Gévaudan: Petites histoires de la grande bête
Par Benoit Baud'huin et Alain Bonet
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À propos de ce livre électronique
Lorsque Charles Perrault publia Le petit Chaperon Rouge en 1697, il était sans doute loin de se douter que son conte trouverait une forme de réalité près de 70 ans plus tard dans des attaques cruelles et féroces perpétrées par une bête insaisissable dans le Gévaudan entre 1764 et 1767. Les auteurs de Gévaudan - petites histoires de la grande bête sont tous deux spécialistes de cette tragédie et nous livrent ici une œuvre singulière en choisissant de faire le récit du côté des victimes. Ils réalisent une enquête très complète et documentée sur les circonstances des attaques effroyables dont furent victimes les habitants de la région obligés de s’armer pour tenter de faire face et de se protéger maladroitement. Cet ouvrage est une sorte d’hommage à tous les enfants, femmes et hommes sauvagement mordus, voire tués par le monstre. On peut suivre son parcours sur le vaste territoire équivalent à l’actuel département de la Lozère et comprendre comment la Bête déjoua toutes les battues mises en œuvre pour faire cesser ses actions. Cet ouvrage vous donnera peut-être envie d’aller sur place pour suivre les traces encore vivaces du passage de la Bête en chantant dans les bois « Loup y es-tu, que fais-tu ? »
Découvrez une enquête très complète et documentée sur les circonstances des attaques effroyables dont furent victimes les habitants du Gévaudan entre 1764 et 1767.
EXTRAIT
N’ayant pas eu le temps d’en faire mention dans le procès-verbal, je vous supplie de vouloir bien m’envoyer un certificat particulier sur cette observation, joint aussi avec l’œil droit et le côté représentant la même blessure qu’il a reçue de moi tant de la balle qu’il a à l’œil que des postes. Je vous prie de trouver bon que je paye au peintre, au sculpteur ce tableau et toutes les dépenses concernant ce loup, et que j’aie l’honneur de vous en présenter un comme un hommage qui vous est si légitimement dû sur toutes les bontés dont vous m’avez bien voulu honorer, ce qui n’est pas étonnant, étant parent de mes plus chers bienfaiteurs.
Ledit loup bien représenté tant par le sculpteur en bois, doit y prendre le contour de ce loup, au-dessus de la peau, et plus fort qu’il n’est, parce que quand la peau de ce loup sera passée en la posant sur ledit modèle en bois dudit loup, ce que ladite peau ne pourra pas recouvrir, il sera [assez ?] à temps d’ôter le superflu du bois que ladite peau ne pourra pas contenir, ainsi il sera bien recouvert de sa peau après qu’elle aura été passée, le représenter debout sur ses quatre pieds, après quoi nous l’emporterons à Versailles pour être vu du Roi, des princes et des ministres.
A PROPOS DES AUTEURS
Alain Bonet effectue des recherches sur la Bête du Gévaudan depuis 2001. Il a mis en ligne la « chronodoc », la plus importante documentation sur l’affaire en accès libre, utilisée par de nombreux chercheurs et auteurs.
Benoît Baud’huin, vétérinaire et connaisseur de la chasse, a effectué l’essentiel des recherches nouvelles en Gévaudan et dans les archives, et a eu la chance de découvrir des témoignages pas ou peu connus.
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Aperçu du livre
Gévaudan - Benoit Baud'huin
Table des matières
Résumé
Les auteurs
Avertissement
Préface
Introduction : Le Gévaudan en 1764
Chapitre 1 : La Bête en Gévaudan
Chapitre 2 : Une attaque à Bergougnoux
Chapitre 3 : Cruel début d’année
Chapitre 4 : De janvier à février
Chapitre 5 : Les grandes chasses
Chapitre 6 : Chastel, vous avez dit Chastel ?
Chapitre 7 : Mauvais poissons d’avril
Chapitre 8 : La Bête (se) manifeste le 1er mai
Chapitre 9 : La famille Pichot, et autres témoins et acteurs
Chapitre 10 : Triste anniversaire
Chapitre 11 : L’été meurtrier
Chapitre 12 : L’août, y es-tu ?
Chapitre 13 : La pucelle du Gévaudan
Chapitre 14 : Le désespoir de M. Antoine
Chapitre 15 : La Bête est morte !
Chapitre 16 : Où est passée la Bête ?
