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Le Manoir
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Livre électronique301 pages4 heures

Le Manoir

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À propos de ce livre électronique

Tout commence dans la campagne berrichonne, vers une grange où Antoine, un ingénieur en informatique, rejoint pour la première fois Circé avec laquelle il a échangé sur la toile par l’intermédiaire du site : « Plus une nuit sans ma moitié ». Il a choisi Ulysse comme pseudo… tout un programme ! La magicienne va le conduire dans un manoir où vivent également Hermès et Hadès. Il fera aussi la connaissance de Marielle, la servante. Petit à petit, l’informaticien découvrira qui se cache derrière tous ces personnages et la signification de leur étrange jeu de rôle. D’autres individus, certains patibulaires et menaçants, vont se greffer au récit, et tout ce petit monde sera entraîné dans des aventures qui vont grandement les dépasser, très loin du Berry et de ses forêts profondes.
LangueFrançais
ÉditeurLes Éditions du Net
Date de sortie28 oct. 2021
ISBN9782312086163
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    Aperçu du livre

    Le Manoir - Rémy Chaumont

    cover.jpg

    Le Manoir

    Rémy Chaumont

    Le Manoir

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2021

    ISBN : 978-2-312-08616-3

    La rencontre

    La petite voiture d’Antoine avance lentement sur une route forestière bordée de chaque côté par un profond fossé, à dix mètres desquels commence la forêt. C’est le GPS qui l’a mené jusque-là. Il se rend à un rendez-vous, fixé à seize heures ; il est en avance et consulte sa montre-bracelet : quinze heures trente, l’écran lui révèle qu’il se trouve à dix minutes de la destination qu’il a programmée. Il aimerait bien garer sa voiture, mais entre le ruban d’asphalte rugueux et le fossé il y a très peu d’espace et la voie est étroite. Heureusement, depuis qu’il la parcourt, aucun véhicule n’est venu dans l’autre sens. Un autre besoin le pousse à faire une halte : le stress occasionné par la perspective de la rencontre a rempli sa vessie. Il ne connaît pas celle qui l’attend, croisée sur un réseau dit social. Après quelques échanges standards elle lui a fixé un rendez-vous, il n’avait rien demandé, mais il a accepté, car la perspective de vivre une aventure originale ne lui déplaisait pas. Mais à présent, il a la bouche et les lèvres sèches, et sa vessie se remplit anormalement vite. « Je n’aurais pas dû boire de bière avant de prendre la route » se dit-il en guise de reproche. Le ruban asphalté troue la forêt en une ligne droite et monotone et il n’entrevoit aucune possibilité de se garer. Le GPS le prévient qu’il aura à tourner à droite à six kilomètres. Il lui en restera alors deux à parcourir. Ses yeux se fatiguent de tant d’uniformité, que rien ne vient contrarier. Si… justement, à cent mètres devant lui apparaissent deux brèches dans les frondaisons, de part et d’autre de la route. Un chemin de terre la traverse perpendiculairement et l’auto ralentit. Antoine l’engage dans celui de droite et l’immobilise sur une bande herbeuse. Il se précipite hors de l’habitacle et se plante devant un arbre, il n’a que l’embarras du choix, et le premier à sa portée est un magnifique hêtre au tronc lisse. En se soulageant, il sifflote l’air de la chanson des blés d’or. Un oiseau lui répond en reprenant quelques notes de la mélodie. Antoine, étonné, se remet à siffler et se tait après deux ou trois mesures que l’oiseau répète après lui. Comme souvent dans la forêt, on entend les piafs, mais on ne les voit pas. La vidange de la vessie prend du temps, Antoine ne siffle plus, l’oiseau s’est tu et son chant est remplacé par le ronronnement d’un moteur d’automobile. Au loin dans la forêt, sur le chemin de terre, il distingue un point noir qui grossit. Antoine accélère la miction pour se retrouver dans une position décente quand l’auto sera à son niveau. Il a juste le temps de remonter le zip de sa braguette et de réajuster ses vêtements qu’une 403 Peugeot noire, identique à celles qui équipaient la police parisienne à la fin des années cinquante, s’arrête au milieu du chemin. Un homme âgé, petit et malingre, en tenue de chasseur, veste kaki, pantalon itou, en sort. Il se poste devant Antoine, les jambes écartées et les mains sur les hanches, le toise en levant la tête, car son interlocuteur est beaucoup plus grand que lui, et lance :

    – Monsieur, que faites-vous par ici ? Je ne vous connais pas.

