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La titrisation des actifs intellectuels: Au prisme du droit luxembourgeois
La titrisation des actifs intellectuels: Au prisme du droit luxembourgeois
La titrisation des actifs intellectuels: Au prisme du droit luxembourgeois
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La titrisation des actifs intellectuels: Au prisme du droit luxembourgeois

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À propos de ce livre électronique

Quel lien existe-t-il entre la titrisation et David Bowie ? A priori, aucun ! La crise des subprimes contribue à renforcer l’image de la titrisation d’après laquelle il s’agirait d’un montage complexe de transformation de créances de prêts en titres financiers.

En revanche, on connaît moins les titrisations de droits de propriété intellectuelle, dont David Bowie a été l’un des pionniers dans les années 90.
L’objectif de cet ouvrage est de vérifier si la titrisation est applicable aux droits de propriété intellectuelle (droits d’auteur, brevets, marques…), ainsi que de rechercher les avantages et les risques d’une telle opération.

À la fois souple et accueillant à l’égard de la propriété intellectuelle, le droit luxembourgeois de la titrisation sert de point de départ de ces recherches, tout en étant mis en regard avec d’autres systèmes juridiques, en particulier le droit français et le droit américain.
Le mariage de la titrisation et de la propriété intellectuelle invite non seulement à concevoir la titrisation comme un mécanisme de financement transposable à tout actif, mais aussi à envisager les droits de propriété intellectuelle comme de véritables actifs. Ouvrage publié avec le concours du Fonds national de la recherche (Luxembourg) et avec le soutien de l'Association française de droit des affaires et gestion des entreprises.
Prix de thèse Université du Luxembourg - UBS 2012.
LangueFrançais
Date de sortie23 mai 2013
ISBN9782804456696
La titrisation des actifs intellectuels: Au prisme du droit luxembourgeois

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    Aperçu du livre

    La titrisation des actifs intellectuels - Alexandre Quiquerez

    couverturepagetitre

    La Collection de la Faculté de Droit, d’Économie et de Finance de l’Université du Luxembourg, dirigée par André Prüm, est dédiée au droit luxembourgeois, au droit européen et au droit comparé.

    Elle accueille des études pratiques, des manuels de cours, des monographies, des actes de colloque et des thèses. Fruit des travaux des professeurs, assistant-professeurs et autres enseignants-chercheurs de la jeune et dynamique Université du Luxembourg, elle constitue le reflet d’une équipe de juristes paneuropéenne.

    Ancrés dans l’actualité et de haute qualité scientifique, les ouvrages de la Collection s’adressent aux praticiens et étudiants comme aux universitaires et chercheurs.

    Dans la même collection :

    A. Prüm (coord.), Le nouveau droit luxembourgeois des sociétés, 2008.

    D. Hiez (coord.), Le droit luxembourgeois du divorce. Regards sur le projet de réforme, 2008.

    S. Bot, Le mandat d’arrêt européen, 2009.

    A. Prüm (coord.), La codification en droit luxembourgeois du droit de la consommation, 2009.

    D. Hiez (dir.), Droit comparé des coopératives européennes, 2009.

    C. Deschamp-Populin, La cause du paiement. Une analyse innovante du paiement et des modes de paiement, 2010.

    J. Gerkrath (coord.), La refonte de la Constitution luxembourgeoise en débat, 2010.

    E. Poillot et I. Rueda, Les frontières du droit privé européen / The Boundaries of European Private Law, 2012.

    C. Micheau, Droit des aides d'État et des subventions en fiscalité, 2013.

    N. R. Tafotie Youmsi, Build, operate and transfer, 2013.

    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée pour le Groupe De Boeck.

    Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique.

    Le «photoco-pillage» menace l’avenir du livre.

    Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre

    domaine de spécialisation, consultez notre site web : ww.larcier.com

    © Groupe Larcier s.a., 2013

    Éditions Larcier

    Rue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles

    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour le Groupe De Boeck. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

    EAN : 9782804456696

    REMERCIEMENTS

    Cette thèse n’aurait pas pu aboutir telle quelle sans l’aide active ou inconsciente de nombreuses personnes envers lesquelles je suis très reconnaissant.

    De façon plus individuelle, je tiens à remercier :

    MM. les Professeurs Nicolas Binctin et André Prüm, pour m’avoir apporté sans compter leur soutien et leurs critiques, durant ces recherches menées sous leur codirection de 2007 à 2011.

    Hubert Grignon Dumoulin et Carlo Oly (Bourse de Luxembourg) ; Adriano Picinati Di Torcello (Deloitte), Lex Kaufhold (ministère de l’Économie) ; Me Guillaume Henry ; Me Grégory Benteux.

    Me Isabelle du Penhoat ; Denis Hugot ; Jane Rodriguez.

    Cette thèse a bénéficié de nombreuses discussions avec des professionnels de la titrisation d’actifs intellectuels, notamment : Richard Rudder (Barreau de New York), Jay Eisbruck (ancien analyste chez Moody’s), Demetrios Tsipras (ancien directeur chez Merrill Lynch), David Pullman (The Pullman Group).

    Enfin, mes remerciements vont aux membres du jury pour l’attention qu’ils ont portée à cette recherche et pour avoir accepté de participer au jury de cette thèse, soutenue le 1er décembre 2011 à Luxembourg : MM. les Professeurs Pierre-Henri Conac (Université du Luxembourg), Jacques de Werra (Université de Genève), Thierry Granier (Université d’Aix-Marseille), Benjamin Rémy (Université de Poitiers).

    AVANT-PROPOS

    André Prüm

    Professeur à l’Université du Luxembourg

    Chaire de droit financier et des affaires

    La titrisation, après avoir connu un développement spectaculaire, fait partie des mécanismes financiers décriés au cours de la récente crise financière. Elle aurait servi, en particulier, à diffuser les risques liés au crédits subprime américains à travers les circuits bancaires du monde entier sans plus permettre ni d’en apprécier l’exacte ampleur, ni de pouvoir identifier ceux qui s’y trouvaient exposés. Le transfert de ces risques au moyen de titrisations successives aurait ainsi contribué à leur sous-estimation massive par les investisseurs comme par les agences de notation. Lorsqu’enfin ce danger fut mieux cerné, la dégradation des ratings des véhicules de titrisation en cause aurait contribué au mouvement de panique qui ébranla la stabilité du système financier mondial.

    La circonstance que la titrisation se trouve ainsi, depuis quelques années, sous le feu de la critique a relégué au second plan ses vertus techniques, même si les restructurations des dettes d’un certain nombre d’établissements de crédit atterrés par la crise montrent qu’il est difficile de s’en passer. L’une des qualités essentielles tient dans sa grande souplesse en tant qu’instrument de financement adossé sur des transferts de risques et sa malléabilité pour s’adapter à des actifs variés dont découlent ces risques financiers. Les biens, au sens le plus large, les plus divers ont ainsi pu servir de support à des opérations de titrisation, qu’il s’agisse de créances, de revenus futurs, d’immeubles, de matières premières ou de stock de marchandises pour ne citer que quelques exemples.

    Les biens intellectuels – droits d’auteur, marques ou brevets – n’ont pas échappé à ce mouvement. La titrisation permet, en particulier, à leurs titulaires d’en mobiliser les revenus futurs auprès d’investisseurs et d’en tirer ainsi plus rapidement profit. De telles structurations des flux financiers escomptés sur des actifs intellectuels ne sont évidemment envisageables qu’en présence de revenus d’une certaine importance et suffisamment prévisibles. L’exemple historique de la titrisation, dans les années 1990, des droits d’auteur de David Bowie sur ses productions musicales présentes et futures montre cependant que l’hypothèse n’est pas d’école. Depuis, il a été suivi à maintes reprises.

