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Les Autres, petit a et les autistes
Les Autres, petit a et les autistes
Les Autres, petit a et les autistes
Livre électronique739 pages8 heures

Les Autres, petit a et les autistes

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À propos de ce livre électronique

Comment rendre la psychanalyse lacanienne acceptable aussi bien par un scientifique que par un matérialiste sérieux, voici le projet du livre. Il s’agit d’utiliser la dialectique, revue par Marx, pour repenser les concepts philosophiquement idéalistes de Lacan, tels que l’Autre, l’objet a, ou le sujet, et de montrer que l’ensemble est récupérable, fournissant une théorie propre à éclairer par exemple l’autisme, tout en permettant de supprimer la prépondérance logique du père dans la théorie lacanienne. Deux parties à cet ouvrage : un exposé théorique sur le développement de l’enfant jusqu’à l’œdipe, avec les installations des Autres, de l’objet a et de la réalité ; puis une lecture critique du livre d’Henry Rey-Flaud sur l’autisme, L’enfant au seuil du langage, qui permet de bien situer les concepts élaborés en première partie, et d’en voir la pertinence dans une pathologie lourde et sujette à des controverses importantes.
LangueFrançais
Date de sortie26 déc. 2013
ISBN9782312019666
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    Aperçu du livre

    Les Autres, petit a et les autistes - Alain Patris

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    Les Autres,

    petit a

    et les autistes

    Alain Patris

    Les Autres,

    petit a

    et les autistes

    Dialectique de l’être et du non-être

    dans la construction de l’enfant

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-01966-6

    Introduction

    POURQUOI CE TEXTE

    J’ai lu récemment le livre d’Henri Rey-Flaud sur l’autiste : L’enfant qui s’est arrêté sur le seuil du langage. Je n’avais au préalable aucune connaissance détaillée de cette affection, je n’étais pas non plus particulièrement intéressé par l’autisme en lui-même, mais j’apprécie en général les livres de cet auteur. Le sujet a finalement retenu complètement mon attention, il correspondait particulièrement bien à mes préoccupations : l’humanisation de chacun, vue ici du côté des premiers pas du nouveau-né et de l’enfant.

    Arrivé à la fin, j’ai eu l’impression d’avoir fait un bon tour de la question, de disposer de pas mal de matériel brut ou théorique, mais de rester néanmoins sur ma faim : cela ne cadrait pas avec mes théories personnelles. J’ai donc fait une analyse assez serrée de ce texte pour en faire un jus à ma convenance. Ce travail a fait beaucoup avancer mes positions, qui restent néanmoins assez originales à mon sens. J’estime avoir abouti à un état satisfaisant, éventuellement utile pour d’autres.

    Comme le texte d’Henri Rey-Flaud, le mien aura deux axes : comment l’enfant s’approprie le monde humain et comment l’autiste n’y réussi pas vraiment ; les échecs de ce dernier permettant de mieux cerner la théorie générale.

    Je n’ai aucune prétention à apporter des faits nouveaux, je ne puis que reprendre les écrits des uns et des autres. Le livre de Henry Rey-Flaud (que je nommerai HRF par la suite) sera beaucoup mis à contribution. Il s’est lui-même beaucoup inspiré des expériences publiées par d’autres. Il lui reste d’être psychanalyste, et moi statisticien, mais je l’espère un peu singulier, légèrement teinté de philosophie, version matérialisme dialectique.

    On se demandera ce qu’un statisticien, qui n’a pour toute pratique de la psychanalyse que son passage sur un divan, et qui n’a certainement pas eu le moindre contact avec un autiste, vient écrire sur ce sujet. Je prendrai d’abord exemple auprès de ceux qui ont écrit le Livre noir de la psychanalyse. Ce n’est pas que j’ai trouvé leur livre intéressant, je n’ai même pas pu le terminer. Et je crois en la psychanalyse. Mais un peu comme Socrate croyait en la beauté des statues de l’Acropole : ça marche, ce qui en est dit n’est probablement pas sans rapport avec le réel sous-jacent, mais c’est trop souvent raconté d’une manière quelque part insensée. Je me place ici de mon point de vue, celui d’un scientifique, pas sans culture historique ou philosophique.

    Trouver des dires invraisemblables se rencontre extrêmement fréquemment dans les sciences dures, même en mathématiques. Tout un chacun peut l’observer simplement en ne retenant que les prédictions délirantes auxquelles cela amènent certains. On a vu un grand mathématicien, du 20ème siècle, essayer encore de trouver un théorème démontrant l’existence de Dieu (ou du diable) ! Mais pour la science, chacun est plus ou moins persuadé que le réel est vraiment piloté par ce qui s’apparente à des lois, à un discours. Et ceux qui comme moi n’y croient pas (aucun discours achevé ne peut égaler les « lois » du réel), aboutissent néanmoins à une situation pratique assez équivalente, en considérant un passage à la limite (le discours fini pourrait s’approcher des « lois » indéfinies du réel). Dans la science, la débilité des uns ne remet donc pas en cause le principe selon lequel on a le droit de tenir un discours scientifique. Pour la psychanalyse, ce droit n’est pas encore acquis (pour moi la psychanalyse est aussi scientifique que l’histoire ou la paléontologie). J’entends ici par psychanalyse la psychanalyse théorique : ce que l’expérience de l’analyse permet de théoriser sur le développement de chacun de nous, et non pas la théorie de la cure elle-même, sur laquelle je n’ai rien à dire, et encore moins sur l’éthique de la pratique, qui ne relève pas de la science.

