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L'île des orchidées: Souvenirs d'un médecin-écrivain taïwanais
L'île des orchidées: Souvenirs d'un médecin-écrivain taïwanais
L'île des orchidées: Souvenirs d'un médecin-écrivain taïwanais
Livre électronique260 pages3 heures

L'île des orchidées: Souvenirs d'un médecin-écrivain taïwanais

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À propos de ce livre électronique

L’île des Orchidées, le nom seul fait rêver…

Est-ce ce qui a conduit un jeune médecin-écrivain, Topas Tamapima, à y vivre pendant 3 ans et huit mois (de1987 à 1991) ?
Dans ses Souvenirs d’un médecin sur l’île des Orchidées, consignés au jour le jour, on y découvre :
- l’écume qui reste après la rencontre de deux cultures (autre ethnie, autre langage, autres traditions…) : c’est un merveilleux guide pour apprendre à écouter et soigner « l’autre »
- le poids de la médecine moderne qui veut contraindre et négliger l’esprit de la tradition
- les manoeuvres des politiques qui veulent anéantir toute liberté sous les déchets nucléaires, entre autres…

Un grand livre de tolérance et de sagesse et une histoire vraie et actuelle !

EXTRAIT

Quant à l’île des Orchidées, je n’arrivais pas à me l’imaginer, et ce bien qu’ayant longuement étudié la géographie de la République de Chine. Quand j’étais en troisième année à l’université, j’avais vu par hasard une présentation de l’île dans le journal. Je me souvenais juste qu’il y avait aussi des compatriotes montagnards d’outre-mer qui vivaient librement sur une petite île.
Quant aux raisons pour lesquelles je voulais y exercer, il fallait remonter à une singulière rencontre quatre ans plus tôt. Cette année-là, j’avais malheureusement eu un accident de la route en allant participer à une grande réunion commémorative de réhabilitation de feu Lai He ; j’avais été admis en salle de soins intensifs à l’hôpital Mackay de Taipei, car j’étais dans le coma. Lorsque j’avais peu à peu retrouvé mes esprits au neuvième jour, les premières paroles qui m’étaient parvenues aux oreilles avaient été que « le médecin de l’île des Orchidées était mort ». En fait, le médecin et moi occupions la même salle de soins et en avions été sortis de la même façon, mais pas dans la même direction.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Topas Tamapima est un médecin-écrivain de Taïwan. Il a déjà remporté les prix Wu Zhuoliu et Lai He à la fin des années 80, soit les plus importants de toute la littérature taïwanaise, notamment pour son premier recueil intitulé Le dernier chasseur publié en 1987.
LangueFrançais
ÉditeurIpagine
Date de sortie30 juin 2017
ISBN9791091749978
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    Aperçu du livre

    L'île des orchidées - Topas Tamapima

    Lévi-Strauss

    Préface

    Un dialogue

    entre les monts et les mers

    À la fin du 18ème siècle, alors qu’ils étaient à bord de leurs navires, des explorateurs occidentaux vinrent jusqu’à la côte est de Taiwan et aperçurent des falaises qui, à pic depuis la surface plane de la mer, s’enfonçaient directement dans le ciel et atteignaient plus de deux mille pouces de haut. Ils en restèrent aussitôt bouche bée, comme si tout s’était arrêté entre ciel et terre. Ils ne purent qu’écouter avec silence et respect le bruit des vagues qui frappaient contre le rivage. C’était la première fois que des Occidentaux entendaient le dialogue entre les monts et les mers de Formose.

    En fait, ce dialogue se faisait sur l’île des Orchidées¹ depuis déjà des milliers d’années. Hélas, personne ne comprenait leur langue.

    On ne sait pas non plus pour quelle raison, appartenant à une « ethnie des monts », le médecin-écrivain Topas de l’ethnie des Bunun est venu exercer sur l’île des Orchidées, encerclée des quatre côtés par la mer, pour engager avec les Tao², appartenant à « une ethnie des mers », un dialogue de trois ans et huit mois. Toutes les notes prises au cours de ce dialogue de presque quatre années, Topas les a réunies dans le livre Souvenirs d’un médecin sur l’île des Orchidées.

    L’île des Orchidées, c’est là où la « réflexion des monts » de Topas a rencontré la « réflexion des mers » des Tao. Adopter le point de vue des « monts » pour aller comprendre la réflexion des « mers » n’était évidemment pas chose facile, mais Topas se fia à sa sollicitude, à sa chaleur et à son indulgence pour « l’homme » pour trouver le lien entre les « monts » et les « mers ».