    Étonné par la question, Antoine balbutie :

    – Ben… euh… je me promène.

    – Vous vous promenez ? Tiens, tiens, mais personne ne vient jamais se promener par ici. ICI, c’est chez moi ! Vous êtes sur mon domaine.

    Antoine est agacé, mais ne sachant pas à qui il a affaire, il joue les andouilles :

    – Veuillez m’excuser… je ne savais pas… comment aurais-je pu savoir, et la route est publique, je crois… je n’ai vu aucun panneau qui en interdisait l’accès.

    – La route peut-être, mais là, il pointe un doigt vers le sol, là, vous n’êtes pas sur la route, vous êtes chez moi.

    – Je ne suis pas d’ici, comment aurais-je pu deviner, répète-t-il.

    – C’est bien là le problème, vous n’êtes pas d’ici, pourquoi n’êtes-vous pas resté chez vous ?

    – Enfin Monsieur ! s’offusque Antoine, mais au fait, à qui ai-je l’honneur ?

    – Je suis le propriétaire de ces bois, vous n’avez pas besoin d’en savoir davantage.

    – Nous sommes en démocratie et je suis libre de circuler comme je l’entends, sans avoir à vous en mander l’autorisation.

    – Malheureusement… nous sommes en démocratie ; vous ne voulez vraiment pas me révéler les raisons cachées de votre « promenade » ? réitère-t-il sur un ton doucereux.

    – Je n’ai pas d’autre but que de prendre l’air.

    – Et d’où venez-vous ?

    – Ça ne vous regarde pas !

    – Dans ce cas, veuillez quitter mon domaine.

    Antoine regarde sa montre et lance :

    – Bien, il est temps que je m’en aille, on m’attend.

    Le petit homme n’a rien à ajouter, il se remet au volant de la 403, en démarre le moteur, traverse la route asphaltée et poursuit la sienne dans l’autre partie de la forêt. Quant à Antoine, il s’installe dans sa petite voiture, lui fait faire un demi-tour et l’engage sur l’interminable ruban. Il est un peu en retard, le GPS le lui rappelle : il prévoit d’arriver au lieu de rendez-vous à seize heures et trois minutes. « Ce petit vieux irascible m’a retardé », murmure-t-il. « À deux cents mètres, tournez à droite », déclame le petit appareil accroché au pare-brise par une ventouse. Il ralentit la voiture et enclenche le clignotant. Une voûte en pierres enjambe le fossé, à droite. La voie qu’elle supporte est étroite et bordée de murets. Il doit manœuvrer pour engager son véhicule. Son cœur s’est accéléré, l’écran indique qu’il ne lui reste que deux kilomètres à parcourir. Dans le dernier message de Circé il était question d’une grange isolée, au centre d’une clairière, où elle l’attendrait. Effectivement, après avoir roulé pendant deux minutes, il quitte la forêt et est soudainement aveuglé par l’astre du jour qui décline ; d’un geste brusque il rabat le pare-soleil et se redresse pour placer ses yeux dans l’ombre de ce dernier. La grange, qui n’est plus qu’à quelques centaines de mètres, apparaît alors, comme posée au bord du chemin. Une antique 203 Peugeot grise est garée devant. Antoine immobilise sa voiture juste derrière. Le cœur battant, les lèvres sèches, il pousse la portière et sort. Le portail du hangar, aux vantaux de bois vermoulu, est grand ouvert, l’intérieur du bâtiment est noyé dans la pénombre. Antoine hésite à se manifester, il a quelques minutes de retard. Il s’approche de la vieille Peugeot : « serait-ce la voiture de Circé ? » se demande-t-il en se penchant pour en examiner l’intérieur.

