Biologie, philosophie et marxisme: Textes choisis d’un biologiste atypique
Par J.B.S Haldane
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À propos de ce livre électronique
Ce recueil vise à donner au lecteur francophone un accès à une partie de la réflexion du biologiste britannique John Burdon Sanderson Haldane (1892-1964) sur les sciences et leur rapport à la philosophie et à la politique. Haldane est surtout connu comme l’un des fondateurs (aux côtés de Ronald Fisher et Sewall Wright), au tournant des années 1930, de la théorie de la génétique des populations, un moment important de la synthèse néodarwinienne conciliant les résultats de la génétique de Mendel et le cadre de la théorie de l’évolution de Darwin. Mais il reste également comme un formidable vulgarisateur des sciences de son temps, un contributeur important à la réflexion philosophique sur les sciences, et un savant engagé politiquement. Adhérant philosophiquement au marxisme dans les années 1930, il est jusqu’en 1950 une figure du Parti communiste de Grande-Bretagne (PCGB).
Les six textes regroupés ici, et traduits par Simon Gouz, concernent précisément la période de l’engagement marxiste de Haldane et permettent d’éclairer le sens et les conditions de cet engagement. Durant cette période, la plus grande partie des écrits populaires de Haldane est constituée d’articles courts publiés en tribune dans le Daily Worker (quotidien du PCGB). Ces articles sont pour la plupart centrés sur un aspect particulier des sciences, le plus souvent en biologie, et visent à la fois à fournir au lecteur une information sur l’état des sciences et à introduire une réflexion sur les conséquences sociales de leurs applications. Les textes traduits et reproduits dans le présent recueil sont plus longs et affirment une portée plus générale. Il s’agit des réflexions menées par Haldane directement du point de vue d’une philosophie marxiste des sciences. Chacun d’eux est précédé d’une introduction fournissant une présentation détaillée.
Découvrez J.B.SS Haldane : un vulgarisateur de la pensée scientifique, un philosophe des sciences, et un homme politiquement engagé
EXTRAIT
Mais ces contradictions internes ne signifient pas que la nature est irrationnelle. Elles signifient qu’elle est instable. La nature est probablement infinie, certainement trop étendue pour que nous la saisissions entièrement. Donc notre explication de n’importe quel phénomène matériel est une simplification. Nous pensons naturellement aux choses comme étant nettement délimitées, et dès lors tendons à exagérer leur stabilité. Cependant, plus nous étudions la nature, plus nous voyons que ce qui est apparemment stable se révèle être le champ de bataille de tendances opposées.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Simon Gouz est docteur en histoire et philosophie des sciences, et chercheur associé au laboratoire S2HEP de l’université Claude Bernard-Lyon 1.
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Aperçu du livre
Biologie, philosophie et marxisme - J.B.S Haldane
J.B.S. Haldane, traduits et présentés par Simon Gouz
Biologie, philosophie et marxisme
Textes choisis d’un biologiste atypique
2012 Logo de l'éditeur EDMAT
Copyright
© Editions Matériologiques, Paris, 2016
ISBN numérique : 9782919694112
ISBN papier : 9782919694419
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Présentation
Ce recueil vise à donner au lecteur francophone un accès à une partie de la réflexion du biologiste britannique John Burdon Sanderson Haldane (1892-1964) sur les sciences et leur rapport à la philosophie et à la politique. Haldane est surtout connu comme l’un des fondateurs (aux côtés de Ronald Fisher et Sewall Wright), au tournant des années 1930, de la théorie de la génétique des populations, un moment important de la synthèse néodarwinienne conciliant les résultats de la génétique de Mendel et le cadre de la théorie de l’évolution de Darwin. Mais il reste également comme un formidable vulgarisateur des sciences de son temps, un contributeur important à la réflexion philosophique sur les sciences, et un savant engagé politiquement. Adhérant philosophiquement au marxisme dans les années 1930, il est jusqu’en 1950 une figure du Parti communiste de Grande-Bretagne (PCGB).
