Enfin !: Le dénouement de l'affaire Dreyfus
Par Anne Parlange et Vincent Raude
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À propos de ce livre électronique
1903. Le général Louis André, ministre de la Guerre, se voit dans l’obligation de se saisir de l’affaire Dreyfus. Celle-ci empoisonne la vie politique française depuis neuf ans. Elle jette le trouble dans l’opinion, qui se partage en deux clans irréductibles : dreyfusards et anti-dreyfusards. L’affaire fracture l’armée, dont Louis André est le ministre depuis 1900. Louis André reprend le dossier à zéro, avec l’aide du capitaine Antoine Targe. Enfin ! raconte la traque de la vérité dans un procès à tiroirs. Solidement appuyé sur des sources historiques, ce thriller au style fluide permet de comprendre une affaire qui dura douze ans, de 1894 à 1906. L’on découvre aussi un personnage méconnu et brillant, qui paya cher son attachement à la liberté : Louis André.
Anne Parlange et Vincent Raude nous partagent avec brio les événements qui ont empoisonné la vie politique française au début du XXe siècle.
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Aperçu du livre
Enfin ! - Anne Parlange
Anne PARLANGE et Vincent RAUDE
Enfin !
Le dénouement de l’affaire Dreyfus
Récit historique
ISBN : 979-10-388-0085-4
Collection : Hors-Temps
ISSN : 2111-6512
Dépôt légal : Février 2021
© couverture Ex Æquo
© 2021 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays. Toute modification interdite
Éditions Ex Æquo
6 rue des Sybilles
88370 Plombières Les Bains
www.editions-exaequo.com
Préface
Et si les livres avaient le pouvoir de ressusciter des grands hommes disparus ? C’est bien ce que les deux auteurs parviennent à réaliser dans ce thriller historique ! Enfin ! raconte l’histoire singulière de l’homme qui réussit à réhabiliter le colonel Dreyfus. L’affaire empoisonne la vie politique française depuis neuf ans quand en 1903, le général Louis André, brillant polytechnicien, ministre de la Guerre, se voit dans l’obligation de s’en saisir. Elle jette le trouble dans l’opinion, qui se partage en deux clans irréductibles : dreyfusards et anti-dreyfusards, elle fracture l’armée, dont Louis André est le ministre depuis 1900. Aidé par le capitaine Antoine Targe, le ministre va reprendre tout le dossier à zéro avec énergie et ténacité. Enfin ! raconte la traque de la vérité dans un procès à tiroirs. Solidement appuyé sur des sources historiques, ce thriller au style fluide permet de comprendre une affaire qui dura douze ans, de 1894 à 1906. C’est surtout un bon moyen de découvrir un personnage méconnu et brillant, qui paya cher son attachement à la liberté : Louis André. On suit son parcours, son enquête et son quotidien au fil des pages, entre Paris et les coteaux bourguignons de Gevrey-Chambertin ! On y croise même de hauts personnages de l’État et le passage de la rencontre dans le train entre Louis André et Georges Clémenceau est à lui seul un morceau d’anthologie.
Découvrez une partie méconnue de l’histoire de France à travers cet ouvrage.
Introduction
Le général Louis André, ministre français de la Guerre de 1900 à 1904, se trouve placé dans un angle mort de l’Histoire. Il est pourtant l’homme qui demanda, et obtint, que la Cour de cassation se prononce sur l’innocence du capitaine Alfred Dreyfus, victime d’un procès inique au mépris des règles de droit élémentaires. Il est le ministre qui a permis d’innocenter Alfred Dreyfus.
Il l’a chèrement payé. Son nom n’est cité, avec dérision, que dans la tumultueuse affaire dite « des fiches ». Sinon, c’est le silence{1} qui prévaut.
Le colonel George Picquart fut, avant le général Louis André, le premier soldat à s’élever contre l’injustice. Le roman de Robert Harris, en français « D. », dans son édition originale en langue anglaise « An Officer and a Spy », paru en 2013 et adapté au cinéma en 2019 par Roman Polanski, narre le travail de Picquart et souligne son grand courage, avec une fidélité marquée aux faits historiques.
Mais Picquart ne contribua qu’à la libération de Dreyfus. Il ne le fit pas innocenter. Dreyfus, grâcié au bout de cinq années horribles, était toujours déclaré par la justice militaire coupable du crime de trahison.
C’est Louis André qui rouvrit le dossier. Avec le même courage que Picquart, il se battit pour, cette fois, rendre son honneur à un homme. Louis André fut remarquablement secondé par le capitaine Antoine Targe.
Les nationalistes extrémistes, outrés, jurèrent de l’abattre.
Enfin ! raconte l’histoire vraie de Louis André, l’un des ministres les plus solides de la IIIème République, puisqu’il tint bon plus de quatre ans.