    – Vous vous intéressez aux automobiles anciennes ?

    Il se redresse et aperçoit une grande femme mince qui sort de la grange. Elle ressemble vaguement au modèle de la photo postée sur le réseau social, il l’observe en même temps qu’elle s’approche. Elle porte un ensemble noir, composé d’un pantalon ample et d’une tunique. « Elle paraissait plus jeune sur la photo », constate-t-il. Elle lui tend la main :

    – Bonjour, que faites-vous là ?

    « Elle ne va pas s’y mettre elle aussi ! » se dit Antoine.

    – J’ai rendez-vous avec Circé.

    – Alors, vous êtes Ulysse ? Que ne me le disiez-vous !

    – Et vous Circé ?

    – Circé, pour le réseau, bien sûr !

    Il est bouche bée, il ne sait que lui proposer et se sent désemparé au milieu de cette immense prairie. Le visage de son interlocutrice est ovale, sans expression, presque fermé.

    – Vous ne dîtes rien, reprend la femme, pourquoi êtes-vous venu ?

    – C’est vous qui avez pris l’initiative de ce rendez-vous.

    Elle l’examine en prenant son temps :

    – Vous paraissez plus jeune que les soixante ans que vous annoncez.

    – Vous ne m’avez pas dévoilé votre âge.

    – Si vous cherchez une vieille héritière sur le point de clamser, c’est râpé. Je vous semble plus vieille que vous ne l’imaginiez. Vous regrettez d’être venu, n’est-ce pas ?

    – Je ne regrette pas encore d’être venu.

    – Vous n’avez pas soixante ans ? Révélez-moi votre âge.

    – Je vous assure, j’ai soixante ans depuis trois mois, je peux vous montrer ma carte d’identité.

    – C’est inutile, je vous crois sur parole. Quand je suis sortie de la grange et que je vous ai aperçu de dos, j’ai pensé que vous étiez un jeunot, à la recherche d’une cougar.

    Antoine s’esclaffe, il trouve le terme de « cougar » vraiment ridicule.

    – Et vous, pourquoi m’avoir donné rendez-vous ?

    Pendant qu’il prononce ces mots, une 403 noire sort de la forêt, les dépasse et poursuit sa route sur la partie du chemin inconnu d’Antoine. Au passage il a reconnu, accroché au volant, le petit vieux qui l’avait interpellé désagréablement.

    – C’est mon père qui rentre de sa tournée, lance Circé.

    – Votre père ? Il se retient de dire : « ce petit homme ! » De quelle tournée s’agit-il ?

    – Il parcourt ce qu’il croit être son domaine, pour débusquer les braconniers et les intrus.

    – J’ai eu affaire à lui il y a un quart d’heure, je m’étais arrêté au départ d’un chemin forestier.

    – Et que lui avez-vous dit ?

    – Que j’étais un promeneur.

    – Vous ne lui avez pas parlé de notre rendez-vous ?

    – Non.

    – Alors, il vous a pris pour un braconnier. La chasse dans ces forêts est privée, elle appartient à un grand avocat parisien.

    – Pourquoi les chasses privées appartiennent-elles toujours à de grands avocats parisiens ?

    – Je ne sais pas, c’est le cas pour ces forêts.

    – Et votre père fait office de garde-chasse au service de cet avocat ?

    – En quelque sorte, mais il préfère penser qu’il est l’intendant du domaine, acheté à vil prix, après la guerre, par le grand-père de notre avocat.

    – À qui l’a-t-il donc acheté, si ce n’est pas indiscret ?