    De tels montages soulèvent, à côté de la définition de subtils équilibres financiers, de nombreuses questions juridiques que traite avec agilité et intelligence Alexandre Quiquerez dans le présent ouvrage, fruit de sa thèse de doctorat. Comprendre et analyser la complexité des opérations de titrisation en saisissant les enjeux et difficultés particulières lorsqu’elles sont utilisées pour des actifs intellectuels constituait un vrai défi. L’auteur le relève, au prix de recherches approfondies et d’une réflexion solide, avec brio. De manière inédite, l’analyse s’appuie sur l’étude de prospectus d’émission, de standards d’appréciation d’agences de notation, d’entretiens avec des praticiens et l’exégèse de plusieurs cadres législatifs, en particulier, de l’originale loi luxembourgeoise sur la titrisation. L’examen systématique de la spécificité des biens intellectuels au regard d’une opération de titrisation permet à l’auteur d’en apprécier pleinement les conséquences et surtout de proposer des solutions concrètes pour en tenir compte. Soucieux de l’équilibre des intérêts en jeu, il ne néglige pas de préconiser une juste protection des investisseurs.

    Pour sa richesse et la qualité de l’analyse, l’ouvrage d’Alexandre Quiquerez a déjà été couronné par les facultés de droit du Luxembourg et de Poitiers, qui ont décerné à l’auteur le doctorat en droit avec les plus hautes distinctions, le prix de la meilleure thèse d’UBS Luxembourg et les subventions de publication du Fonds National de la Recherche du Luxembourg et de l'Association française de droit des affaires et gestion des entreprises. Gageons que ses nouveaux lecteurs lui réserveront le même succès.

    PRÉFACE

    Nicolas BINCTIN

    Agrégé des facultés de droit, Professeur de droit privé

    à l’Université de Poitiers

    À l’automne 2007, Alexandre Quiquerez prit l’initiative de prendre contact avec moi pour éventuellement diriger sa thèse. Après lui avoir dressé un tableau des risques qu’il prenait en s’engageant dans un tel travail sous ma direction, il eut la généreuse idée de maintenir sa proposition et j’eus ainsi la chance de pouvoir connaître cette première expérience de direction de thèse dans ma carrière de professeur de droit. La présence de mon collègue André Prüm en co-directeur de thèse était l’assurance de limiter l’effet de mes erreurs de jeunesse.

    Le sujet était déjà arrêté par Alexandre Quiquerez qui souhaitait se plonger dans le très complexe domaine de la titrisation et envisager son application à la propriété littéraire et artistique. Il fut convenu que l’étude embrasserait toute la propriété intellectuelle et que l’analyse se ferait à la lumière du droit luxembourgeois avec autant d’éclairages en droit comparé que nécessaire.

    Le travail se déroula alors à un rythme régulier et soutenu, ponctué par l’envoi des développements et des rendez-vous parisiens pour échanger sur les pages lues. Cette thèse fut voulue et portée par Alexandre Quiquerez. Son exceptionnelle richesse, la clarté de sa rédaction, la profusion des sources et des références, comme la maîtrise de l’analyse transversale du droit, en croisant le droit de la propriété intellectuelle, le droit des obligations, le droit fiscal, le droit des marchés financiers et les pratiques de marché, constituent la marque de toutes ses qualités scientifiques et humaines. La direction cette thèse fut un accompagnement, un échange et un enrichissement.

    Alexandre Quiquerez retient un plan dialectique, recherchant dans un premier temps la compatibilité de la titrisation avec la propriété intellectuelle. Cela fut pour lui l’occasion de développer une notion propre d’actif – ouvrant l’analyse au-delà de la seule propriété – pour ainsi rechercher parmi les actifs de la propriété intellectuelle ceux qui peuvent s’insérer dans une opération de titrisation. Il en ressort une parfaite adaptation de ces actifs à cette opération de financement essentielle pour les opérateurs. Suivant une démarche d’une grande rigueur scientifique, il étudie ensuite la notion de risque titrisable et soumet cette notion aux risques attachés aux actifs intellectuels. Alexandre Quiquerez se plonge dans une étude à la fois théorique et pratique de la titrisation, intégrant l’action des agences de notation dans l’organisation de cette opération, la perception par les praticiens des actifs intellectuels, le contenu des prospectus. Dans un second temps, il dépasse les contraintes exposées dans la première partie pour montrer la capacité des actifs intellectuels à répondre aux mécanismes de la titrisation. Il aborde l’affectation des actifs intellectuels à l’organisme de titrisation sous des angles alternatifs, l’émission des titres financiers attachés à l’opération, avec en corollaire la question de l’évaluation des actifs intellectuels. Enfin, toujours avec la même volonté d’une étude complète et rigoureuse, il intègre les intérêts des parties en présence, les créateurs, les investisseurs, les opérateurs de marché ou encore les entreprises ainsi financées. Il recherche les équilibres de l’opération pour l’ensemble de ces parties prenantes, mettant en perspective les multiples tiers sensibles à ce financement. Au travers de ce travail innovant et en défrichant des espaces jusqu’à présent jamais étudiés, Alexandre Quiquerez montre que la titrisation constitue une outil de financement universel pour les opérateurs et que la propriété intellectuelle apporte à l’entreprise non seulement les moyens d’une appropriation de ses investissements créatifs, un avantage concurrentiel, mais aussi les actifs dont elle a besoin pour son financement, ancrant ainsi la propriété intellectuelle comme un des enjeux juridiques et économique du XXIe siècle.

    Ce travail obtint, sans surprise, les félicitations du jury de thèse, du Conseil national universitaire et enfin des comités de recrutement de plusieurs universités. Ce n’est que l’orée d’une carrière universitaire qui ne pourra être que riche et variée. Ce fut une chance de pouvoir l’accompagner, c’est un plaisir de pouvoir partager avec les lecteurs ce résultat.

    Paris, le 26 décembre 2012

    Principales abréviations

    INTRODUCTION GÉNÉRALE

    « La transition de notre droit peut être formulée comme la substitution à un régime de possession d’un régime de valeurs. Au lieu de posséder des choses, nous préférons posséder des titres qui nous permettent d’acquérir ce que nous voudrons »

    Emmanuel Lévy, Les fondements du droit, Alcan, 1933, p. 87.

    1

    Enjeux du financement des activités créatives. Une réunion de travail inhabituelle se profile au sein d’un grand éditeur de jeux vidéo : le directeur financier et l’un des juristes du département propriété intellectuelle se sont donné rendez-vous pour discuter de la stratégie financière de l’entreprise.

    Le premier semble préoccupé. Et pour cause : le budget des jeux phares de la société a tout simplement explosé. De 3 millions d’euros en 2005, le coût moyen de développement des jeux atteint aujourd’hui la somme de 10 millions d’euros¹. Dans un tel contexte, l’augmentation constante du chiffre d’affaires de la société ne suffit plus. Cette dernière a impérativement besoin d’améliorer sa trésorerie, une nécessité que l’émission de nouvelles actions ne permet pas de satisfaire. Les dettes de la société se sont accrues en raison de l’émission d’obligations et la succession de prêts bancaires sollicités dernièrement. La société a, par ailleurs, acquis la plupart de ses locaux et matériels technologiques en crédit-bail. Compte tenu du haut niveau d’endettement de la société, les banquiers ne veulent plus lui prêter de l’argent à des taux avantageux. Sous la pression de la direction générale, le directeur financier n’a d’autre choix que de rechercher de nouveaux moyens de financement.

    Le juriste, de son côté, n’a pas non plus l’air serein. Peu averti des techniques de financement utilisées par la société, il s’interroge sur sa réelle utilité dans cette réunion. Il croit opportun, toutefois, d’indiquer à son collègue que les aspects financiers de son travail se limitent à la négociation et au calcul du montant des royalties. Celles-ci sont la contrepartie des autorisations délivrées à des sociétés locales et étrangères pour la distribution des jeux. Le juriste insiste aussi sur le fait que les droits d’auteur, les droits voisins et les marques, sont des actifs essentiels de l’entreprise, sans lesquels celle-ci n’existerait pas.