Chapitre 1
8 avril 1903
Chaque matin, je me rends à mon bureau, au moins quand je suis à Paris, et au ministère de la Guerre. Ce qui n’est pas toujours le cas. C’est même moins fréquent que je ne le voudrais. Il faudrait que mes journées durent quarante-huit heures. Entre les visites aux régiments, essentielles à mes yeux, les entretiens personnels que je ne peux refuser, les attaques incessantes des ennemis de la République, et les tracas budgétaires, nécessitant de longues stations à la Chambre des députés ou au Sénat, j’ai le sentiment que le temps d’un ministre de la Guerre passe à une vitesse vertigineuse, épuisante. Cela fait sans doute trop longtemps que je suis ministre. Presque trois ans.
Avant-hier, le 6 avril, je me trouvais à la Chambre, mais pour une autre raison : Jean Jaurès a prononcé un discours-fleuve. Il a commencé par un prétexte, l’invalidation d’un député, Gabriel Syveton, puis en est venu à son véritable but : démonter, point par point, les arguments des anti-dreyfusards, montrer que le dossier de culpabilité d’Alfred Dreyfus est vide et obtenir la révision et l’annulation du procès de Rennes, en 1899.
Ce procès de Rennes, un Conseil de guerre, était organisé pour rejuger Dreyfus. Statuant sur le verdict rendu en 1894, il a connu un épilogue inattendu. Les juges militaires ont de nouveau conclu au crime de haute trahison d’Alfred Dreyfus, mais avec circonstances atténuantes. Ce qui est incompréhensible. L’armée est empoisonnée par cette affaire depuis 1894. Neuf années de chausse-trapes, de faux-semblants, de clameurs féroces et, hélas, d’assassinats.
Lemercier-Picard, un lampiste, et le commandant Henry, artisan de la première condamnation, en 1894 donc, ont été supprimés — assassiné, pour le premier nommé, et suicidé, pour le second. Suicide décidé ou aidé, personne ne sait. Un attentat a été commis le 14 août 1899 contre Labori, l’un des deux avocats d’Alfred Dreyfus au procès de Rennes. On lui a tiré dans le dos, la balle s’est logée à quelques millimètres de la colonne vertébrale et c’est un miracle qu’il en soit sorti vivant. Les artistes s’en sont mêlés. À ce qu’on m’a dit, Émile Gallé, le verrier de Nancy, a pris position publiquement pour Dreyfus et a même réalisé pour l’innocenter un vase, intitulé Les Hommes noirs. Tout un programme. Sans parler bien sûr d’Émile Zola.
Je ne suis ni antisémite, ni philosémite. Avant de serrer la main à quelqu’un, je ne lui demande pas s’il est auvergnat, corse ou juif. Mais il faut un peu de loi dans cette affaire. Elle en a cruellement manqué. On s’est reposé sur les affirmations des ministres qui m’ont précédé. Je ne dis pas cela parce qu’ils m’ont précédé, mais parce que c’est la réalité. Il convient de reprendre les pièces, une par une, avec un regard libre. Si Dreyfus est coupable, il sera convaincu d’avoir trahi. S’il est innocent, la justice doit reconnaître son erreur et réparer le tort qui lui a été fait. Actuellement, je ne sais pas.
J’ai proposé au président du Conseil, qui l’a accepté, de mener une enquête « personnelle » sur l’affaire, car il faut en sortir, d’une façon ou d’une autre. Les qualificatifs ont leur importance. C’est plus que délicat : le ministre de la Guerre ne doit pas apparaître, ne peut pas apparaître, comme remettant en cause les juges et la justice. L’autorité de la chose jugée s’impose à tous. Pourtant, il m’est impossible de tolérer ce désordre. Les esprits militaires sont profondément troublés, qu’on le veuille ou non. Il m’appartient de faire cesser ce trouble. Il n’a que trop duré.
C’est pourquoi j’ai convoqué ce matin le capitaine Antoine Targe, mon officier d’ordonnance. X 1885{2}. Fin, tenace, sans peur d’aucune sorte dès lors qu’on l’a chargé d’une tâche, il bénéficie de toute ma confiance depuis mon entrée en fonctions, en mai 1900, à la suite de la démission inopinée de Gaston de Galliffet, ministre de la Guerre avant moi. Il est d’une loyauté absolue et républicain dans l’âme.
— Targe, je vous charge d’une mission.
— À vos ordres, mon Général.
— Asseyez-vous.
Le bureau du ministre de la Guerre est grand, confortable et beau. De hautes portes-fenêtres, donnant directement sur le jardin, laissent entrer la lumière de ce matin d’avril. Sous un soleil printanier, les arbres et les pelouses composent un paysage d’une paix inimaginable en plein Paris. Pas un brin d’herbe ne dépasse. Parfois, j’ai l’impression fallacieuse que le monde est à l’image de ce jardin, réglé comme du papier à musique, harmonieux. Ce sont les vertiges du pouvoir, les pires. J’ai beau m’en défendre, je ne le puis. Ce sont des corbeaux criards, aigres, vulgaires, insupportables. Je les chasse. Ils reviennent. La seule solution que j’ai trouvée est de courir plus vite qu’eux, de travailler sans trêve.