    LA DIALECTIQUE

    Le constat d’un manque dans la théorie psychanalytique (qui ne manque pourtant pas de versions) pourrait justifier à lui seul un projet d’écriture. Mais j’estime avoir aussi quelque chose de positif à apporter. En particulier une méthode. Je suis un vieux fossile à sang chaud croyant dans les vertus de la dialectique, version matérialiste, fille de Marx. La dialectique est en effet le discours qui permet d’écrire la naissance des choses, leur passage entre la non existence et l’existence, ou encore en quoi les choses ex-sistent, à savoir en quoi leur existence est déterminée en dehors d’elles. C’est ce à quoi la psychanalyse a à faire, spécifiquement en ce qui concerne le développement des premières années de la vie. Ce n’est pas la première fois que la psychanalyse rencontre la dialectique. Elle y fut évidente avec les débuts de Lacan, et laisse quelques traces çà et là, par exemple dans certains passages du livre de HRF, qui privilégie cependant essentiellement les structures. Mais c’est en général une dialectique formelle, non appliquée au réel lui-même, ou, comme HRF le dit lui-même, une reprise poétique de pensées chinoises par exemple. Une dialectique de l’idée, où tout peut se trouver justifié, et qui n’a donc aucune vertu scientifique.

    Ma position sur la dialectique est assez voisine de celle de Lucien Sève dans son livre Science et dialectique de la nature, où il ne dit d’ailleurs pas un mot des sciences humaines{1}. L’apport majeur de la dialectique sera le principe de la non existence des choses au sens de choses Unes : elles n’existent pas tout à fait, ex-sistent comme disait Lacan (de certaines uniquement).

    Ce texte est aussi d’inspiration lacanienne, on y rencontrera en particulier différents Autres, petit a, la jouissance, RSI. Je ne prétends à aucune orthodoxie. D’ailleurs, Lacan nomme son objet « a » tout court, j’ai la fantaisie de l’affubler d’un « petit », ce qui me permet de le désigner sans être obligé de le précéder du terme « objet ». C’est inspiré d’un Lacan plutôt tardif, dans lequel le langage et le symbolique n’ont plus la priorité sur le réel. C’est en quoi je me démarque de la théorisation de HRF, qui met le langage en position dominante, comme le titre de son livre l’indique, et son recours fréquent aux « principe du langage ». Je me propose donc de reprendre la plupart de ses dires dans un système orienté très différemment.

    ORIENTATIONS GÉNÉRALES

    Le fond théorique du texte peut se résumer ainsi :

    – Même si mon propos introductif met le réel en position première, le texte se focalise sur les représentations qui se constituent dans le psychisme de l’enfant, qui bien sûr ne se génèrent pas toutes seules. Leurs causes principales (excepté ce qui vient de la pulsion) sont externes, mais il ne s’agit pas ici de faire la théorie de comment la société permet (ou non) à l’enfant de se construire son psychisme. Ce rôle serait dévolu à une science qui ferait l’interface entre l’anthropologie et la psychanalyse par exemple.

    – Je fais l’hypothèse que l’objet de la psychanalyse (en tant que science) est la manière dont les hommes deviennent sujets en s’appropriant le monde humain.

    – Je présenterai le développement du système psychique comme une succession de créations d’objets de type Un (des Autres), qui sont décomplétés par l’Autre suivant qui reconstruit du Un. Succession qui finit de manière variable selon les individus et les sociétés. Le réel de l’ex-sistance imposant ses contraintes au symbolique et à la jouissance qui tentent de créer du Un. En première approximation, on peut imaginer une construction en poupées russes, où chaque nouvel Autre intègre dans son monde l’ensemble des précédents.

    – Parmi les avatars de cette construction se constituent un sujet (idéal du moi) et un noyau de l’être qui sanctuarise un noyau de jouissance irreprésentable qui échappe ainsi à la non existence (l’objet petit a).

    Cette mise en avant des Autres ne peut être valide que si l’on arrive à montrer que les maladies psychiques du sujet sont des maladies des Autres. Ici, il ne s’agit pas de déclarer la société malade, mais malades les représentations de la société que possède le sujet. En principe, ceci devrait permettre de coupler l’évolution des sociétés et celle des représentations clés par lesquelles chacun accède à l’humanité, humanité à la fois changeante, mais qui conserverait du semblable, grâce à la forme des processus par lesquels chacun se l’approprie. Ceci se place dans le courant de ceux qui veulent joindre la psychanalyse et les sciences humaines.

    Ce projet, bien trop vaste pour un débutant, n’est qu’ébauché. Il n’est mis en œuvre que pour sa première étape, la constitution de ce que j’ai appelé l’Autre de la coupure (qui est supporté par la personne de la mère en général), et de l’affection qui lui est associée selon moi : l’autisme. On peut remarquer néanmoins que d’autres affections semblent pouvoir se placer dans ce cadre. Les névroses se traduisent par un problème lors du passage entre l’Autre de la coupure et son Autre direct (supporté par le père dans la famille patriarcale). La perversion possède ses racines dans une non décomplétion de l’Autre de la coupure (l’Autre garde en interne une sorte de Un supposé représentable). Pour autant qu’elles sont en relation avec les noms du père, les psychoses se placent aussi dans ce cadre. Enfin, le principe de l’installation d’une succession d’Autres jusqu’à l’âge adulte, permet de penser plus précisément les questions de l’adolescence (névroses infantiles / adultes).

    L’AUTISME

    L’analyse de l’autisme permet de voir les accidents très précoces du procès d’humanisation d’un enfant d’homme. C’est souvent en examinant les ratages que l’on peut le mieux avoir des lumières sur le développement qui engendre le standard. Et ces accidents portent sur un être encore assez simple. Je vais donner ici un aperçu de ma position sur l’autisme.

    Les cinq concepts clés sont : l’Autre de la coupure, sa coupure, son caractère régulé, mais néanmoins incalculable, refus de l’incalculable.

