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Fiona
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Livre électronique307 pages4 heures

Fiona

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À propos de ce livre électronique

1307, ce contexte moyenâgeux intolérant et misogyne n’est pas favorable à Fiona, la descendante de la famille d’initiés que nous suivons depuis la préhistoire, dans la saga anthropologique « Des Lumières dans la Nuit ». Elle a la malchance de rencontrer un moine vicieux et vindicatif qui va la persécuter ainsi que sa fille Flore. Nous vivrons avec elle dans cette Provence si différente de la France du nord : les villageois se sont déjà regroupés en communautés prêtes à défendre leurs droits et à en découdre avec leurs seigneurs, même devant la justice comtale. Elle va vivre des aventures où elle côtoiera des moines éclairés, des Templiers, des prostituées, de riches bourgeois, l’injustice, la maladie, la mort,… Mais où l’amitié et l’amour garderont toujours autant d’importance. Même dans les moments les plus sombres, brillent toujours des lumières dans la nuit. N.B.) Chaque roman de la série « Des lumières dans la nuit », peut se lire isolément. Nous retrouvons la même famille au cours des millénaires mais les histoires sont indépendantes.
LangueFrançais
Date de sortie3 nov. 2014
ISBN9782312025438
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    Fiona - Ève Mélan

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    Fiona

    Eve Mélan

    Fiona

    Des lumières dans la nuit 3

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2014

    ISBN : 978-2-312-02543-8

    Avant-Propos

    1307, la Provence n’est toujours pas française, elle dépend du Saint Empire Romain Germanique. Elle est dirigée par le Comte Charles II d’Anjou qui passe son temps à guerroyer en Italie pour défendre son royaume de Naples et de Sardaigne. Mais c’est l’Église qui détient la plupart des terres et un pouvoir immense. L’Inquisition, toute puissante, détermine ce qui fait partie du dogme et ce qui est hérésie. Nous sommes à la veille de l’arrestation des Templiers. Les femmes sont quantité négligeable. Qu’elles soient nobles ou paysannes, elles ont très peu de droits, elles dépendent complètement de leur père, puis de leur mari. Mais à cette époque, contrairement à ce qui se dit fréquemment, il y eut peu de procès en sorcellerie. C’est un siècle plus tard et surtout à la Renaissance qu’ils furent très fréquents. Ce qui n’empêche pas quelques illuminés ou, comme dans notre histoire, des personnes ayant des intérêts divers, d’accuser leurs antagonistes d’hérésie voire de sorcellerie.

    1307, ce contexte moyenâgeux intolérant et misogyne n’est pas favorable à Fiona, la descendante de la famille d’initiés que nous suivons depuis la préhistoire, dans la saga anthropologique « Des Lumières dans la Nuit ». Elle a la malchance de rencontrer un moine vicieux et vindicatif qui va la persécuter ainsi que sa fille Flore. Nous vivrons avec elle dans cette Provence si différente de la France du nord : les villageois se sont déjà regroupés en communautés prêtes à défendre leurs droits et à en découdre avec leurs seigneurs, même devant la justice comtale. Elle va vivre des aventures où elle côtoiera des moines éclairés, des Templiers, des prostituées, de riches bourgeois, l’injustice, la maladie, la mort,… Mais où l’amitié et l’amour garderont toujours autant d’importance.

    Même dans les moments les plus sombres, brillent toujours des lumières dans la nuit.

    NB) Chaque roman de la série « Des lumières dans la nuit », peut se lire isolément. Nous retrouvons la même famille au cours des millénaires mais les histoires sont indépendantes.

    1. Innocentes

    – Flore, ne t’éloigne pas, la forêt est dense ici, tu risquerais de ne plus me voir.

    – Ne te soucie pas, Maman, si je ne te vois, je t’entends.

    – Il y a suffisamment de fleurs le long du chemin ! Cette année les pluies de début de printemps ont été abondantes, les violettes et les pâquerettes sont nombreuses.

    – Bouh !

    La fillette sauta devant sa mère comme un lutin malicieux, ses cheveux blonds piquetés de fleurs violettes et blanches. Fiona ne put s’empêcher de rire.

    – Coquine, les fleurs ne sont point pour tes cheveux mais pour mes médecines.

    – Oh, mes cheveux ne les gâtent pas ! Regarde, après il suffit de les secouer.