    Le directeur financier pense alors détenir plusieurs solutions. Jusqu’à présent, il n’avait appréhendé la propriété intellectuelle que comme un poste de dépenses : une attitude compréhensible au regard du coût considérable engendré par l’acquisition de droits d’auteur auprès de tiers et le dépôt des marques. Désormais, il envisage la propriété intellectuelle sous un autre angle : un actif « mobilisable », un droit à partir duquel les revenus futurs permettent de lever un financement. Diverses solutions viennent aussitôt à l’esprit du financier : cession des créances de royalties à une société d’affacturage, cession des royalties par bordereau Dailly, constitution de sûretés sur la propriété intellectuelle associée à l’octroi d’un prêt, délivrance de licences en contrepartie de l’émission de lettres de change sur les licenciés. L’idée de recourir à la titrisation l’effleure également. Parmi ces solutions, il choisira celle qui apportera à l’entreprise le plus d’avantages pour un minimum de coûts et de contraintes. Ce sera le résultat d’une démarche stratégique qui va bien au-delà de l’exercice des actions en contrefaçon et des seules autorisations d’exploitation².

    Cet enjeu déborde du cadre de cette entreprise et du seul secteur de l’édition de jeux vidéo. Aussi diverses soient-elles, toutes les activités créatives se rejoignent par leurs besoins, outre de moyens humains et matériels considérables, de ressources financières sans cesse croissantes. Ainsi, dans la production cinématographique comme dans l’édition des jeux vidéo, le budget est en constante augmentation³. L’ensemble des activités créatives, que ce soit dans l’audiovisuel ou la musique, sont aujourd’hui étroitement dépendantes de la recherche et développement (R&D), les effets visuels et sonores spéciaux étant rendus possibles grâce à des logiciels et bases de données de plus en plus sophistiqués⁴. Les secteurs technologiques les plus innovants, comme le multimédia, les biotechnologies et les nanotechnologies, ne peuvent se développer que grâce à la réunion de fonds d’origines multiples⁵. Les entreprises et instituts publics ne sont souvent plus à même d’assumer seuls le poids du financement de ces créations et les risques particulièrement élevés qui y sont attachés car, aux aléas commerciaux, s’ajoutent les incertitudes liées à l’aboutissement des créations. Se financer apparaît aussi essentiel pour la croissance des entreprises que pour les intérêts économiques et sociaux du public. Celui-ci réclame une offre diversifiée de créations d’une qualité toujours meilleure et pour un prix moindre⁶.

    Dans le domaine des activités créatives, la titrisation constitue certainement l’une des solutions de financement et de transfert des risques la moins souvent envisagée par les professionnels et la doctrine. Pourtant, cette technique s’adapte harmonieusement à la propriété intellectuelle et subvient aux importants besoins financiers des créations.

    2

    La titrisation comme technique alternative de financement. Connue en anglais sous le nom de securitization, la titrisation appartient à la catégorie des techniques d’innovation ou d’ingénierie financière⁷. Comme toute technique d’ingénierie financière, la titrisation repose sur un montage dont la complexité se justifie par l’adaptation de l’opération aux besoins et aux contraintes du financement. Les mots employés pour définir cette technique fluctuent en fonction des auteurs, mais deux grandes approches se dégagent.

    Selon une approche très commune s’attachant à décrire le résultat de l’opération, la titrisation désignerait l’opération par laquelle des actifs sont transformés en des titres émis sur les marchés financiers⁸.

    L’approche juridique fournit une définition plus précise fondée sur le moyen technique. La titrisation consisterait à transférer des créances à une entité ad hoc (un fonds) qui émet, pour financer cette acquisition, des titres financiers⁹. Le droit français de la titrisation privilégie cette approche en faisant de « l’acquisition de créances » la première branche de l’objet de l’organisme de titrisation¹⁰.

    Ces définitions ne sont pas pleinement satisfaisantes. La première est trompeuse sur l’effet juridique et économique de l’opération. Selon le langage commun, transformer signifie « changer de forme ou modifier des caractéristiques »¹¹. Or, il faut bien comprendre que la titrisation n’opère pas un changement de la forme juridique de l’actif servant de sous-jacent, ni de ses caractères économiques. Au contraire, le succès d’une opération de titrisation, concrétisé par le paiement complet des investisseurs, repose sur une protection juridique des actifs et une optimisation de leur exploitation.

    Quant à la seconde approche, elle apparaît trop réductrice au regard des possibilités et opportunités offertes par le mécanisme de titrisation¹². Cette définition n’envisage pas, notamment, l’acquisition de droits de propriété par l’organisme de titrisation.

    Par contraste, la définition de la titrisation est extrêmement large en droit luxembourgeois. Selon la loi du 22 mars 2004 relative à la titrisation¹³, il s’agit de « l’opération par laquelle un organisme de titrisation acquiert ou assume, directement ou par l’intermédiaire d’un autre organisme, les risques liés à des créances, à d’autres biens, ou à des engagements assumés par des tiers ou inhérents à tout ou partie des activités réalisées par des tiers en émettant des valeurs mobilières dont la valeur ou le rendement dépendent de ces risques ». Cette définition s’axe autour de la notion d’organismes de titrisation, définis comme « les organismes qui accomplissent entièrement la titrisation et ceux qui participent à une telle opération par la prise en charge de tout ou partie des risques titrisés – les organismes d’acquisition – ou par l’émission des valeurs mobilières destinées à en assurer le financement – les organismes d’émission ».

    Sans être extensible à l’infini, cette définition permet d’appréhender tous les objets titrisables et modes de titrisation. Au regard du système de la loi de 2004 et de la pratique de la titrisation, les éléments caractéristiques de la titrisation consistent dans la création d’une société¹⁴ ou d’un fonds spécialement dédiés à la détention d’actifs dont les revenus font varier ceux des investisseurs¹⁵. Cette opération est constituée à l’initiative d’un originator, expression technique anglaise que l’on traduira par le néologisme de « titriseur »¹⁶. Cette entité transfère les risques liés à des actifs sous-jacents, tels des droits de créance ou des droits de propriété, à une entité spécialement constituée pour émettre des titres financiers. Le titriseur reçoit une somme d’argent émanant de la souscription des titres financiers. Les investisseurs sont, quant à eux, payés en fonction de la performance financière des actifs sous-jacents.

    Cette définition recouvre à la fois les titrisations reposant sur un transfert d’actifs et les titrisations synthétiques. Ces dernières ne reposent pas sur un transfert de droits de créance ou de droits de propriété à l’organisme de titrisation, mais seulement sur un transfert des risques liés à ces éléments par le biais d’un mécanisme de dérivé de crédit¹⁷. Schématiquement, l’organisme de titrisation s’engage à payer une certaine somme d’argent au titriseur en cas de réalisation de risques déterminés en rapport au sous-jacent, cet argent provenant de l’émission de titres financiers par l’organisme de titrisation¹⁸. De leur côté, les investisseurs percevront normalement une rémunération moindre en cas de réalisation des risques définis dans le montage.

    Certaines opérations par lesquelles des titres financiers sont payés ou garantis par des actifs déterminés sont parfois qualifiées de titrisation, alors qu’aucune entité ad hoc n’est constituée à l’occasion de cette opération¹⁹. Cette qualification crée la confusion avec les covered bonds, ou obligations sécurisées, lesquelles sont des titres émis directement par l’entité financée et dont le paiement est garanti par une assiette évolutive d’actifs²⁰. Une telle opération ne réalise pas un parfait isolement des actifs sous-jacents du patrimoine de l’entité financée puisque, au cas où celle-ci deviendrait insolvable, les obligataires seraient directement exposés au risque d’impayé. À l’inverse, un des traits caractéristiques majeurs du montage de titrisation est de reposer sur une entité ad hoc. La constitution de celle-ci se justifie par l’objectif de désolidariser le paiement du titre financier par rapport au risque d’insolvabilité du titriseur²¹. La loi de 2004 va en ce sens en impliquant la création d’un organisme spécialement dédié à l’accomplissement de l’opération de titrisation²².