    L’Autre de la coupure désigne les représentations associées à la constitution du moi de l’enfant par perte de parties, par exemple le sein, pertes causées par un Autre, supporté en général par la mère, qui emporte sur lui les morceaux perdus. Pour que coupure il y ait, il faut construction préalable du Un : que l’enfant suppose que la séparation potentielle d’avec l’Autre ait un effet majeur sur son être, sur sa jouissance (même si ce Un est toujours rétrospectif, conséquence de petites coupures). Le paradigme de la coupure est le sein toujours disponible qui, coupé, doit devenir le sein relativement disponible. L’Autre de la coupure est essentiellement la représentation du « comment fonctionne ce sein », c’est-à-dire à terme une représentation d’une partie du psychique de la personne de l’Autre.

    Chez l’enfant normal, l’Autre de la coupure est certes un séparateur du sein toujours présent, mais c’est surtout une personne complexe, qui donne autant qu’il sépare, selon des règles à découvrir, qui ne sont pas des lois naturelles, elles se jouent à deux (l’enfant interagit psychiquement avec sa mère). L’enfant ne peut pas calculer les règles du jeu : l’Autre est incalculable. Mais l’enfant va croire en une régulation : l’Autre ne peut aller jusqu’à lui ôter la totalité de sa jouissance. L’incalculable et régulé désigne ce que l’enfant doit se représenter d’une mère suffisamment bonne à la mode Winnicott.

    C’est cette opération d’association de l’incalculable et de régulation que l’autiste va refuser. L’autiste veut réduire l’Autre à du calculable. Il peut même aller, chez les autistes les plus sévères, à démentir le point de départ, l’existence même de la coupure (celle du Un).

    Comme pour la plupart des maladies psychiques, l’autisme est l’objet d’une bataille pour en désigner les causes. Il y a les tenants des causes physiques, d’un cerveau qui à la naissance n’aurait pas le câblage nécessaire pour initier correctement les échanges avec les autres, en particulier la mère. Hypothèse qui aurait pour elle la précocité des premiers signes de l’autisme. L’autre camp tient pour des causes purement psychiques (ou essentiellement psychiques), il est en particulier soutenu par les mouvements de psychanalyse. Je me situerai dans ce camp (visible par mon hypothèse du refus).

    Ce qui ne veut pas dire que j’ignore les impacts du corps : de même que tout le monde n’est pas taillé pour devenir champion de sprint, de même on peut être nettement sous la moyenne pour certaines aptitudes de naissance embrayant les échanges avec les autres. Ce qui permettrait de comprendre comment un refus pourrait s’opérer : devant un choix à effectuer (échanger ou non d’une certaine manière), choix difficile on le verra, les poussées innées (les pulsions) favorisent ou non la solution qui aboutira finalement aux échanges à la mode humaine.

    Mais, et c’est l’essentiel, une déficience n’implique pas nécessairement un handicap. Un enfant aveugle ou sourd est déficient, il ne peut voir sa mère lui sourire ou l’entendre lui parler sa langue. Mais la plupart de ces enfants vont néanmoins devenir des adultes sans handicap en ce qui concerne leurs possibilités théoriques de relations avec d’autres humains. Ils ont néanmoins des difficultés dans la vie sociale, mais c’est parce que leurs rapports avec les autres ou avec les choses doivent passer par des intermédiaires particuliers. Pour le moins la déficience n’explique comment elle se transforme en handicap.

    MES LECTURES SUR L’AUTISME

    En plus de l’ouvrage de HRF qui m’a servi de fil d’écriture, j’ai lu un exposé général (Qu’est-ce que l’autisme de Nicolas Georgieff), un témoignage d’autiste (Embrasser le ciel immense de Daniel Tammet), quelques articles dans la littérature scientifique, et les articles de vulgarisation qui apparaissent régulièrement dans les revues de vulgarisation (La Recherche et Pour la Science). C’est peu, mais je n’en dirai à peu près rien. Rien de ces lectures n’a semblé incompatible avec les hypothèses que je vais exposer dans ce texte.

    A la presque fin de l’écriture, j’ai lu le second ouvrage de HRF sur l’autisme : Les enfants de l’indicible peur. Je lui avais envoyé une version brouillon de ce texte. J’ai l’impression qu’il l’a lu. J’en parlerai assez peu. Les faits qu’il avance au sujet d’autistes (et il en dit plus que dans son premier livre) me semble toujours pouvoir s’expliquer par ma théorie. Et il faut bien arrêter un texte un jour. Je pourrais dire que sa théorie change aussi. Il admet plus facilement que l’autiste n’est pas réduit à considérer le monde comme un kaléidoscope géant, certains ayant été jusqu’à se déclarer disparu en tant que porteur de leur nom, pour en prendre un autre, un masque (pour finalement se décider à reprendre leur vraie vie et vrai nom). Mais HRF se place toujours dans le même cadre théorique (décrit au chapitre 4 de ce texte), dont il tient seulement à indiquer qu’il ne faut pas prendre les termes (stade, phase) de manière trop rigide. On tombe donc dans la phraséologie : il s’appuie sur eux quand ça lui chante, les ramollit quand ça lui parle mieux.

    Toujours à la fin de l’écriture, j’ai lu deux autres témoignages d’autistes, Si on me touche, je n’existe plus de Donna Williams, et Ma vie d’autiste de Temple Grandin, auxquels HRF fait référence. Je n’y fais référence dans ce texte que dans une page sur la disparition de l’être et une page sur les mono-sensations ou mono-activités. Leur lecture plus précoce m’aurait permis parfois un peu plus de pertinence, mais bien que je n’en aie pas fait une analyse serrée, il me semble qu’ils confirment ma manière de voir l’autisme.

    LE PLAN

    Ce texte sera séparé en 3 parties. Une première partie présentera les concepts principaux (les différents Autres, la réalité, petit a). Viendront ensuite deux chapitres consacrés à la présentation synthétique des conceptions de l’autisme, vu par moi-même, et vu par HRF d’autre part. La suite consistera en une lecture assez serrée du texte de HRF, qui permettra de rentrer dans les détails.