    Et de joindre le geste à la parole, elle agita sa tête au-dessus du panier, en une pluie odorante.

    – J’ai faim, je peux prendre une tranche de pain ?

    – Bien sûr, assieds-toi au soleil ; j’ai presque fini, nous pourrons rentrer.

    – Je suis contente que nous soyons retournées dans le vallon, je préfère notre chaumière à la maison du bourg, même si elle est plus petite.

    – Moi aussi, j’aime le bruit de la rivière, les chants d’oiseaux, les odeurs de la nature.

    – C’est sûr que pour les odeurs, le village n’est pas fameux !

    – Tes amies ne te manqueront pas ?

    – Oh, elles viendront souvent ; en été le vallon est tellement agréable pour jouer, on peut se baigner dans l’étang… Et nous, nous irons au village, il y a toujours quelqu’un de malade qui t’appelle ou une maman qui accouche.

    – C’est vrai. Mais nous n’avons pas fini de déménager toutes nos affaires, nous aurons encore plusieurs voyages à faire avec Grison bien chargé. Où est-il d’ailleurs ? Flore ! Tu ne l’avais pas bien entravé ?

    – Je le vois, il est un peu plus loin, je vais le chercher.

    – Attention ! Une voiture arrive !

    ****

    – Mon cher Pierre, il faut savoir ce que l’on désire dans la vie. Personnellement, je suis bien aise d’appartenir à Monseigneur Duèze{1}. Il est clair qu’il ne se satisfera pas d’être évêque de Fréjus. Et s’il s’élève, nous suivrons son ascension…Tu sais qu’il est très apprécié par Charles le Boiteux{2}, il a été son clerc. En ce moment, il escompte être nommé Chancelier de Provence. Mais chut,… c’est un secret, bouche cousue !… J’adore être dans le secret des dieux !

    – Et que briguez-vous pour vous-même ?

    – J’aspirerais à être nommé Inquisiteur de Provence. Entre la multiplication des Vaudois{3} dans le nord et les assertions de sorcellerie dans toute la chrétienté, des hommes forts sont nécessaires pour combattre l’hérésie qui nous entoure,… sans parler des Juifs qui gangrènent tout le territoire. Il faut épurer tout cela et j’aimerais le faire. C’est d’ailleurs en prévision de cet ouvrage que Monseigneur m’envoie surveiller certains lieux où de curieuses pratiques demandent à être examinées.

    – Nous devons aller à Barjols, je crois ?

    – Oui, on nous a signalé une cérémonie qui semble plutôt extravagante. Elle est célébrée en l’honneur de Saint Marcel mais il semblerait qu’il s’y mêle des pratiques frisant de près les coutumes païennes{4}… Il faut voir…

    – Puis nous irons à Sisteron ?

    – Non, nous rencontrerons l’Évêque de Sisteron, tu es bien informé, c’est ce que j’apprécie chez toi. Mais nous n’irons qu’à Lurs, dans sa résidence d’été, elle est plus agréable. Tu sais que je goûte mon confort ! Mais avant, nous nous arrêterons à Moustiers où l’on cause beaucoup au sujet de miracles qui se produiraient depuis quelque temps dans l’église. J’aime les miracles ! Ils apportent de bonnes espèces sonnantes et trébuchantes… Oh, ne me considère pas ainsi ! Il est vrai que je suis Dominicain et donc j’ai fait vœux de pauvreté mais c’est pour l’Église que je veux de l’or, afin de pouvoir magnifier ses œuvres et la protéger des démons qui rôdent autour de nous.

    – Où coucherons-nous ce soir ?

    – A Salernes. Nous n’en sommes d’ailleurs plus très loin. L’endroit est très plaisant mais le château laisse à désirer. Une seule grande salle en pierres. On y accède encore par une échelle que l’on peut retirer en cas de danger, comme au siècle dernier ! Les chambres des invités sont à l’étage, en torchis, on ne peut les chauffer de peur des incendies. Mais on ne manque point de bois pour la grande cheminée du bas et la pitance est abondante. En voyage, il ne faut pas se montrer trop exigeant. Il y a des compensations, regarde ce joli tableau : cette paysanne qui cueille des fleurs dans cet écrin d’un vert printanier. Cela me donne envie de me dégourdir les jambes… Cocher, arrête-toi ! Je terminerai à pied. Pierre, je compte sur toi pour que notre hôte ait préparé une réception qui me repose de tous ces soubresauts dans cette horrible voiture. D’ordinaire, il n’est pas avaricieux et il a été avisé hier mais vérifie tout de même.