Chapitre 17 : Le retour du fils de la vengeance de la Bête
Chapitre 18 : Bientôt deux ans
Chapitre 19 : Été, automne, hiver…
Chapitre 20 : La dernière année de la Bête
Chapitre 21 : Ultimes résistances
Chapitre 22 : Les dernières victimes et la vraie mort de la Bête
Chapitre 23 : Les derniers mystères de la Bête
Chapitre 24 : Une ultime révélation
Conclusion : L’histoire de la Bête
Glossaire
Index des personnes
Sources
Livres
Publications
Internet
Archives
Compléments
Divers
Remerciements (B. Baud’huin)
Remerciements (Alain Bonet)
Dans la même collection
Résumé
Lorsque Charles Perrault publia « Le petit Chaperon Rouge » en 1697, il était sans doute loin de se douter que son conte trouverait une forme de réalité près de 70 ans plus tard dans des attaques cruelles et féroces perpétrées par une bête insaisissable dans le Gévaudan entre 1764 et 1767. Les auteurs de « Gévaudan - petites histoires de la grande bête » sont tous deux spécialistes de cette tragédie et nous livrent ici une œuvre singulière en choisissant de faire le récit du côté des victimes. Ils réalisent une enquête très complète et documentée sur les circonstances des attaques effroyables dont furent victimes les habitants de la région obligés de s’armer pour tenter de faire face et de se protéger maladroitement. Cet ouvrage est une sorte d’hommage à tous les enfants, femmes et hommes sauvagement mordus, voire tués par le monstre. On peut suivre son parcours sur le vaste territoire équivalent à l’actuel département de la Lozère et comprendre comment la Bête déjoua toutes les battues mises en œuvre pour faire cesser ses actions. Cet ouvrage vous donnera peut-être envie d’aller sur place pour suivre les traces encore vivaces du passage de la Bête en chantant dans les bois « Loup y es-tu, que fais-tu ? »
Alain Bonet effectue des recherches sur la Bête du Gévaudan depuis 2001. Il a mis en ligne la « chronodoc », la plus importante documentation sur l’affaire en accès libre, utilisée par de nombreux chercheurs et auteurs.
Benoît Baud’huin, vétérinaire et connaisseur de la chasse, a effectué l’essentiel des recherches nouvelles en Gévaudan et dans les archives, et a eu la chance de découvrir des témoignages pas ou peu connus.
Benoît Baud’huin – Alain Bonet
GÉVAUDAN
PETITES HISTOIRES
DE LA GRANDE BÊTE
Biographie
Préface de Alexandre Astier
ISBN : 978-2-37873-071-0
Collection Hors Temps
ISSN : 2111-6512
Dépôt légal mai 2018
© couverture Ex Aequo
© 2017 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays. Toute modification interdite.
Éditions Ex Aequo
6 rue des Sybilles
88370 Plombières les bains
www.editions-exaequo.fr
Hommage aux victimes et résistants
à l’occasion du 250ᵉ anniversaire
de la mort de la Bête du Gévaudan.
Photo : La Sogne d’Auvers, lieu de la mort de la Bête, le 19 juin 2017 à 10h15, exactement 250 ans plus tard.
Les auteurs
Alain Bonet effectue des recherches sur la Bête du Gévaudan depuis 2001. Il a mis en ligne la « chronodoc », la plus importante documentation sur l’affaire en accès libre, utilisée par de nombreux chercheurs et auteurs.
Benoît Baud’huin, vétérinaire et connaisseur de la chasse, a effectué l’essentiel des recherches nouvelles en Gévaudan et dans les archives, et a eu la chance de découvrir des témoignages pas ou peu connus.
À mes deux petites bêtes.
Benoît
To Belladora, who wanted me to tell her a « French legend. »
Alain
Avertissement
La Bête du Gévaudan n’est pas une légende, même si elle en est souvent l’objet ; ce n’est pas une invention de conteurs, mais un véritable épisode historique, la plus documentée et la plus célèbre de toutes les histoires de « Bêtes » que la France a connues.
La Bête demeure un mystère dans la mesure ou, en dépit d’un grand nombre d’ouvrages et d’hypothèses plus ou moins sérieuses ou bien argumentées, aucun historien n’est à l’heure actuelle en mesure de fournir une explication plausible et documentée à toutes les interrogations soulevées par l’affaire – à commencer par la véritable nature de la Bête.
