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Rodéo mortel sur la Loire: Polar breton
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Rodéo mortel sur la Loire: Polar breton
Livre électronique302 pages4 heures

Rodéo mortel sur la Loire: Polar breton

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À propos de ce livre électronique

Quel drôle d'oiseau, Fanny, cette motarde, benjamine de la troupe des Hogs qui ne savent pas ce qu’elle fait, d’où elle vient, ou même qui elle est.

Sur la Loire des châteaux, de Gien à Chinon en passant par Orléans, Amboise et Blois, un «fleuve-movie» chargé d’intrigues, en Harley-Davidson et en toue cabanée.
Motocycliste, marinière de Loire, passionnée de culture ligérienne et de festivals : qui est Fanny, fille maudite de la Loire ? Sulfureuse mais attachante, farouche dans sa liberté et prisonnière pourtant, elle fuit un passé terrifiant pour se précipiter dans un présent sans concessions, prêt à la broyer. Monstre ou victime ? Libertine insouciante, innocente ou dépravée, vulnérable et solitaire, connaissant tour à tour le dérèglement comportemental, les sévices corporels, l’abus de faiblesse, elle s’apprête enfin à découvrir la sécurité d’une relation constructive. Elle ne pourra s’y consacrer sans rompre des entraves implacables. De mystérieux personnages sans humanité lui fomentent un destin impitoyable.
Si elle refuse les enjeux qui l’amènent à trahir ses convictions et ses amis, quel sort lui réservent ceux qui la tiennent ? La mort, ou pire encore ?

Que lui veut-on ? Cèdera-t-elle ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Ecrivain complice de la Loire et de la Bretagne, Jean-Pierre Simon est aussi écrivain documentariste, également connu pour ses nouvelles, ses poèmes et paroles de chansons, ses aquarelles et le tournage du bois.
LangueFrançais
Date de sortie18 mai 2020
ISBN9782374690704
Rodéo mortel sur la Loire: Polar breton

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    Aperçu du livre

    Rodéo mortel sur la Loire - Jean-Pierre Simon

    hasard.

    Avant-propos.

    Toute ressemblance, etc., etc.

    L’air est connu, les paroles parfois détournées ; Costa Gavras ouvre le film Z, consacré à la période de la dictature grecque des « colonels », en écrivant en substance : toute ressemblance avec des faits et des personnages ayant réellement existé n’est pas le fait du hasard : elle est volontaire.

    Ce roman ne va pas aussi loin dans la provocation. Il n’a pas d’autre ambition que divertir, sur fond de Loire, de culture ligérienne, en s’ouvrant à d’autres univers, dépassant la dimension du terroir pour mieux s’y ancrer.

    C’est dans cette perspective que l’intrigue se nourrit de faits divers réels. Toutefois, ils sont transposés : les noms, les lieux et les dénouements sont changés. C’est la combinaison totalement imaginaire de ces évènements, dissociés dans la réalité, qui constitue l’intrigue du roman. C’est pourquoi j’ai entremêlé dans cette fiction l’épopée mortelle de jeunes tueurs révolutionnaires à moto, les crimes abominables d’un couple de pédophiles, les magouilles d’officines parallèles utilisant la dénonciation d’activistes supposés pour régler leurs propres conflits internes, le noyautage des manifestations par des casseurs commandités, les manipulations liées à la raison d’Etat. Il ne s’agit pas d’exacerber la théorie du complot, juste d’alimenter une histoire. Ce livre ne constitue une leçon pour personne. Il s’agit simplement de donner à lire.

    Vérités, mensonges ? La Fanny de Bréhémont en effigie existe réellement, mais l’épisode truculent qui introduit cette histoire n’a par contre jamais eu lieu. Quant à la Dame de Vallières, elle est pure invention répondant aux besoins de l’intrigue.

    Les propos tenus par les personnages de ce roman, tous imaginaires, n’engagent qu’eux-mêmes. Quiconque les désapprouve est invité à leur en faire part. La meilleure chance d’y parvenir est de lire mes autres romans.

    Ce sera l’occasion d’y redécouvrir les femmes, certes à travers le prisme masculin, mais sous des traits qu’on ne peint pas sur les potiches. La plus belle d’entre elles est sans doute la Loire, mais Fanny n’est pas en reste.