    – Ce n’est pas indiscret, dans la région tout le monde le sait : à mon grand-père paternel, qui ne s’est pas très bien comporté durant la Seconde Guerre mondiale.

    – Il a collaboré avec les Allemands ?

    – Il a hébergé des officiers de la Wehrmacht dans son manoir. Je n’en sais pas plus. Il n’appartient plus à ma famille, elle continue néanmoins à en disposer en échange de son entretien et de la surveillance du territoire de chasse.

    – Vous-même, l’habitez-vous ?

    – Bien sûr, où pourrais-je me loger ? Ma vie est ici. Mon père me tolère et a mis deux pièces à ma disposition… Justement, si vous voulez bien me suivre avec votre petite voiture, je vous ferai visiter mon petit appartement.

    – Euh… balbutie Antoine.

    – Vous hésitez ! Le véritable Ulysse s’était courageusement rendu dans l’antre de Circé.

    Piqué au vif dans son amour-propre et mû par son esprit curieux, Antoine accepte de la suivre. Sans attendre, Circé s’assoit au volant de la 203, Ulysse l’imite. Au démarrage, le vieux moteur ronfle et il sort du pot d’échappement une épaisse fumée noire qui enveloppe la petite citadine. Quand la vieille Peugeot s’ébroue, Antoine la suit en continuant le chemin qui l’a mené jusqu’à la grange. Le parcours devint rapidement chaotique, creusé par endroits de profondes ornières et de trous qu’il faut contourner. La voiture de tête avance lentement car ses amortisseurs n’assurent plus leur fonction et le pont arrière oscille jusqu’à faire décoller du sol, tantôt une roue, tantôt l’autre. Après dix minutes, ils parviennent au pied d’une colline boisée qu’ils gravissent. Antoine, qui roule vitre baissée, entend le moteur de la 203 peiner, forçant Circé à rétrograder. « Où m’emmène-t-elle », se dit-il. Il n’aura pas longtemps à attendre, au sommet de l’élévation, la route sort du bois et descend dans un vallon verdoyant qui s’exhibe mollement. Sur le versant opposé, il découvre un ensemble de bâtiments, comme un corps de ferme que surplombe un manoir. L’auto que conduit Circé s’engage dans un chemin raviné, très peu carrossable et qui descend dans le fond du vallon. Antoine la suit. La ferme et le manoir y sont reliés par une voie herbeuse qui court, à peine visible, à travers les prés. La 203 ralentit jusqu’à s’arrêter avant de prendre la montée. La ferme est plantée une centaine de mètres au-dessus, il constate qu’elle est protégée par une enceinte fortifiée. « Elle est très ancienne », se dit-il. Circé, au volant de sa voiture pénètre dans la cour, Antoine s’est approché, ils roulent maintenant pare-chocs contre pare-chocs. Les deux autos passent un second porche et poursuivent leur route jusqu’au manoir, qui est à découvert. « Il a sans doute été construit plus tardivement par le maître des lieux, à une période où les fortifications n’avaient plus d’utilité. » Passé le bâtiment, ils accèdent à une plate-forme en terre battue. Circé gare son auto à droite de la 403 noire, au pied d’un grand mur de soutènement envahi par la mousse. Antoine stoppe sa petite voiture contemporaine, à gauche de la 403. Circé, qui a quitté la sienne, se dirige vers le manoir ; en passant vers Antoine, elle lui lance :

    – Attendez-moi, je reviens tout de suite.

    L’attente se prolongeant, Antoine va s’asseoir sur un banc de pierre installé un peu à l’écart. L’ombre a envahi ce côté de la vallée, mais la pierre est encore tiède du soleil de la journée. Il pose ses coudes sur ses genoux et enfonce son visage dans la coupe formée de ses mains. Le vent se lève et il frissonne, des feuilles mortes glissent sur le sol dans un bruit de papier froissé, mais un son différent le surprend ; il lève la tête, un jeune homme en tenue de tennis s’est posté devant lui. Il porte deux raquettes houssées dans une main et tient coincée, entre son bras et son flanc, une boîte de balles.

