâtre, secoua sa longue chevelure blonde, lissa ses moustaches conquérantes, à la mode espagnole. Indifférent au pistolet qui le menaçait, il regardait d’un air malicieux la non moins célèbre boucanière. Elle avait inventé son qualificatif, s’en affublait et n’avait pas à se travestir en homme, à la différence de ses semblables, lorsqu’elle embarquait sur un bateau pour courir en mer. En effet, dans le monde de la flibuste, on la considérait comme une sorte de porte-bonheur, ce qui allait à l’encontre des superstitions maritimes voulant qu’une femme à bord ne puisse apporter que discorde et vents contraires. Comme chacun le sait, ces préjugés sont courants, tout comme la malédiction que peut apporter le changement de nom d’un navire.

    Laurent Cornelius de Graaf avait été capturé dans les Pays-Bas par des esclavagistes espagnols qui l’avaient revendu à des planteurs des Canaries au cours des années 1670. Après bien des péripéties et avoir épousé une demoiselle, il s’était évadé et avait pris la route des Caraïbes où il devint capitaine d’un navire corsaire français. Dès lors, sa carrière de flibustier était lancée. Il se vengea des Espagnols en capturant avec panache plusieurs bâtiments et en déjouant les plans d’une armada lancée à ses trousses. À cette occasion, il fit main basse sur le vaisseau amiral La Princesa, qui comprenait 28 canons et dans ses flancs 120 000 pesos représentant la paie du personnel de Puerto Rico et de Saint-Domingue. Pour rehausser son exploit, de Graaf eut un geste élégant en permettant au capitaine espagnol blessé de débarquer en compagnie de son chirurgien et d’un valet.

    Le reste relève de la petite histoire. El Griffe s’associa à Van Hoorn et à de Grammont, créant une force flibustière de quelque 12 navires et 1 300 hommes, et se brouilla avec ses associés, non sans avoir réussi avec eux quelques expéditions fructueuses. Et il continuait. C’est à ce démon que s’attaquait Anne Dieu-le-veut, les lèvres humides, l’œil en furie, le corsage dilaté, l’index sur la détente…

    —  Holà ! Ma jolie ! Je parle aussi bien français que toi, reprit-il en cette langue. J’ai commandé certains de tes compatriotes. Tu as de vraies couilles de bouc pour une femme, ma parole ! Bien plus que certains de mes hommes ! Je ne me bats pas contre les femmes, mais je vais te dire quelque chose : tu es le genre de compagne qu’il me faudrait et tu me plais beaucoup. Je vais te proposer un marché : épouse-moi et je te promets une vie de reine. Je regrette d’avoir occis ton homme, mais je n’avais pas le choix. Le bougre qui, comme d’habitude, barbotait dans la vinasse, m’avait provoqué dans un duel à mort. C’était un besogneux, un hargneux porté sur la bouteille. J’ai défendu ma peau, comme tout homme de mer doit le faire. Je m’excuse également pour mes insultes, mais je ne suis pas un troubadour frisoté jouant du luth. Maintenant, si tu n’es pas d’accord, décharge ton pistolet, mais vise bien la tête ou le cœur. Je dois pourtant te prévenir : cela ne calmera en rien tes tourments et n’arrangera pas ta situation. Je suis très aimé de nombre de mes semblables ayant des dettes d’honneur envers moi. Ils chercheront à me venger et, un jour ou l’autre, s’acquitteront de leur créance au moment où tu t’y attendras le moins. Je t’offre donc la vie et l’amour contre l’incertitude…

    L’assemblée de matelots et de forbans s’était tue. On entendit même le chien de quelques pistolets s’armer avec des clics glaçants. Il avait fallu une bonne dose de courage à Laurent de Graaf pour faire sa demande en mariage à celle que, quelques instants encore, il qualifiait de « pauvre femelle ». Anne savait aussi que si elle exécutait froidement le beau corsaire, elle paierait sa témérité sur-le-champ ou un peu plus tard. Et puis, cet homme avait un charme certain et la réputation de toujours respecter sa parole. Elle pouvait donc abaisser son arme en toute sécurité, accepter ou même refuser l’offre singulière de celui que les Hollandais surnommaient le Fléau de l’Ouest.