Cet ouvrage ne prétend pas donner LA solution de l’affaire, ni même en donner un récit complet. Nous ne mentionnons pas tous ses ravages, toutes ses victimes, pas même celles les mieux avérées. Nous entendons avant tout en raconter l’histoire et faire vivre ses protagonistes au travers des épisodes qui nous ont semblé les plus marquants, les plus représentatifs ou les plus attachants.
Dans la mesure du possible nous donnons la parole aux acteurs de la façon la plus directe. Nous offrons également le résultat de nouvelles recherches, l’éclaircissement de certains « petits » mystères et de nouvelles pistes pour la recherche.
L’ignorance, les hésitations ou les oppositions des chercheurs ne sont pas dissimulés. Nous avons tâché de travailler au plus près des documents en notre possession, et de soumettre nos sources à un examen critique. Certaines ayant tenu à l’anonymat, il ne nous est pas possible de toutes les citer. Nous reconnaissons que les informations fournies ne peuvent être tenues pour assurées, et attendons la possibilité de corroborations indépendantes.
Comme l’indique le titre de l’ouvrage, nous nous plaçons plutôt du côté de la « petite » histoire que de la grande. D’autres ouvrages sont mentionnés en fin de volume pour ceux qui voudraient explorer davantage les tenants et aboutissants de l’affaire.
Un index est fourni en fin d’ouvrage. Un certain nombre de termes marqués d’un astérisque, sont explicités dans un glossaire.
Au cours de votre lecture, il vous sera possible d’élaborer vos propres axes d’intérêt : le mystère historique, bien sûr, mais aussi les portraits humains ou la sociologie, car l’affaire de la Bête est un formidable révélateur de la société du Gévaudan, un peu plus de vingt ans avant la Révolution française.
Nous espérons que les rencontres que nous vous avons ménagées avec les femmes, enfants et hommes du Gévaudan, résistants et victimes, ne vous laisseront pas indifférents. Si nous ne fournissons pas de solution, nous espérons en revanche susciter votre curiosité et vous fournir les outils pour de futures recherches personnelles.
Les auteurs
Préface
Deux cartes. L’une sur l’autre.
Après avoir quitté le quai de Conti et l’Académie, Alain et moi-même nous trouvions au milieu de la rue de Seine. Au beau milieu, même : sur la chaussée. Les pieds agressés par le froid de novembre, un œil vigilant — tout de même — sur l’éventuelle approche d’un véhicule, notre attention se portait sur deux cartes. L’une sur l’autre.
Celle du dessus, un simple plan du quartier. Celle du dessous, dont les contours plus imprécis se devinaient par transparence, l’équivalent de la première, mais datant de la fin du 18ᵉ siècle. Deux cent cinquante ans de fluctuation cadastrale se matérialisaient sous nos yeux ; on voyait là d’anciennes rues disparues sous les constructions de l’ère industrielle, on se figurait les archaïques pâtés de maison progressivement tranchés par le tracé de nouvelles voies. La Rue-des-Marais-Saint-Germain, à l’angle, avait cédé la place à la rue Visconti, et l’Hôtel de la Rochefoucault, probable dernière demeure de la dépouille de la Bête du Gévaudan, n’était plus qu’un fantôme d’édifice dont nous tentions de deviner les contours évaporés.
« Il y a tout lieu de croire… » Lorsqu’Alain Bonet entame une réplique de la sorte, il y a tout lieu, en effet, de le croire, tant la précision avec laquelle il aborde la matière historique de la Bête fait montre d’obsession. « Il y a tout lieu de croire que la Bête n’a jamais quitté la demeure de M. de la Rochefoucault. », m’asséna Alain alors que nous évitions un fourgon de livraison. Je connaissais cette histoire. Je la connaissais d’Alain, pour être honnête. La dépouille de la Bête, que le voyage en plein juillet 1767 du Gévaudan jusqu’à Paris avait considérablement altérée, avait échoué chez M. de la Rochefoucault. C’est là que Buffon serait venu y jeter un œil, qu’il aurait conclu — un mouchoir sous le nez, probablement, et au nom de Louis XV — que l’état de la Malebête ne permettait pas qu’on la présentât à Versailles… Rien n’assure donc, en effet, que l’animal ait quitté les lieux.