    – Voulez-vous faire une partie avec moi ?

    Surpris par la proposition, Antoine balbutie :

    – Il y a donc un terrain de tennis dans le coin ?

    – Derrière le manoir… alors c’est oui ?

    – Pourquoi pas… ça fait longtemps que je n’ai pas joué, je ne pense pas être au niveau… Et d’abord, à qui ai-je affaire ?

    – Ça n’a pas d’importance, il n’y a jamais personne pour jouer au tennis dans ce désert.

    – En réalité, je ne le peux pas, je dois demeurer ici, car Circé va me rejoindre.

    – Circé ? Qui est-ce donc ? Ah oui, ma mère s’est donc trouvé un nouveau pseudo, et vous, pour lequel avez-vous opté ?

    – Cela ne vous regarde pas, vous ne vous êtes même pas présenté.

    – Je parie que c’est Ulysse, Circé, ça va bien avec Ulysse, moi, c’est Hermès… enfin, je parle de mon pseudo.

    – Et l’homme à la 403 noire ?

    – Hadès… voyons !

    – Hermès et Hadès… vous venez de les inventer !

    – Oui et non, précise le jeune homme ; et pour Ulysse, je me suis trompé ?

    – Non malheureusement… Je crois que je vais rentrer chez moi.

    – Ah non ! Circé serait très déçue, justement, je la vois qui revient.

    La femme qui s’approche des deux hommes semble bien plus jeune que la Circé qu’il a rencontrée vers la grange, elle porte un pantalon clair et un chemisier d’un blanc éclatant. Elle s’est maquillée, s’est mis du noir sur les cils et du rouge sur les lèvres.

    – Je vois que vous avez fait la connaissance de mon fils, méfiez-vous de lui, c’est un chenapan, il ne profère que des bêtises.

    – Il m’a pourtant semblé être très perspicace, fait remarquer Antoine.

    – Peux-tu me prêter ton nouvel ami pour une partie de tennis ? Juste un quart d’heure, M’an s’il te plaît.

    – Tu me dis « maman » quand tu as besoin de quelque chose… vous savez jouer au tennis Monsieur Ulysse ?

    – C’est bien cela, intervient Hermès.

    – De quoi parles-tu ? Arnaud, s’enquiert Circé.

    – De rien, c’est un secret entre Hermès et Ulysse.

    – Excusez-le, dit Circé en regardant Antoine, je répète ma question : « savez-vous jouer au tennis ? »

    – Je savais, mais je n’ai aucun entraînement.

    Elle se tourne vers son fils :

    – Je te le confie pour un quart d’heure, on ne peut rien te refuser, ensuite tu me le rendras, ne le fatigue pas trop.

    – Je ne vous appartiens pas encore, Circé, ironise Antoine.

    – Je note le « pas encore » précise-t-elle, on se retrouve dans un quart d’heure, vers le terrain de tennis ?

    Elle retourne alors vers le manoir tandis qu’Arnaud invite Antoine à le suivre. Ils contournent le bâtiment avant de franchir un portillon délabré, aménagé dans une clôture surélevée et constituée d’un grillage aux mailles irrégulières de couleur rouille.

    – C’est le père du propriétaire actuel qui a fait aménager ce terrain dans les années soixante-dix. Cette famille d’avocats l’a très peu utilisé et ne l’a jamais entretenu.

    Antoine découvre la surface de jeu, revêtue d’un enrobé grossier et vaguement rouge, envahi par la mousse et par des herbes qui colonisent les nombreux nids-de-poule qui le criblent. Il s’inquiète :

    – On ne peut pas jouer sur un tel court, il va y avoir des tas de faux rebonds… Si les balles rebondissent.

    – Quelle importance, notre jeu sera imprévisible, comme nos vies où rien ne se passe comme nous nous y attendions.

    – Je suis un piètre joueur, donc, va pour jouer un piètre jeu sur un piètre court.