    —  Toi non plus, tu ne manques pas de toupet, terreur des Espagnols ! Et puis, nous sommes du même bord, n’est-ce pas ? Mais ne te repentiras-tu pas de t’unir à une boucanière telle que moi ?

    —  Je ne crains pas les jolies Françaises. Je suis Hollandais, mais suffisamment francisé pour me montrer prêt à prendre ce risque pour tes beaux yeux… et le reste ! répondit-il en déclenchant l’hilarité générale.

    Ceux qui avaient armé leur pistolet rabattirent le chien de leur arme, mais l’un des hommes qui s’était ainsi préparé au pire avait sans doute les doigts graisseux. Il laissa glisser le chien, le coup partit et la balle blessa le maladroit au pied. Tandis qu’il blasphémait comme un maudit, les autres se mirent à rire et à se moquer de lui. Il quitta la salle en claudiquant fortement et en laissant une traînée sanglante.

    — Dans mes bras ! clama Laurent en s’adressant à Anne. Nous ferons du beau travail ensemble !

    Elle s’approcha et il l’embrassa, non sans effleurer ses généreuses courbes sous les applaudissements des spectateurs. Elle lui donna une magistrale paire de gifles.

    — Pas si vite, espèce de malotru ! On verra bien si dans la chambre tes prouesses seront à la hauteur de ta réputation…

    Une fois de plus, la salle s’esclaffa, scellant ainsi sur un ton plus ou moins leste l’union des deux remarquables coureurs des mers. La cérémonie fut fort brève, d’autant plus que de Graaf avait abandonné sa première femme depuis belle lurette, devenant ainsi bigame sans sourciller. Ils se marièrent en mars 1693.

    Anne, qui avait la trentaine bien sonnée, n’était pas une pucelle effarouchée ni l’une de ces jeunes personnes d’humble condition, la plupart de saine réputation, que Paris envoyait en Nouvelle-France pour peupler le pays et que l’on appelait « Filles du Roy ». Parmi ces ingénues se glissaient des gaillardes voulant refaire leur vie et échapper à la misère des rues et des campagnes. C’est plutôt à elles que s’apparentait Anne, qui demeura une luronne décidée après avoir été déportée à l’île de la Tortue. C’est dans cette colonie qu’elle avait épousé l’ombrageux Pierre Lelong, dit Length en anglais, tué par le nouveau compagnon de l’aventurière. À Paris, elle avait fréquenté les abords du Palais Royal, où se tenaient des filles faciles allant de la prostituée à la chasseuse de nobles et de bourgeois. On croit savoir qu’elle n’avait pas été une de ces catins s’offrant à tout venant, mais elle avait connu une série d’aventures amoureuses suffisamment retentissantes pour se faire désigner comme « femme de petite vertu ».

    Elle arriva dans l’île à l’âge d’or des flibustiers et, profitant de cette époque trouble, décida de ne pas laisser passer l’occasion de s’enrichir sans risquer de se faire bousculer par les autorités, corrompues jusqu’à la moelle. La jolie brune s’acoquina avec Lelong, un boucanier grossier comme un pain d’orge, avec lequel elle parvint à faire main basse sur de petites embarcations espagnoles jusqu’à la mort de ce dernier. En prenant de Graaf pour compagnon, elle changeait de classe et passait du piratage de maigre envergure à la grande flibuste, reconnue et pratiquement approuvée par les gouvernements français comme anglais, qui voulaient causer du tort à ces Castillans qui s’appropriaient si bien l’or des peuplades sud-américaines.

    Faisant le coup de feu avec son concubin, elle prit notamment part à l’attaque contre la Jamaïque. De Graaf reçut en récompense le titre de chevalier et fut promu officier de la marine royale française. N’appréciant guère que l’on menace une de leurs colonies, les Anglais ripostèrent en envahissant l’île de la Tortue, faisant prisonniers de Graaf, Anne et les deux filles qu’elle avait eues de sa nouvelle union. La famille fut traitée avec tous les honneurs de la guerre mais gardée en otage pendant trois ans puis délivrée en 1698 par l’intermédiaire du secrétaire d’État à la Marine française, Jérôme de Pontchartrain, qui intercéda auprès du roi d’Espagne.