Table des matières
Introduction générale (Simon Gouz)
La mécanique quantique comme base pour la philosophie (Simon Gouz)
La mécanique quantique comme base pour la philosophie (J.B.S. Haldane)
Une explication dialectique de l’évolution (Simon Gouz)
Une explication dialectique de l’évolution (J.B.S. Haldane)
Pourquoi je suis un matérialiste (Simon Gouz)
Pourquoi je suis un matérialiste (J.B.S. Haldane)
L’interaction de la nature et du milieu (Simon Gouz)
L’interaction de la nature et du milieu (J.B.S. Haldane)
Biologie et marxisme (Simon Gouz)
Biologie et marxisme (J.B.S. Haldane)
En défense de la génétique (Simon Gouz)
En défense de la génétique (J.B.S. Haldane)
Introduction générale
Simon Gouz
Simon Gouz est docteur en histoire et philosophie des sciences, et chercheur associé au laboratoire S2HEP de l’université Claude Bernard-Lyon 1.
Ce recueil vise à donner au lecteur francophone un accès à une partie des textes produits par le biologiste britannique John Burdon Sanderson Haldane (1892-1964) [1] .
Celui-ci reste connu dans l’histoire de la biologie comme l’un des fondateurs (aux côtés de Ronald Fisher et Sewall Wright), au tournant des années 1930, de la théorie de la génétique des populations, la construction de modèles statistiques portant sur la composition génétique de populations. Et cette émergence théorique elle-même est souvent vue comme un moment de la synthèse néodarwinienne (culminant dans les années 1940 avec notamment les travaux de Théodosius Dobzhansky, Julian Huxley et Ernst Mayr) permettant de concilier les résultats de la génétique issus des élaborations de Mendel dans le dernier tiers du XIXe siècle et le cadre de la théorie de l’évolution de Charles Darwin.
Sur le strict plan de la production scientifique, le travail de Haldane ne saurait se réduire à cette contribution au développement de la génétique des populations. Il a également touché à la physiologie respiratoire, à la biochimie (en particulier l’étude des enzymes) et a, par exemple, émis en 1929 une hypothèse sur l’origine biochimique de la vie rejoignant celle, formulée indépendamment quelques années auparavant, du Soviétique Alexandre Oparine.
Ce bref tableau de l’activité scientifique de Haldane est lui-même encore réducteur pour saisir son œuvre. En effet, il reste également connu comme un pionnier de la popularisation des sciences : à côté des quelque 320 articles scientifiques qu’il a publiés tout au long de sa carrière, il est l’auteur de centaines d’articles dans des publications à destination du grand public (notamment dans une tribune hebdomadaire du quotidien du Parti communiste de Grande-Bretagne, le Daily Worker) et de plusieurs ouvrages de popularisation des sciences (la plupart regroupant une sélection de ces articles).
Pour Haldane, cette œuvre populaire ne vise pas simplement à vulgariser un certain nombre de résultats des sciences de son temps. Le projet a lui-même le caractère d’un engagement. Comme il l’explique dans la préface d’un recueil d’articles paru en 1927 sous le titre Les Mondes possibles : « Beaucoup de travailleurs scientifiques croient qu’ils devraient confiner leurs publications à des journaux savants. Je pense, cependant, que le public a un droit à savoir ce qui se passe à l’intérieur de laboratoires, pour certains desquels il paie [2] . » Et d’ajouter : « Et il me semble d’une importance vitale que le point de vue scientifique soit appliqué, autant que possible à la politique et à la religion [3] . »
Cet engagement « citoyen » pour le contrôle et l’application sociale des sciences, s’inscrit lui-même dans un investissement politique plus profond. Après la Première Guerre mondiale à laquelle Haldane participe et qui le traumatise profondément, ses opinions politiques se radicalisent progressivement jusqu’en 1937 où, après plusieurs séjours en Espagne durant la révolution et la guerre civile, il s’affirme marxiste et sympathisant du Parti communiste (auquel il adhère en 1942). C’est à ce moment qu’il démarre sa tribune hebdomadaire dans le Daily Worker.