    Le livre de HRF a le mérite d’essayer d’intégrer les conceptions de l’autisme faites par l’école de psychanalyse anglaise, à la suite de Winnicott et de Mélanie Klein, dans la tradition française accentuant le rôle du langage. On y trouve donc des conceptions et des études de cas assez variées. La critique d’un tel livre peut avoir trois orientations, non incompatibles, quand on s’attache à proposer une nouvelle conception. Soit on s’en tient à montrer comment les faits déjà cités par d’autres s’intègrent bien dans la nouvelle théorie, et chacun fera ensuite son marché pour savoir ce qu’il préfère. Soit on essaye en plus de montrer en quoi les théories concurrentes sont fausses, et là encore on dispose de deux voies d’attaque : la voie théorique qui analyse les concepts et les raisonnements mis en œuvre, ou la voie plus expérimentale qui analyse l’adéquation entre faits et théorie.

    J’ai travaillé dans ces trois directions, ce qui en fait un objet assez lourd (en papier au moins). J’ai essayé de réduire la critique théorique des positions de HRF, sans pouvoir l’éviter cependant : d’une part il faut rendre à César ce qui est à César (c’est en lisant HRF que ma théorie s’est réellement constituée), et d’autre part on ne comprend bien une théorie que si on voit le mal fondé des autres. Le livre de HRF présente de nombreuses occasions de pratiquer cet exercice.

    Chapitre 1

    Prolégomènes philosophiques

    L’OUTIL OU LA PAROLE

    On va commencer par discuter de manière un peu philosophique l’exemple du langage. Il tient une place importante dans les solutions actuelles au « comment on en est arrivé à l’homme », ce que je traduis, selon ma position marxienne, par un « qu’est-ce que l’homme ? ». Suite à une tradition matérialiste, on était arrivé au début du 20ème siècle à une réponse dominante du type « celui qui fabrique ses outils ». Suite à l’invasion du structuralisme, on est plutôt à un « celui qui parle ». L’idée amenée par ce courant est que l’usage de la parole aurait de lui-même induit des contraintes spécifiques dans tous les domaines de la vie. Habermas en fait même la cause du lien social : si je parle, alors je suis obligé de considérer l’autre d’une certaine manière (rentrer dans son jeu). Le langage lui-même étant quelque peu préprogrammé dans le cerveau par des grammaires innées (c’est Chomsky).

    Le livre de HRF semble s’inscrire dans cette veine langagière. Il fait même parfois référence à ces courants, sans s’y rattacher explicitement. C’est qu’à la suite de Lacan, une partie de la psychanalyse s’est inscrite dans cette perspective structuraliste. Lacan s’en est séparé un peu, le langage est devenu pour lui secondaire. Mais à mon sens la séparation n’a jamais été totale, ses « élucubrations » sur la théorie des nœuds, à la fin de son enseignement en gardent l’essentiel. De plus une grande partie de ceux qui s’en inspirent ne prêtent pas attention à cette fin. HRF me semble dans ce cas.

    On voit immédiatement l’enjeu majeur de ces positions : dans l’option matérialiste, l’homme fabrique sa condition d’homme, se fabrique lui-même en fabriquant sa société. Potentiellement, tout l’avenir est devant lui. Dans l’autre version, l’homme est un produit d’une structure, sur laquelle il ne peut rien, et qui est même pour certains inscrite en dur dans son cerveau.

    Départager les deux positions philosophiques pourrait apparaître impossible : on ne voit pas comment une société complexe (comme le sont celles des chasseurs cueilleurs que les anthropologues ont pu connaître il y a un siècle ou deux) pourrait exister sans langage. Casser des cailloux pour en faire des bifaces semble déjà nécessiter la parole. Inversement, si la parole n’avait pas ce type d’utilité, on ne voit pas pourquoi l’évolution « naturelle » aurait produit une espèce qui parle et dépense pour cela une partie importante de son énergie à faire tourner son énorme cerveau. On est dans la situation de l’œuf et la poule. C’est là que la dialectique intervient, dont je ferai plus loin un exposé concis. L’idée à retenir est que la dialectique est un discours dans lequel le réel est supposé tenir du non-être, de ce qui provoque le passage d’un être, très transitoire, à un autre, tout aussi transitoire. L’essence n’est pas dans ce qui définit statiquement un objet, ni même dans son procès de reproduction du même au même, mais dans ce qui l’a fait advenir ce qu’il est, et ce qui le fera devenir autre. Pour cela il faut considérer l’objet constitué d’abord des rapports qu’il entretient avec les autres. Ce qui ne veut pas dire que l’interne soit vide, mais que quand il est pensé en tant que chose (par opposition à rapport), il ne peut expliquer le devenir. On notera tout de suite qu’il ne faut pas fétichiser cette essence, la rendre Une par exemple, en faire un nouvel être : les rapports sont eux-mêmes des objets qui se construisent et se détruisent.

    Dans ce cadre, on peut faire jouer simultanément symbolique et réel dans un même procès. Resterait certainement à répondre à la question : lequel des deux possède la plus grosse part d’explication. La position de Marx était que c’était, en dernière instance, le réel. La raison n’en est pas compliquée : les élucubrations diverses du symbolique ne peuvent s’imposer que si les réels concernés, par exemple l’efficacité sociale dans le domaine de la production, les satisfactions (pulsionnelles ou autres) obtenues par chacun ou par certains, sont suffisantes. J’imagerais le « en dernière instance » en disant que le symbolique pourrait gagner tous défis contre le réel, sauf le dernier. Marx n’imaginait pas vraiment la complexité des mécanismes en jeu. Une trop grande partie de ses suivants les ont réduits explicitement à du presque mécanique.

    Il ne s’agit pas de faire de ce texte une œuvre philosophique, mais il est nécessaire se savoir où on met les pieds, et de quel côté de la route on marche. La critique philosophique donne des idées sur la forme des concepts qui semblent pertinents, mais ne dit rien de leur contenu. Dans l’analyse d’un problème concret, elle peut servir d’heuristique pour inventer une construction théorique, mais elle sert surtout de critique, d’encouragement à repenser, à formaliser le procès qu’on vient de mettre à jour pour en voir les qualités et défauts logiques.

