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Dico Ponson du Terrail: Dictionnaires des œuvres
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Dico Ponson du Terrail: Dictionnaires des œuvres
Livre électronique1 825 pages27 heures

Dico Ponson du Terrail: Dictionnaires des œuvres

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À propos de ce livre électronique

Une analyse de l'oeuvre de Ponson du Terrail, une première en France

« L’œuvre de Ponson du Terrail est à la fois trop considérable et trop peu littéraire pour supporter l’analyse », pouvait-on lire dès 1874.

Il semble pourtant que cette assertion, inlassablement reprise depuis plus d’un siècle, prend sa source dans une méconnaissance profonde de l’œuvre de Ponson du Terrail, presque uniquement abordée par le biais de Rocambole. Ainsi, si le « rocambolesque » s’affiche quotidiennement, non sans être dénaturé, on oublie son auteur ainsi que la plus grande partie de sa production.

Dès lors, il importait de proposer une véritable cartographie de ce territoire resté trop longtemps dans une ombre qu’on voulait paradoxalement rassurante. Car, au lieu d’en montrer les richesses insoupçonnées, on s’en écartait en raison du danger qu’il représente pour les critiques avides de classer définitivement dans les limbes ce phénomène mouvant et complexe qu’est l’autre-littérature, dont Ponson du Terrail reste l’un des pères fondateurs.

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A PROPOS DE L'AUTEUR

Ancien élève des écoles communales de la Ville de Paris, diplômé de la Sorbonne, Alfu (Alain Fuzellier), créateur de la revue Encrage, chercheur affilié au CRAL, est, à l’heure actuelle, directeur d’Encrage Edition et responsable du Centre Rocambole (Centre de Ressources international du Roman populaire).

Alfu est un spécialiste de la littérature populaire française. On lui doit, entre autres, L’Encyclopédie de « Fantômas » (1981) et L’Encyclopédie de SAS et du Commander (1983).
LangueFrançais
Date de sortie20 nov. 2015
ISBN9782360589425
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    Aperçu du livre

    Dico Ponson du Terrail - Alfu

    Alfu

    présente Ponson du Terrail

    Dictionnaire des œuvres

    2008

    Cet ouvrage a bénéficié pour sa réalisation et sa publication de l’aide du Conseil Régional de Picardie

    Alfu & Encrage édition

    © 2008

    ISBN 978-2-36058-942-5

    Pour Anne

    Je tiens à remercier pour l’aide apportée à la réalisation de cet ouvrage : Jean-Pierre Galvan qui m’a fourni de précieux conseils et prêté ses livres, Jean-Luc Buard qui a participé de très près à la révision de mon travail, ainsi que : Joseph Altairac, † Patrice Caillot, Hervé Chevrier, Thierry Chevrier, Daniel & Sylvie Compère, † Ferréol de Ferry, † René & Christiane Guise, Arnaud Huftier, Jacques Papin, Elisabeth Ripoll-Rohr, Jean Tulard, et l’Association des Amis du Roman Populaire.

    Je remercie également les personnels des Archives nationales, de la Bibliothèque nationale de France, de la Bibliothèque de l’Institut, et de la Bibliothèque municipale d’Aix-les-Bains.

    Introduction

    « — Mais enfin, s’écria mon ami, vous n’êtes donc sensible à aucune critique ?

    — Oh ! si, répondis-je, il en est une que je redoute, comme une recrue qui va au feu pour la première fois redoute un boulet de canon.

    — Quelle est-elle, me demandèrent-ils.

    — Elle a un nom bien modeste, — le silence. »

    Vte Ponson du Terrail.

    «L’œuvre de Ponson du Terrail est à la fois trop considérable et trop peu littéraire pour supporter l’analyse. » 1

    C’est ce qu’affirme le rédacteur de l’article « Ponson du Terrail » paru en 1874 dans le douzième volume du Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle de Pierre Larousse.

    Et il faut croire qu’il avait raison, puisque cent cinquante ans plus tard, aucun travail d’envergure n’a été publié sur cette œuvre. Tout au plus trouve-t-on des articles, préfaces ou autres textes courts proposant un éclairage sur tel ou tel roman, généralement sur la série « Rocambole ».

    Pourtant, Ponson du Terrail reste connu de nos jours, avant tout pour avoir créé le premier « héros » de notre littérature moderne : Rocambole, un personnage devenu mythique et dont les aventures se sont vues attribuer un qualificatif, rocambolesque, passé dans la langue courante — au point d’être quotidiennement employé dans la presse écrite ou parlée, dans des discours ou des écrits publics.

    Une terra incognita

    Après m’être intéressé à l’autre-littérature 2 du XXe siècle en étudiant plus spécifiquement Fantômas, les séries d’espionnage, les œuvres de Gaston Leroux ou de Léo Malet 3, il me vint tout naturellement l’envie de comprendre les origines d’un phénomène culturel dont on sait qu’il naquit avec la presse quotidienne, sous la Monarchie de Juillet.

    Comme il est d’usage dans la tradition scolaire, quatre « grands noms » m’ont tout de suite été donnés en référence : ceux d’Eugène Sue, Paul Féval, Alexandre Dumas et Ponson du Terrail. Les trois premiers, appartenant à la « première génération » des feuilletonistes — celle née au début du XIXe siècle et ayant produit ses premiers titres célèbres entre 1842 et 1845 4, — ont déjà fait l’objet d’études poussées — même si Féval, le plus jeune, reste le mal aimé du trio 5. Le dernier, appartenant à la « seconde génération » — celle née dans les années 1830 et ayant produit ses premiers « chefs-d’œuvre » à partir de 1850-60, — reste, quant à lui, non seulement oublié de la critique mais victime, depuis son époque, des pires calomnies.

    Par conséquent, une évidence s’imposait : avant toute chose, il fallait apprendre à connaître l’œuvre de Ponson du Terrail, et pas seulement superficiellement en lisant les études réalisées sur Rocambole — presque toujours sur la première partie du cycle — ou en prenant en compte la « légende » répandue sur quelques-uns de ses autres titres.

    Cette vaste quête de l’inconnu était d’autant plus séduisante qu’elle revenait à reprendre le flambeau allumé par René Guise, regretté co-fondateur de l’association Les Amis du Roman Populaire dont je suis aujourd’hui vice-président. En effet, quelques années durant, cet éminent balzacien, reconverti dans l’étude du « populaire », avait, avec le soutien d’autres dix-neuviémistes — dont l’efficace équipe dirigée par Hans-Jörg Neuschäfer, — accumulé des textes et des documents lui permettant de faire avancer de manière spectaculaire la recherche sur Ponson du Terrail. Et, en 1986, il dirigeait une publication livrant ses premiers résultats : Ponson du Terrail. Eléments pour une histoire des textes. Dossier 1, édité par le Centre de recherches sur le roman populaire de l’Université de Nancy II — alors que quelques mois plus tôt était paru chez l’éditeur allemand Peter Lang, la thèse de Klaus-Peter Walter, Die Rocambole-Romane von Ponson du Terrail. Studien zur Geschichte des französische Feuilletonromans, étude sur le roman-feuilleton à travers l’exemple de Rocambole 6.

    Les dossiers 2 et 3 que Guise prévoyait d’ajouter ne virent jamais le jour et le bilan reste malgré tout assez maigre : une bibliographie, certes avancée, mais encore incomplète et parfois fautive, et, surtout, fort peu d’analyse des textes.

    Bref, l’œuvre de Ponson du Terrail demeurait une vaste contrée que l’explorateur avait à peine abordée. Le pari était désormais d’y pénétrer véritablement et d’en tracer une première cartographie qui, à défaut d’être précise, devait être exhaustive. Un tel pari ne pouvait que me séduire et je m’élançais au cœur de la terra incognita.

    La première chose à faire était d’établir une méthode de travail adéquate. Et, en premier lieu, de ne pas écouter les mauvais conseils, comme ceux proposés par le dernier « spécialiste » en date de l’auteur — mais pas de son œuvre ! En effet, celui-ci affirme : « Recenser les romans de Ponson du Terrail à la source, dans les journaux qui les ont d’abord publiés, est une méthode séduisante mais qui, mise en pratique, est loin de donner des résultats probants. […] Car l’œuvre de Ponson du Terrail qu’il reste possible de lire et d’étudier à présent, n’est pas l’œuvre originale en romans-feuilletons, mais cette œuvre mise en forme de romans populaires, de livres. » 7.