    Le couple s’embourgeoisa quelque peu mais demeura, selon l’expression consacrée, « à compte », c’est-à-dire qu’il continua à faire la course en mer à son propre profit. Il s’installa en Louisiane et de Graaf, devenu pionnier-bâtisseur, s’associa à un corsaire redoutable, Pierre Lemoyne d’Iberville, pour fonder les villes de Biloxi et de Mobile. La conjointe du beau Laurent, qui n’hésitait pas à parader à Saint-Domingue, coiffée d’un tricorne, sabre au côté et pistolets à la ceinture, savait aussi revêtir d’élégantes robes de Paris mettant ses charmes en valeur. Elle inspira le respect des femmes parmi les gens de mer. Une de ses deux filles – bon sang ne peut mentir – provoqua un boucanier en duel et en eut raison. L’autre épousa un M. de Songé et s’acheta par cette union un brevet de respectabilité.

    La légende d’Anne Dieu-le-veut est vivace en Louisiane, au Mississippi et en Alabama et, comme toutes les légendes, se présente sous des versions souvent divergentes. Une chose est sûre : son influence se révéla cruciale à la fin du XVIIe siècle, car elle fut probablement la première flibustière ayant « réussi » et accédé à la respectabilité au lieu de se balancer au bout d’une corde ; la première aussi à se montrer sous son jour réel au lieu de se travestir en homme. Elle influença surtout le comportement d’Anne Bonny et de Mary Read, deux célèbres aventurières ayant réussi dans ce rude univers masculin, malgré le fait que leur état de femme les condamnait plutôt à la misère.

    Chapitre 1

    Anne Bonny naquit en 1698 près de la ville de Cork, en Irlande, d’un père avocat, William Cormac, et d’une mère servante portant le nom de Mary Brennan. Sa vie ne semble pas contredire un vieux proverbe anglais affirmant que les bâtards sont les gens les plus heureux. Il faut dire que le distingué mais peu prospère juriste, qui dépendait beaucoup du soutien de sa femme, entretenait des amours clandestines que la morale réprouve, mais qu’un grand nombre de familles de la bourgeoisie et de la noblesse pratiquent sans s’en vanter depuis des millénaires.

    La femme de l’avocat, affaiblie par un accouchement récent, avait résolu de changer d’air afin d’essayer de recouvrer la santé. Elle s’était donc retirée à la campagne près de sa belle-mère, non loin de leur demeure habituelle, tandis que son mari restait en ville pour vaquer à ses affaires avec sa servante Mary pour avoir soin de son ménage. Cette dernière était une gracieuse créature, courtisée par un jeune tanneur. Un jour qu’il était seul avec elle et qu’elle ne le surveillait pas pendant qu’elle travaillait, le tanneur profita de l’occasion pour subtiliser trois cuillers en argent qu’il mit dans sa poche. La servante ne les trouvant plus et sachant pertinemment que personne d’autre que le tanneur et elle ne se trouvait dans cette demeure au moment de la disparition des objets, ne tarda pas à soupçonner l’indélicat séducteur. Elle l’accusa, mais il nia de façon idiote, si bien que la servante se mit en rage en le menaçant de le livrer à la justice.

    Peu résolu à affronter cette dernière et réalisant l’imbécillité de son larcin, il exhorta la servante à bien chercher partout car, selon lui, les objets s’étaient probablement égarés dans la maison. Celui-ci profita de l’occasion pour se rendre en catimini dans la chambre où elle couchait ordinairement, glissa les cuillers dans les draps, puis sortit par la porte d’en arrière. Il croyait probablement que la jeune femme les trouverait en se couchant et qu’ainsi il ferait d’une pierre deux coups : il restituait les biens volés et ne perdait pas le cœur de sa belle en prétendant que toute cette histoire n’était, après tout, qu’un innocent jeu amoureux.