    Avant d’être attribué en tant que prénom à part entière, le diminutif Fanny dérivait le plus souvent de Stéphanie, comme dans le présent roman, ou, principalement dans le sud de la France, de Françoise, selon une acception qui fait référence aux origines franques du prénom, évoquant un symbole de liberté… à laquelle la Fanny de la présente histoire fait volontiers honneur.

    Fanny habite également le monde du jeu de boules, la pétanque, mais aussi tous les jeux qui y sont apparentés – notamment la Boule de Fort. Le mot « fanny » désigne la défaite absolue, celle dans laquelle on ne marque aucun point.

    La honte de cette Berezina est sanctionnée par une punition publique aussi infamante que le pilori : l’obligation d’embrasser, au vu de tous, une paire de fesses féminines, choisie de préférence ferme et rebondie. Tous les cercles boulistes possèdent l’effigie appropriée, remisée dans un placard et seulement exhibée le cas échéant. Exceptionnellement, certains boulistes ont eu à s’acquitter du pensum sur un fessier de chair ; si callipyge ait été la volontaire, la honte a occulté toute pulsion érotique.

    Quant à la Fanny de Marcel Pagnol, elle évoque la jeune femme délaissée, alors qu’elle attend un enfant ; le père, repentant, s’emploie à la reconquérir, trop tard. Un destin tragique.

    La Fanny que nous allons découvrir dans ces pages connaît également une terrible destinée… Elle est tout autre.

    1. Rendez-vous en terre chanvrière.

    Vulpins, pâturins et dactyles caressent à chaque virage les repose-pieds. Sur cette petite levée tourangelle, c’est fauchage raisonné, peut-être fauchage oublié. La moto se cantonne dans des borborygmes de buveur repu, l’allure étant presque sénatoriale. C’est une grosse moto, une Américaine au patronyme imprégné d’effluves impossibles de Route 66 : une Harley Davidson. La plus récente, la plus grosse : la dénommée Fat Boy S, forte d’un bicylindre de quatre-vingt-douze chevaux. Rutilante de chromes, peinte en rouge foncé là où il n’y en a pas. Une moto sur laquelle on descend pour s’asseoir, comme dans un coupé automobile.

    Fat Boy, et pourtant c’est une fille qui pilote. Une belle fille, grande, agréablement sculptée, sûre d’elle au guidon comme dans la vie. Elle n’a pas sacrifié au casque intégral, nostalgie oblige, préférant celui qui enveloppe les tempes, mais laisse le visage rougeoyer aux intempéries. De longs cheveux épais, d’un blond vénitien affirmé, s’échappent à l’arrière de ce couvre-chef désuet mais rituel. Elle est toute en cuir. Il est pourtant quelques garçons à savoir que sa peau est douce.

    Pour rejoindre le gentil village de La Chapelle-aux-Naux, égaré rive gauche en contrebas de la levée entre la confluence du Cher et le pont suspendu de Langeais, Fanny a choisi de suivre la Loire. Il ne s’agit pas seulement de rendre hommage aux Naux, ces nautoniers de Loire également nommés mariniers. Fanny aime la Loire, autant que la moto.

    Les autres membres du groupe se rendent à la concentr’ par d’autres chemins. Les plus rembourrés du postérieur ont opté, depuis Villandry, pour les pavés de l’ancienne voie romaine. Quelques motards sacrilèges se sont offert des portions d’autoroute. Fanny préfère cruiser.

    La concentr’, ce ne sera pas la grosse concentration de Harley du gentil village auvergnat de Cunlhat, abandonnée depuis quelques années, peut-être pour cause de débordements de Budweiser. La Bud’, ce sont encore les Ricains qui l’ont confisquée aux Tchèques, mais nos bons Slaves ont poursuivi en parallèle la production de cette bière Pils légère et rafraîchissante.

    Il n’y aura pas plus de douze motos, c’est-à-dire les deux tiers de la petite troupe de Hogs. Il ne s’agit pas de porcs, ils se gardent normalement des comportements fangeux, même après boire. Ce sont des membres d’un club Harley Owners Group, HOG conformément à la mode des sigles. Chaque fin de semaine, aux beaux jours, ces prospères propriétaires de Harley se retrouvent pour prendre du bon temps sur leurs machines, sans faire de folies, découvrant à l’occasion des aspects du patrimoine que les générations précédentes ont semé au fil de la Loire.