    Ce qui vaut au lecteur de M. Gaillard de se voir indiquer, dans la bibliographie qui clôt son ouvrage, des titres qui ne sont que des retitrages d’autres œuvres déjà citées — comme Les Orphelins de la Saint-Barthélemy (chez Lachaud, en 1869) déjà indiqué sous le titre Amaury le Vengeur (chez de Potter, en 1862), — mais surtout de ne pas trouver bon nombre d’œuvres qu’il n’a pas repérées en librairie, tels Roquefure ou Le Nid de Faucons, romans qui sont loin d’être négligeables !

    D’autre part, Ponson n’ayant pas revu ses textes pour leur publication en librairie, contrairement à certains « grands auteurs », inutile de chercher dans les livres autre chose que ce que l’on peut lire dans les colonnes des journaux. L’œuvre de Ponson présente même cette caractéristique d’être toujours parue dans la presse avant d’être éditée en librairie, à une exception près : Les Nuits du quartier Bréda, texte fourni directement à l’éditeur Dentu.

    Mieux valait poursuivre le travail de René Guise qui s’était intéressé avant tout à la presse, sachant que Ponson du Terrail n’a jamais été autre chose qu’un feuilletoniste.

    Il fallait par conséquent repérer, dans les divers périodiques — quotidiens, hebdomadaires et autres — de la IIe République et du Second Empire, les textes signés de Ponson du Terrail — qui, heureusement, n’employa pas de pseudonyme, — de les comparer aux textes déjà connus par la librairie et d’en établir une liste fiable, évitant à la fois les redondances dues aux nombreux retitrages — entre autres, en édition de cabinet de lecture, chez de Potter, jusqu’en 1865 8 — et les omissions dues à l’oubli de consultation de certains journaux.

    Pour passionnante qu’elle soit, cette tâche était semée d’embûches, car les catalogues de la Bibliothèque nationale de France sont incomplets en ce qui concerne les éditions de Ponson du Terrail, certains journaux des années 1850 sont très difficiles d’accès, et surtout, la relation entre les différents textes, au titre différent, nécessitait de les consulter tous.

    En effet comment savoir, sans les avoir eu entre les mains, que le livre publié par L. de Potter, en 1863, sous le titre Coquelicot, est en fait la réédition du roman Le Page Fleur-de-Mai, publié originellement dans Le Journal pour tous, en 1857, et qu’il n’a donc rien à voir avec le livre homonyme édité par Calmann-Lévy en 1881 qui, lui, est la réédition, revue par Charles Chincholle, d’un feuilleton paru, sous le titre Les Aventures du capitaine Coquelicot, dans La France en 1866 — et resté inachevé.

    L’affaire prit parfois des allures d’enquête policière. Ayant remarqué que Ponson du Terrail était le complice involontaire en publication de Gustave Aimard, je me mis sur la piste des textes du second pour trouver ceux du premier. Ainsi, ayant appris dans le n° 13 du Rocambole, consacré à Aimard, que Le Roi des placères d’or avait été publié dans La Vogue parisienne en 1869, j’allai consulter ce périodique et fit deux découvertes : Les Mémoires de Giselle, un roman dont le narrateur est une jument, et, en remontant de deux ans, Carrosses et voitures, un article sur l’évolution des transports à travers les âges.

    Longtemps, je butai sur un obstacle qui paraissait, au fil des mois, infranchissable : impossible de trouver la publication originale de La Dame au collier rouge, édité en deux volumes — dont un absent de la BnF 9 — chez Lacroix, Verboeckhoven & C°, en 1868. Mais un jour, Ferréol de Ferry, petit-neveu de Ponson, qui possède moult documents, me donna communication d’une lettre attestant d’un accord de l’auteur pour participer au lancement d’un nouveau journal en province. Ainsi j’appris que La Dame au collier rouge était paru dans La Sarthe, à partir du 15 avril 1868 — et était par conséquent l’unique feuilleton dont la première publication n’ait pas eu lieu à Paris.

    De même, c’est en consultant, pour tout à fait autre chose, Les Annales politiques et littéraires de 1900, que j’acquis la conviction que Le Sabre enchanté de Va-de-bon-cœur — texte disponible depuis de longs mois sur Internet — était effectivement de Ponson et faisait partie d’une série de contes dont les autres restent inconnus à ce jour !

    Car toutes mes tentatives ne furent évidemment pas couronnées de succès. Ainsi le journal La France, pour l’année 1866, se dérobe-t-il toujours, malgré des recherches dans de nombreuses bibliothèques, y compris celle de l’Institut — grâce à l’aimable parrainage de Jean Tulard, observateur éclairé de l’autre-littérature.

    Ceci dit, en bon professionnel, Ponson du Terrail n’a pas laissé à l’abandon de textes écrits qui ne puissent être publiés et lui rapporter de l’argent. Ainsi a-t-il composé plusieurs anthologies de textes courts — dont nous ne connaissons pas toujours la pré-publication. Il est plus qu’improbable qu’il ait oublié de proposer à ses éditeurs un texte de lui d’une certaine importance. Et nous pouvons considérer connaître désormais la quasi totalité de ce qu’il a écrit — à l’exception de quelques textes de jeunesse publiés avant 1851.

    Une fois cette imposante recension effectuée, il restait à lire l’ensemble de ces textes et à les analyser — tout au moins en proposer une première analyse. Plusieurs choix étaient alors possibles pour présenter l’œuvre de Ponson du Terrail. Je décidai de rester fidèle à la manière de faire que j’emploie depuis toujours pour travailler sur l’autre-littérature.

    Mode d’emploi

    La méthode choisie pour présenter l’œuvre de Ponson du Terrail est tout simplement celle qui fut utilisée tout au long de la carrière de la défunte revue Encrage dont j’ai été le responsable, de 1984 jusqu’à 1989.

    Pour chaque titre, est successivement proposé : une bibliographie, une définition, un résumé, une analyse, un commentaire et un ou plusieurs extraits.

    La bibliographie se veut essentielle, c’est-à-dire qu’elle ne prend pas en compte toutes les reprises du texte dans la presse de province ou de Belgique — dont l’inventaire immense reste, à de rares exceptions près, à effectuer, — ni les éditions occasionnelles dont les références demeurent floues.

    La définition est courte et indique seulement la thématique principale du texte, sa localisation géographique et temporelle — ainsi que son éventuelle appartenance à un cycle.

    Le résumé est le cœur même de ma démarche mais il fait obligatoirement problème.

    Mon but étant de faire connaître aux lectrices et lecteurs des textes qu’ils n’ont pas eus, jusque-là, l’occasion de lire et que, pour la plupart, ils ne liront jamais, il est évident qu’il me fallait composer, pour chacun de ces textes, un résumé susceptible de servir correctement de substitut à cette absence de lecture.

    Il ne s’agissait pas de proposer un simple synopsis, rappelant les grandes lignes de l’intrigue et les grands axes de l’architecture narrative, mais un véritable résumé rendant compte de toutes les actions, tous les lieux et tous les personnages essentiels, mais aussi de l’évolution de l’intrigue, avec ses rebondissements et ses suspenses, et encore de la nature de la narration — par exemple de la personne narrative.

    Même s’il ne relève pas de la quadrature du cercle, cet exercice est terriblement complexe et délicat et le résultat ne saurait recueillir tous les suffrages. Bien que j’ai tout fait pour rester concis et ne pas paraphraser, d’aucuns pourront prétendre que j’ai voulu trop en dire.

    Toutefois, je pense avoir utilisé au mieux ma connaissance de l’œuvre initiale et mon expérience de plus de vingt ans — depuis mes deux Encyclopédies, en passant par les seize Années de la fiction — pour offrir ici les résumés les plus utiles à celles et à ceux qui veulent savoir ce qu’a écrit Ponson du Terrail. Et, je l’espère, pour donner aussi envie de le lire pour de bon.

    L’analyse comprend quatre parties : la construction et les trois D — distribution, décor, dynamique.