Alain et moi tournions la tête à droite, à gauche, comme si le fantôme du diable de la Margeride allait sortir de terre d’une seconde à l’autre, enfin, pour se présenter. Qu’aurait donc ordonné M. de la Rochefoucault en cet été 1767 ? « Jetez-la aux ordures ! Loin ! » Peut-être. En ce temps, les ordures, c’était la rue. « Faites un trou à cette horreur au fond du jardin et n’oubliez pas d’y balancer une pelletée de chaux vive ! » Pourquoi pas ? Une dépouille en pleine terre recouverte de chaux… c’est sûr, ce ne serait pas une bonne nouvelle. Mais imaginons… « Enfermez ce vampire dans un sac, le sac dans un coffre et enterrez-moi ça ! N’économisez pas les clous ! Des fois qu’il lui prendrait de se réveiller de sa mort ! » Deux cent cinquante ans, ce n’est pas tant. Un morceau d’os. Un petit bout de dent. Un brin de pelage. Une griffe. De nos jours, la vérité aussi est miniature… un rien peut dire tout.
La rue Visconti, certes, n’est pas grande, mais c’est une immensité océanique quand on pense à y retrouver un fragment organique de deux siècles et demi. Je regardais Alain, avec mon air aussi impuissant que fébrile… « Un sonar ? Vous pensez qu’on peut tenter quelque chose avec un sonar ? Je sais que ça semble impossible mais… si on quadrillait une zone intelligemment restreinte ? Si on obtenait une autorisation de creuser un peu ? De là à là, par exemple… Si la Bête est un canidé, aurait-on une chance de distinguer un de ses fragments de ceux d’un chien ordinaire ? À combien de mètres pourrait-elle être ? Y a-t-il le métro, là-dessous ? Et ce jardin, là ? Ne serait-il pas, pour partie, exactement à la place que tenait celui de l’Hôtel de la Rochefoucault ? »
La Bête ne m’avait jamais parue aussi proche, aussi vivante, à deux doigts de nous avouer sa nature, de venir nous croquer la figure. Dans ce livre, comme dans ses conférences, comme rue Visconti ou comme cette autre fois en Gévaudan où j’ai eu la chance qu’il me guide sur les pas du monstre, Alain Bonet est un incroyable biographe de la Bête du Gévaudan. Il n’a besoin — pour la ressusciter — que d’un bâton de marche pour affronter les escarpements de la Forêt de la Ténazeyre, ou d’un bouquin comme celui-ci… ou simplement de deux cartes. L’une sur l’autre.
Alexandre Astier
Introduction : Le Gévaudan en 1764
L’épisode de la Bête du Gévaudan s’est déroulé de 1764 à 1767, sous le règne de Louis XV. Pour planter le décor de cette affaire, il convient de savoir et se rappeler un certain nombre de choses.
Le Gévaudan de l’époque correspond en gros à l’actuel département de la Lozère. Le territoire de chasse de la Bête, cependant, s’étend au-delà. La Bête « du Gévaudan » a commencé ses attaques en Vivarais, et son territoire se partage entre deux provinces, l’Auvergne et le Languedoc, s’étendant vers le Rouergue, l’Aubrac et le Cantal. Figurez-vous un grand triangle dont les pointes seraient St.-Poncy, St.-Geniez-d’Olt et les Hubacs. C’est un territoire immense, que la chaîne granitique de la Margeride, culminant entre 1300 et 1500 mètres d’altitude, coupe en deux du nord vers le sud-est. La coordination nécessaire, entre les autorités des deux provinces et les chasseurs, ajoutera à la difficulté de la tâche.
Le comté du Gévaudan comptait 100 000 habitants, soit 16 habitants par km² ; c’est plus qu’aujourd’hui. La couverture boisée était en revanche moins importante qu’à l’heure actuelle. Plusieurs lieux signalés à l’époque comme prés ou champs sont de nos jours reboisés.
Un enfant sur trois seulement dépasse l’âge de 3 ans ; la moitié des enfants meurent avant d’atteindre 10 ans, mais la fécondité permet aux familles de dépasser souvent six enfants. L’espérance de vie est de 55 ans, et seule une personne sur 300 atteint l’âge de 90 ans. Un quart seulement de la population sait lire et écrire – si l’on définit cela comme : « être capable de signer son nom. »
La pauvreté touche environ un quart des habitants, non propriétaires. Comme ils ne payent aucune charge et que leur bétail pâture dans les communs, ils sont en général mal vus.