    HRF place certes le langage dans son titre, nous parle très fréquemment des « lois du langage », ce qui nous orienterait faussement vers l’idée qu’il s’intéresse à ce qui se passe assez tardivement (après un an par exemple). Mais l’essentiel de ses analyses porte sur des aptitudes qui sont en amont de la parole, et qui ne servent pas qu’à ça. On n’est donc pas dans l’option du tout langage où ce serait le contenu même du symbolique qui aurait un rôle. Pour lui l’essentiel se sont les impératifs amenant à la capacité de symboliser qui sont essentiels, d’où parfois un aspect très structuraliste chez HRF. Il va jusqu’à écrire que ce qui amène chacun au langage, c’est l’écriture (il prend au mot les images de Freud, pensant la constitution des représentations psychiques comme des mécanismes d’écriture, sur des feuillets genre papier décalque). S’en suit une des contradictions bien visible dans son texte, consistant à nous dire que les autistes sont restés « au seuil du langage », alors que la majorité parle, et que certains écrivent des livres.

    Les plus évolués peuvent maitriser la langue, au sens d’avoir du vocabulaire et une syntaxe correcte. Ce qu’ils disent veut bien dire quelque chose, qui pourrait les faire prendre pour des personnes normales. Mais ceci ne suffit pas pour qu’ils aient un usage normal de la parole, qui est bien autre chose qu’une maitrise technique. Ils sont donc bien pour moi au seuil de quelque chose, qui a des conséquences sur l’usage du langage, mais qui n’est pas le langage.

    LE CONTINGENT ET LE NÉCESSAIRE

    Son objectif un peu abstrait (installer le langage) distingue HRF de certains psychanalystes, en lui évitant de trop souvent donner comme cause à l’humanisation des événements assez contingents, du genre avoir une bonne ouïe, avoir été porté par sa mère de telle manière, ne pas avoir été enroué à la naissance… J’exagère à peine. Ce qui ne veut pas dire que HRF soit complètement privé de ce défaut. Défaut qui n’est pas rédhibitoire tant qu’on fait de ces événements soit des moments qui manifestent l’acquisition de certaines capacités, ou qu’on les prend métaphoriquement en remplacement d’opérations abstraites qu’on ne sait pas encore conceptualiser.

    Mais défaut néanmoins, qui tient à une insuffisante conception de la dialectique entre le contingent et le nécessaire, entre l’événement unique et la loi générale. La loi générale ne se réalise, ne se manifeste que par des évènements singuliers. C’est bien visible dans les sciences molles, autres que la physique, et c’est ce qui produit le caractère un peu aléatoire des résultats à long terme (il était impossible de prévoir l’existence des rossignols il y a 200 millions d’années). C’est visible aussi dans les sciences du cosmos, la physique appliquée : il ne viendrait qu’à quelques-uns l’idée que l’état de l’univers, quelques millièmes de secondes après le big-bang, aurait permis d’y prédire l’existence future de notre galaxie et de notre Terre. Mais la physique théorique classique nous a fait croire le contraire. On peut rire avec la pomme qui tombe sur la tête à Newton, et qui aurait amené la science moderne. Mais la mécanique classique modélise le système comme figé : un champ de forces, toujours-là, qui n’attend que le passage de ce qui a été déterminé par ailleurs. Le 20ème siècle a montré que ce monde simplissime aboutissait déjà à de l’incalculable, au chaos. Les sciences nouvelles (chimie, vivant) ont accentué le phénomène. La mécanique quantique y a ajouté un hasard objectif : elle y modélise ces forces par des échanges quelque peu aléatoires de particules.

    Inversement le hasard doit lui-même être programmé. Les objets psychiques qui font de nous des humains sont très complexes. Leur mise en place ne prend pas nécessairement des chemins bien droits. A en voir la fin, on peut effectivement dire : il sait marcher, courir, parler le français, et une analyse de cette fonction permettrait en théorie de savoir tout ce qu’il a fallu acquérir. Mais cela ne s’acquière pas par un exposé théorique, mais par l’intermédiaire d’une suite d’évènements (contingence), qui vont remettre en cause des représentations psychiques antérieures pour tenter de les rendre plus compatibles avec le réel environnant (physique ou social). Même si cette contingence laisse des marques, ce n’est pas elle qui guide, à l’aveugle, le développement : c’est d’une part le réel extérieur, avec son fonctionnement déjà bien installé (des millénaires pour le social, des milliards d’années pour le physique), et ce sont, de manière interne, les poussées (que j’appelle les pulsions brutes) qui amènent l’enfant à explorer cet extérieur pour se l’approprier (ce qui le change progressivement, et recycle à chaque fois ses poussées dans un autre cadre). C’est ce réel-là qui permet que nous arrivions tous à des capacités à peu près semblables. Phénomène renforcé chez les humains par le fait que notre réel social (extérieur à chacun) contient une objectivation, ou même une objectalisation des représentations psychiques que chacun s’approprie. C’est ce que j’appellerai le symbolique généralisé. La langue et « tout ce qui se dit » en fait partie (et bien d’autres choses).

    Prenons un exemple, un sujet dans lequel je n’y connais rien, qui ne nous intéressera pas dans la suite de ce texte, mais qui me permet de faire des hypothèses simples à présenter (n’y connaissant rien). Il s’agit de l’acquisition de la marche par l’enfant. Je vais faire trois hypothèses : l’une que l’enfant possède en interne des poussées à découvrir son environnement physique, à bouger son corps pour prendre, sentir, voir cet extérieur. L’autre hypothèse est que pour marcher, il faut acquérir une certaine représentation psychique du problème mécanique : le poids qui entraine vers le bas (donc la notion de haut et de bas), le polygone de sustentation qui permet de placer en haut ce qui est soutenu. Et même un peu de dynamique : ce qui permet d’imaginer de passer, par un déséquilibre, d’un presque équilibre à un autre. La troisième est que l’envie de la marche debout est produite par imitation. Hypothèses qui n’ont aucune vocation à être exhaustives, la dernière étant de plus certainement pas trop exacte dans son expression.