    La construction est, elle aussi, une vision synthétique du texte mais différente en cela du résumé qu’elle se veut non plus discursive mais logique. Il ne s’agit plus de suivre le récit dans son déroulement naturel mais, au contraire, de le reconstruire de manière logique. J’ai utilisé pour cela la notion de séquence ou portion autonome du texte, distincte des autres par un changement d’action, de lieu ou de personnages — et souvent les deux ou trois à la fois. Dès lors, il est simple de comprendre comment l’auteur a bâti son œuvre et de comparer les différentes époques ou les différentes inspirations de sa production.

    La distribution recense les principaux personnages intervenant dans le récit. Le décor retient les lieux essentiels où se déroule l’action. La dynamique, enfin, rappelle la place qu’occupent les différents registres et fait l’inventaire des éléments narratifs les plus utilisés ou les plus originaux.

    Dans l’autre-littérature du XIXe siècle, les récits sont généralement basés sur trois registres fondamentaux : le familial, le sentimental et le criminel. Le registre familial prend en compte les rapports de sang entre les différents protagonistes et possède des particularités récurrentes comme l’enfant perdu et retrouvé. Le registre sentimental prend en compte les relations amoureuses : il est en cela aussi vieux que la littérature elle-même. Le registre criminel est plus récent, même si on peut lui trouver des origines anciennes : il prend en compte les actes criminels — délits, crimes ordinaires ou crimes de sang — dont se rendent coupables les différents protagonistes. Ce registre-là est en plein essor : il est omniprésent dans l’œuvre de Ponson du Terrail et va donner naissance — chez Emile Gaboriau, un de ses contemporains — au registre policier qui est celui — avec le registre sentimental — que nous fréquentons le plus à notre époque.

    Les éléments narratifs sont des actes particuliers — et les objets les rendant possibles — qui donnent sa couleur au récit. Ponson en emploie certains régulièrement, comme le duel ou l’accident de chasse, et il en invente d’autres tout à fait originaux et d’une extrême modernité. Sans oublier les trappes, les poisons, les déguisements, les encres sympathiques, etc.

    Enfin, les procédés d’écriture relèvent du choix de l’auteur quant à l’architecture de son texte. Ponson utilise très souvent le récit rapporté — à l’aide d’une confession orale ou écrite — qui lui permet de faire connaître au lecteur des faits antérieurs à l’action sans avoir recours au, désormais traditionnel, retour en arrière ou flashback.

    Le commentaire n’a pas la prétention de donner un discours exhaustif sur l’œuvre ; il fournit seulement des indications essentielles sur la publication du texte, les références externes ou internes à l’œuvre employées par l’auteur, et diverses informations permettant d’en éclairer la lecture. Il constitue, en quelque sorte, une « mise en bouche » qui appelle à des travaux plus complets.

    Le ou les extraits, enfin, permettent aux lectrices et lecteurs de se « frotter » au texte lui-même. Telles les citations dans un dictionnaire traditionnel, ces extraits permettent de juger sur pièce des talents de l’auteur.

    Avant d’entrer dans l’œuvre de Ponson du Terrail, de A à Z, il est bon, d’en retracer les grandes lignes. Et avant cela encore, de faire brièvement le point sur la vie de Ponson du Terrail.

    La vie de Ponson du Terrail

    Il n’existe à ce jour aucun travail biographique conséquent effectué sur Ponson du Terrail. Le seul livre qui lui a été consacré, Ponson du Terrail. Le romancier à la plume infatigable, par Elie-Marcel Gaillard, pourtant écrit à partir de recherches d’archives et de documents — dont un fantomatique journal de la sœur de l’écrivain, — ne fait essentiellement que reprendre les éléments déjà connus et publiés de manière éparse dans quelques journaux ou revues. Sont totalement omises les informations concernant la période 1850-1860 et fort peu de choses y sont dites de la période 1860-1870. Que reste-t-il ?

    En fait, à ce jour, une grande partie de la vie de Ponson demeure une énigme. Le manque de documents est flagrant : la correspondance est rarissime, aucun écrit autobiographique, journal ou entretien, n’est connu et seules quelques références glissées çà et là dans les romans ou nouvelles — ainsi que dans les « causeries » du journal Les Coulisses du monde — peuvent nous éclairer.

    Des pistes ont récemment été mises au jour qu’il conviendra de creuser. Mais elles soulèvent parfois plus d’interrogations qu’elles n’apportent de réponses aux questions qui se posent.

    Faisons toujours le point de nos connaissances.

    Pierre-Alexis Ponson du Terrail 10 naît le 9 juillet 1829 à Montmaur — qui ne se trouve pas, comme on le lit souvent, près de Grenoble, mais dans les Hautes-Alpes, près de Gap. Ses parents habitent Simiane-la-Rotonde, dans les Basses-Alpes, mais très jeune, à sept ans, il est confié à ses grands-parents et retourne à Montmaur. Il vouera toute sa vie un véritable culte à son grand-père, le lieutenant-colonel Pierre Toscan du Terrail 11, qui avait été officier de la Maison du roi, soldat de la République puis de l’Empire : « Il avait porté l’épaulette sous tous les régimes, avec cette conviction profonde que, n’importe sous quel drapeau, porter l’épée, c’était servir la France. » 12.

    Il fait ses premières études au collège d’Apt en 1838, puis se retrouve au collège royal de Marseille. C’est dans cette ville qu’il écrit et publie ses premiers textes — dont le seul qui nous soit connu est Un amour de quinze ans, signé étrangement Georges Bruck 13, paru dans le Courrier de Marseille en 1846. Il aurait aussi, selon lui, collaboré à un journal républicain : Le Peuple souverain.

    Ayant passé sans succès le concours d’entrée à l’Ecole navale, il rejoint sa famille à Grenoble où il continue d’écrire et publie dans Le Patriote des Alpes, à la fin de l’année 1846, des textes dont un lui aurait valu un procès.

    Arrivé à Paris dans le courant de l’année 1847, il continue de vendre sa plume à différents organes de presse. Mais, s’il prétend avoir soumis un projet de roman à Etienne Arago — figure notoire du mouvement républicain et directeur du journal La Réforme, — il collabore par ailleurs au journal ultra-conservateur L’Etoile, auquel il fournit, probablement, une chronique régulière sur les théâtres.

    Son attitude lors de la révolution de 1848, n’est pas plus claire que ses choix professionnels. Apparemment spectateur des journées de février — qu’il évoquera dans plusieurs de ses écrits, — il devient acteur en juin en s’enrôlant dans la garde nationale dont il est élu officier.

    Cette attitude lui vaut les félicitations du général Leydet qui le propose pour une décoration 14, mais semble toutefois plus dictée par une volonté de marcher sur les traces de ses valeureux ancêtres que par un souci franchement politique. Car, s’il dénigre ouvertement la République et se dit légitimiste, il n’en proclame pas moins à d’autres moments des sentiments républicains et se dit admirateur de Lamartine, célèbre poète et mais aussi membre du gouvernement provisoire de la IIe République 15.

    Par ailleurs, il écrit clairement qu’il est romancier et, qu’à ce titre, il ne fait pas de politique. Ainsi, dans sa lettre à propos de Lamartine, affirme-t-il : « Je m’occupe peu et même pas du tout de politique […] parce qu’un homme de lettres a bien assez de la littérature. » Or il est vrai, qu’au début de sa carrière, il met sa plume aussi bien au service de L’Opinion publique, organe d’opposition monarchique, que du Courrier français, organe républicain.

    Son ambition d’écrivain est de conquérir des journaux à forte audience, au-delà de toute prétention idéologique. Et c’est ce qu’il va parvenir à faire en devenant l’un des principaux fournisseurs du journal La Patrie et, plus tard, du Pays, de La Petite Presse ou du Moniteur universel du soir.

    En 1853, dans une correspondance à son ami Gomichon des Granges 16, il avoue une liaison, à Bade, avec une personne de haut rang. Mais cette existence-là ne semble pas le satisfaire totalement. Pourtant, toute sa vie, il tentera de mener un train confortable, fréquentant les clubs, devenant propriétaire de chevaux et de maisons. Et il fera un beau mariage…

    Dans les années qui suivent, il fréquente assidûment la Bourgogne et plus spécialement les environs d’Auxerre. Il devient l’ami du grand explorateur Edmond Cotteau 17. Et la tradition orale à Mailly veut que Ponson ait quitté Paris pour s’y installer, une dizaine d’années durant, ne retournant que brièvement dans la capitale pour ses obligations professionnelles 18.