    Depuis qu’on a changé d’appellation le nom des « Aborigènes », nombre de Taiwanais sont tombés dans une confusion encore plus grande. Ils s’imaginaient qu’il n’existait à Taiwan qu’une seule ethnie appelée « Aborigènes ». C’était une méprise grande comme le ciel. Les « Aborigènes » de Taiwan sont en fait plus d’une seule ethnie, avec chacune une langue, une culture, une histoire et des préceptes entre lesquels les différences sont énormes. Prenons « l’ethnie des Bunun » à laquelle appartient Topas, je crains bien qu’elle ne soit encore plus distante des Tao que ne le sont les Taiwanais des Japonais !

    Exercer la médecine sur l’île des Orchidées, comme le fit Topas, équivaut pratiquement à se rendre à l’étranger, en termes d’écart culturel. Les différences conceptuelles, de même que les coups de toutes sortes portés par ces divergences lui ont sans doute laissé de profondes et inoubliables impressions dans le cœur !

    Dans ce livre semblable à un « essai au fil de la plume », Topas y apparait davantage comme un anthropologue culturel que comme un simple auteur, sans y perdre la finesse et l’humour d’écrivain bunun dont il est coutumier !

    Prenons par exemple sa façon de traiter de l’indifférence des touristes pour la « dignité » des Tao : pour dix yuans, les touristes qui viennent de Taiwan voudraient que les vieux tao qui portent une culotte en forme de T prennent la pose pour les laisser photographier un instant d’embarras. Il se saisit à son tour d’un appareil et se rend sur la plage en quête de touristes féminines à la taille gracieuse, afin qu’elles le laissent aussi prendre une photo.

    « J’en prends juste une ? C’est possible ? Je paie quel que soit le prix ! » Topas présente sa requête avec sang froid, mais il n’obtient que des reproches en retour !

    « Nous ne sommes pas aussi viles. Ne compte pas sur ton argent pour acheter notre dignité. »

    Pourquoi les Taiwanais n’ont-ils pas un comportement « avilissant » lorsqu’ils recourent à l’argent pour photographier les Tao en culotte ? Et pourquoi un Aborigène l’est-il lorsqu’il demande à ces deux touristes de lui accorder une photo contre de l’argent ? Topas n’en dit pas plus et use habilement de moyens de comparaison pour rendre compte de la nature des choses. Il intitule ce manuscrit Triste samedi.

    Lévi-Strauss aime voir « l’écume des vagues » soulevée lorsque les cultures d’ethnies différentes se rencontrent, car nombre de choses profondes, au sens métaphorique, s’y cachent, même si elles nous entraînent souvent dans une sphère de réflexion totalement différente du passé.

    Dans les notes d’un essai intitulé Une nuit après le typhon et l’averse, Topas se sert du point de vue du spectateur pour relater pareille histoire : aux environs de minuit, il est appelé pour une chèvre qui a été mordue à mort par un chien, « la blessure est examinée par l’autorité juridique compétente », afin de confirmer que la chèvre élevée par les Tao a bien été mordue par un « chien militaire » élevé par « l’armée nationale ». L’unique « médecin » à faire autorité sur l’île fait son expertise et « l’armée nationale » finit par « reconnaître sa culpabilité » en dédommageant les Tao pour leur chèvre.

    Le développement qui suit est d’autant plus intéressant : les militaires s’obstinent à vouloir ramener la chèvre pour la faire cuire après les avoir indemnisés, au motif que cela revient à l’avoir achetée et que sa viande doit nécessairement leur revenir.

    Mais la logique des Tao est d’un autre genre : ils considèrent que lorsqu’on heurte le véhicule de quelqu’un à Taiwan, celui-ci appartient encore à son propriétaire après que l’autre partie a payé les réparations. Emporter l’indemnité et la chèvre défunte participe du même bon sens pour les Tao.

    Topas nous fait voir « l’écume des vagues » soulevée lorsque les cultures de deux groupes ethniques se rencontrent !

    Dans Souvenirs d’un médecin sur l’île des Orchidées, il en va toujours de pareilles histoires qui surprennent, puis font rire aux éclats et finissent par faire sombrer dans une profonde réflexion.