    Bien entendu l’enfant de 1 an ne se dit pas cela comme ça, il ne se dit rien du tout en général. Mais il possède déjà un système de représentations, en particulier ce que j’appelle l’imaginaire, qui consistera ici, en particulier pour l’hypothèse n°2, en des modèles mécaniques que l’enfant abstrait aussi bien de lui-même que de ce qu’il voit hors de lui. L’enfant construit ce modèle depuis qu’il est dans le ventre de sa mère (il n’y a pas de haut et bas, mais au moins la possibilité de penser les liaisons mécaniques entre les parties du corps). Après sa naissance, il le perfectionne par sa pratique du mouvement, dès qu’il peut un peu se retourner, puis ramper, sur 2 ou 4 membres, se redresser… Il peut tester encore plus librement son modèle par la manipulation d’objets divers.

    Un modèle basé sur les événements contingent nous dirait : quand l’enfant est manipulé par sa mère il apprend ceci (par exemple les liaisons mécaniques entre ses membres, qu’il découvre en partie à cette occasion), quand il se retourne dans son lit il découvre l’attraction vers le bas, quand on l’assoit il découvre l’assise, quand il tente d’attraper le chat qui se sauve, il découvre l’envie de poursuite, quand on le pose sur une chaise il comprend le principe du polygone de sustentation, qu’en tombant de son coussin qu’il saisit le principe de la dynamique et du passage d’un équilibre à un autre, que son envie de suivre sa mère partout l’incite à se déplacer comme elle.

    Mais tous les enfants n’apprennent pas à bouger de la même manière. Chacun invente sa propre méthode, combinée aux incitations de son entourage et aux possibilités de son environnement. Une théorie basée sur la nécessité de pratiquer tel type d’exercice, d’avoir expérimenté ceci ou cela ne pourrait que tomber en défaut pour au moins un cas. Ainsi tous les enfants ne marchent pas à quatre pattes, ils peuvent faire de la reptation en position assise. Certains sont poussés à marcher par leurs parents qui les incitent à passer des bras de l’un à ceux de l’autre. Certains sont aveugles, et ont donc une idée du bas et du haut assez différente de celle des bien voyants, leur désir d’exploration du monde aussi. Certains ont une mère en fauteuil roulant.

    L’intérêt de mon modèle, avec ses 3 hypothèses, c’est de fournir un cadre général, qui possède certes 3 points a priori, mais qui ne préjugent pas grand-chose des processus réels et contingents qui amènent tout ceci à s’intégrer. Les observations permettent en principe de le confirmer ou de l’infirmer, de l’améliorer.

    La relation entre contingence et nécessité n’est pas sans rapport avec une certaine notion de l’inconscient : inconscient au sens de logique cachée derrière ses multiples avatars : ce n’est pas du refoulé, c’est du pas encore pensé. C’est le réel autour de quoi tournent les représentations.

    On a vu la nécessité se manifester par l’intermédiaire de la contingence. On pourrait voir aussi facilement comment cette contingence est créée par des logiques générales : les lois de la génétiques et de la biologie créent des moutons tous différents, même si on en fait des clones, et ces différences sont une nécessité pour l’évolution.

    LA NAISSANCE DES CHOSES, VUE PAR LA DIALECTIQUE

    On va aller un peu plus loin : ne plus se limiter à la création de différences dans le même, mais à la création de singularités complètement nouvelles, qui sont d’une nature différente de celle du milieu d’où elles ont pris naissance. Par exemple pourquoi un ouragan, la Terre, les hommes, la maitrise du français par Pierre. C’est là que se manifeste l’importance du non-être : avant que tout ceci n’existe, il existait néanmoins un « non déjà/encore ceci », et qui n’était plus vraiment l’état ancien (imaginé stable). C’est ce non-être là qui produit ces choses si intéressantes. Choses qui n’ont qu’une durée limitée en tant qu’elles-mêmes, durée variable selon qu’il s’agit d’un orage ou d’une planète, mais on peut même mesurer aujourd’hui des changements planétaires presque annuels.

    La dialectique est le discours qui permet d’écrire la naissance des choses, leur passage entre la non existence et l’existence, à savoir en quoi leur existence est déterminée soit en dehors d’elles, (c’est l’ex-sistence au sens fort), soit par ce qu’elles ne sont pas encore (c’est l’ex-sistence au sens faible). C’est ce à quoi la psychanalyse a à faire, spécifiquement en ce qui concerne le développement des premières années de la vie.

    Le Un, le non-être et l’ex-sistance

    Pour le dialecticien, l’essence n’est pas une sorte de Un interne à la chose, ce n’est pas le je ne sais quoi interne qui la fait s’arcbouter sur ses positions, mais ce sont les processus qui la font venir à l’existence. L’être tient du non-être (il faut détruire le précédent pour créer le nouveau), et le non-être possède une existence, c’est ce qui, dans l’être, travaille à sa transformation en autre chose. C’est cette source des choses dans ce qui les a précédées qui fait d’abord que les choses n’existent pas tout à fait : elles doivent leur existence à ce qui n’est pas elles, et sont toujours en train de devenir autres.

    Une fois la singularité de la chose installée (la planète, l’espèce animale, l’idéal du moi de Julien X…) les mécanismes qui la maintiennent dans un état presque fixe peuvent lui appartenir en propre ou être encore extérieurs. Par exemple, la Terre une fois constituée possède en elle de quoi maintenir sa masse et sa position à peu près stables (par la gravitation essentiellement), même si dessus et dedans tout bouge{2}.