    C’est à Cravant qu’il achète une maison qui va accueillir Emma Queille, la jeune comédienne rencontrée à Paris et qui souffre de phtisie. Dans son Histoire d’une maîtresse morte, Ponson relate ce douloureux épisode de sa vie 19 — véridique, même s’il semble démarqué de La Dame aux camélias.

    A cette occasion, Ponson écrit une lettre à un vieil ami sur lequel il peut compter : Rouillé d’Orfeuille. Ce dernier est l’ancien maire de Donnery — village situé entre Orléans et Montargis — et propriétaire d’un château où Ponson est régulièrement invité pour des parties de chasse. C’est probablement par son intermédiaire qu’il fait connaissance du nouveau maire, Jarry. En juin 1860, avec la bénédiction de l’évêque d’Orléans, Mgr Dupanloup, il épouse Louise Lucile Jarry et s’allie ainsi à une respectable famille de la bourgeoisie orléanaise 20. Il achète à Donnery, en bordure du canal d’Orléans, une coquette demeure, les Charmettes.

    Mais son union maritale reste stérile : Ponson n’aura pas d’enfant. De là à penser qu’il a cédé à un mariage de raison ayant avant tout pour mobile sa position sociale, il n’y a qu’un pas. A posteriori, lorsque l’on sait que sa femme « oubliera » sa dépouille à Bordeaux et ne la fera revenir à Paris que contrainte et forcée sept ans après sa mort, on peut se sentir conforté dans cette idée.

    Si sa vie privée reste apparemment médiocre, en revanche, Ponson du Terrail connaît un grand succès professionnel. Son personnage de Rocambole, créé presque par accident en 1857, devient tellement connu et apprécié qu’il ne peut plus s’en défaire. Même lorsqu’il annonce Le Dernier mot de Rocambole, en 1865, il est loin d’en avoir fini avec lui. Les romans s’enchaînent aux romans — toujours écrits pour la presse — et il lui arrive de produire plusieurs feuilletons en même temps, mais pas autant qu’ont bien voulu l’écrire certains qui confondent les œuvres originales avec les reprises.

    Il ne nous est pas possible aujourd’hui de savoir en détail quel fut l’emploi du temps de la vie de l’auteur tout au long de ces années. Effectua-t-il des voyages ? Peut-être, mais très certainement peu nombreux. Il se rendit à Londres, en Italie, en Allemagne. Mais il est peu probable qu’il ait effectué un voyage en Russie et encore moins au Proche-Orient ou en Afrique du Nord.

    Tout au long de sa carrière — en fait, de 1854 à 1869, — il est membre du comité de la Société des Gens de Lettres 21. Il s’y fait des amis comme Emmanuel Gonzalès ou Léon Gozlan, « un grand cœur, un grand talent, un esprit étincelant et original entre tous » 22. Mais, même s’il est plusieurs fois élu au bureau de la société 23, il n’est pas un administrateur fervent et dévoué comme l’est Paul Féval, président pendant cinq ans.

    Une action d’éclat allait marquer la dernière année de son existence. Dès le début des hostilités entre la France et la Prusse, il décide de prendre la plume pour rappeler à ses lecteurs que la France est un pays de guerriers valeureux — et il rédige Les Français à Berlin. Mais quand les combats s’approchent de l’Orléanais où il s’est réfugié, il demande et obtient le commandement d’une compagnie de francs-tireurs qui se livre à une résistance tout à fait valeureuse contre l’envahisseur 24.

    Néanmoins battu et désarmé, Ponson doit aller se réfugier à Bordeaux où se sont repliés une grande partie de la classe politique et de nombreux intellectuels. C’est malheureusement là qu’il contracte une terrible maladie qui l’emporte au bout de quelques semaines. Il décède le 20 janvier 1871, dans sa quarante-deuxième année. Ses obsèques ont lieu le 23, en présence de nombreux confrères. Paul Dalloz, directeur du Moniteur universel, prononce l’éloge funèbre. Les honneurs militaires sont rendus à l’écrivain combattant.

    Après cette mort, les appétits financiers des uns et des autres se manifestent. La veuve et la sœur de Ponson du Terrail se livrent une bataille acharnée. Constant Guéroult obtient l’autorisation de poursuivre les exploits de Rocambole 25, prétendument à partir de notes inédites laissées par l’auteur. Charles Chincholle peut, lui, reprendre et récrire trois romans laissés inachevés du vivant du romancier. Il est par ailleurs le possible auteur de La Juive du Château-Trompette, ultime feuilleton paru sous le nom de Ponson du Terrail 26. Rouff et Fayard — acquéreur du fonds Dentu — se partagent la réédition des textes en librairie 27. Et le premier n’évite pas un procès. Jusqu’aux lendemains de la Grande Guerre, où elle tombe dans le domaine public, l’œuvre de Ponson du Terrail aura rapporté beaucoup d’argent.

    Les influences

    Comme tout écrivain, Ponson du Terrail a construit son œuvre à partir d’influences venues de sa formation intellectuelle initiale puis des lectures qu’il a pu faire de son temps.

    Tout d’abord, il ne faut pas oublier qu’il a fait ses humanités. S’il n’a pas suivi ce que l’on appelle aujourd’hui des études supérieures, il a effectué l’équivalent de nos études secondaires, ce qui le place d’emblée, pour l’époque, parmi l’élite intellectuelle. S’il n’a pu réussir au concours d’entrée à l’Ecole navale — fondée en 1830 — c’est qu’il a toujours suivi une filière littéraire et non scientifique et qu’il n’est pas apte dans les disciplines requises.

    Il connaît la Grèce et la Rome antiques et leurs auteurs. Il prétend même avoir été attiré par la République à cause de cela : « Comme à dix-sept ans on a la tête pleine de Rome et d’Athènes, la République m’a trouvé dans les rangs de la garde mobile. » 28

    Il fait parfois référence à la Mythologie, comme dans les Fils de Judas dont l’un des personnages principaux est la Parque Aléa.

    Il connaît les écrivains et artistes de la Renaissance auxquels il a consacré l’un de ses premiers écrits hors fiction : Les Poètes du vieux temps, mettant en scène tour à tour Clément Marot, Jean Goujon, Gütemberg, Denis Lambin, Andrea Pisoni, Marguerite de Valois, Ramus et Ronsard.

    Il connaît également les romanciers du XVIIe et du XVIIIe siècles qu’il évoque au détour de telle ou telle scène d’un roman. Ainsi dans Diane de Lancy : « Il savait par cœur tous les romans de Mlle Scudéri, de M. Crébillon fils, et du vénérable Ducray-Duménil… » 29.

    Ayant eu très tôt le goût pour l’écriture, il avoue avoir composé une pièce de théâtre dans la plus pure tradition classique. « Je venais de terminer ma tragédie. Tout collégien a fait sa tragédie ou, du moins, son drame en cinq actes et en vers. J’étais arrivé à Paris avec le mien ; et, jugez de ma vanité, j’avais emprunté mon sujet à un roman de madame Clémence Robert. » 30 Selon lui, les barricades de 48 lui ôtèrent tout espoir de faire jouer sa pièce, ce que plus tard la comédienne Rachel lui fit admettre comme ayant été sa chance !

    Par ailleurs, dès le début de sa carrière, il effectue des recherches dans les bibliothèques pour lire les historiens de son temps qu’il cite précisément, comme le prouvent les notes incluses dans certains de ses romans. Il affirme d’ailleurs son désaccord avec ces auteurs : « Messieurs les historiens, depuis Mézerai jusqu’à Anquetil et le P. Loriquet, nous semblent avoir ignoré cet apologue, car généralement l’histoire ancienne et moderne n’est qu’une compilation plus ou moins fastidieuse de dates et de faits. » 31 Et déclare leur préférer les auteurs anciens : « Les historiens de l’Antiquité avaient une manière plus large de retracer le temps où ils vivaient : Tacite et Plutarque, Xénophon et Tite-Live ont daigné nous parler des mœurs grecques et romaines. » 32 Ailleurs, il cite les auteurs à son goût : Froissart, Rabelais, l’Estoile, Marguerite de Valois, Mme de Motteville, le cardinal de Retz et Saint-Simon 33.