    Il n’y a pas de voyous parmi ces motards aux dos cloutés, aux manches frangées comme pour un rodéo, même si certaines dégaines sont insolites, bandeaux dans les cheveux longs tressés en catogan, barbes de prophète qui n’ont rien à prêcher, voire chemise ouverte par tous les temps sur une immense bedaine de buveur de boissons fermentées, comme Big Block, également célèbre parmi les motards pour son quintal largement majoré… Quelques anges de l’enfer repentis, ramenés à la soumission, à l’ordre public, pour cause de soudaine prospérité et de moto neuve. Car tous ces messieurs, pas tous jeunes – Fanny, à quarante-cinq ans, est la benjamine – ont donc de belles situations : chefs d’entreprise, cadres bancaires, professions libérales… on s’encanaille au guidon d’une belle machine, le temps d’un week-end. A cette fin, il faut pouvoir assumer les frais inhérents à la passion, ainsi que les notes rondelettes dans les restaurants où le petit groupe a coutume de se taper la cloche. Les cheveux sont gris, le teint rougi par le vent de la course. Lundi, la cravate sera de retour.

    Fanny, la seule fille de ce groupe, mais certainement pas la seule motarde en Harley-Davidson à fréquenter de semblables coteries, Hogs ou plus rarement Anges de l’enfer. Elle n’est pas sectaire, mais préfère ne pas être remarquée. Les satanistes, les racistes et les néo-nazis, ça ne fait pas partie de ses fréquentations, même sur deux roues. Mais il est également de faux voyous, qui roulent des mécaniques sans se prétendre des mécaniciens de la société. Ceux-là ne lui font pas peur.

    Elle assume sans difficulté apparente le rythme sportif et financier de l’activité des Hogs, où les cotisations sont confortables et la présence des concessionnaires plutôt affirmée. Les gars ne savent pas ce qu’elle fait, d’où elle vient, à peine qui elle est. Elle ne semble pas être en couple. Peu d’entre les motards ont eu avec elle ne serait-ce qu’une aventure. Si tel a été le cas, ils évitent, mystérieusement, de l’évoquer. Qu’importe, la motocycliste est sur les réseaux, dans les répertoires des portables. Un SMS, une annonce sur le site du club ou sur Facebook… elle est là.

    Elle fréquente également d’autres réseaux : on la voit apparaître sur tous les sites où se tiennent des festivals ou petites fêtes de Loire, de préférence avec de la musique.

    Sage, Fanny ? Allez savoir ! Quand on a ce beau visage lisse et grave, sans prise au temps, ces iris vert de Hooker, ce corps sculptural et tonique, cette apparente aisance physique, on séduit sans l’avoir cherché. Pourtant, ce qu’elle aime, c’est la musique, la moto, les bateaux de Loire. Une aventure amoureuse est pour elle aussi accessoire qu’une journée d’emplettes au supermarché pour une ménagère. Une sorte d’hygiène peut-être… ou simplement de gêne : drôle d’oiseau, Fanny !

    Lorsque toute la bande est calée, on repart d’où arrive la fille, vers le pont de Langeais. On traverse la départementale 57, direction Bréhémont. Les motos circulent sur deux files, en un groupe compact mais étiré. Sur la route, c’est comme si on avait affaire à un gros camion. Les gendarmes n’arrêtent jamais ces groupes de papys tranquilles, globalement respectueux des règles, nullement obsédés par la vitesse, au contraire de motocyclistes isolés qui font exploser les chronomètres, puis leurs carcasses sur les glissières de sécurité. De belles situations, en général, de la bonne bourgeoisie un peu excentrique… Quelques officiers de gendarmerie sont parfois du nombre ! S’ils encombrent un peu la route, au moins ils régulent le train des automobilistes les plus vifs.

    *

    Bréhémont est la porte d’un merveilleux bout du monde. On n’y passe pas, on y va. Au delà, par Rupuanne et jusqu’à Huismes, la levée égare la D 16 dans un improbable delta en pleines terres, la confluence de l’Indre se ramifiant en un Okavango tourangeau, entre les prairies inondables et les chalets Sam’suffit. Avant la fin de ces quinze kilomètres de diverticules routiers et hydrologiques, le château de la Belle-au-Bois-Dormant est calé au pied du coteau : Rigny-Ussé.