    Suivant le montage de base d’une opération de titrisation, le titriseur est une entité qui transfère les risques liés à des actifs sous-jacents à un organisme de titrisation. Ce dernier émet des titres financiers dont le produit est reversé au titriseur. Les investisseurs sont, pour leur part, payés en fonction des revenus des sous-jacents. Ceux-ci sont gérés selon les cas par les dirigeants de la société de titrisation, le titriseur ou une entité tierce, telle une société de gestion²³, suivant une répartition des rôles fixée dans les actes juridiques du montage.

    Il apparaît que l’opération de titrisation ne se définit pas en fonction d’un type précis d’objet titrisable ou d’un montage particulier, mais à partir d’une conjonction de critères. En définitive, les opérations de titrisation constituent plus des innovations de procédé que des innovations de produit²⁴, en ce sens que l’originalité de la titrisation réside uniquement dans la combinaison des techniques juridiques, non dans la nature individuelle de ces techniques, qui demeurent traditionnelles en droit des affaires²⁵.

    Montage de titrisation de base²⁶

    L’objectif de la souscription de titres émis par des organismes de titrisation est toujours le même : assurer un retour sur investissement, tandis que les objectifs du titriseur sont variables mais correspondent à l’objet de la titrisation : transférer des risques liés aux sous-jacents et octroyer des liquidités au titriseur. Cette opération permet au titriseur de se délester des risques financiers liés à l’exploitation, tout en obtenant un financement à un coût normalement avantageux par rapport à d’autres mécanismes.

    Un titulaire de droits de propriété intellectuelle peut recourir à cette technique afin de récolter, d’un trait, sans attendre les fruits de l’exploitation, des liquidités afin d’améliorer sa trésorerie. Pour reprendre l’exemple de la société d’édition de jeux vidéo²⁷, celle-ci a besoin d’un financement évalué à 10 millions d’euros afin de développer de nouveaux jeux et d’en assurer une promotion commerciale étendue. Or, l’éditeur commercialise déjà des jeux vidéo par le biais de licences d’exploitation à des distributeurs dont les redevances futures sont évaluées à 11 millions d’euros. L’éditeur cède ces redevances à une société spécialement constituée pour cette opération. Cette société ad hoc émet des titres financiers dont le produit de la souscription lui permet de payer à l’éditeur le prix de cession fixé à 10 millions d’euros. Les souscripteurs des titres sont au fur et à mesure payés à partir des revenus produits par les licences d’exploitation, soit 11 millions d’euros. Ainsi, l’éditeur obtiendra moins de revenus que s’il n’avait pas recouru à la titrisation, mais plus rapidement. Pour leur part, les investisseurs percevront des revenus supérieurs, de façon étalée dans le temps, tout en subissant éventuellement les risques liés aux redevances, tels que les impayés.

    Aujourd’hui amplement réputée comme une technique financière appliquée à des crédits hypothécaires, de façon massive et parfois abusive²⁸, la titrisation ne doit pas faire l’objet d’une diabolisation. Ce rejet pur et simple de la titrisation résulterait d’une méconnaissance de sa large et ancienne application dans tous les secteurs économiques ainsi que des avantages qu’elle est susceptible de procurer tant aux titriseurs qu’aux investisseurs. Le mécanisme de titrisation s’est en effet déployé dans de nombreux domaines, souvent avec succès. Des sociétés telles que Fraikin²⁹, Axa³⁰, d’Ieteren³¹ ont constitué et renouvelé des opérations de titrisation contribuant à leur essor économique. Certaines opérations de titrisation sont également mises en œuvre par des titulaires de droits de propriété intellectuelle.

    3

    Confrontation de la titrisation à la propriété intellectuelle. Il serait possible de confronter la propriété intellectuelle à la titrisation sous l’angle de l’application de la première à la seconde. De façon ironique, la question de la validité d’un droit de propriété intellectuelle sur une méthode de titrisation se posa aux États-Unis à propos d’un montage de titrisation de droits d’auteur et de droits voisins. Se plaignant d’une violation des secrets de fabrique, l’arrangeur³² de l’opération des Bowie Bonds échoua dans son action en justice exercée contre des sociétés qui projetèrent de mettre en œuvre des montages similaires³³. L’appropriation des montages financiers renvoie au débat classique de la brevetabilité des méthodes commerciales, économiques et juridiques³⁴. Plus féconde, tant pour le droit financier que pour la propriété intellectuelle, est la question de l’application de la titrisation à la propriété intellectuelle. Les titrisations de la propriété intellectuelle conduisent à examiner dans quelle mesure le droit de l’ingénierie financière et le droit de la propriété intellectuelle interagissent et s’influencent réciproquement.

    Les titrisations d’actifs intellectuels étaient vouées à devenir une réalité juridique et pratique, compte tenu d’une diversification des formes de titrisation (I) et, en parallèle, d’un phénomène de financiarisation de la propriété intellectuelle (II). Cette double évolution conduira à envisager la conception de nouvelles titrisations d’actifs intellectuels (III).

    I La diversification des formes de la titrisation

    4

    Origines historiques. Les origines du concept de securitization sont le plus souvent attachées, dans les années 70, aux émissions de titres adossés à des crédits hypothécaires³⁵. À la suite des difficultés financières des savings and loan associations, caisses d’épargne américaines, plusieurs agences gouvernementales furent créées afin de faciliter l’octroi de prêts hypothécaires. Ces dernières émettaient alors et/ou garantissaient des certificats payés grâce au remboursement d’un portefeuille de prêts³⁶. La première titrisation de ce type est attribuée à Ginnie Mae, laquelle apporta sa garantie aux titres émis via un trust à partir de 1970³⁷.

    Une approche de la titrisation non limitée à l’opération de transfert de risques liés à des créances de prêts, mais ouverte à tout type d’actif, fait remonter la titrisation à des origines beaucoup plus anciennes³⁸. L’émission de titres payés grâce à des actifs déterminés, isolés dans un patrimoine, n’est pas une idée neuve. En effet, les trusts d’investissement anglais et américains, nés dès la fin du XIXe siècle³⁹, constituèrent déjà des opérations de titrisation, bien que non expressément nommées comme telles. Il s’agissait aussi de créer un patrimoine affecté à la détention d’actifs, essentiellement des titres financiers ou des biens corporels, dont le rendement servait à rémunérer des investisseurs. Par exemple, Texas Pacific Land Trust émit à partir de 1888 des obligations dont la souscription lui permit de financer l’acquisition de terrains⁴⁰. Situer historiquement la titrisation par rapport au marché du crédit hypothécaire américain exprime une certaine tendance consistant à regarder la titrisation comme une technique s’appliquant aux crédits hypothécaires et destinée à répondre aux besoins de trésorerie du secteur bancaire. Cependant, au regard du droit luxembourgeois comme de la pratique internationale, la titrisation est un mécanisme qui possède un domaine d’application beaucoup plus vaste.

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    Développement des opérations de titrisation. Les praticiens rivalisent d’ingéniosité en transposant le mécanisme de titrisation aux sous-jacents les plus variés, notamment aux crédits à la consommation, aux créances liées à l’utilisation de cartes de crédit, aux titres financiers, aux créances commerciales, aux créances de loyers et de billetterie, aux créances de prêts d’étudiants et aux créances fiscales⁴¹. La pratique de la titrisation se diversifie également sur le plan des montages. Il serait réducteur de concevoir la titrisation comme une simple technique de mobilisation de créances⁴², le transfert de créances n’étant pas le seul mode de titrisation. Le transfert de droits réels principaux, tels que la propriété, la constitution de droits réels accessoires ou la conclusion de contrats à terme, sont des modes de titrisation alternatifs aux actes de cession de créance. Tous les modes de titrisation, dès lors qu’ils consistent à transférer les risques liés aux actifs sous-jacents à un émetteur ad hoc, sont envisageables.