Une caractéristique du parcours intellectuel de Haldane, dès avant son engagement partisan, est l’unité profonde de sa réflexion sur la politique, sur les sciences et sur la philosophie (en particulier les présupposés philosophiques du travail scientifique). Dès lors, son adhésion au marxisme ne concerne pas simplement la politique. Pour lui il s’agit d’adopter une véritable vision du monde, le matérialisme dialectique, qui irrigue l’ensemble de son activité, y compris sa réflexion sur les sciences. Il affirme ainsi en 1938 que « [le travail scientifique] a autant besoin de la dialectique qu’il a besoin du calcul différentiel ou d’un microscope [4] ».
L’engagement aux côtés du Parti communiste marque tout une période de la vie de Haldane. Elle dure jusqu’en 1950. À ce moment, suite à la consécration en URSS de l’académicien Trophim Lyssenko et de ses théories hostiles à la génétique, tous les partis communistes officiels condamnent la génétique « mendélo-morganienne ». Face à ce conflit entre son engagement politique et son travail scientifique, et aussi par refus de voir un État s’ingérer dans une controverse théorique en science, Haldane quitte, assez discrètement, le Parti (il ne reniera jamais pour autant le marxisme). Quelques années plus tard, en 1957, il part pour l’Inde où il terminera sa carrière scientifique (en fondant un institut de recherche en génétique) et sa vie.
Les six textes regroupés ici concernent précisément la période de l’engagement marxiste de Haldane et permettent d’éclairer le sens et les conditions de cet engagement. En cela ils sont atypiques dans son œuvre. D’une part parce qu’ils ne couvrent qu’une fraction de celle-ci. D’autre part, parce que même durant cette période, la plus grande partie des écrits populaires de Haldane est constituée d’articles courts publiés en tribune dans le Daily Worker. Ces articles sont pour la plupart centrés sur un aspect particulier des sciences, le plus souvent en biologie, et visent à la fois à fournir au lecteur une information sur l’état des sciences et à introduire une réflexion sur les conséquences sociales de leurs applications. Or, les textes traduits et reproduits dans le présent recueil sont plus longs et affirment une portée plus générale. Il s’agit des réflexions menées par Haldane directement du point de vue d’une philosophie marxiste des sciences.
Chacun d’eux est précédé d’une introduction fournissant une présentation plus détaillée. Quelques mots généraux peuvent être dits de l’ensemble qu’ils constituent. Ils couvrent la période qui va de 1934 à 1949. La « période marxiste » de Haldane est le plus souvent identifiée comme allant de 1937 à 1950. Si 1937 représente bien le moment où Haldane s’affirme publiquement marxiste et sympathisant du Parti communiste de Grande-Bretagne, et si c’est bien cette année-là que paraît son premier texte se réclamant explicitement de la pensée de Marx (« Une explication dialectique de l’évolution », reproduit dans ce recueil – article 2), l’article paru en 1934 dans la revue Philosophy of Science sous le titre « La mécanique quantique comme base pour la philosophie » (article 1) semble de première importance pour comprendre l’usage qu’il fait de la pensée matérialiste dialectique dans toute la période qui suit. Car c’est dans cet article, avant même de s’affirmer communiste, que Haldane mentionne pour la première fois la possibilité d’utiliser le matérialisme dialectique pour interpréter les résultats scientifiques.
Le dernier article de ce recueil a été publié en 1949 dans le Modern Quarterly, revue intellectuelle formellement indépendante mais dans les faits étroitement liée au Parti communiste de Grande-Bretagne. Cet article, intitulé « En défense de la génétique » (article 6) porte sur l’affaire Lyssenko. Quelques précisions sur ce contexte seront données en introduction à cet article. Après 1948 et la consécration de l’académicien Trophim Lyssenko en URSS, les travaux scientifiques basés sur la théorie mendélienne de l’hérédité sont bannis de la recherche soviétique, et la génétique elle-même condamnée comme réactionnaire et contraire au matérialisme dialectique au profit des théories propres de Lyssenko (qui peuvent être qualifiées, en première approximation, comme une variante de néolamarckisme basée sur l’hérédité des caractères acquis). Au débat strictement scientifique se substitue alors une controverse politique sur l’intervention de l’État dans les querelles théoriques en science. Refusant finalement de céder à la pression du PC l’enjoignant à prouver sa loyauté au parti et à la « patrie du socialisme » en défendant Lyssenko, Haldane prend publiquement position contre le lyssenkisme. Ceci marque de fait sa rupture avec le PC.