Les agglomérations principales (Mende, St.-Alban, Langogne, Marvejols, St.-Chély, Le Malzieu) ont des populations entre 1500 et 2500 habitants. Plus des trois-quarts des habitants de la région sont dispersés dans environ 200 paroisses rurales, qui peuvent compter de moins de 100 habitants jusqu’à un millier.
Pour mieux décrire comment le comté apparaissait à l’époque, laissons s’exprimer M. Antoine, chasseur royal venu pour détruire la Bête :
« Le Gévaudan est, ainsi que la partie de l’Auvergne qui l’avoisine, un pays de montagnes, la plupart très élevées, séparées les unes des autres par des gorges ou des vallées profondes, dans lesquelles coulent des petites rivières ou ruisseaux. Les revers de ces montagnes sont très rudes et très escarpés, coupés par des ravins et occupés par des rochers, ou couverts de bois bien fourrés et remplis eux-mêmes de rochers dans lesquels il y a des cavernes ou tanières profondes et inaccessibles, qui servent de retraite aux loups et autres bêtes féroces. L’on grimpe des vallées sur les montagnes par des sentiers en faisant des longs détours, la plupart des parties étant impraticables aux hommes et aux bêtes de somme, à cause des précipices qui s’y rencontrent. Les sentiers sont pierreux, très étroits, et ménagés au-dessus de ces précipices.
Ce pays est encore très marécageux, fécond en molières ou bourbiers. Les voyageurs en trouvent à tout instant qui les arrêtent. Il en est même où ils courraient le plus grand danger et où ils s’enseveliraient en entier, eux et leurs chevaux. Pour les éviter ils sont obligés de faire bien des détours et de sonder les endroits de passage, ce qui les retarde tellement dans leur marche que pour un trajet où l’on ne mettrait qu’une heure si on pouvait le faire à vol d’oiseau, l’on en emploie trois ou quatre.
Les molières ou bourbiers sont principalement sur le sommet des montagnes et dans les vallées ou vallons qui sont presque tous couverts de prairies. L’on en trouve aussi assez fréquemment sur les revers des montagnes, surtout dans les endroits où le terrain a moins de pente. Il sort des bourbiers qui sont sur le sommet ou les revers des montagnes une infinité de petites sources. Elles forment dans les vallons des ruisseaux ou petites rivières qu’on peut néanmoins guéer presque partout, excepté dans les temps de pluie : dès qu’elle est un peu abondante, ces ruisseaux et rivières grossissent prodigieusement par les torrents qui coulent avec force du haut des montagnes le long des ravins. Le moindre ruisseau devient alors un fleuve. L’on rencontre aussi dans ces ruisseaux par intervalles des gouffres qui obligent à se détourner pour aller chercher le gué.
Il n’y a que quelques petites villes ou bourgs dans le Gévaudan, éloignés presque tous les uns des autres. Les principales habitations ne sont que des villages, des hameaux ou des maisons isolées. Il en est de même de la partie de l’Auvergne qui est limitrophe. Les petites villes ou bourgs sont placés dans les vallons, ainsi que les villages les plus habités. Les autres lieux sont sur le penchant des montagnes, quelques-uns sur le sommet de celles qui sont les moins élevées, car les plus hautes ne sont point habitées à cause de la rigueur du climat et de la stérilité du sol.
Les habitants du Gévaudan et ceux de la partie de l’Auvergne qui l’avoisine, qui est la seule que jusqu’à présent nous ayons eu occasion de connaître, sont en général très pauvres. La principale subsistance de ceux qui habitent les lieux de ces deux provinces que nous parcourons est le laitage. Les pâturages et les prairies qui se trouvent dans leur terroir mettent le peuple à portée d’élever quelques bestiaux, et surtout des vaches qui leur donnent du lait dont ils se nourrissent. Sans cette ressource ils ne sauraient subsister, ce pays ne produisant que du seigle en petite quantité, et le peuple étant obligé de vendre une partie de celui qu’il recueille pour pourvoir à ses charges et à ses autres besoins. »
Chapitre 1 : La Bête en Gévaudan
Octobre 1764 ; voilà déjà plusieurs mois qu’une Bête attaque et tue femmes et enfants. Sa première apparition recensée date du 1er juin, lorsqu’elle a attaqué une femme près de Langogne, qui s’en sortit avec ses vêtements déchirés, ses bœufs l’ayant secouru à temps – mais cet épisode, dont on ne se souviendra qu’en avril 1765, et d’autres sans doute, ne sont guère qu’une rumeur. Cette Bête n’est pas encore LA Bête, et n’est pas encore celle du Gévaudan.