    La servante n’ayant pas dormi dans son lit pour la bonne raison qu’elle couchait avec son maître, ne trouva pas les cuillers et dénonça officiellement son jeune prétendant auprès du constable pour le faire arrêter. Le jeune tanneur l’apprit mais, la conscience tranquille, se sentit prêt à faire face à la justice en se disant que le lendemain tout irait mieux. Trois jours plus tard, apprenant que le constable était sérieusement à ses trousses, il trouva à-propos de se cacher, car il ne comprenait vraiment rien à cette affaire. Comment se faisait-il que la servante n’ait pas trouvé les cuillers ? Il en déduisit qu’elle avait décidé de les garder pour son propre profit et de lui faire porter l’opprobre du vol.

    C’est sur ces entrefaites que l’épouse de l’avocat, parfaitement remise de ses indispositions, revint au logis accompagnée de la mère de son mari. La première nouvelle qu’elle apprit de la servante fut le vol des cuillers, dont elle accusa le jeune soupirant. Ce dernier ayant eu vent du retour de la maîtresse de la maison et considérant qu’il ne pourrait vivre en paix à moins de régler cette affaire, résolut d’aller la trouver et de lui faire le récit de toute cette histoire en précisant, bien sûr, qu’il ne s’agissait que d’un innocent badinage.

    Sceptique, Mme Cormac ne le crut d’abord pas et, pour s’en éclaircir, se rendit immédiatement à la chambre de la servante et y trouva les cuillers. Elle renvoya le jeune homme en lui faisant promettre que s’il se taisait et jurait de ne parler de cette affaire à personne, il ne serait molesté en rien. Trop content de s’en tirer à si bon compte, il rentra penaud chez lui pour se faire oublier et resta muet comme une tombe. Toute cette histoire mit cependant la puce à l’oreille de Mme Cormac, car elle n’avait jamais imaginé que la servante pût lui être le moindrement malhonnête en risquant sa place, la prison, voire une exposition au pilori comme voleuse. Son intuition de femme et la précarité de son état de santé la persuadèrent cependant que son mari avait trouvé en son absence une compagne de lit disponible et toute désignée. La présence un peu trop longue des cuillers dans le lit de Mary, la servante, en était la preuve. En étalant la version de son larcin, commis sous couvert de jeu amoureux afin de ne pas être appréhendé par la justice, un minable petit voleur avait, malgré lui, semé la discorde dans le ménage des maîtres de son amie.

    C’est alors que Mme Cormac se souvint de toutes les gentillesses et des moindres sourires que son mari avait pu adresser à la servante. Ce qui aurait pu passer pour une bagatelle prit chez elle des proportions énormes. Elle voulut avoir la certitude de l’infidélité de son époux, d’autant plus que, sous quelque prétexte frivole, son mari s’absenta le jour même de son retour à la maison, malgré le fait qu’il s’était passé quatre mois sans qu’ils n’eussent couché ensemble. Connaissant le tempérament de son époux, les soupçons de la dame se confirmèrent et elle fut envahie d’une jalousie débordante, qui la poussa à châtier la servante. Elle replaça donc les cuillers là où elle les avait trouvées et ordonna à la servante de changer les draps du lit sous prétexte qu’elle avait l’intention d’y coucher, car sa belle-mère occupait le sien. Mary obéit et fut fort surprise en découvrant les ustensiles.

    Pour son plus grand malheur, elle décida de n’en rien dire et de les enfermer dans son coffre, quitte à les faire réapparaître ultérieurement en faisant l’étonnée et en poussant des cris de joie comme si elle les avait retrouvés par hasard, grâce à une intervention divine. Pour faire voir qu’elle n’avait pas décidé de coucher dans ce fameux lit par pur caprice, Mme Cormac y prit place et fut fort surprise de l’aventure qui lui arriva. Après avoir été un bon moment sans pouvoir fermer l’œil, en imaginant avec insistance le bon temps que son mari s’était donné durant son absence, elle entendit quelqu’un marcher dans

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