    – Entendu, Monsieur le Chanoine, je prépare votre arrivée. A tout à l’heure. Vous ne voulez pas que nos gardes vous escortent ?

    – Non, j’ai envie d’être un peu seul.

    Il rebroussa chemin, vers l’endroit où il avait aperçu la jeune paysanne.

    – Bonjour, ma fille. Que cet endroit est joli ! Et toi, tu es belle à croquer. D’ailleurs, j’ai envie de te croquer…

    – Seigneur, désirez-vous une tranche de pain cuit de ce matin ? Ou un peu d’eau ? C’est tout ce que j’ai loisir de vous offrir.

    – Tu es avare, tu as bien d’autres choses à m’offrir ! Un joli petit corps un peu maigrelet mais des mamelles bien rondes…

    – Vous vous moquez ? Vous êtes homme d’Église à voir votre robe et, ce me semble, vous faites vœu de chasteté.

    – Qu’est-ce qu’une paysanne comme toi connaît de notre règle ?

    – Peu de chose, il est vrai, mais je suis une honnête femme !

    – Que signifie « honnête » ? Les femmes sont là uniquement pour nous tenter, la Bible l’explique clairement. Regarde-toi avec tes cheveux dénoués qui affolent mes sens. Vous êtes des Èves et en tant que telles, si nous ne voulons pas nous laisser prendre à vos filets, nous devons seulement jouir de vos attraits épisodiquement. Allez, assez parlé. Soulève ta jupe que je me vide de mon trop plein d’énergie.

    Sans plus écouter la jeune femme, il attrapa brutalement ses cheveux d’une main et de l’autre chercha à dénuder sa poitrine.

    – Lâchez-moi ! Vous allez commettre un grand pêché et moi de même !

    – T’occupe pas de mon âme, et toi, je te donnerai l’absolution, chuchota-t-il la bouche sèche…

    La jeune femme, sans bouger, le regarda droit dans les yeux et se concentra pour lui intimer d’esprit à esprit :

    « Arrête immédiatement, laisse cette femme et fait pénitence pour ton péché ou tu seras maudit ! »

    Il libéra Fiona comme s’il avait été brûlé.

    – Qu’as-tu dit ?

    – Je n’ai point parlé.

    – Quoi ? J’ai entendu !… Tu es une sorcière !

    Et, tournant les talons, il se mit à courir vers le village.

    Flore qui revenait avec Grison le regarda passer les yeux ronds d’étonnement.

    – Qu’est-ce qu’il a, Maman ?

    – Je ne sais. Viens, rentrons vite dans notre vallon.

    ****

    Le Chanoine parvint devant les murailles du château, à bout de souffle. Il fallut attendre un grand moment avant qu’il puisse raconter à Pierre et au Seigneur de Salernes, Raymond Geoffrey de Castellane, ce qui lui était arrivé : 

    – J’ai été attaqué par une sorcière !

    – Que voulez-vous dire, s’étonna son hôte ?

    – La femme que nous avons aperçue tout à l’heure, Pierre, quand je me suis approché pour lui dire bonjour et m’enquérir de l’utilisation des fleurs qu’elle cueillait,…

    – Eh bien ?

    – Elle m’a lancé un regard terrible de ses froids yeux verts de serpent. Et elle m’a injurié, mais sans bouger les lèvres ! Et elle m’a lancé un mauvais sort, elle m’a dit que j’étais maudit !

    – Mais, il n’y a pas de sorcière à Salernes !

    – Vous ne savez les reconnaître aussi bien que moi ! C’est même ma spécialité. Monseigneur Duèze compte me confier la charge d’Inquisiteur et, comme moi, il tient particulièrement à chasser ces engeances de Satan{5}.

    – A quoi ressemblait-elle ?

    – Cheveux de feu, yeux de serpent, mince, environ 25 ans. Une enfant d’une dizaine d’années l’accompagnait. Elle ramassait des herbes, sans doute pour quelque potion maléfique.

    – On dirait Fiona. Elle prépare des médecines mais seulement pour soigner, elle n’a jamais fait de mal. Dans le village, tout le monde l’aime, elle se dévoue sans compter pour aider, même quand on n’a rien à lui offrir en paiement.