    Mais aussi Ponson du Terrail naît à quelques mois de la grande année du romantisme français : 1830 — année au cours de laquelle a lieu la « bataille d’Hernani », la première audition de la Symphonie fantastique et l’exposition de La Liberté guidant le peuple. Comme tous les gens de sa génération, il est imprégné des valeurs individualistes exacerbant les sentiments. Comme Hector Berlioz et d’autres, il s’imprègne de Shakespeare dont il imite plusieurs fois le Roméo et Juliette. S’il fait mention des romans gothiques anglais et fait référence à Anne Radcliffe et à ses Mystères d’Udolfe (1794), il a surtout lu les romantiques allemands, au premier rang desquels E.T.A. Hoffmann.

    Au confluent de ces différentes sources, historiques et littéraires — parmi lesquelles il ne faudrait pas oublier le marquis de Sade, — se trouve chez lui le thème du vampire qui va le passionner et inspirer plusieurs de ses romans ou nouvelles. Quinze ans après avoir écrit une Baronne trépassée très littéraire, il rédigera L’Auberge de la rue des Enfants-Rouges qui s’inspire d’événements historiques 34.

    Ponson du Terrail connaît et lit ses contemporains qu’il évoque à l’occasion volontiers. Il cite fréquemment Honoré de Balzac — et, entre autres son Histoire des treize. Il qualifie George Sand de « plus grand écrivain de notre siècle » 35. Lors d’un voyage en Grèce 36, il dit sa fierté à lire Alexandre Dumas — auquel il emprunte par ailleurs, par deux fois, le thème de Monte-Cristo. Il ne renie pas l’influence d’Eugène Sue ou de Paul Féval, avouant, dans La Vérité sur Rocambole (1867), les avoir volontairement plagiés pour créer Les Drames de Paris. Il est redevable, même s’il ne le cite pas nommément, à Théophile Gautier. Et il fréquente un bon nombre de ses confrères comme ses amis Etienne Enault ou Michel Masson, ou encore comme Emmanuel Gonzalès auquel il dédie Les Nuits du Quartier Bréda.

    Bref, lorsque l’on parle de Ponson, il ne faut pas oublier que l’on n’a pas affaire à un écrivain par hasard, à un autodidacte venu à l’écriture sur le tard sans aucune culture générale — prototype d’auteur que l’on a pu connaître dans les prolifiques années 1950.

    Pour autant, on a dénoncé chez lui des négligences et surtout des anachronismes dans ses récits historiques. Nul doute que ces erreurs, beaucoup moins nombreuses que ses ennemis le prétendent, ne sont pas dues à l’inculture. Il peut s’agir d’inadvertances liées à la rapidité de sa production ou tout simplement de licences d’un auteur qui privilégie la cohérence de son récit aux dépens de la véracité historique.

    C’est ainsi par exemple que, dans Bavolet — suite des Cavaliers de la nuit, — il fait mourir Marie Stuart trois ans trop tard parce qu’il veut recouper l’action de personnages de fiction qui interviennent dans plusieurs pays à la fois. Il est évident, dans ce cas, qu’il est victime d’une certaine immaturité d’auteur : le roman date de 1855, quatre ans seulement après le réel début de sa carrière, et il ne maîtrise visiblement pas encore totalement son métier.

    En revanche, Ponson n’aura pas été influencé par les romans maritimes — d’Eugène Sue, Gabriel de La Landelle, Edouard Corbière ou autres, — ni par les écrits scientifiques pouvant servir de base à des récits d’anticipations. En cela, il se distingue tout à fait de son contemporain Jules Verne, né un an avant lui 37. Peu de scènes de ses romans se déroulent à bord de bateaux et l’aventure maritime n’est présente que dans un roman dont la première partie reste très atypique : Pas de Chance, histoire d’un enfant perdu. Dans ce cas, le naufrage est décrit en quelques lignes seulement. Ponson n’est l’auteur d’aucun écrit d’anticipation et seul l’invention de maître Callebrand (cf. infra), dans Les Fils de Judas, relève de la science-fiction.

    L’œuvre de Ponson du Terrail

    Les romans et nouvelles de Ponson du Terrail peuvent, sans trop de contorsions intellectuelles, être répartis en quatre catégories.

    Première catégorie : les romans (ou nouvelles) contemporains. Ce sont des romans ou nouvelles dont l’action se déroule du vivant de l’auteur, parfois sous la Monarchie de Juillet ou la IIe République, mais le plus souvent sous le Second Empire.

    Le principal cycle, « Rocambole », appartient à cette première catégorie. Le prologue a lieu en 1812, lors de la retraite de Russie, mais l’action proprement dite démarre trois décennies plus tard, en 1843. La première partie du cycle — qui se compose de L’Héritage mystérieux, Le Club des Valets-de-cœur, Les Exploits de Rocambole et La Revanche de Baccarat — se situe sous la Monarchie de Juillet. L’intermède constitué par Les Chevaliers du Clair de lune et Le Testament de Grain-de-Sel débute en 1853. Et la seconde partie du cycle — La Résurrection de Rocambole, Le Dernier mot de Rocambole, Les Misères de Londres, Les Démolitions de Paris et La Corde du pendu — se déroule sous le Second Empire, tout comme toute une série d’autres romans : Un crime de jeunesse, Les Gandins, Les Mystères du Temple, Les Nuits de la Maison dorée, Les Nuits du Quartier Bréda, Pas de Chance… et le roman qui peut être considéré à bien des égards comme le meilleur de l’auteur : Les Fils de Judas.

    La Monarchie de Juillet sert d’époque à deux romans basés sur le thème monte-cristien, Les Coulisses du monde et Les Voleurs du grand monde, et au mini-cycle précurseur de « Rocambole » : Le Pacte de sang et La Dame au gant noir.

    La Fille des barricades, roman inachevé, évoque les journées de 1848, tandis que Le Capitaine des Pénitents noirs, seul roman situé dans la région d’enfance de l’auteur, rappelle les événements politiques de 1832.

    Deuxième catégorie : les romans (ou nouvelles) d’aventures historiques. On se doit de distinguer les romans historiques, dans lesquels l’Histoire joue un rôle primordial — voire un rôle de catalyseur au service d’une idéologie nationale, comme chez l’Ecossais Walter Scott, le Polonais Henryk Sienkiewicz, le Belge Henri Conscience, etc., — des récits d’aventures historiques — aussi baptisés « roman de cape et d’épée » — davantage basés sur l’aventure, les péripéties entre les personnages, que sur l’Histoire, les événements d’une époque, qui servent seulement de toile de fond.

    Chronologiquement, ces romans s’étendent sur une période allant du règne de Louis XI (en 1475 précisément, pour Le Filleul du roi), jusqu’à la Restauration (1825, pour Le Trompette de la Bérésina). Cette catégorie possède, elle aussi, un cycle important, « La Jeunesse du roi Henri » — composé de La Jeunesse du roi Henri, La Belle Corisandre, La Reine des barricades, Le Beau Galaor et La Seconde jeunesse du roi Henri — dont le héros n’est autre qu’Henri de Navarre futur Henri IV.

    La page d’Histoire la plus fréquente chez l’auteur est celle des guerres de religion et des massacres de la Saint-Barthélemy : elle est présente dans Les Escholiers de Paris, Les Cavaliers de la nuit, La Jeunesse du roi Henri, Les Orphelins de la Saint-Barthélemy.

    La Révolution, le Directoire, le Consulat et l’Empire sont le cadre de romans importants, comme Le Forgeron de la Cour-Dieu, Les Masques rouges, Le Bal des victimes, La Dame au collier rouge et de quelques nouvelles intéressantes : Marie, épisode de la Terreur, Le Capitaine Max. Mais l’Empire n’apparaît que fort peu : Les Contes du drapeau montre la bataille de France et l’entrée des coalisés dans Paris ; Le Trompette de la Bérésina se situe, pour moitié, après 1815. Napoléon n’apparaît réellement que dans Le Page de Napoléon, court conte moral.