On peut dire que je suis servi. J’ai trouvé ce ministère dans un état étrange, en mai 1900. L’état-major y faisait la pluie et le beau temps. Un quarteron de généraux tous plus vieux les uns que les autres, flattés par des colonels plus jeunes qui ambitionnent de devenir généraux, obsédés par les décorations et les mondanités. Ces gens-là n’ont jamais fait la guerre, ou bien ils ont oublié qu’ils l’avaient faite.
Targe s’assied, sans s’asseoir, tout en s’asseyant. C’est un spectacle : il relève légèrement le pli de son pantalon au-dessus des genoux et pose le propriétaire du pantalon sur une chaise Empire aux montants de bois précieux. Le voilà habitant provisoire de la chaise. Concentré, il ouvre son carnet et attend.
Dix secondes s’écoulent. J’allume une cigarette. Je ne sais par quel bout prendre cette affaire.
— Targe, vous allez pénétrer dans tous les bureaux du ministère et vous faire remettre tous les documents, même ceux qui vous paraîtraient insignifiants, relatifs à Alfred Dreyfus, depuis sa sortie de l’X. Vous me rendrez compte personnellement, tous les matins, à huit heures, sauf, évidemment, quand je serai absent du ministère.
— Tous les documents, mon Général. Tous les matins à huit heures. C’est noté.
— Vous rencontrerez des résistances. De fortes résistances. Parlez-m’en immédiatement, je ferai en sorte que vous puissiez travailler. Fixons-nous une échéance. Vous devrez avoir terminé vos investigations pour le premier septembre. Ce qui vous fait cinq mois.
— Si je puis me permettre une question, mon Général, avez-vous une idée des bureaux qu’il faut visiter particulièrement ?
— Le ministre de la Guerre qui était en fonctions lors de la première condamnation de Dreyfus, en 1894, le général Auguste Mercier, s’est appuyé sur un dossier dit « dossier secret ». Lequel n’a pas été communiqué à l’accusé. C’est ce dossier qu’il faut retrouver en premier lieu. S’il n’a pas été détruit. Ensuite, vous verrez, tout suivra. Mais ce ne sera pas facile, Targe. Ne vous attendez pas à des comportements amicaux. C’est une litote. « L’armée est comme le soleil, a dit Billot{3}, malheur à qui voudrait y découvrir une seule tache ! ». Inutile de vous dire que je ne partage pas ce point de vue. Les procédures juridiques militaires existent et il faut les respecter. Il n’est pas certain qu’elles l’aient été. En tout cas, il faut vérifier.
— À vos ordres, mon Général.
L’huissier frappe deux coups à la porte intérieure du bureau, jouxtant la porte capitonnée qui garantit le secret des conversations. Cela signifie que mon prochain rendez-vous est arrivé. Je mets fin à l’entretien, en raccompagnant Targe jusqu’à la porte-fenêtre. En passant par les jardins, il sera vu par tout le ministère. C’est ce que je veux.
Je ne supporte pas les cendriers pleins et on me les change toutes les deux heures. Le temps que je suive du regard Targe qui s’éloigne dans le parc, c’est fait. Dire que j’ai été consigné douze jours en salle de police, à l’École polytechnique, pour avoir fumé dans des locaux où c’était interdit… Pas de domestiques ici, uniquement des militaires. Le chef cuisinier est un sergent, natif de Toulouse, qui a le génie de la cuisine et quinze appelés sous ses ordres. Les jardiniers, les palefreniers, les vétérinaires et les personnes chargées du ménage de l’Hôtel de Brienne, rutilant de propreté, ont des grades variés. Les officiers d’ordonnance qui composent mon cabinet, plutôt jeunes, sont tous passés par Saint-Cyr ou l’X. Je ne connais pas véritablement les deux tiers d’entre eux. À l’état-major et au Conseil supérieur de la guerre, j’ai du mal à mettre un nom sur tous les visages. Uniquement des généraux, à deux ou trois étoiles. Quant aux militaires qui peuplent les bureaux, je ne les connais pas du tout.
La vieillesse vient. Je la sens dans mes articulations. Le souffle aussi. Il est devenu court. Je monte toujours à cheval, mais me hisser en selle constitue désormais un effort. J’ai toujours aimé les montures à la robe blanche. Mais, curieusement, mon dernier cheval est pommelé. C’est Marguerite qui m’a offert ce pur-sang, un lusitanien, trouvé au haras de Cluny. Il s’appelle Juan. Quand je le serre entre mes genoux, il frissonne. Son pas est délicat, précautionneux. Dans l’hiver de Côte d’Or, il souffle des naseaux une vapeur qui m’enchante. J’ai l’impression de redevenir celui que j’étais autrefois. Son galop est très beau, franc, ailé. C’est un cheval qui ne dissimule rien.
Qui dira le plaisir de monter à cheval ? Je n’ai vidé les étriers qu’une fois, en 1878. Dans les fonctions que j’ai occupées, mes subordonnés veillaient toujours à ce que je dispose de chevaux jeunes et endurants. Il ne convenait pas que je me préoccupe de ces questions. Pourtant, je n’ai jamais pu changer de cheval sans un raidissement intérieur. Où était passé le précédent ? À la réforme, ou bien affecté à quelque subalterne…
Je ne m’apitoie pas sur