    – Cela, c’est ce qu’elles nous font accroire, leurs pratiques sataniques sont bien cachées. Vous pouvez avoir confiance, je sais les déceler. Où se trouve sa tanière ?

    – En hiver, elle loge au village mais aux beaux jours elle habite dans un vallon qui lui appartient, à environ une lieue{6}. Je pense qu’en ce moment elle doit s’y tenir.

    – Fournissez-moi des soldats que j’aille l’appréhender. Il faut la questionner et la griller avant qu’elle ne fasse plus de mal.

    – Mais, il faut d’abord vous reposer. Regardez, la nuit tombe. J’ai très peu de gardes, deux seulement au château et il doit y avoir six hommes, rémunérés par le Conseil Communal en cas de besoin. Mais pour les réquisitionner, il faut avoir l’aval des Consuls{7}. Il faudra attendre demain pour cela. D’ici là nous y verrons plus clair,… après la quiétude de la nuit.

    – Vous avez l’air de penser que je suis comme une pucelle effarouchée. Je n’ai pas une crise de nerfs, je sais ce que je dis et la nuit n’y changera rien.

    – Loin de moi cette idée, mais peut-être devrions-nous en parler à notre curé qui connaît bien Fiona.

    – Vous croyez qu’un curé de campagne est plus à même que moi de débusquer les sorcières ?

    – Sûr que nenni ! Mais,… venez vous désaltérer, il commence à faire froid, nous serons mieux à l’intérieur. Voyez, nous avons construit un escalier extérieur pour accéder à notre pièce principale, et nous avons refait les cuisines à neuf. Elles ont brûlé l’an dernier, c’est l’embarras des constructions en bois. Si les récoltes sont bonnes, j’aspire à surélever d’un étage en pierre la partie principale de la bâtisse, pour remplacer celui qui est en torchis{8} pour le moment. Nous pourrons ainsi avoir des chambres plus aisées à chauffer quand nous recevrons des invités.

    – Bonne nouvelle ! J’aurais dû attendre pour vous visiter…

    Trêve de fariboles. Faites quérir vos Consuls sur le champ, je veux avoir des gardes à ma disposition demain à la première heure !

    – J’envoie un serviteur dans l’instant. Un verre de vin chaud vous fera certainement du bien en attendant l’arrivée des Consuls.

    ****

    – Maman, cette soupe est délicieuse !

    – Petite futée, ne pense pas pouvoir me séduire pour que je te conte une histoire de plus avant le coucher.

    – Oh, Maman, on est si bien toutes les deux à regarder la flambée crépiter ! Raconte-moi encore juste un petit bout de l’histoire d’Aurochs, notre ancêtre.

    – Non, mon petit amour, demain nous devrons nous lever très tôt, avant le soleil je pense.

    – Pourquoi si tôt ?

    – Je te l’expliquerai demain. Apprends la patience si tu veux devenir une puissante guérisseuse.

    Flore finit par se coucher sur la paillasse confortable, bourrées de paille neuve et odorante. Fiona y mettait toujours de la lavande et de la tanaisie pour empêcher les insectes d’y nicher. Une chaude couverture de laines multicolores, tissée par la jeune femme à la façon des anciens Gaulois, l’entourait comme un oisillon dans son nid douillet. Et malgré son désir, elle s’endormit en un instant.

    Fiona, s’assit alors à côté de son lit et la regarda longtemps, caressée par les lueurs du foyer avant de se coucher à son tour. Elle voulait profiter le plus possible de cette douce quiétude, cette chaude atmosphère qui, elle le savait, ne pourrait durer.

    ****

    – Seigneur, les Consuls sont arrivés.

    – Fais les entrer, Mathias… Bonsoir mes amis, je vous présente Monsieur le Chanoine Gontran de la Castellière, du chapitre de Fréjus. Il est l’envoyé de Monseigneur l’Évêque. Il a une information très grave à vous révéler. Monsieur le Chanoine, je vous présente nos deux Consuls communaux, Marcel Laugier et Jean Brémond.

    – J’ai besoin de vos hommes en armes, ce demain avant le lever du jour, pour appréhender une sorcière dangereuse.

    – Qui ? Quelle sorcière ? A Salernes, s’étonna Marcel ?

    – Une certaine Fiona, d’après le Sieur De Castellane.