    Et qui donc s’imagine parvenir à une telle réflexion ? Les Tao estiment que les avions de l’île des Orchidées heurtent mortellement les petits porcs. La compagnie aérienne leur reproche vertement de « leur laisser trop de liberté ». C’est inexact et la faute incombe aux avions, pas aux porcs. Qu’on entoure donc « les avions de murs d’enceinte et ils ne fauteront plus en allant heurter les petits porcs ! »

    L’île des Orchidées a toujours été considérée par les Taiwanais comme faisant naturellement partie de leur « territoire national ». Mais que savons-nous au final des Tao qui y vivent ? Et qu’en est-il de leur point de vue sur la « politique » et le « territoire national » ?

    Et en quoi cela préoccupe t-il Topas ? Une histoire qui lui est arrivée peut sans doute nous éclairer davantage.

    À ce qui se disait, de hauts fonctionnaires de l’unité sanitaire de la circonscription avaient voulu prendre connaissance de la « situation médicale » de l’île et avaient envoyé un écrit officiel, pour demander à Topas de leur faire un bref rapport.

    Dans la salle de rapport officielle, Topas avait projeté et commenté des diapositives à ces « hauts fonctionnaires » qui étaient assis dans une pièce climatisée. Tout en leur montrant « le balbuzard à cornes³ de l’île des Orchidées », « le Papilio xuthus³ à jupe jaune et aux perles éclatantes » qui y apparaissaient, ainsi que d’autres films sur la faune et la flore, il avait expliqué avec volubilité : « Cet oiseau est un trésor national, ce papillon est un trésor national, le gouvernement les classe comme des sujets à préserver, un gros budget est alloué pour les protéger… »

    Topas avait bien parlé dix minutes et pendant qu’il avait joué les commentateurs, il s’était arrangé pour que ces messieurs fonctionnaires se regardassent consternés. À la fin, un membre subalterne du service public n’avait pu s’empêcher de venir lui faire remarquer :

    « Docteur, il s’agit aujourd’hui de rendre compte de la situation médicale de l’île, pas de… »

    « Ah… » Topas avait fait mine de comprendre et avait lancé l’ultime diapositive.

    « Cette espèce d’animaux s’appelle les Tao, ils sont la seule espèce à ne pas recevoir la protection du gouvernement. Leur sort ne vaut pas celui d’un petit porc de l’île des Orchidées ! »

    À la fin du rapport, la lumière s’était allumée et Topas avait vu les visages livides de ces hauts fonctionnaires.

    C’est tout Topas, et c’est bien parce qu’il a ce genre de tempérament qu’il a écrit un livre comme Souvenirs d’un médecin sur l’île des Orchidées. Pareille littérature ne fait que nous amener en bord de mer, pour nous montrer cette espèce « d’écume des vagues » qui se soulève contre les rochers et nous dire tout haut : « Regardez ! De si hautes vagues ! Un typhon va bientôt dévaster l’île des Orchidées ! »

    WU Jinfa


    1 Située dans le pacifique à 83 km de la côte orientale de Taiwan, avec 45,74 km² de superficie pour une circonférence de 38,45 km. Cette île volcanique, recouverte de forêts et de montagnes avec une profusion d’orchidées, est entourée de magnifiques formations coralliennes.

    2 Tao, veut dire « homme ». Au nombre de 3 776 et présents sur l’île depuis plus de huit cents ans.Organisé au sein d’une société patriarcale, le mode de vie originel des Tao est intimement lié à l’océan : ils sont traditionnellement pêcheurs et agriculteurs. Leur animal sacré est le poisson-volant et leurs principaux objets d’artisanat sont les bateaux de bois qu’ils fabriquent et décorent.

    3 Le balbuzard à cornes, qui est un rapace diurne, et le Papilio xuthus, insecte lépidoptère de la famille des papilionidés, font tous deux partie de la dizaine d’animaux classés par les autorités locales sur l’île des Orchidées.

    4 WU Jinfa, né en 1954, diplômé de sociologie, est un des principaux écrivains taiwanais initiateurs de la littérature écrite des Aborigènes de Taiwan.