    Pour le reste, le règne de François Ier est évoqué dans La Cape et l’épée, celui de Louis XIII dans Les Aventures du capitaine Coquelicot, inachevé, celui de Louis XIV dans Les Etudiants de Heidelberg et La Tour des Gerfauts, celui de Louis XV dans des récits à connotation fantastique et quelques autres nouvelles — ainsi que Le Nid de Faucons, basé sur le thème de la chasse à l’homme, — le règne de Louis XVI, enfin, dans Le Diamant du commandeur et Le Roi des bohémiens — dont l’action se passe un temps en Amérique au cours de la guerre d’Indépendance.

    Troisième catégorie : les romans « de village » — que nous appelons ainsi en nous référant au titre choisi par les éditeurs de l’époque qui voulaient opposer Les Drames de Paris, c’est-à-dire les aventures de Rocambole, aux Drames de village.

    La série de ces romans, dont l’action se situe dans l’Orléanais sous le Second Empire, compte au total dix titres, écrits entre 1865 et 1869 : Le Chambrion, Le Nouveau maître d’école, Mémoires d’un gendarme, Mademoiselle Mignonne, La Mère Miracle, Le Brigadier La Jeunesse, Le Secret du Dr Rousselle — ces quatre titres composent un cycle de trois romans baptisé « Mon village », — Le Grillon du Moulin, Maître Rossignol, le libre-penseur, Sardine-Blanche et Les Ardentes — ces deux derniers romans étant regroupés sous le titre Les Mystères des bois.

    Il faut rappeler toutefois que Ponson, avant 1860, fréquenta l’Auxerrois et que certains des romans de cette époque ont déjà une coloration « de village », tel Les Masques rouges, cité plus haut, ou La Forge de Nogaret.

    Quatrième catégorie : des romans et nouvelles issus de la catégorie des récits d’aventures historiques mais que l’on peut isoler à cause de la thématique qui les distingue : les romans ou nouvelles fantastiques ou pseudo fantastiques.

    Cette catégorie comprend cinq romans et une nouvelle : deux dont l’action se déroule sous François Ier, La Messe noire, le chef-d’œuvre du genre, et Les Coups d’épée du capitaine La Palisse, inachevé, La Femme immortelle qui a pour époque la Régence, trois situés sous le règne de Louis XV : L’Auberge de la rue des Enfants rouges, La Baronne trépassée et Le Revenant.

    A très peu d’exceptions près, l’ensemble des romans de Ponson du Terrail, quelle que soit la catégorie dans laquelle on veuille les mettre, sont des romans criminels, dont le mobile principal est l’appât du gain, et reposant pour la plupart sur un crime bien précis : la captation de fortune ou d’héritage. Cette captation implique des usurpations d’identité, des enlèvements, des assassinats, etc. Elle est toujours contrariée par une opposition privée, les forces de l’ordre ou de justice publiques n’intervenant pas toujours ou sinon in fine.

    D’ailleurs les récits de Ponson ne sont que très exceptionnellement des récits policiers et les seuls enquêteurs qu’il met en scène sont, hormis le Porion des romans d’aventures historiques, et le juge Lucien de Saint-Sauveur du Capitaine des Pénitents noirs, des enquêteurs privés et non des policiers ou magistrats de profession.

    Les personnages de Ponson du Terrail

    Héritier à la fois du roman de chevalerie, auquel il envoie fréquemment des piques, et du drame romantique exaltant l’amour et la passion, Ponson du Terrail choisit très logiquement comme principal héros de ses romans et nouvelles un personnage de jeune homme audacieux, courageux mais amoureux, ou de jeune fille passionnée, rêvant d’amour et d’action.

    Ce héros ou cette héroïne peut parfois être très jeune, comme le page Fleur-de-Mai, ou Raphaël, ou encore le roi Henri — au début de La Jeunesse du roi Henri, — comme Mathilde ou Hermine. Autant de personnages qui n’ont pas vingt ans. Très symboliquement, son premier écrit publié s’intitule, rappelons-le, Un amour à seize ans.

    Le héros masculin est honnête, brave, courageux, intelligent et, surtout, fidèle : fidèle vis-à-vis d’autrui, ses parents, ses amours, fidèle vis-à-vis de son pays, sa nation.

    Cette qualité-là est au cœur de nombreux récits de l’auteur qui affirme qu’il est plus important de rester fidèle à son pays qu’à son rang — entendons sa classe sociale. Ainsi fait-il implicitement le procès de l’aristocratie sous la Révolution, qui a préféré servir les princes étrangers pour sauver ses intérêts, plutôt que de rester fidèle à son pays — et de servir l’Empire. De ce point de vue la nouvelle Le Page de Napoléon est exemplaire.

    Il en vient, par là même, à condamner l’adultère et principalement l’adultère féminin qui doit se conclure dans la mort pour permettre la rédemption. Deux de ses romans, La Forge de Nogaret et Les Ardentes, sont basés sur cette idée.

    L’héroïne ne doit pas trahir sa féminité mais rien n’empêche qu’elle possède des qualités viriles. La relation familiale la plus fréquente est celle qui lie le père et la fille. Et, dans ce cas, il n’est pas rare que le père autorise une éducation « de garçon » pour sa fille. Ainsi devient-elle un redoutable combattant, comme Maxence dans Le Capitaine Max ou Dragonne dans Dragonne et Mignonne.

    Chez Ponson, en règle générale, la femme n’est en rien inférieure à l’homme. Elle peut tout à fait être aussi courageuse physiquement et moralement et mener de véritables batailles, comme Charlotte de Pontvoisin dans La Dame au collier rouge ou Anne de Lorraine dans La Reine des barricades, ou encore Toinette dans Les Contes du drapeau — qui est d’ailleurs décorée de la croix de la Légion d’honneur par l’empereur en personne.

    Elle peut être aussi intelligente et se battre d’égale à égal sur ce point avec des hommes. Ainsi Bacarrat ou la comtesse Artoff contre sir Williams et Rocambole, ou Olympe contre Cartahut, ou encore Laurence contre Gaston de Kerbrie.

    Et elle est leur égale dans le bien comme dans le mal. Parmi les grandes figures « négatives » chez Ponson, on trouve un sir Williams, un Docteur rouge, un colonel Léon mais aussi une Olympe, une Toinon/Antonia, une Jeanne de Lacy.

    Ceci dit, le personnage emblématique de Ponson est masculin : un adolescent qui grandit très vite et devient un homme aux qualités exceptionnelles, mais destiné tout d’abord au mal. Il s’agit de Joseph Fipart, dit Rocambole. Ayant pour maître le mystérieux sir Willams, il acquiert un terrible savoir-faire qui — heureusement pour la morale — ne va toutefois pas lui permettre d’atteindre ses buts criminels. Pris par ses ennemis, il est jugé et envoyé au bagne, après avoir été défiguré. Il s’évadera et — avec un visage qui reprend peu à peu un aspect normal — se vouera dès lors au bien, avec la même énergie et plus de réussite.

    Ce personnage, apparu en 1857, à la fin du premier épisode du cycle qui portera son nom 38, ne quittera plus la scène littéraire, ni du vivant de l’auteur, ni après sa mort. Premier de ces grands héros populaires indestructibles, il sera tout d’abord de nouveau exploité par Constant Guéroult qui affirme être en possession de notes laissées par Ponson — ce qui, à défaut d’être impossible, est tout au moins fortement improbable, — puis par différents auteurs, tout au long du XXe siècle 39.

    L’autre héros d’un grand cycle est un personnage authentique : le roi de Navarre puis de France, Henri de Bourbon devenu Henri IV. Appartenant chez Ponson, à la longue liste des aventuriers d’un roman historique devenu roman d’aventures historiques, il ne présente qu’un faible aspect authentique et ne se distingue guère des autres personnages.

    La figure du père est représentée tant par les pères qui élèvent seul leur fille, à l’image du banquier de Valserres avec sa fille Pauline et de Simon avec sa fille Marthe, dans Les Héros de la vie privée, ou de M. Reynouard et de sa fille Marie, dans Le Nouveau maître d’école, que par les hommes mûrs qui protègent les héros beaucoup plus jeunes qu’eux, comme Gontran de Mauroy avec Hector de Pierrefeu, dans L’Auberge de la rue des Enfants-Rouges, ou qui en font leur complice comme sir William avec Rocambole, dans Le Club des Valets-de-cœur. D’ailleurs Rocambole illustre parfaitement le rapport œdipien en jetant sir Williams dans le vide.