    Afin de répondre aux besoins de la pratique, plusieurs pays européens se sont dotés d’une législation dont l’ambition est de proposer un cadre juridique garantissant l’attractivité et la sécurité des opérations de titrisation. D’emblée, la loi du 22 mars 2004 a opté pour un régime souple visant à développer la création au Luxembourg d’organismes de titrisation. Ce régime est non impératif, accueillant à l’égard de tout type d’objet, et adopte une approche délibérément large des techniques imaginables. L’objectif du législateur était d’offrir un cadre clair et sûr aussi bien au profit des titriseurs que des investisseurs. L’ouverture de ce dispositif à tout type de créance, même détenue par une entité autre qu’un établissement de crédit, est en harmonie avec la pratique de la titrisation à l’échelle internationale.

    En droit français, c’est avec la loi du 2 juillet 1998 que la titrisation devient applicable à tout type de créance⁴³. Comme le relève M. Granier, la réforme opérée par cette loi marquait en France une « innovation remarquable autant sur le plan psychologique que technique. En effet, jusqu’à cette date l’opération était réservée principalement aux établissements de crédit et d’assurance »⁴⁴.

    L’accueil de toute créance dans le champ de la titrisation concourt à un changement d’image de ce mécanisme. La titrisation s’affirme comme une technique financière à la disposition de tout acteur économique, notamment au profit des titulaires de droits de propriété intellectuelle.

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    Pour illustrer « l’infini de l’imagination financière », les professeurs Cozian, Viandier et Deboissy font référence aux Bowie Bonds⁴⁵. Constituée en 1997, cette opération consista pour l’auteur et interprète David Bowie à céder ses droits d’auteur et droits voisins d’artiste-interprète sur les titres de vingt-cinq de ses albums à une société ad hoc⁴⁶. Cette société émit ensuite un titre obligataire qui fut souscrit par un fonds de pension américain. L’avantage de cette opération pour le chanteur fut de percevoir d’emblée une somme d’argent s’approchant des revenus futurs de ses albums qui furent évalués à 55 millions de dollars. Cette opération était plus attractive que le prêt car elle n’obérait pas le niveau d’endettement du chanteur du fait de la nature des royalties dégagées au titre de la cession de ses droits. Pour sa part, la société ad hoc percevait les revenus perçus auprès des distributeurs des disques, avant de les redistribuer au fonds de pension sous forme d’un principal et d’intérêts⁴⁷.

    Diagramme simplifié

    Avant cette opération demeurée célèbre, des titrisations étaient déjà appliquées à des droits de propriété intellectuelle. La première titrisation de propriété intellectuelle notée par Moody’s fut apparemment initiée en 1995 par le studio Fox et reposa sur l’émission de titres adossés à des droits d’auteur et droits voisins sur des films⁴⁸.

    Depuis, de nouvelles opérations de ce type sont apparues. Ces titrisations de droits de propriété intellectuelle se réalisent tant par cession à l’entité ad hoc de créances de royalties⁴⁹ que par cession des droits de propriété intellectuelle. Les opérations de titrisation de propriété intellectuelle, de l’ordre de la soixantaine aujourd’hui pour ce qui est des opérations portées à la connaissance du public, sont plus nombreuses que ce que répertorient en général les études relatives à la titrisation. Ces opérations restent toutefois un épiphénomène, en particulier au regard du volume d’opérations de titrisation de crédits hypothécaires⁵⁰.

    En ce qui concerne les opérations constituées sur le fondement de la loi de 2004, la moisson des titrisations de propriété intellectuelle s’avère décevante. En dehors du cas d’un transfert de brevets à un organisme de titrisation qui ne semble pas entrer dans le cadre d’une stratégie de transfert des risques et de financement⁵¹, seule une société de titrisation titulaire d’une marque a été identifiée⁵², mais cette opération ne constitue pas une véritable titrisation de propriété intellectuelle. En effet, l’actif de cette société est principalement composé de titres financiers, et ce sont ces actifs, non la marque via son exploitation, qui sont affectés au paiement des investisseurs. Cette opération rappelle néanmoins que le droit luxembourgeois de la titrisation permet aux organismes de titrisation d’être titulaires de droits de propriété intellectuelle⁵³, et non seulement de droits de créance. Par ailleurs, aucune titrisation de propriété intellectuelle ne semble avoir vu le jour via un organisme de titrisation de droit français ou un organisme de placement collectif en créances de droit belge.

    Comment expliquer ce manque d’exemples pertinents de titrisation d’actifs intellectuels régie par la loi de 2004 ? Celle-ci est pourtant particulièrement attractive en prévoyant expressément l’éligibilité des biens incorporels⁵⁴. En outre, le Luxembourg constitue une place financière renommée pour la création de fonds d’investissement⁵⁵ et un pays de prédilection pour l’accueil de sociétés ad hoc et de holdings détentrices de droits de propriété intellectuelle⁵⁶. Malgré ces facteurs favorables, il n’existe aucun exemple de titrisation luxembourgeoise de propriété intellectuelle publiée et évaluée par une agence de notation. Ce défaut d’exemples s’explique très probablement par le fait que les titulaires de droits de propriété intellectuelle n’ont pas conscience qu’ils peuvent recourir à la titrisation et que ce mécanisme est avantageux, notamment sur le plan fiscal⁵⁷, par rapport à d’autres techniques financières. Lorsqu’il recherche un financement ou une optimisation fiscale, le titulaire des droits n’ignore pas l’attractivité du Luxembourg, mais il lui est plus évident de recourir à des techniques plus classiques que la titrisation ou de constituer une société ad hoc de financement non soumise à des règles spéciales de titrisation.

    Cependant, ce recensement des opérations de titrisation à l’échelle internationale ne reflète pas avec fidélité l’état de la pratique. Comme pour la qualification juridique de tout contrat, il convient de ne pas s’arrêter à la dénomination donnée par les parties⁵⁸, mais de s’attacher aux éléments constitutifs et effets de la titrisation. Une opération de titrisation peut parfaitement être constituée en dehors d’un régime juridique spécifiquement adopté pour les titrisations⁵⁹. Ainsi, certains montages appliqués à la propriété intellectuelle constituent des opérations de titrisation, bien que n’ayant pas cette appellation propre et n’étant pas soumis à un régime spécial de titrisation. Elles en présentent toutes les caractéristiques essentielles, et sont mises en œuvre sous les seules appellations de fonds ou de trust⁶⁰. Ces opérations de transfert de droits de propriété intellectuelle ou de royalties à des sociétés spéciales, qui émettent des titres pour se financer, ne sont pas marginales, en particulier au Luxembourg où de telles structures bénéficient d’un traitement fiscal favorable⁶¹. Dans ces opérations qui ne sont pas l’apanage de la pratique nord-américaine, il y a bien prise en charge par un organisme spécial des risques liés à la propriété intellectuelle grâce à l’émission de titres.

    À titre d’illustration, l’émission de titres en 2003 par SGA Société Générale Acceptance N.V. répond à la qualification d’une opération de titrisation. Cette opération innovante, initiée par un producteur français, portait sur les revenus d’un seul film déjà produit. Il s’agissait de transférer les recettes en France du film À la folie, pas du tout à cette société ad hoc qui émit des titres sur la Bourse de Luxembourg auprès d’investisseurs institutionnels⁶². Le produit de la souscription de ces titres, d’un montant de sept millions d’euros environ, fut versé par la société ad hoc au producteur, ce qui lui permit d’amortir les coûts de production du film, tandis que les investisseurs furent payés en fonction des recettes de la projection en salles du film en France. D’autres opérations de ce type, souvent discrètement mises en œuvre, reposent sur des titres émis sur les marchés non réglementés⁶³. Ces opérations doivent également être prises en compte car elles suscitent les mêmes problématiques que les opérations de titrisation expressément nommées ainsi.

    Comme pour les choses corporelles⁶⁴, en particulier les immeubles et les œuvres d’art⁶⁵, un phénomène de financiarisation⁶⁶ de la propriété intellectuelle s’observe. Par ce néologisme, il s’agit de souligner, de façon non péjorative, une évolution dans la façon d’appréhender ce droit, désormais perçu et exploité comme une source de revenus.