Sous un premier rapport, cet ensemble de textes donne donc un accès au mode de relation de Haldane aux idées marxistes et à la politique communiste. S’il ne saurait s’y réduire [5] , on voit que ce rapport s’exprime avant tout à travers la relation entre le marxisme et les sciences : une adhésion correspondant à la possibilité d’utiliser le matérialisme dialectique comme instrument pour les penser et une prise de distance face à ce qui est ressenti comme une intrusion nuisible dans les sciences au nom du marxisme.
Entre ces deux moments, Haldane développe un effort constant pour utiliser les catégories du matérialisme dialectique afin de comprendre et interpréter les sciences et les questions de philosophie des sciences. C’est déjà en cela que consiste la première tentative de 1934. Le texte de 1937 constitue explicitement une tentative pour reformuler et clarifier certaines questions clés de la théorie darwinienne de l’évolution en utilisant le marxisme. Cette tentative est en un sens poursuivie et généralisée à l’ensemble des sciences biologiques dans l’article de 1948 « Biologie et marxisme » (article 5). Et sa défense de la génétique mendélienne de 1949 s’appuie largement sur l’idée que, contrairement aux assertions de Lyssenko, celle-ci est largement compréhensible dans un cadre matérialiste dialectique.
Au-delà de l’idée très générale selon laquelle « en biologie en tout cas, la technique intellectuelle de Marx, Engels et Lénine permet de penser clairement » et même qu’elle constitue une aide pour la recherche scientifique [6] , Haldane revient principalement sur deux questions de philosophie des sciences posées par la biologie. La première est celle du réductionnisme. Elle peut être formulée de la manière suivante : les phénomènes complexes et en particulier les processus biologiques peuvent-ils être intégralement décrits à l’aide des lois régissant les processus plus élémentaires de la matière ? La difficulté à expliquer ainsi les processus biologiques à l’aide des seules lois physico-chimiques a régulièrement donné lieu à la formulation de thèses alternatives postulant un principe extraphysique (et le plus souvent extramatériel). Il n’est certainement pas possible de rendre compte ici de l’ensemble de l’histoire de ce débat. Au XIXe siècle, il se manifeste dans la tension entre vitalisme (l’idée que la spécificité du biologique provient de l’existence d’une « force vitale » non matérielle) et réductionnisme mécaniste. Au tournant du XXe siècle, les termes en changent quelque peu avec l’apparition de formes plus sophistiquées d’antiréductionnisme. Parmi celles-ci, il convient de mentionner la thèse de John Scott Haldane, le père de J.B.S., connue alors comme « organicisme ». Après avoir défendu la théorie vitaliste puis l’avoir rejetée en considérant que « si l’on peut l’appeler une théorie, [elle] est simplement un moyen d’enregistrer [l’]échec [du mécanisme], et ne nous aide pas dans une véritable compréhension [7] », il développe en substance l’idée que ce sont les processus biologiques qui sont les plus fondamentaux et que les lois physico-chimiques n’en fournissent qu’une approximation dans des cas simples. J.B.S. Haldane répond explicitement à cette théorie dans l’article de 1934. Il est particulièrement sensible à la question. Non seulement à cause de l’intérêt qu’y porte son père, mais également parce qu’il est engagé dans des travaux en biochimie – discipline alors jeune et qui se présente précisément comme mise en œuvre du programme réductionniste en examinant les processus biologiques du point de vue physico-chimique. Le raffinement des thèses antiréductionnistes permet d’observer également un déplacement conceptuel. Dans les premières décennies du XXe siècle apparaissent des théories qui prétendent réfuter le réductionnisme sans tomber dans l’idéalisme philosophique (c’est-à-dire sans postuler l’existence d’un principe non matériel). C’est par exemple le cas de l’émergentisme de C.D. Broad qui affirme un holisme matérialiste [8] . Il n’y a donc plus identité entre antiréductionnisme et idéalisme philosophique, et dès lors les couples d’opposition réductionnisme/holisme et matérialisme/idéalisme sont également disjoints. Dans les