    Personnage secondaire mais indispensable, l’ami joue parfois un rôle de premier plan, comme Léon de Courtenay vis-à-vis de Paul de Morgan dans Les Héros de la vie privée. A l’inverse, le traître reste une figure rare mais mise en exergue, jusqu’à devenir ce Tony des Fils de Judas que l’auteur met pour de bon dans la peau du disciple du Christ.

    Au sein de la vaste galerie des 1700 personnages principaux — jouant un rôle significatif dans l’intrigue — créés par Ponson du Terrail, on peut mettre en lumière quelques figures tout à fait passionnantes. Ainsi le Docteur rouge des Gandins, homme sans cœur qui cherche à savoir si son fils, conçu avec une femme elle-même insensible aux autres, peut ou non être différent de lui. Pas de Chance — dans le roman homonyme, — un enfant échangé à la naissance qui va faire le tour du monde avant de retrouver sa véritable famille et son premier amour. Catherine de Médicis, personnage historique, que Ponson modèle à sa manière, mais dont il fait le pivot de ses intrigues historiques. Michaël, le roi des bohémiens de La Messe noire, qui est sans doute le diable en personne, comme Aléa est elle-même la Parque, dans Les Fils de Judas.

    Moins extraordinaires mais non moins passionnants sont les personnages des romans « de village », comme le Grillon, dans Le Grillon du moulin, le Dr Rousselle, dans plusieurs romans dont Le Secret du Dr Rousselle, maître Rossignol dans Maître Rossignol, le libre-penseur, et une foule d’autres : Jouval, Nicolas Sautereau, Simonin, la Mère Miracle, etc. Ceux-là sont des acteurs de la vie sociale de son temps dont la description réaliste a pu faire dire à certains que Ponson était l’auteur de « romans balzaciens ».

    Ponson de Terrail a aussi donné la vedette à des animaux et pas seulement des chiens — dont il était grand amateur — comme Sardine-Blanche, Mylord, Pluton, Baliveau, etc., et surtout le chien détective de la belle Marton, Phanor, qui permet à Rocambole de retrouver Timoléon, puis à ses compagnons de retrouver Rocambole, dans Le Dernier mot de Rocambole. Dans Les Mémoires de Giselle, une jument écrit ses mémoires !

    Enfin Ponson se met quelque fois en scène lui-même, comme dans Le Nouveau maître d’école, où il tient un rôle non négligeable.

    L’univers de Ponson du Terrail

    La règle qui ne connaît que fort peu d’exceptions est que Ponson du Terrail n’a décrit que des villes, des régions, des paysages qu’il connaissait pour les avoir fréquentés, y avoir vécu.

    Né dans les contreforts des Alpes, il ne prendra ce décor que pour un roman : Le Capitaine des Pénitents noirs, dont l’action se déroule sous le règne de Louis-Philippe Ier. D’Aix-en-Provence et de Marseille, où il passa ses jeunes années, il rappelle les paysages et l’ambiance dans plusieurs passages de romans, comme dans Les Nuits du Quartier Bréda, mais guère plus. C’est la grande ville où il s’est installé pour faire carrière, la capitale, Paris, qui sert de décor fréquent à tout ou partie de ses intrigues.

    Ce Paris là, c’est le Paris du Second Empire avec ses rénovations initiées par le baron Haussmann — fréquemment évoquées. Ce sont les boulevards avec leurs cafés et leurs théâtres, les grands appartements de la rue Saint-Honoré ou les hôtels particuliers du VIIe arrondissement, mais aussi les immeubles moins respectables, voire les bouges en bordure de Seine ou dans les quartiers périphériques. Le Paris d’alors n’a pas encore absorbé toutes les communes avoisinantes et l’on se retrouve parfois à Passy, à Auteuil ou à Belleville 40.

    Mais le Paris de Ponson est aussi un Paris historique. C’est le Paris de la Révolution, et surtout de la terrible année 93. On y fréquente la place de Grève où l’on a guillotiné le roi puis la reine, les prisons, la Conciergerie ou l’Abbaye, et les demeures des grandes figures de l’époque : Robespierre, Danton… En remontant dans le temps, c’est le Paris de la Régence et du règne de Louis XV, celui où se trament des intrigues fantastiques, où il est question de femme immortelle et de buveurs de sang. C’est le Paris des guerres de religion, et, avant tout de cette terrible, tragique et insupportable nuit du 24 au 25 août 1572, la Saint-Barthélemy, au cours de laquelle les catholiques, enrôlés par les Guise, se ruent sur les huguenots pour les massacrer. C’est, enfin, le Paris de François Ier ou même de Louis XI où il est surtout question du Pays (Quartier) latin, de ses escholiers et de ses ribaudes (prostituées). Ce Paris-là, Ponson, qui pourtant ne dédaigne pas de se documenter, nous l’avons dit, le réinvente parfois, ou du moins le modèle aux bons soins de son intrigue !

    Viennent ensuite ses deux grandes patries d’adoption en province : l’Auxerrois et l’Orléanais. Pour la première, Ponson évoque en fait le Morvan, une ancienne province française découpée, selon lui, en quatre départements : l’Yonne, la Nièvre, la Côte-d’Or et la Saône-et-Loire. Il la compare généralement à l’Ecosse et y situe pour partie bon nombre de ses premiers romans, depuis La Forge de Nogaret, de 1853, jusqu’à La Châtelaine de Planche-Mibray, de 1867. Dans Le Bal des victimes, il fait apparaître des trains de bois voguant sur l’Yonne, prouvant ainsi sa bonne connaissance des us et coutumes locaux.

    L’Orléanais se réduit, lui, à peu de chose près, au département du Loiret. C’est le cadre des romans « de village », depuis Le Chambrion, de 1865, jusqu’aux Ardentes, de 1869. Les lieux y sont parfois précis, à Orléans, bien sûr, mais aussi à Saint-Donat, pseudonyme de Donnery, ou à Fay-aux-Loges. D’autres fois, en revanche, un volontaire flou, alimenté par un mélange de plusieurs lieux, donne un Saint-Florentin qui n’est pas loin d’être Saint-Denis de l’Hôtel — tout en s’en démarquant, entre autres, par l’absence d’un pont jeté sur la Loire. Mais les fermes, les champs, les forêts sont autant de lieux réels que Ponson évoquent à travers d’authentiques anecdotes et des réminiscences de scènes vécues.

    La Bretagne apparaît souvent en complément, aussi bien dès le premier roman « de longue haleine », Les Coulisses du monde, que dans le cycle « Rocambole ». Le lieu principal y est souvent un château peu éloigné de Saint-Malo. Sans doute, Ponson fit-il, dans sa jeunesse, un ou plusieurs séjours dans la région. Peut-être effectua-t-il pour de bon le voyage à Brest avec son ami Etienne Enault qu’il évoque dans La Vérité sur Rocambole.

    Lorsque l’action se déplace à l’étranger, c’est là encore en des lieux connus de l’auteur : l’Italie dans laquelle il voyagea au cours de sa jeunesse — en particulier lorsqu’il effectua le périple qu’il rapporte dans De Paris à Athènes, — l’Allemagne rhénane où il résida un certain temps — si l’on en croit sa correspondance, — Londres, où il fit très probablement plusieurs séjours. Peut-être n’alla-t-il jamais en Hongrie, ni en Espagne, mais nous n’en sommes pas sûr. Dans ce cas, il utilisa ce qu’en disaient les autres, comme pour la Russie servant de décor à La Résurrection de Rocambole, pour laquelle il s’est fortement inspiré des écrits du marquis de Custine 41.

    Le peu qu’il exploita de l’Afrique ou de l’Amérique, il n’eut pas de mal à le recopier. De même pour l’Inde où il situe plus souvent son action. Dans tous ces cas, peut-être fit-il appel au témoignage de son ami Edmond Cotteau, grand voyageur de son temps.

    Il en va pour l’aspect social des lieux comme pour l’aspect géographique. Ponson avoue s’être un jour déguisé comme Eugène Sue pour visiter un bouge de la porte de la Villette, mais, en règle générale, les lieux qu’il décrit, dans ses romans contemporains, sont les lieux qu’il fréquentait personnellement. Il s’agit le plus souvent d’espaces privés riches, beaux appartements, hôtels particuliers, et d’espaces publics réservés à une classe aisée : les salons de l’Opéra, le café Anglais ou le pavillon d’Armenonville du bois de Boulogne, les cercles.