    – Fiona n’est pas une sorcière, s’insurgea Jean ! C’est une bonne chrétienne qui va régulièrement à l’église et passe son temps à soigner les malades qui en ont besoin.

    Le Chanoine devint rouge et explosa :

    – Pour qui vous prenez vous, manants, pour me contredire ? Je suis le délégué de l’Évêque, Chanoine aux affaires doctrinales et bientôt Grand Inquisiteur de Provence. Vous croyez que je ne sais reconnaître une âme damnée ?

    Allissende, la femme de Raymond, intervint alors :

    – Mais en êtes-vous vraiment certain, Monsieur le Chanoine ? Vous l’avez peu vue, d’après ce que j’ai cru comprendre. En général, il y a interrogatoires, témoignages, procès, pour se forger une idée précise de la situation. Je connais très bien Fiona, elle m’a aidée à accoucher de mon fils, sa fille est une amie de ma Sibylle, elle soigne tout le village depuis des années, ainsi que son père avant elle. Je n’ai jamais remarqué la moindre malveillance chez elle.

    Le Chanoine, de plus en plus congestionné, vitupéra :

    – Les femmes doivent se taire devant leur seigneur et devant les représentants de Dieu ! Vous croyez-vous suffisamment instruite en droit canon pour me donner la leçon et m’expliquer comment confondre une sorcière ? Sachez, tous tant que vous êtes, que ceux qui défendent les hérétiques risquent de se retrouver, eux-mêmes, engeôlés et soumis à la question afin d’élucider leur participation aux actes de démonisme. S’il y a procès, méfiez-vous de ne pas vous retrouver accusés comme défensores{9} vous risqueriez l’excommunication et de lourdes peines !

    Tous les témoins de la scène avaient pâli et regardaient le sol, l’air contrit.

    – Calmez-vous, Monsieur le Chanoine, personne n’aurait l’outrecuidance de nier vos grandes connaissances et la justesse de vos avis. C’est seulement, l’étonnement qui nous fait parler. Mais vous aurez vos gardes demain. N’est-ce pas Marcel, temporisa Raymond de Castellane ?

    – Oui, sans conteste, nous pourrons vous dépêcher quatre hommes armés.

    – Bon, avec vos deux sentinelles Raymond, et notre suite, cela suffira. Nous partirons une heure avant la fin de la nuit. Je veux attraper la sorcière à son réveil.

    – Oui, une douzaine d’hommes pour traquer une seule jeune femme et son enfant, cela devrait suffire, murmura Allissende en se dirigeant vers la partie de la pièce qui servait de chambre, sous l’œil suppliant de son mari et celui furibond du Chanoine.

    *****

    2. Chasse aux sorcières

    – Flore réveille-toi, ma douce !

    – Déjà ? Il fait encore nuit !

    – Je sais, mais un grand danger nous menace.

    – Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

    – Tu te souviens de l’homme que nous avons vu, hier dans la forêt, il est en colère contre moi, parce que je n’ai pas voulu le laisser coucher avec moi, il veut se venger et il en a le pouvoir. Il nous faut fuir.

    – Où allons-nous aller ?

    – Nous allons devoir nous séparer. Toi, dans un premier temps, tu vas te cacher dans le grand chêne, à l’entrée de la clairière, personne ne t’y verra. Quand les hommes seront tous passés, tu t’enfuiras, tu iras à la ferme templière retrouver le cousin Honorat. Il te protégera. Je t’y rejoindrai dès que possible. Ne retourne pas au village, le méchant moine t’y trouverait. Et surtout, ne t’inquiète pas pour moi. Quoiqu’il arrive, nous nous retrouverons. Et même si nous sommes séparées, nos esprits se rencontreront chaque fois que nous le voudrons. Nous avons une grande chance d’avoir cette faculté.

    – Mais tu as eu une vision de ce qui va nous advenir ?

    – Non, ma Flore. J’’entends seulement la colère du moine, je sais qu’il rameute des hommes pour venir nous prendre et nous faire du mal. Mais il faut faire confiance à nos guides, à nos ancêtres, ils nous aideront.

    – Pourquoi tu ne viens pas te cacher avec moi ?

    Ils nous chercheraient et finiraient par nous retrouver. Je vais rester dans la maison, le plus possible, puis je me débrouillerai pour fuir par le Trou du Loup. Tu sais que je cours vite, ils ne me rattraperont pas. Et je suis sûre que les hommes du village qui ont été obligés de les accompagner ne nous trahiront pas, ils ne parleront pas du passage secret du Trou du Loup.