    II La financiarisation de la propriété intellectuelle

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    Notion de propriété intellectuelle. Le terme de propriété intellectuelle désigne l’ensemble des régimes de propriété portant sur une création intellectuelle. La propriété intellectuelle est classiquement divisée en deux grandes branches : d’une part, la propriété littéraire et artistique et, d’autre part, la propriété industrielle⁶⁷. La nature de ce droit a fait l’objet de débats anciens qui se sont traduits par l’adoption d’expressions concurrentes de celle de propriété intellectuelle.

    À la fin du XIXe siècle, le juriste allemand Kohler⁶⁸ préférait à l’expression de « propriété intellectuelle » celle de « droits sur les biens immatériels » (Immaterialgüterrechte) pour désigner les droits portant sur les créations de l’artiste et de l’inventeur. Avec cette expression, cet auteur entendait marquer la particularité de ces droits portant sur des objets dénués de corporalité mais doués d’une dimension universelle et culturelle.

    En Belgique, Picard⁶⁹ considérait que les différences entre les choses corporelles et les choses intellectuelles, ainsi que les régimes applicables à ces objets, sont trop importantes pour qualifier la propriété intellectuelle de droit réel. Afin d’éviter toute confusion entre ces régimes, il proposait de créer, à côté des catégories classiques des droits réels, des « droits obligationnels » et des droits de la personnalité, une catégorie autonome qu’il appelait « droit intellectuel ». Cette catégorie générale des droits intellectuels rassemble les régimes juridiques portant sur toutes les productions de l’activité cérébrale humaine et a vocation à s’alimenter, dans le futur, de nouveaux régimes portant sur ce type d’objets.

    À l’opposé, Roubier⁷⁰ rejetait les expressions de « propriété intellectuelle » et de « droit intellectuel » en raison de leur impuissance, selon lui, à suggérer l’élément caractéristique des prérogatives qui y sont attachées : des monopoles d’exploitation dérogatoires au principe de la libre concurrence. Le dénominateur commun à l’ensemble des propriétés intellectuelles serait de constituer des « droits de clientèle ». Au croisement d’une approche juridique et économique, cette qualification met en valeur que ces régimes confèrent au titulaire une position exclusive sur la clientèle, en interdisant à des tiers d’accomplir les actes d’exploitation formulés par la loi.

    Aujourd’hui, la doctrine contemporaine estime que l’expression de propriété intellectuelle est pertinente, tout en soulignant qu’il s’agit d’une propriété spéciale⁷¹. Le droit d’auteur, ainsi que le droit des brevets et le droit des marques, apparaissent comme des régimes d’appropriation, au même titre que d’autres régimes spéciaux tels que la propriété immobilière ou la domanialité publique. Comme celles-ci, la propriété intellectuelle réserve à l’ayant droit la jouissance sur une chose dont la spécificité est d’être incorporelle.

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    Dimension financière de la propriété intellectuelle. La doctrine juridique fait amplement remarquer la dimension économique de la propriété intellectuelle, notamment à partir du constat de l’augmentation des investissements réalisés dans la R&D⁷² et du montant élevé des royalties de certains titulaires de droits⁷³.

    Dans les pays développés, l’économie contemporaine repose davantage sur les activités commerciales de vente et de services que sur l’extraction de ressources naturelles et la production industrielle⁷⁴. Ces activités commerciales impliquent la conception de produits innovants associés à des marques attractives. Désormais au centre d’intérêts économiques considérables, la propriété intellectuelle devient un actif clé dans le patrimoine des entreprises et des instituts de recherche⁷⁵. Un rapport officiel français soulignait en 2006 que « les entreprises investissent massivement – publicité, recherche et développement, formation – pour être à même d’innover et de se constituer ainsi des actifs immatériels (marques, brevets, savoir-faire…). Ceux-ci occupent d’ailleurs une place croissante dans l’ensemble de l’économie, même si leur importance réelle n’est pas convenablement appréhendée par les outils de mesure traditionnels (comptabilité, statistiques publiques…) »⁷⁶. En effet, dans un contexte économique aujourd’hui très concurrentiel et mondialisé, les droits de propriété intellectuelle ont acquis une importance majeure dans le patrimoine des entreprises. Preuve en est que bon nombre d’entreprises les cèdent ou les donnent en licence à prix d’or. En dépit du fait que la dernière crise mondiale ait nui aux activités d’innovation⁷⁷, les droits de propriété intellectuelle continuent de générer d’importants revenus⁷⁸ : 154,2 milliards USD de redevances de licence au niveau mondial pour les produits exportés en 2008⁷⁹. En France, la SACD perçoit pour le compte de créateurs 204 millions d’euros en 2011⁸⁰ et investit une partie de ses ressources issues de dons dans un fonds commun de placement qui lui est dédié⁸¹. Afin de se désendetter, la société Pernod Ricard est récemment entrée dans une stratégie de cession de ses actifs, notamment de sa marque Cruzan, pour un prix de 68 millions d’euros⁸². Aux États-Unis, AOL vend son portefeuille de brevets à Microsoft pour la somme astronomique d’un milliard de dollars américains⁸³.

    En plus de ses aspects économiques, la propriété intellectuelle se caractérise par sa dimension financière⁸⁴. De façon simple mais précise, sera entendu comme financier ce qui est lié à un profit pécuniaire⁸⁵. Le législateur consacre un droit de propriété intellectuelle afin de réserver à l’ayant droit l’exploitation d’une création, mais aussi les revenus qui en découlent. Cette fonction de la propriété intellectuelle était déjà prise en compte par la loi française du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, dont les exposés des motifs énonçaient qu’« il était nécessaire (afin de ne pas porter préjudice à une industrie nationale aussi riche d’avenir) d’assurer aux producteurs des garanties que l’importance des capitaux engagés justifiait amplement ».

    Au-delà de l’aspect défensif de la propriété intellectuelle, s’illustrant par la reconnaissance de l’action en contrefaçon, ce droit subjectif comprend une composante financière consistant à attribuer des revenus au titulaire des droits. L’intérêt de la titularité d’un droit de propriété intellectuelle ne gît pas tant dans le droit de se réserver l’utilisation de la création intellectuelle que dans le fructus, c’est-à-dire dans le droit de recueillir les fruits de l’exploitation. La propriété intellectuelle apparaît de ce point de vue comme un parfait exemple de droit frugifère.

    De même, l’approche selon laquelle l’obtention d’un droit de propriété intellectuelle représenterait simplement un coût serait évidemment insuffisante puisque l’exploitation de ce droit vise à dégager un gain financier.

    Confrontés au problème de financement mais conscients que les droits de propriété intellectuelle sont de précieuses sources de revenus, certains titulaires de droits, aidés par des juristes et des gestionnaires, montent des opérations d’innovation financière. Les joint ventures d’investissement, apports en société⁸⁶, spin-offs⁸⁷, holdings de financement⁸⁸ sont, comme la titrisation, des exemples d’opérations mettant en valeur l’opportunité d’une stratégie juridique et financière appliquée à la propriété intellectuelle.

    Malgré l’importance que ces techniques revêtent en pratique, la doctrine juridique adopte rarement une approche financière de la propriété intellectuelle fondée sur la notion d’actif.

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    Passage à la nature d’actif intellectuel. Les textes de propriété intellectuelle emploient les expressions de « droit patrimonial »⁸⁹ et de « droit exclusif d’exploitation »⁹⁰ afin de désigner la nature du droit de propriété intellectuelle. Le Code civil luxembourgeois, à l’image du Code civil français, n’apporte aucune définition de la notion de droit patrimonial et les définitions doctrinales sont hétérogènes⁹¹. Les définitions les plus courantes reposent tantôt sur le critère de la faculté d’évaluation pécuniaire de ces droits⁹², tantôt sur le critère de la cessibilité⁹³. Ces définitions excluent en principe les prérogatives exercées sur les choses communes⁹⁴ ainsi que le droit moral des auteurs et artistes-interprètes⁹⁵. Un droit cessible est une prérogative pouvant être valablement cédée d’un point de vue juridique, mais ce caractère ne préjuge pas de la possibilité, en pratique, de réaliser cette cession sur le marché en cause. De plus, la faculté d’évaluer le droit patrimonial est indépendante du résultat de cette évaluation⁹⁶ : faute de marché, certains droits patrimoniaux n’ont pas vocation à contribuer à la création de revenus⁹⁷.