    Inversement un orage doit toujours pomper de l’énergie de l’extérieur, et se détruit lui-même, il est toujours en construction en quelque sorte, il existe peu par lui-même (mais il existe néanmoins : c’est une pompe, comme le vivant).

    Rapports et niveaux de processus

    Les propriétés les plus intéressantes des choses, ce qui en fait la dynamique, proviennent de ce côté ex-sistentiel. D’où l’importance majeure des rapports entre choses : si ce qui est interne, ce qui pourrait ressembler à du UN, semble peu propice à l’évolution, celle-ci passe par les rapports. Sans trop changer les pseudo-Un de chaque objet, leurs rapports les entrainent à être autre chose.

    Ainsi, avec des modifications mineures des particules de base (nucléons et électrons), la dynamique des interactions gravitationnelles et chimiques entre les molécules d’un nuage galactique de poussières et de gaz a donné naissance au système solaire et finalement à nous-mêmes.

    Processus qu’il ne faut pas non plus idéaliser, ils sont eux-mêmes des ex-sistant : il y a les processus qui ne font que reproduire le même (faire que vous soyez le lendemain à peu près le même qu’aujourd’hui), il y a ceux qui ont généré ceux-ci (par exemple ceux qui génèrent les individus à une époque donnée), et puis ceux qui génèrent à nouveau ces derniers, etc.

    C’est l’objet de la science que d’essayer de tenir un discours formellement consistant là-dessus, en tentant en particulier de découper le réel, en délimitant des niveaux de processus, pour en faire les objets propres d’une science (objet propre img1.png objet avec un minimum d’existence).

    La possibilité de ce découpage n’est pas qu’une vue de l’esprit : la nature dialectique du réel a tendance effectivement à constituer des singularités (étoiles, planètes, espèces animales…), idem pour les processus. L’hypothèse du matérialiste en un monde accessible à la raison est qu’une grande partie du réel se trouve générée par des processus pas trop démentiellement complexes, dont on arrive à dégager des lignes principales. Hypothèse qui interdit de croire à la possibilité de réaliser en général des prévisions précises à long terme.

    Une conséquence du point de vue dialectique sera de montrer comment une partie du développement du psychisme peut s’écrire formellement comme une succession d’opération de complétion (fabriquer du UN) et de décomplétion. Aussi bien pour des raisons liées au maintien de sa jouissance que pour des raisons liées à l’utilisation du symbolique, le sujet est poussé à se créer des objets psychiques de type Un, des objets complets. Objets que le réel l’obligera à décompléter. Au prix du refoulement, car le caractère non Un des choses entraine leur caractère contradictoire.

    SOUTIENT À LA PSYCHANALYSE CONTRE LE TOUT COGNITIVISME

    Dans ces prolégomènes, on s’est surtout préoccupé de la promotion de la dialectique matérialiste contre un tout langage. Il s’agit ici de présenter une autre ambition de ce texte : soutenir les ambitions de HRF et de la communauté psychanalytique vis-à-vis des sciences cognitivistes (en ce qu’elles aboutissent au comportementalisme). Ce n’est pas que ces sciences soient mauvaises, ou qu’elles ne nous apprendraient rien sur l’autisme ou sur les hommes en général. Mais comme souvent en science, quand on découvre le bout de l’orteil, on croit pouvoir reconstituer l’organisme entier, on fait croire qu’on en sait plus. Il ne manque pas de personnes qui prennent appuis sur ces sciences pour proposer des explications un peu réductrices de l’autisme, avec des conséquences sur les prises en charges qui pourraient ne pas être toujours adéquates.

    La psychanalyse est fragile. Ses théorisations usuelles sont peu satisfaisantes (pour moi). Elle a pour elle l’avantage que les autres approches scientifiques n’ont pas grand-chose à dire sur la pratique, sinon ramener les sujets à des pas grands choses. Mais il faut éviter de leur donner des armes. Et la théorie de HRF n’est pas sans défaut à ce sujet. Le sens (moral, éthique) qui se dégage de sa manière de concevoir le développement des petits d’hommes me va bien. Mais elle a quelques aspects réductionnistes sur l’embrayage entre ce que j’appelle les pulsions brutes et le proprement humain.

    Il donne aussi à ses adversaires des verges pour le battre, car ces sciences ont quand même des choses à dire. Si une théorie psychanalytique rentre dans suffisamment de détails, les sciences cognitives peuvent parfois dire si c’est compatible avec ce qu’elles trouvent. Il ne faut pas se croire au temps de Freud et faire des hypothèses invraisemblables sur ce qui relève de sciences connexes. Je viens par exemple de lire un article dont l’auteur conclu que ses observations scientifiques sont en accord avec la théorie du mantèlement (voir plus loin la théorie de Meltzer dont HRF s’inspire).

    Or HRF se place dans un cadre qui me semble particulièrement vulnérable. Je ne peux croire à sa théorie des 4 stades, avec passage d’un stade à l’autre par une « traduction », comme d’un langage dans un autre. Je suppose que les sciences cognitives pourront à moyen terme le tester.

    Il utilise aussi des arguments un peu réducteurs qui pourraient se retourner contre la psychanalyse. Certes il présenter l’autisme comme produit par des réticences à s’engager dans la voie du « langage », donc des problèmes typiquement relationnels, mais il met systématiquement en avant des défauts bien plus élémentaires, comme par exemple de ne pas savoir faire de relation entre deux sensations. Ce que dément le fait que les autistes sont tous capables des comportements les plus simples (manger à la cuillère par exemple), qui nécessitent déjà un nombre considérable d’intégrations. Et que dire des comportements usuels (cuisiner un plat) que les plus atteint sont capables d’effectuer. D’ailleurs, la théorie de Meltzer à laquelle se réfère HRF est une théorie du -mantèlement : on y suppose un mantèlement (réunion des diverses entrées) préalable à la déliaison ultérieure. Il suffit de supposer cette déliaison comme un mécanisme secondaire, que les causes primaires de l’autisme peuvent orienter uniquement vers certains objets, les objets à démanteler.