La première victime officiellement recensée, Jeanne Boulet, 14 ans, habite également la région de Langogne, aux Hubacs. Sans secours, elle est dévorée le 30 juin. Jusqu’en octobre, toutes les attaques auront lieu dans le Vivarais. Elles sont attribuées aux loups ; ce sont des loups que l’on chasse, et lorsqu’un est tué, on envisage que la série des meurtres va s’achever ; mais bientôt le doute monte. Début septembre les autorités réagissent et entament des chasses contre « l’espèce de monstre » qui répand la terreur. À compter du 16 septembre on parle bien désormais de LA Bête, et des récompenses sont offertes pour sa destruction, mais cette « Bête » n’est pas encore décrite dans les documents en notre possession. À la mi-octobre, les autorités parlent encore, vaguement, du « monstre ou léopard. »
Dans un premier temps les chasses semblent efficaces. Après une dernière attaque meurtrière le 29 septembre aux Thors, paroisse de Rocles, la Bête quitte le secteur de Langogne pour le Gévaudan ; le 7 octobre y marque la première victime à Apcher, paroisse de Prunières. La Bête ne reviendra pas sur le lieu de ses premiers crimes avant un certain temps.
C’est à un abbé du pays, Pierre Pourcher, que nous devons le premier ouvrage d’importance sur la Bête, en 1889. L’abbé Pourcher n’a pas connu la Bête, mais ses ancêtres ont été les témoins et parfois les protagonistes de l’histoire. Outre les documents historiques qu’il a rassemblés, l’abbé transmet fréquemment dans son livre les traditions orales colportées par sa famille, et nous livre ainsi une anecdote contemporaine de l’arrivée de la Bête en Gévaudan :
« Un jour du mois d’octobre, Pourcher Jean-Pierre, le père de mon aïeul, né à la Baraque-de-la-Croix-de-Trives, et marié à Julianges, avait fait battre des gerbes toute la journée pour mêler la paille avec du regain, dans la grange au-delà du village. Pendant qu’après la journée les ouvriers se rendaient à la maison pour souper, Jean-Pierre arrangeait sa paille au fond de la grange ; il n’était pas encore nuit et la neige couvrait tout ; il aborde à la petite fenêtre et il voit quelque chose qui suit le chemin de la fontaine. Une espèce de frayeur le saisit. Il descend vite, prend son fusil et va se mettre à la fenêtre de son écurie, qui était aussi en face de la fontaine. Presqu’aussitôt il lui arrive une bête qu’il ne connaît pas ; c’est la Bête, c’est la Bête se dit-il. Quoique très fort et très laborieux, la peur l’avait saisi au point qu’à peine il pouvait tenir son fusil. Il fait le signe de la croix et lui lance un coup de fusil. La Bête tombe, se relève, se secoue et sans bouger de place, elle regarde furieuse autour d’elle. Le père de mon grand-père lui lance un second coup de fusil, cette fois ci elle tombe et jette un cri sauvage, se relève, se secoue et part, faisant un bruit semblable à celui d’une personne qui se sépare d’une autre après une dispute. Ce grand-père disait dans la suite : si on ne prend pas le moyen d’obtenir de Dieu et de la Sainte Vierge notre délivrance, elle nous dévorera tous, et tout ce qu’on fera sera continuellement inutile. »
Quand a eu lieu cet épisode ? Il est impossible de le savoir avec précision ou certitude. Seule la mention de la neige nous donne un indice ; on sait par un courrier du comte de Morangiès, grand noble habitant à St.-Alban, non loin de là, qu’il y neigeait le 26 octobre.
Il est encore possible aujourd’hui de retrouver au Mazet de Julianges et dans les archives les traces de cet épisode. Jean-Pierre Pourcher est mort en 1802. Il avait épousé en 1754 Marie-Agnès Bompard, fille de Jean Bompard. La relation entre les deux familles trouvera un écho lors d’un prochain épisode.
La maison