    – La séance d’entraînement sera courte, continue le jeune homme.

    Le filet aussi est en très mauvais état, affaissé d’au moins vingt centimètres en son milieu.

    – Restez là, je vais me mettre en face. Mais, d’abord il faut que je vous prête une raquette… Ah, je vois que vous portez des chaussures de ville… bah… vu l’état du terrain, personne ne vous fera de reproches.

    – Les marques sont à peine visibles, comment peut-on jouer sur un tel court, insiste-t-il.

    Arnaud ne répond rien, il déhousse une des raquettes, la tend à son partenaire. Puis il traverse la surface de jeu, déshabille la seconde raquette et extrait les balles du carton. Il en fourre quatre dans les poches de son short bleu. Vu d’Antoine, il se poste au coin gauche, lance verticalement la balle neuve, jaune fluo, qu’il a dans la main et la frappe violemment avec le tamis. Elle termine sa course dans le filet, pourtant avachi. Il en sort une deuxième de sa poche et la fait rebondir plusieurs fois sur le sol avant de l’envoyer en l’air. Il la frappe encore plus durement que la première, elle passe au ras du filet. Elle est si rapide qu’Antoine n’a pas le temps de se placer et, après avoir frappé l’asphalte, termine sa course dans le grillage, qu’elle traverse par un trou et va se perdre dans les buis qui entourent le terrain.

    – Arnaud ! Tu oses faire jouer Monsieur sur un terrain aussi pourri, ce n’est pas sérieux.

    Antoine reconnaît le petit homme à la 403 noire qui s’avance sur le court en lui tendant la main. Il la saisit et la sert modérément.

    – Veuillez m’excuser de vous avoir un peu brusqué dans la forêt, vous auriez dû m’informer que vous aviez rendez-vous avec ma fille. Elle aurait pu m’avertir ! Enfin… Bienvenue dans le manoir de la Dame Blanche.

    – Pourquoi donc : « Manoir de la Dame Blanche », demande Antoine. À l’entrée du chemin, il me semble avoir aperçu un écriteau sur lequel était inscrit : « Manoir de la Treille ».

    – Les gens du pays le nomment ainsi, moi, je préfère : « Manoir de la Dame Blanche », c’est plus mystérieux. Mais il est vrai qu’il a longtemps appartenu aux Comtes de la Treille.

    – Grand-père, l’interrompt Arnaud d’une voix forte, peux-tu me laisser jouer avec Ulysse avant que maman ne revienne. Il nous reste très peu de temps.

    – Ulysse, souligne Hadès avec respect, vous êtes donc un grand voyageur. Et comment ma fille s’est-elle fait appeler ?

    – Circé, hurle Arnaud, et maintenant, laisse-nous jouer.

    – Mon petit-fils est insupportable, ne trouvez-vous pas ?

    – Il a envie d’échanger quelques balles avec moi, et vous l’en empêchez, précise Antoine.

    – Nous n’avons plus que trois balles, la première que j’ai engagée a terminé sa course dans le filet, la deuxième, Ulysse a été incapable de la rattraper et elle est allée se perdre dans les buis, le grillage est décidément en très mauvais état.

    – Allez-y, faites-lui plaisir, chuchote Hadès, après, il vous fichera la paix. C’est un enfant capricieux ; il faut l’excuser, il n’a pas connu son père qui a perdu la vie lors d’une battue, quelques semaines après sa naissance.

    Antoine traverse le terrain car Arnaud s’est placé sur l’angle opposé pour engager. Encore une fois il fait preuve d’une technique assumée, la balle fend l’air et rebondit sur le sol, juste avant la ligne, qui à cet endroit est encore visible. Antoine recule et la frappe au ras de l’enrobé. Mais, l’énergie acquise par le projectile, ajoutée à celle fournie par la raquette d’Ulysse, mal orientée par ailleurs, fait qu’elle s’élève, vole au-dessus du grillage

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