    Mais les motards ne passeront pas Bréhémont aujourd’hui : c’est là qu’ils vont. Ce n’est pas le souvenir de la culture chanvrière qui les attire dans cette modeste bourgade au port de Loire bien conservé. Du haut du parapet de la levée, on a vue sur les gabares des bateliers de l’association la Matelote. Lés des voiles carrées et cordages des boulines, soumis à l’usure de la navigation, étaient avides de chanvre ; la plante croissait parmi les bras du Vieux Cher et de l’Indre ramifiée : les lannes, fossés collecteurs artificiels. Simplement, la gentille commune, qui s’étiolait dans les années soixante, a été réveillée par les férus de la Loire à vélo et le renouveau de la marine de Loire. Elle a conservé ses traditions en les valorisant. Ainsi en va-t-il de la Boule de Fort.

    Il s’agit d’une forme très atypique de jeu de boules, associée à la Loire dans son cours inférieur. En réalité, ce loisir est répandu dans tout un secteur situé entre Touraine et Bretagne. Vers le sud, on joue jusque dans les Mauges, les Sarthois ont également leurs cercles, comme à La Flèche, où un balisage routier en fait état. Les origines du jeu sont controversées ; les tenants de l’origine ligérienne évoquent l’oisiveté des bateliers qui s’y adonnaient pendant les périodes d’inaction… c’est oublier la présence des membrures et l’encombrement des planchers des chalands. Il existe d’autres hypothèses, diverses et toutes difficiles à vérifier.

    La Boule de Fort est un jeu de subtilité. On ne lance pas les boules, on les fait rouler, en exploitant la piste courbe en parquet ou en matériau spécifique, que ce soit pour se placer ou déloger l’adversaire. Tout est feutré, y compris les pantoufles des joueurs, obligatoires. La boule elle-même est une œuvre d’art, avec son cercle de métal, jante arrondie entre deux masses de bois inégales. La plus lourde, le Fort, permet ce déséquilibre dans la propagation que les pratiquants exploitent savamment ; c’est la notion d’effet, qui confère au jeu toute sa subtilité. Le déséquilibre entre le Fort et le Faible peut être réglé, par le truchement d’une vis.

    Ainsi, il n’est pas rare de voir une boule volontairement poussée plus haut qu’il n’est nécessaire, afin de la faire redescendre tranquillement vers le but. Les joueurs les plus démonstratifs réalisent des effets de chiffon, un torchon magique conférant à la boule une variation de température qui optimise sa trajectoire !

    Les pratiquants du jeu cultivent leur patrimoine, avec des musées qui rivalisent d’authenticité. Dans les esprits, le jeu est encore fortement imprégné de sexisme, réservé aux hommes ; les femmes ont récemment réussi à s’imposer, jusqu’à devenir parfois, comme ici, cadres dirigeants. La Boule de Fort est un sport officiel, avec ses structures fédérales… mais aussi son folklore. Ainsi, à mi-chemin entre club-house et bistrot rural, un lieu de convivialité intégré au cercle propose des canons de Breton, le Cabernet Franc qui coule à flots de Bourgueil à Chinon, de Saumur à l’Anjou.

    La Boule de Fort se réclame de l’ensemble du répertoire de la tradition bouliste. On peut évoquer en particulier, en cas de défaite totale, la pratique de la fanny. La pétanque marseillaise évoque avec truculence ce pittoresque détail du jeu. La Boule de Fort y sacrifie aussi. Il s’agit d’une humiliation particulièrement cuisante pour les perdants absolus, ceux qui ont réalisé le pire score, le score nul. On demande aux malheureux défaits d’embrasser publiquement une paire de fesses féminine, de préférence gironde. Les regards goguenards des vainqueurs ajoutent à la honte.

    Il se trouve volontiers parmi l’assistance une beauté callipyge pour offrir son fondement dénudé à la punition absolue des vaincus. Mais quelques âmes prudes, associées à des apprentis ethnographes qui croient en l’appauvrissement de la campagne en effectifs féminins, ont prévu des fanny de substitution, des effigies. Ainsi, à Bréhémont, ladite fanny est un portrait en relief d’une sirène aux seins nus, qui n’exhibe nullement son derrière. Elle est recluse dans un placard. Si d’aventure la sanction infamante est prononcée, une sirène retentit, un mécanisme déclenche l’ouverture du placard. Cela exclut la pratique du baiser ; l’histoire ne dit pas si cette variante est liée à ce que le cercle comporte des dirigeantes.