    Je n’ai pas envie de te quitter, Maman !

    Il le faut, sois courageuse, tu es grande, tu as neuf ans. Et surtout, n’écoute pas les gens qui te diront que nos dons sont mauvais ; les dons, quels qu’ils soient, ne sont que ce que les hommes en font. Nos facultés nous permettent de faire le bien autour de nous, elles ne peuvent être mauvaises… Dieu n’a jamais dit le contraire. Seuls les hommes qui aiment le pouvoir sont offusqués de ne pas être capables de faire ce que nous faisons, ils voudraient nous asservir, utiliser nos possibilités à leur avantage. Et quand nous refusons, ils veulent nous détruire. Promets-moi de ne jamais avoir honte de ce que tu es ni de ce que tu fais, si au fond de toi tu sais que c’est bien.

    Je te le promets.

    Fais-moi un gros câlin et vas-y vite. Je t’aime.

    ****

    Parmi les hommes de Salernes aucun n’était heureux de participer à l’arrestation de Fiona. Tous lui étaient redevables de quelque chose. Il avait fallu toute la diplomatie de Marcel et Jean pour leur faire comprendre qu’ils ne pouvaient rien contre les désirs du Chanoine. Que mieux valait ne pas le mécontenter, autant pour leur propre bien que celui de Fiona et Flore. Ils espéraient, au fond d’eux-mêmes, qu’elle saurait se défendre des accusations que tous savaient mensongères.

    Tout au long du chemin jusqu’au Vallon de la Source, le prêtre les avait incités à prier en chœur. Aux lueurs des torches, la procession n’en était pas moins morose.

    Dès qu’ils arrivèrent devant la chaumière de Fiona, le Chanoine l’interpella :

    Fiona Duvallon femme Mourau, au nom de Monseigneur Jacques Duèze, Évêque de Fréjus, je t’enjoins de sortir afin de répondre de tes crimes de sorcellerie.

    A travers l’huis, elle répondit :

    Je ne suis pas une sorcière et je n’ai pas à répondre de ces crimes. Je refuse de sortir.

    Tu refuses ! Mais pour qui te prends-tu ? Sale femelle ! Sors immédiatement de ton antre ou, par Dieu, je te grille dedans ! 

    Après quelques instants d’hésitation, il arracha une torche des mains de l’un des gardes et la ficha dans un pan du mur qui avait souffert de l’hiver, le bois était à nu, il s’enflamma rapidement.

    Lancez vos torches sur le toit !

    Mais Monsieur, il n’y a pas eu de jugement ! Il y a son enfant avec elle !

    Aucun des gardes ne bougeait, le Chanoine, comme fou, se mit à hurler :

    Démon et engeance de démon ! Qu’elles grillent, et qu’elles finissent en enfer !

    Il prit deux torches qu’il jeta lui-même sur le toit.

    Le feu avait déjà consumé une grande partie du mur ; à l’intérieur, on pouvait voir une paillasse qui s’enflammait, la maison entière se transformait en brasier. Un hurlement leur parvint du grand chêne situé à l’entrée de la clairière :

    Non ! Maman ! Maman !

    C’est la petite Flore, dit un des gardes.

    Allez la chercher, intima le Chanoine.

    Viens petite, descends.

    Flore dévala de l’arbre et fonça vers le Chanoine. Elle le martela de ses poings.

    Ma Maman ! Elle était dans la maison et vous l’avez brûlée ! Vous êtes un monstre, je vous déteste ! Le bon Dieu vous punira ! Maman !

    Le Chanoine devint livide et cracha :

    Démon et engeance de démon ! Emmenez cette furie !

    Pierre intervint alors :

    Vous n’allez pas l’engeôler. Elle est trop jeune !

    Je vais y réfléchir. Gardes, ramenez-la au château. Je vous rejoindrai plus tard, je veux attendre la fin de l’incendie pour vérifier que la sorcière a bien brûlé.

    Maman !

    La plupart des hommes avaient les larmes aux yeux. Ils revinrent au village, la tête basse. Flore marchait comme une somnambule en sanglotant à fendre l’âme.

    Quand ils arrivèrent au château Raymond et Allissende de Castellane les attendaient. Un des gardes leur conta les événements en quelques mots. Allissende était blême de contrariété, elle prit Flore

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