    Premier chapitre

    Je veux être

    le médecin de l’île des Orchidées

    Je m’éloignai de mon pays natal dans les montagnes pour venir à Kaohsiung. Je passai presque une journée de travail à faire le trajet en voiture et maltraitai les deux gros muscles de mes fesses grassouillettes. Quand j’atteignis l’esplanade de la municipalité de Kaohsiung, la sensation douloureuse d’engourdissement de mon postérieur s’amoindrit tout doucement. J’étendis vigoureusement les gros muscles de ma poitrine, pour laisser l’ardente lumière du soleil estival de l’après-midi tomber d’aplomb sur chaque partie de mon corps. Mon humeur s’égaya du fait de m’y exposer, comme le vent du sud de Taiwan qui vagabondait librement sur la vaste esplanade dénudée. Depuis que j’avais officiellement retiré l’uniforme militaire le mois dernier, c’était la première fois que j’éprouvais le plaisir d’échapper à une entrave invisible. Le soleil s’inclina peu à peu vers l’ouest, mon cuir chevelu commençait à me démanger à force d’y être exposé. Je soulevai mon gros sac à dos militaire, et me hâtai de passer à la maison de l’art du thé pour retrouver des amis de Kaohsiung.

    Dès que j’en ouvris la porte, je regardai droit devant moi et fis face au grand écrivain Wu Jinfa et à des amis journalistes. Ils occupaient déjà la plus grande table de la maison qui se trouvait juste à l’angle du mur, face au sud, un bon emplacement à l’écart des importuns, très commode pour bavarder gaiement avec de vieilles retrouvailles. Je leur fis signe en marchant dans leur direction. Celui qui était le plus proche de moi, et que j’avais l’impression d’avoir déjà croisé, me demanda si j’étais en train de déménager. Je trouvai cela quelque peu amusant. Je voulus tout de suite leur dire ma destination mais ne sus pas comment prendre la parole. Il ne me resta plus qu’à agiter la main gauche face à eux et sourire légèrement.

    Les journalistes, dont la capacité d’observation était toujours plus affûtée que celle du commun des mortels, semblèrent deviner mes hésitations et m’assaillirent de questions avec curiosité. Je ne pris probablement garde qu’au lourd bagage que j’avais sur les épaules et trouvai une place vide. Je me débarrassai aussitôt de mon sac à dos et pus enfin leur dire à voix basse que je m’apprêtais à partir pour l’île des Orchidées le lendemain.

    Celui qui semblait le plus jeune eut une réaction particulièrement vive, il me demanda si j’allais y faire mon service militaire comme médecin.

    Je me saisis à temps du sujet qu’ils avaient pressenti et leur expliquai doucement que je voulais y aller en tant que médecin. J’avais sans doute vraiment l’air d’un médecin militaire qui se rendait sur une île, sauf que c’était sur l’île des Orchidées.

    Les amis écoutèrent attentivement et lorsque je fis allusion à « l’île des Orchidées » pour la seconde fois, ils se mirent à remuer subitement et dirent en même temps un tas de paroles agitées. Ils affirmèrent que cette information méritait un reportage sur-le-champ. En fait, je compris qu’ils avaient trouvé là un matériau pour l’ébauche d’un sujet d’information, voilà tout.

    Après m’être assis, je les suppliai en toute hâte de déposer leur plume acérée. On ne pouvait pas faire une information de mon intention d’aller sur l’île des Orchidées, car mes pieds étaient encore posés à Taiwan. Celle-ci m’était en réalité totalement inconnue, et même si cela pouvait susciter en moi l’idée d’en faire l’expérience, je ferais demi-tour pour rentrer à Taiwan si jamais je me rétractais en chemin ; et même si je parvenais à y prendre mes fonctions, ne deviendrais-je pas un sujet de plaisanterie si je n’étais pas à la hauteur de la charge ?

    D’une même voix, ils prirent conscience de mon appréhension et n’insistèrent plus pour faire de moi un sujet d’information. Mais ils demeurèrent surpris par ma décision qu’absolument rien ne présageait et me demandèrent d’en faire un compte-rendu, afin de combler leur ambition inachevée.

    Quant à l’île des Orchidées, je n’arrivais pas à me l’imaginer, et ce bien qu’ayant longuement étudié la géographie de la République de Chine. Quand j’étais en troisième année à l’université, j’avais vu par hasard une présentation de l’île dans le journal. Je me souvenais juste qu’il y avait aussi des compatriotes montagnards d’outre-mer qui vivaient librement sur une petite île.