    *

    Les 48 heures de la Boule de Fort ont plusieurs fois été organisées à Bréhémont, mais c’est à une compétition plus modeste que se sont inscrits les motards. Quelques-uns d’entre eux, suffisamment nombreux pour former une équipe, sont des fervents de ce jeu. Ils ont souhaité faire bénéficier toute la troupe de ce moment de convivialité sportive. Ces licenciés sont connus dans tout l’Ouest, quelques-uns des locaux les redoutent. Les motards ont tombé le blouson, troqué les santiags contre les pantoufles de rigueur. Manifestement, ils réussissent de belles bandes. Les novices assistent, déroutés, aux différentes phases de ce jeu original. La Fanny de chair qui les accompagne se montre vivement intéressée par la subtilité de ce jeu d’où la brusquerie est absente, même lorsqu’il s’agit de dégager la boule gênante d’un adversaire. On ne pointe pas, on ne tire pas… juste une poussée plus appuyée, et l’obstacle est évacué.

    A la fin de l’après-midi, les visiteurs motorisés sont désignés vainqueurs. Ils n’ont pourtant été encouragés que par leurs compagnons profanes, alors que les locaux bénéficiaient de l’ample soutien moral d’une partie de la population. Sur les quatre équipes participant au tournoi, l’une d’entre elles a été battue à plate couture. La défaite est carabinée, la honte absolue. Faillite totale : ils sont déclarés fanny. On prie donc les malheureux déconfits de se diriger vers le mystérieux retable fermé où sommeille l’infamante Fanny pisciforme. Le président du cercle octroie au leader des vainqueurs le privilège insigne d’appuyer sur le bouton qui déclenche le mécanisme. Bernique ! Fanny ne veut pas s’ouvrir.

    Tour à tour, les dirigeants s’escriment qui sur le mécanisme, qui sur les portes de la niche où l’effigie est recluse. Rien à faire, il faudra un serrurier, un électricien… un artificier, peut-être. Fanny est condamnée à perpète.

    C’est alors que la motarde, jusque-là silencieuse, prononce ces paroles qui resteront gravées dans la mémoire collective locale :

    – Je m’appelle Fanny. Je vais arranger ça.

    Sans attendre ni question ni permission, la belle se tourne face au mur. Elle dégrafe son pantalon de cuir, qu’elle fait tomber sur ses genoux. Une culotte blanche toute simple suit le même chemin. Sans ostentation, la fille exhibe un superbe fessier, celui d’une femme sportive à l’aube de sa maturité. Rien de commun avec les noisettes étiques d’une adolescente ou le séant conséquent d’une bourgeoise dans la force de l’âge se préparant au cinq à sept. Des fesses magnifiques.

    Les perdants comprennent tout de suite. Même si l’humiliation demeure, ils préfèrent cette solution plus authentique. Ils s’acquittent du chaste baiser, dans un silence de cathédrale. Le pensum terminé, Fanny se rajuste, se tourne vers l’assistance. On se congratule, on serre les mains, on prend congé. Aucun commentaire n’est proféré à propos de l’épisode atypique de « l’opération fanny ». La petite troupe des motards se débande dans la joie, chacun retournant à ses activités jusqu’aux prochaines retrouvailles.

    Presque une heure plus tard, c’est une phrase triviale de l’un des perdants qui rompra le charme, donnant le signal des tournées générales :

    – Quel beau cul !

    2. Bretons de la Loire.

    Fanny a repris le chemin qui conduit à sa retraite. Nul ne sait où elle loge. Elle n’invite personne, sinon dans la proximité immédiate. Elle n’évoque même pas le nom d’une ville, ni un département. Il est juste question de la Loire, dont elle se dit proche. Une légende court parmi les motards et les gens de spectacle. Elle serait l’ultime descendante d’une noblesse déchue, le château, sis en bord de Loire, ayant été rasé à une époque sur laquelle il reste à s’accorder. On devrait l’appeler « Madame la Comtesse ». Fariboles, élucubrations, vérité ? On évolue, sans savoir nager, dans le romantisme glauque pour roman photo.

    En remontant le fleuve sur son engin guère économe en carburant, la belle se surprend à espérer, une fois de plus, ne pas être arrêtée par un quelconque uniforme. Comme d’habitude, elle n’a pas de papiers à présenter. Etourderie ? Son charme naturel, l’image forte de la moto, ont jusqu’ici fait l’affaire. Prudente, elle choisit volontiers les petites départementales parallèles à la Loire, quand il en existe. Cependant, le franchissement des ponts peut s’avérer un piège, surtout la nuit.