    Chapitre 2

    Concepts principaux

    du développement normal

    On va ici donner des définitions des concepts principaux dont nous aurons besoin. Les premiers sont à la limite de la psychanalyse : représentation psychique, conscience, pulsion brute et besoin. Ce sont plutôt des objets des sciences psychologiques et cognitives générales (s’appliquant d’ailleurs à l’animal). Il me semble utile d’en préciser ma conception : même si l’architecte ne fait pas les briques, il est bon qu’il en sache quelque chose, surtout que HRF ira parfois les solliciter.

    REPRÉSENTATION PSYCHIQUE

    Un objet de calcul virtuel

    Le psychique est pour moi l’organe (fonctionnel) qui s’occupe des représentations. Les deux termes sont donc inséparables. Le terme représentation désigne un objet de calcul du cerveau qui peut se manipuler d’une manière quelque peu similaire au réel qu’il est susceptible de représenter. Le propre des représentations est de pouvoir se mettre en relation, de permettre au cerveau de travailler sur elles comme il travaillerait sur un réel « virtuel ».

    On verra plus loin que les représentations peuvent se mettre en trois catégories : le symbolique, l’imaginaire et le réel. En fait, il faudra plutôt dire que chaque représentation possède un peu de chacun de ces aspects. On va essayer de séparer rapidement l’aspect réel : c’est la partie de la représentation qui ne peut s’écrire re-présentation. En effet, dans le terme représentation, on entend aussi « présentation de nouveau », et on aurait pu limiter le terme de représentation à ne désigner que ce que le sujet peut se re-présenter à peu près à sa guise. Mais on ne le fera pas, la frontière entre réel et imaginaire étant très incertaine.

    Initialement le cerveau produit du réel, puis de l’imaginaire. Par exemple, à partir d’expériences vécues, il pourra simuler le mouvement du bras qui s’approche de l’objet convoité, à la fois du côté image (l’image du bras qui se déplace), du côté proprio-perceptif (le ressenti du corps qui bouge), ainsi que les sensations avec l’extérieur (quand le doigt touche l’objet). Une partie des représentations produites lors de l’expérience vécue n’est pas reproductible (la partie dite chez moi Réelle).

    Les représentations psychiques ont pour propriété la capacité d’être en relation. Ces relations sont en grande partie d’autres représentations. Dans l’exemple du mouvement du bras précédent, il s’agira de comparer les positions, la vitesse… entre les différents instants simulés. Comparateurs qui sont des représentations déjà plus abstraites, moins imaginaires. Mais ceci ne veut pas dire que ceci forme système, du moins système unique, où toute représentation peut se mettre en relation avec n’importe quelle autre. On va admettre que cette capacité à former système est acquise quand il y a constitution d’une représentation du système psychique en tant que tel, quand on sait qu’on pense (ce qu’on appelle en général la conscience, mais qui n’en est que le stade le plus évolué).

    La boite noire de l’automatique

    La notion de représentation, et donc de psychique, est en opposition avec ce que je vais désigner par calcul automatique. Quand il analyse les informations qui lui arrivent de l’intérieur ou de l’extérieur du corps, le cerveau commence par décomposer les signaux en de multiples processus élémentaires. Par exemple, dès la sortie de l’œil, l’image rétinienne est décomposée en une dizaine d’images, produites par des filtrages spécifiques, qui après de multiples retraitements, vont aboutir, chez les animaux évolués, à reconstruire de véritables représentations des objets extérieurs. Avec les pixels de l’image du chat, mon chien va d’abord en éclater le traitement dans de nombreux processus automatiques en parallèle, analysant les contrastes, l’existence de lignes, la présence de mouvement… pour finalement constituer une représentation de la bête dont il est jaloux (c’est du représentatif).

    On n’est pas conscient de ces mécanismes automatiques, mais on peut éventuellement focaliser son attention sur des propriétés élémentaires de l’image, les lignes ou les contours par exemple, et retrouver par un autre mécanisme, représentatif, des objets que le calcul automatique avait établi.

    Les processus (ou mécanismes ou calculs) automatiques dont on vient de parler sont primaires, dans le sens où ils prennent de l’information qui n’est pas passée par le psychisme. Mais il en existe d’autres, secondaires, qui nécessitent le concours de la conscience dans leur construction, même s’ils peuvent s’en passer ensuite. Les plus communs sont les processus qui guident nos mouvements. Mais il en est de bien plus en connexion avec la subjectivité, en particulier ceux qui produisent les affects (on discutera plus loin des affects produits par la vision de « ma mère »).

    Les sensations ont un double aspect : elles sont le produit des mécanismes automatiques, mais frappent à la porte du système représentatif (si on suppose la présence d’une conscience). Elles finissent par y être représentées, de manière plus ou moins riche (seulement la sensation ou avec ses causes et les moyens de la prendre en charge). Représentée, une sensation devient une perception (mais ce terme implique peut-être une connotation « conscience » que je n’avais pas l’intention de mettre initialement).

    Les mots

    En avance sur la partie réservée au symbolique, il me faut dire quelques mots sur les mots. Les mots sont bien représentés psychiquement. Indépendamment de son sens on reconnait un mot, on sait le prononcer, on sait s’il est français. Il ne s’agit là que de la suite de phonèmes ou de la suite de lettres, c’est néanmoins le noyau de la représentation du mot. C’est une représentation au sens déjà utilisé (représentation d’un réel extérieur, au moins phonétique). Mais ce noyau est relié fortement à diverses représentations (des choses, des actions…). Dans la plupart des cas, la relation est assez stricte : le mot renvoie à une famille de représentations assez reliées. Parfois c’est très varié, il suffit de prendre un bon dictionnaire franco-anglais pour constater la multitude des significations d’un mot. Les mots sont des représentations

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