    Quant aux raisons pour lesquelles je voulais y exercer, il fallait remonter à une singulière rencontre quatre ans plus tôt. Cette année-là, j’avais malheureusement eu un accident de la route en allant participer à une grande réunion commémorative de réhabilitation de feu Lai He ; j’avais été admis en salle de soins intensifs à l’hôpital Mackay de Taipei, car j’étais dans le coma. Lorsque j’avais peu à peu retrouvé mes esprits au neuvième jour, les premières paroles qui m’étaient parvenues aux oreilles avaient été que « le médecin de l’île des Orchidées était mort ». En fait, le médecin et moi occupions la même salle de soins et en avions été sortis de la même façon, mais pas dans la même direction. Je m’étais alors rendu compte de sa situation sur l’île de la bouche même de sa famille, ce qui m’en avait donné une très nette impression – le peuple de l’île des Orchidées manquait considérablement de soins médicaux modernes.

    Aussitôt après la fac de médecine, j’avais été confronté aux choix des affectations, lorsque j’avais noté les sites auxquels j’aspirais, je m’étais aperçu que les médecins évitaient délibérément l’île des Orchidées. J’avais trouvé cela très curieux. Cette île était sans doute un endroit particulier. Mais il m’avait fallu terminer mon service militaire et j’avais provisoirement remisé au fond de moi l’idée d’aller y exercer.

    Pendant mon service, j’étais malheureusement tombé dans la délicate position d’être surveillé, convoqué et questionné. J’étais coincé comme un rat et en éprouvais une étouffante peur bleue. Il m’avait suffi d’escorter un soldat blessé, je m’étais porté volontaire, pour ensuite me faufiler dans la bibliothèque de l’université Tunghai aux environs de la ville. J’avais la certitude que ceux qui avaient de grands yeux pour épier n’aimaient pas les bibliothèques, je pouvais y lire sans crainte. Dans les rayons aux nombreux étages, j’avais découvert par hasard des reportages sur l’île. J’avais parcouru de la documentation sur les Tao et au fur et à mesure de ma lecture, j’avais pris goût à la mystérieuse île. J’étais convaincu qu’il y avait encore de l’air libre sur cette île du Pacifique et alors que j’avais commencé à compter les jours, mon projet de partir loin de Taiwan s’était fait de plus en plus intense. Quand la douloureuse attente de quitter l’armée avait commencé à me ronger, j’avais pris la décision de me rendre sur l’île des Orchidées au service des plus nécessiteux.

    La fin de ma vie de soldat avait été comme l’achèvement d’une grande entreprise. Bien que le bienveillant général Zhou de la police militaire m’eût assuré qu’il ne me protégerait plus, mon degré d’excitation du fait de recevoir l’ordre de quitter l’armée avait dépassé celui de l’obtention de mon diplôme de médecine. Lorsque je m’étais rendu au bureau sanitaire de la circonscription faire ma demande pour être envoyé au dispensaire de l’île des Orchidées, le chef de l’unité administrative en était resté abasourdi et m’avait invité à attendre la nouvelle à la maison. Il m’avait dit à voix basse et en pointant fébrilement ma tête de son doigt, qu’une enquête d’un mois était nécessaire et que je ne pouvais y servir officiellement qu’après en avoir reçu l’autorisation. Je m’étais inquiété qu’un document rempli par les Renseignements Généraux sur ma personne pût influer sur mes vœux, et m’étais donné une limite d’une semaine, faute de quoi je n’aurais plus songé à m’y rendre.

    L’île des Orchidées avait vraiment un besoin urgent de médecins. J’avais reçu l’ordre de déplacement à la date prévue et le même jour, je m’étais hâté de descendre vers le sud pour Kaohsiung. Je quittais officiellement Taiwan le lendemain pour aller prendre mes fonctions sur l’île.

    Après leur avoir longuement expliqué les tenants et les aboutissants de ma démarche, un journaliste chevronné me demanda d’un ton dubitatif : « Et c’est pour y servir combien d’années ?

    J’avais beau envisager d’y servir pendant dix ans, j’étais pareil à une amibe protozoaire qui n’appréciait pas d’être catégorisée. Si jamais je n’étais pas capable de tenir la promesse que je m’étais faite, je deviendrais à coup sûr matière à plaisanterie lors des apéritifs de mes amis. Je me contentai de hocher la tête, sans oser dire un mot.

    Un vieil ami vit la situation et les interrompit juste à temps. Il leur dit tout haut qu’il n’y avait pas lieu de mesurer le dévouement d’autrui avec des chiffres. Perdre ou non espoir après y avoir servi faisait aussi partie des fruits que chacun pouvait en retirer, et le fait d’avoir le courage d’aller sur l’île des Orchidées méritait justement

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