années 1920 et jusqu’au début des années 1930, Haldane éprouve de grandes difficultés à se faire une opinion stable concernant le réductionnisme. D’un côté il lui arrive d’assimiler la méthode réductionniste à la méthode scientifique (assimilation sans doute renforcée par son activité en biochimie). C’est pour cela qu’il juge les théories holistes (même matérialistes) insatisfaisantes [9] . D’un autre côté, il se heurte aux limites scientifiques du réductionnisme. Ces difficultés et le recours qu’il trouve face à elles dans le marxisme sont exposés dans l’article de 1940, « Pourquoi je suis un matérialiste » (article 3) publié dans la revue matérialiste Rationalist Annual. La réponse théorique marxiste qu’il formule est développée dans « La mécanique quantique comme base pour la philosophie » (article 1) et dans « Biologie et marxisme » (article 5). Il s’agit pour lui de penser que, dans le cadre du matérialisme dialectique, mécanisme et holisme peuvent être compris comme deux moments également nécessaires mais également insuffisants dans la compréhension du réel. Il ne s’agit donc pas d’un matérialisme antiréductionniste, mais d’un cadre matérialiste capable d’englober l’opposition entre réductionnisme et holisme [10] . On peut voir également dans le modèle qu’il propose pour classifier les interactions entre hérédité et milieu dans l’article de 1946, « L’interaction de la nature et du milieu » (article 4), une mise en œuvre de ce dépassement de l’opposition entre réductionnisme (en l’occurrence dans son expression héréditariste) [11] et holisme.
La seconde question de philosophie de la biologie sur laquelle Haldane insiste est celle de la compréhension du processus de l’évolution biologique. Il s’agit pour lui de montrer en quoi le marxisme permet de penser ce processus comme le produit de l’influence de facteurs contradictoires interdépendants : c’est dans la contradiction entre la variabilité inhérente aux mécanismes de l’hérédité (en particulier les mutations) et la tendance stabilisatrice de la sélection naturelle que l’évolution se développe comme processus proprement historique. C’est le développement de cette idée qui constitue le corps du texte de 1937, « Une explication dialectique de l’évolution » (article 2), et Haldane y revient largement dans « Biologie et marxisme » (article 5). C’est par ailleurs cette idée de l’interdépendance dialectique des facteurs évolutifs (mutation, sélection, etc.) qui semble la plus féconde dans le travail scientifique qu’il mène durant cette période et qui consiste en l’élaboration d’une modélisation des conditions d’équilibre et de déséquilibre entre variation et sélection.
Au-delà de l’usage du matérialisme dialectique en philosophie des sciences, une autre préoccupation traverse l’œuvre marxiste de Haldane. Il s’agit des rapports entre les sciences et leurs possibilités d’application sociales. Le refus du lyssenkisme qu’il manifeste dans le texte de 1949, et par là son opposition à la volonté de l’État soviétique de s’ingérer dans une discussion scientifique ne doit pas amener à la conclusion que Haldane défendrait une séparation absolue entre des sciences « pures » et autonomes et la société. Le projet-même de son œuvre populaire n’est pas simplement de produire une information scientifique, mais de concevoir celle-ci comme une condition pour mettre les sciences au service de la société. Ceci se manifeste certainement de la manière la plus visible à travers son investissement dans le débat de l’époque autour de l’eugénisme, c’est-à-dire de la possibilité d’appliquer les résultats des sciences de l’hérédité et de l’évolution à l’espèce humaine. La question est évoquée dans « Une explication dialectique de l’évolution » (article 2) ainsi que dans « Biologie et marxisme » (article 5). Mais c’est, parmi les textes reproduits ici, dans la conclusion de l’article de 1946, « L’interaction de la nature et du milieu » (article 4) que l’on peut lire le plus clairement le point de vue de Haldane. Il s’agit d’une double critique et d’une double proposition sur les plans scientifique et politique. Sur le terrain scientifique, il critique la faiblesse des fondements des théories classiques de l’eugénisme. Celles-ci, dues