    De toute manière, les descriptions sont chez lui, généralement, brèves et ne nécessitent pas toujours une connaissance approfondie de l’endroit. C’est ce qui facilite sa tâche dans les romans d’aventures historiques qu’il situe entre le XVe siècle et son temps. On l’a d’ailleurs accusé de proposer un Louvre de fantaisie et il est certain que bon nombre des lieux de ces époques sont caricaturaux ou du moins approximatifs, comme les couvents servant de décor aux deux épisodes des Escholiers de Paris.

    Il n’en reste pas moins que Ponson du Terrail donne une vision intéressante, tant de la campagne, fermes et bois, que des ateliers des villes. Ainsi, sa description du faubourg Saint-Antoine et de ses artisans, dans Les Contes du drapeau ou dans La Fille des barricades, reste pour nous riche d’enseignements, au même titre que les scènes qu’il situe en forêt d’Orléans.

    L’action chez Ponson du Terrail

    Avant tout, nous allons y revenir, Ponson du Terrail fait agir ses personnages. Il les met en action et le plus souvent dans des situations exceptionnelles. Ce qui lui a valu l’intérêt d’un vaste public, c’est sa capacité à lancer cette action dans une frénésie parfois intense qui a donné naissance au qualificatif de rocambolesque.

    Le roman de Ponson est tout d’abord un roman d’aventures. On y retrouve par conséquent les éléments narratifs courants dans ce domaine : la poursuite, l’enlèvement, le combat sous toutes ses formes, l’empoisonnement, la séquestration… Ces éléments sont parfois enrichis, comme par exemple, la prise de drogue qui paralyse le sujet drogué tout en lui laissant ses facultés de perception. Ou encore le poison qui appelle un contre-poison, ce même contre-poison pouvant être objet de convoitise ou d’accaparement.

    L’identité inconnue ou la fausse identité est aussi un héritage dont Ponson se sert volontiers. L’enfant dont on ignore l’origine mais qu’un bijou ou une marque de naissance permet d’identifier est très répandu dans la littérature feuilletonesque du XIXe siècle. Pour désigner ce thème, on parle de « croix de ma mère ». Ainsi, Ponson se plaît à mettre en scène un jeune héros dont on finit par apprendre qu’il est fils — illégitime — de roi, tel Fleur-de-Mai dans Le Page Fleur-de-Mai ou Amaury dans Le Filleul du roi. Une autre fois, dans le cas de Pas de Chance, un bébé a été substitué à un autre à la naissance et sa réelle identité devra être prouvée plus tard.

    L’usurpation d’identité est un procédé facile qui permet de créer des quiproquos. Dans Les Exploits de Rocambole, le héros de Ponson tue un homme pour usurper son identité et pouvoir s’introduire dans une riche famille française avec l’espoir d’épouser la fille d’un grand d’Espagne. Le roi Henri aime à passer pour un autre et ne pas révéler son pouvoir ; c’est ce qu’il fait dans Le Pupille du roi. Certains personnages ont tout simplement une double identité qui leur permet d’agir sur deux fronts à la fois, tel le chevalier Biribi qui sert les princes, alias le baron de Fenouil qui sert la police impériale, dans Les Contes du drapeau.

    Certains éléments narratifs prennent du relief dès lors que l’auteur se montre ingénieux. Un simple lit permet de se rendre maître de quelqu’un si on lui adjoint un mécanisme ad hoc. Dans La Reine des barricades, le futur Henri IV est prisonnier d’Anne de Lorraine après s’être retrouvé sur un lit muni de bras d’acier qui lui enserrent le corps et qui disparaît sous le sol de la pièce. Dans Les Démolitions de Paris, Rocambole est espionné par le directeur de la prison de Newgate à l’aide d’un appareil acoustique Hudson.

    Mais Ponson privilégie deux éléments narratifs qui apparaissent pratiquement dans chacun de ses romans : le duel et l’incident de chasse.

    On sait que Ponson fut un grand chasseur et qu’il fit souvent passer le noble art de la vénerie — pour lequel il avouait un très grand respect — avant sa carrière littéraire. A ses débuts, il a publié un certain nombre de textes ayant la chasse pour thème central dont certains ont paru dans Le Journal des chasseurs. Outre des descriptions précises de scènes de chasse, chasse à courre ou chasse à pied, il choisit fréquemment l’incident de chasse comme événement déterminant d’une intrigue. Le chasseur peut ainsi se battre avec un simple couteau contre un ours ou un sanglier, à l’image de sir Williams décidé à conquérir les faveurs d’Hermine dans L’Héritage mystérieux. La chasse à courre peut être l’occasion d’une rencontre espérée voire provoquée, comme celle entre Henri et Marguerite que souhaite Nancy, dans La Belle Corisandre. Le mobile, dans tous ces cas, reste l’amour. Mais la chasse est aussi criminelle dans le cas de cette chasse à l’homme qu’organise le marquis de la Saulcière dans Le Nid de Faucons.

    On ne trouve quasiment aucun récit de Ponson du Terrail dans lequel il n’y a pas au moins un duel. Même Henri de Navarre et Henri de Guise en viennent à tirer l’épée l’un contre l’autre, dans La Jeunesse du roi Henri, et c’est le futur roi qui est blessé. Au XIXe siècle, l’épée sert toujours mais elle peut être remplacée par le pistolet. Dans les deux cas, il s’agit de tuer ou simplement de blesser son adversaire. Dans Le Pacte de sang, le colonel Léon demande à ses complices d’utiliser le duel pour éliminer physiquement leurs adversaires et il s’ensuit une série de combats qui ne leur est pas toujours favorable. Dans Les Exploits de Rocambole, Fabien blesse son adversaire dans l’espoir qu’il reste alité deux mois et puisse réfléchir à son mariage qu’il désapprouve.

    Emprunté au roman gothique, le souterrain joue fréquemment un rôle chez Ponson. Il peut servir de cache à un trésor qu’il faut retrouver, comme dans La Tour des Gerfauts, ou de prison, comme dans La Corde du pendu, ou de lieu de réunion, comme dans Les Fils de Judas — qui, par ailleurs, offre une scène finale souterraine d’anthologie. Mais, le plus souvent, il sert de passage, soit pour s’évader, comme pour Rocambole dans Les Démolitions de Paris, soit pour investir une place forte, comme dans Les Etudiants de Heidelberg, La Cape et l’épée, Les Français à Berlin, etc.

    Pour ce qui est des moyens de locomotions, nous l’avons vu : Ponson du Terrail n’est pas Jules Verne. Il utilise très parcimonieusement les bateaux et rarement pour de longues navigations, et moins encore les trains. Ne parlons pas des objets volants ! Le cheval et les véhicules hippotractés répondent bien mieux à ses habitudes. Evidemment logiques dans les récits situés dans le passé, ils sont encore omniprésents de son temps. Ils font partie du confort des gens aisés et l’on voit défiler les belles voitures au bois de Boulogne.

    Ce « classicisme » de Ponson ne l’empêche pas de mettre en place deux éléments narratifs novateurs. L’un lié au train, dans Les Voleurs du grand monde. Un wagon est détaché d’un train en marche afin de faire prisonniers ses occupants. L’autre, relevant de la science-fiction, dans Les Fils de Judas. Maître Callebrand invente un procédé de ramollissement des métaux à froid. Le premier élément fait penser à Tintin, le second à Spirou. Quoi qu’il en soit, il s’agit dans les deux cas de la première apparition de ces éléments voués à un long avenir.

    Au-delà des éléments narratifs, Ponson du Terrail utilise des procédés qu’il a hérités du XVIIIe siècle, à commencer par le roman par lettres. Journal intime et lettres se succèdent dans La Contessina.

    En fait, nous l’avons vu, le récit rapporté est très fréquent chez lui, c’est-à-dire un récit dans le récit, soit conté par un personnage à un ou plusieurs autres personnages, soit lu par un personnage dans un manuscrit.

    Les manuscrits relatant des événements antérieurs à l’action en cours sont très nombreux. Dans Les Mystères du Temple, ces manuscrits sont au

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