    Elle s’approche de Blois en empruntant, après Candé, l’ancienne levée. Elle s’enfile ensuite dans la zone maraîchère, traverse Blois-Vienne par les petites rues, opte pour le pont de la rocade, peu favorable à un guet-apens, puis gagne les petites routes qui interfèrent avec la Loire à vélo. Très vite, elle est chez elle… si on peut parler d’un chez-soi.

    Pourtant, c’est là qu’elle est bien, au fil du fleuve. L’énorme toue cabanée est amarrée au débouché d’une cale portuaire encore bien pavée. Surdimensionnée, elle évoque un chaland. Mais elle ne succombe pas dans les travers des mobil-home fluviatiles où il ne reste guère de place pour des ponts avant et arrière, où il ne saurait y être question d’un mât ou d’un guinda. La toue de Fanny peut naviguer à la voile. Il arrive à la jeune femme de le faire, seule, ce qui est remarquable compte tenu de la taille de l’engin ; mais la solide motocycliste possède la niaque d’un Kersauzon d’eau douce.

    Fanny commence par dégager la planche cachée dans les roseaux. Elle installe cette longue pièce de bois, agrémentée de tasseaux transversaux régulièrement espacés, destinés à empêcher le dérapage par temps humide. Par le truchement de cette passerelle bien connue des mariniers, elle grimpe à bord. Elle débarre la première des cabanes, celle qui, d’ordinaire, abrite le petit logement du pêcheur de saumon. Cette partie n’est qu’un garage, Fanny loge à l’autre extrémité de la cabane, qu’elle aborde par l’arrière en empruntant l’étroit plat-bord. Pour y parvenir, il vaut mieux s’accrocher à la discrète rampe qui court au bord du toit de la maisonnette de planches. Invisible du fleuve, il porte des panneaux solaires qui procurent l’électricité nécessaire à Fanny pour son téléphone, son ordinateur et son réfrigérateur.

    Elle extrait de son garage flottant une version moderne de la planche, confortable et sûre. Il s’agit d’une rampe télescopique en aluminium, large d’une cinquantaine de centimètres. Elle installe ce chemin d’abordage plus sûr, veillant avec soin à son calage sur la rive, après avoir bien vérifié son ancrage côté bateau. Dès qu’elle est satisfaite de son installation, elle remonte sur la moto. A petite vitesse, avec un coup de guidon digne d’une acrobate de cirque, elle s’engage en douceur sur la rampe qui tangue un peu aux remous de l’eau. Elle doit conjuguer faible vitesse, équilibre, maniabilité pour arriver sur le gaillard d’avant de la toue sans verser à la Loire ni percuter le garage flottant de sa Harley. Mais la machine est maniable, docile, sûre, équilibrée, la conductrice puissante physiquement, habile et expérimentée. Un autre plan incliné, plus court, et la bête est dans son garage, à l’abri des intempéries, des regards également.

    Fanny retire la rampe d’aluminium, lourde pour une femme, même pour un homme peu habitué aux activités de plein air. L’objet rejoint la moto. Fanny hisse également la planche, retire l’ancre en tirant sur la corde fixée à la cincinelle, cet anneau situé entre les fourches de l’ancre pour repérer celle-ci au moyen d’un flotteur. Elle se rend à la minuscule cabane de gabare ajoutée à l’arrière – la toue mesure presque vingt mètres, c’est l’une des plus longues sur la Loire, et ça, ce n’est guère discret ! La motocycliste devenue marinière sollicite le gros moteur hors-bord. Maniant la piautre à pleins bras, elle appareille pour la grande île, cinq cents mètres en aval. C’est là qu’elle dormira ce soir, comme souvent. L’hiver, ou en période de hautes eaux, il existe une solution de rechange.

    *

    Le vendredi suivant, Fanny s’installe au guidon pour un périple de trois cents kilomètres en bord de Loire. Elle se rend à Oudon, une petite ville de près de trois mille habitants, rive droite entre Ancenis et Nantes. La modeste bourgade est connue pour sa tour à l’architecture inattendue, son affluent bucolique curieusement nommé le Havre, sa cale à bateaux. La Fête de la Musique y est particulièrement musclée, la circulation est interdite un week-end entier afin d’accueillir les groupes, nombreux et de qualité inégale.

    Comme les lieux sont propices aux fêtes de plein air en bord de Loire, un autre festival, plus ambitieux, y est organisé pour la première fois. Il faut savoir qu’ici, nous sommes dans l’extrémité Est de la Bretagne historique alors que, de l’autre côté du pont, Champtoceaux et son moulin pendu, qui a,

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