    Concernant la notion de droit exclusif d’exploitation, il s’agit d’une prérogative attribuant à une personne déterminée une exclusivité sur l’accomplissement de certains actes définis par la loi⁹⁸. Or, les droits de propriété intellectuelle sont reconnus aux titulaires selon des conditions indépendantes des revenus futurs que l’exploitation a vocation à produire. Un exploitant est donc susceptible de se voir attribuer un droit de propriété intellectuelle, tel un droit d’auteur, un brevet ou une marque, sans que ces titres de propriété intellectuelle constituent une quelconque garantie de revenus.

    À l’opposé, la notion d’actif suppose que l’élément en cause ait une valeur économique et financière. Les normes comptables internationales définissent l’actif comme « une ressource contrôlée par l’entreprise du fait d’événements passés et dont des avantages économiques futurs sont attendus par l’entreprise »⁹⁹. L’avantage économique futur représentatif d’un actif est « le potentiel qu’a cet actif de contribuer, directement ou indirectement, à des flux de trésorerie et d’équivalents de trésorerie au bénéfice de l’entreprise. Le potentiel peut être un potentiel de production qui fait partie des activités opérationnelles de l’entreprise. Il peut également prendre la forme d’une possibilité de conversion en trésorerie ou en équivalents de trésorerie, ou d’une capacité à réduire les sorties de trésorerie, par exemple, lorsqu’un autre processus de production diminue les coûts de production »¹⁰⁰. Autrement dit, l’actif est une ressource susceptible de produire directement des revenus, notamment par le biais d’une cession, ou indirectement, par l’économie de coûts qu’il engendre¹⁰¹. La qualité potentielle de l’actif à créer des avantages économiques futurs dépend d’une opération d’évaluation qui permet d’affirmer que l’actif possède une certaine valeur.

    À l’intérieur de cette notion d’actif, la doctrine économique distingue les actifs corporels des actifs incorporels ou immatériels¹⁰² et classe dans cette dernière catégorie les droits de propriété intellectuelle, à côté d’autres éléments aussi dissemblables les uns des autres que les droits de créance et les fonds de commerce¹⁰³.

    Un rapport de l’OCDE dédié aux actifs intellectuels intègre également à ce concept des éléments externes à la propriété intellectuelle, tels que les compétences des employés, les usages de l’entreprise et les relations commerciales¹⁰⁴. Ces éléments devraient pourtant être exclus de la catégorie des actifs intellectuels car ils sont étrangers au domaine des créations intellectuelles et posent des difficultés d’identification par rapport à d’autres éléments ayant une existence objective¹⁰⁵.

    La notion d’actif intellectuel fait également son apparition dans la doctrine juridique. M. Binctin souligne que « l’épanouissement des industries des hautes technologies, dans le domaine de la santé, de l’informatique et des télécommunications, a contribué à renforcer cette place nouvelle des actifs intellectuels dans le patrimoine des sociétés »¹⁰⁶.

    En dépit du fait que le concept d’actif devient largement utilisé dans la littérature économique et juridique étrangère, le terme d’actif intellectuel demeure beaucoup moins répandu que celui d’actif incorporel ou immatériel¹⁰⁷. Sous-catégorie du concept d’actif incorporel, le concept d’actif intellectuel n’est que l’application de la notion d’actif à la propriété intellectuelle. L’actif intellectuel se définit comme tout droit exclusif d’exploitation, doué d’une valeur financière, portant sur une création intellectuelle.

    Cette notion présente des intérêts particuliers par rapport à d’autres notions plus traditionnelles. Elle invite à identifier tous les éléments ayant une valeur financière qui relèvent d’un régime d’appropriation des créations intellectuelles. Si tout actif intellectuel est un droit patrimonial, l’inverse n’est pas vrai. Tous les droits d’auteur, brevets ou marques que la loi attribue sous certaines conditions à une personne ne remplissent pas nécessairement la condition de la valeur financière¹⁰⁸. Ce qui fait passer un droit de propriété intellectuelle à la qualité d’actif intellectuel est la contribution probable de ce droit à générer des flux de trésorerie, autrement dit un mouvement entrant de revenus¹⁰⁹. Le concept d’actif intellectuel permet d’opérer une sélection entre les droits patrimoniaux qui généreront probablement des revenus, et ceux dont il est certain ou probable qu’ils n’en produiront pas. Dans la mesure où l’opération de titrisation implique la création de revenus afin de libérer les titres émis auprès des investisseurs, les actifs intellectuels seront de nature à servir de sous-jacents dans le cadre d’une titrisation, de la même manière que les créances de prêts et les titres financiers.

    Dans un contexte de besoin accru de financement des créations et de prise en compte de la valeur financière potentielle de la propriété intellectuelle, les actifs intellectuels constituent des sous-jacents dont la titrisation mérite d’être envisagée et même encouragée.

    III Vers la conception de nouvelles titrisations d’actifs intellectuels ?

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    Complexité de l’opération. La titrisation d’actifs intellectuels suscite l’intérêt des autorités européennes¹¹⁰ et des agences de notation¹¹¹, en dépit d’un contexte économique qui semble actuellement défavorable. Cependant, il convient de passer de la simple proposition du recours à l’opération de titrisation à sa confrontation à la pratique pour déterminer si ce mécanisme est juridiquement possible et économiquement utile. Or, l’application de la titrisation aux actifs intellectuels met la pratique à l’épreuve d’un foisonnement de difficultés. L’analyse de la titrisation appliquée, non à un seul régime de propriété intellectuelle mais à l’ensemble des actifs intellectuels, rend la tâche encore plus délicate mais est indispensable. En effet, les différents droits de propriété intellectuelle sont complémentaires entre eux, ainsi que l’illustre le recours à la titrisation. Celle-ci incite à une exploitation optimale de l’ensemble des actifs intellectuels¹¹². Une société en besoin de financement doit s’efforcer d’identifier la totalité de ses droits de propriété intellectuelle et s’interroger sur l’opportunité de titriser tout ou partie d’entre eux¹¹³. Si la titrisation ne conduit nullement à une confusion des régimes juridiques en cause au prétexte qu’il faut traduire en valeur monétaire les droits de propriété intellectuelle, un décloisonnement et un rassemblement de ces droits sont des stratégies adéquates en vue d’obtenir un financement.

    En droit de la propriété intellectuelle, se pose en particulier la question de la validité de la titularité des droits par un fonds de titrisation, entité dénuée de la personnalité morale¹¹⁴. En outre, du fait de la présence de nombreux intervenants, notamment d’entités ad hoc et d’investisseurs, une détermination claire des titulaires des droits de propriété intellectuelle s’impose. La réaction du droit financier à la titrisation d’actifs intellectuels doit également être envisagée, en particulier quant au régime juridique de l’évaluation¹¹⁵ et des obligations pesant sur l’organisme de titrisation. Ce type d’opération suscite aussi des questions relevant de matières diverses, comme le droit des obligations, le droit des sûretés, le droit international privé, le droit des procédures collectives, le droit fiscal et le droit comptable, matières juridiques entrant habituellement en interaction en droit des affaires.

    La complexité des problèmes juridiques constitue, en plus des problèmes économiques liés à l’évaluation, un obstacle important à l’épanouissement de cette pratique. L’intervention de multiples branches juridiques n’est toutefois pas propre à la titrisation, mais se rencontre pour toutes les techniques d’ingénierie financière. Le foisonnement de règles de droit, essentiellement supplétives de volonté, stimule plus qu’il n’entrave la créativité juridique et financière.

    Le développement d’une réflexion sur la titrisation d’actifs intellectuels a vocation à permettre à la pratique et à la doctrine d’envisager plus spontanément la constitution de telles opérations, même si celles-ci ne resteront toujours qu’exceptionnelles. En effet, le mécanisme de titrisation ne correspond pas à tous les besoins ni à toutes les situations. Les titrisations s’appliqueront à des actifs intellectuels ayant déjà été exploités pendant plusieurs années afin de prévoir plus aisément leurs revenus futurs. Elles seront constituées par des titulaires de droits ayant les moyens financiers suffisants pour franchir l’obstacle des coûts du montage¹¹⁶.

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    Études juridiques et économiques. La quantité d’analyses de praticiens sur la titrisation d’actifs intellectuels contraste avec la faiblesse d’études académiques sur ce sujet. Ainsi, seules trois chroniques francophones, d’origines canadienne¹¹⁷, suisse¹¹⁸ et française¹¹⁹, y sont consacrées. Une thèse économique en 2007 approfondit l’étu de de cette technique¹²⁰. Les articles anglophones à vocation pratique, émanant de professionnels, sont en revanche abondants¹²¹. Ces études se concentrent sur un régime particulier de propriété intellectuelle et sur certains modes de titrisation. Une vision plus large du champ et des modalités d’application de la titrisation apparaît pourtant opportune au regard des pratiques internationales et des possibilités offertes par le mécanisme de la titrisation.

    Quant aux études consacrées à la titrisation en général, celles-ci s’attardent peu souvent sur les actifs intellectuels, ce qui se dégage de la classification usuelle des titrisations. Celle-ci est manifestement forgée pour les besoins pratiques du secteur bancaire. La classe la plus célèbre concerne les Mortgage-Backed Securities (MBS), laquelle rassemble les titres adossés à des crédits hypothécaires¹²². La classe des Collateralized Debt Obligations (CDO) regroupe, quant à elle, les titrisations portant sur des crédits non hypothécaires¹²³. Enfin, les Asset-Backed Securities (ABS) sont de façon générale des titres adossés à des actifs¹²⁴.

    Cette présentation des types de titrisation fait florès dans la littérature spécialisée¹²⁵, mais se révèle inadaptée à l’analyse juridique car, si les praticiens la trouvent utile pour scinder les titrisations en fonction des parts de marché représentées par ces catégories, elle relègue à une catégorie résiduelle toute une diversité d’opérations émergentes portant sur d’autres classes d’actifs, comme des stocks ou des droits de propriété intellectuelle, dont l’intérêt juridique n’est pas négligeable. Il est révélateur à cet égard de constater que l’agence de notation Moody’s classe également les titrisations d’actifs intellectuels dans les catégories résiduelles et les qualifie d’« ésotériques »¹²⁶. La classe générique des ABS devrait être affinée en prenant en compte l’émergence et les particularités des titrisations d’actifs intellectuels. Comme le signalent MM. Diab et Boustany, « ces questions soulèvent le problème de la pertinence des classes d’actifs et de la qualification d’opérations financières en opération de titrisation. Derrière la multiplication des acronymes et des genres, se trouve parfois la volonté purement commerciale ou cosmétique des arrangeurs de se positionner sur un créneau novateur ou de faire valoir des compétences »¹²⁷. En effet, cette classification n’est pas suffisamment opératoire, dans la mesure où, d’une part, les montages employés dans le cadre de chacune de ces classes sont souvent identiques et où, d’autre part, les MBS et CDO ont également des actifs pour sous-jacents, ce qui les rapproche du contenu assigné à la classe des ABS.

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    Intérêts impliqués par l’opération de titrisation. Sous peine d’assurer une promotion incomplète et partisane de la titrisation d’actifs intellectuels, la présente étude ne saurait se satisfaire d’une simple vérification de la validité juridique de cette opération. Les incidences de l’opération à l’égard des parties doivent également être appréciées, notamment vis-à-vis du titriseur et des investisseurs. Ce ne sont pas les seuls intérêts impliqués par une opération de titrisation. Assurément, l’impact de la titrisation sur les partenaires économiques du titriseur et des investisseurs n’est pas négligeable. De façon la plus évidente, dans l’hypothèse où les obligations émises par l’organisme de titrisation ne sont pas remboursées, cette inexécution a des conséquences sur le patrimoine des sociétés qui ont souscrit les titres, mais également sur le paiement des actionnaires de ces sociétés et de ses autres créanciers. Concernant les titrisations d’actifs intellectuels, il est particulièrement indispensable de prendre en compte les intérêts des créateurs et du public, quel que soit le régime de propriété intellectuelle en cause¹²⁸. La titrisation constitue un outil de transfert des risques, mais aussi une source de risques pour les investisseurs, en tant que souscripteurs de titres risqués, comme pour les tiers quant à leurs intérêts économiques et financiers. Sur ce plan, le juriste apporte des solutions pour protéger les divers intérêts. Ainsi, il ne sera nullement question d’occulter les échecs de certaines opérations de titrisation mais d’identifier leurs faiblesses et de proposer des solutions destinées à les perfectionner.

    Le respect des intérêts d’autrui renvoie à une question récemment entrée dans le champ de réflexion de la doctrine juridique : celle du rôle de l’éthique dans la finance¹²⁹. Les débats à ce sujet se sont ravivés avec la crise des subprimes, laquelle trouve en partie ses origines dans une application abusive de la titrisation à des crédits hypothécaires¹³⁰. Ces opérations furent appliquées à des actifs très risqués au moyen de montages excessivement complexes et opaques, tout en recevant pourtant les meilleures notes des agences de notation. Certes, un comportement totalement désintéressé ou altruiste semble étranger à la logique de la titrisation, la finalité de toute opération de titrisation n’étant que d’assurer un gain financier au titriseur et aux investisseurs. Néanmoins, les arrangeurs et titriseurs se doivent d’anticiper l’impact de leurs opérations de titrisation, ne serait-ce que pour gagner la confiance des investisseurs et protéger l’opération contre d’éventuelles actions en justice exercées par des tiers dont les intérêts ont été lésés.

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    Démarche. L’analyse des seules normes juridiques ne suffit pas à éclairer tous les aspects de la titrisation des actifs intellectuels. Ainsi que l’a souligné Gény¹³¹, la confrontation du droit positif aux lois étrangères, pratiques et sciences sociales ou économiques permet d’apporter des solutions juridiques en harmonie avec les intérêts humains. Les normes ne sont que la matière première à partir de laquelle le juriste peut construire des solutions adaptées aux problèmes spécifiques et aux besoins concrets de la vie pratique. L’étude du régime juridique de la titrisation s’enrichit par l’analyse de la pratique à la lumière de diverses publications¹³². Les analyses émanant des États-Unis sur la titrisation, dont le volume est à la hauteur que représente le marché de la titrisation, apportent à cet égard de précieuses informations sur les besoins, contraintes et solutions des acteurs économiques.

    En dépit du manque d’exemples de titrisations d’actifs intellectuels soumises à la loi luxembourgeoise du 22 mars 2004, celle-ci servira de référence¹³³, car il apparaît que ce texte offre un exemple frappant de richesse des hypothèses de convergence de la titrisation et de la propriété intellectuelle. Cette absence de pratique permet de s’émanciper des montages préexistants et de proposer des solutions nouvelles. Dans cette perspective, les opérations américaines de titrisation ne seront pas appréhendées comme des modèles de montages à reproduire purement et simplement, mais comme des illustrations appelant une analyse critique et certaines améliorations juridiques¹³⁴.

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    Plan. L’application de la titrisation à la propriété intellectuelle suscite un large éventail de difficultés pouvant être résolues suivant un questionnement systématique du domaine d’application et du procédé de la titrisation : quels objets peut-on titriser parmi les éléments de la propriété intellectuelle et avec quels objectifs ? Comment titriser ces éléments pour que cette titrisation ait des effets satisfaisants ?

    Après avoir affirmé et précisé le principe de la compatibilité du domaine titrisable avec la propriété intellectuelle (Première partie), l’adaptation du montage de la titrisation à la propriété intellectuelle (Seconde partie) achèvera de confirmer le bien-fondé d’une alliance de la titrisation et de la propriété intellectuelle.

    1. Le réalisme graphique grandissant des jeux vidéo

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