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Victime collatérale (45)
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Livre électronique303 pages3 heures

Victime collatérale (45)

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À propos de ce livre électronique

« Je ne veux jamais que tu conduises après avoir bu, Marion », me répétait-il bien avant que j’obtienne mon permis. « Tu m’appelleras et j’irai te chercher. Peu importe l’heure, compris ? »

Chaque fois, je lui répondais oui. Chaque fois.

Jamais je n’oserais faire quelque chose d’aussi risqué. Alors que lui…

Pourquoi n’a-t-il pas suivi son propre conseil ? Pourquoi a-t-il fallu qu’il prenne sa voiture, ce soir-là ?

On dit que chaque action a sa conséquence. Qu’on doit y faire face, le moment venu. Sauf que je ne suis pas responsable des gestes de mon père ! Alors, pourquoi le monde entier se retourne-t-il contre moi, me traitant comme si j’étais la coupable ?

Je n’ai pas demandé ce qui m’arrive.

Je n’ai jamais souhaité devenir la fille d’un meurtrier…

L’incarcération d’un parent bouleverse inévitablement le cours d’une vie et entraîne son lot de questionnements. Les bulles familiale et sociale du jeune sont fortement affectées, ses repères, ébranlés. Marion n’y échappe pas. Les actes de son père la forcent à revoir ses certitudes, sa conception du bien et du mal, de même que ses plans d’avenir. Tout ça, dans l’attente du procès. Et du verdict.
LangueFrançais
ÉditeurDe Mortagne
Date de sortie16 janv. 2019
ISBN9782896629077
Victime collatérale (45)
Auteur

Joannie Touchette

Joannie Touchette invente des histoires depuis son plus jeune âge. Toutefois, ce n’est qu’en 2015 (précisément douze mois après sa découverte inespérée (maladive ?) de la littérature pour jeunes adultes) qu’elle transpose ses idées à l’ordinateur et cesse (enfin !) de perdre du temps à modifier la fin de chaque livre qui lui tombe sous la main. Après Rien de trop beau pour mes 18 ans!, son premier roman, l’auteure nous revient avec Victime collatérale, publié dans la populaire collection Tabou.

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    Aperçu du livre

    Victime collatérale (45) - Joannie Touchette

    anonyme

    - 1 -

    La rentrée scolaire. C’est souvent un cauchemar, n’est-ce pas ?

    – Marion, l’année va être d’un ennui mortel, gémit mon amie au bout du fil.

    Je grogne.

    – Je sais, Élise. Il fallait bien qu’on ait eu tous nos cours ensemble les autres années pour qu’on n’en ait aucun en commun pour notre secondaire cinq !

    Je roule sur le dos, la tête calée dans mon oreiller, en feuilletant mon nouvel agenda. Mon cellulaire repose plus loin sur la couette et la fonction mains libres est activée.

    Aujourd’hui, c’était la rentrée scolaire. Voilà plus de deux mois qu’on attend de connaître notre emploi du temps, croisant les doigts pour avoir le même... Pas de bol.

    – Comment c’est possible ? On a pris les mêmes options, en plus !

    – M’en parle pas, soupiré-je. Chimie et physique.

    Gracieuseté de ma chère mère. Puisque tu n’as aucune idée de ce que tu veux faire de ta vie, aussi bien mettre toutes les chances de ton côté et accumuler autant de crédits que tu le peux, Marion. Ouais... c’est super en théorie, mais, en pratique, je sens que, sans Élise, l’année va être longue et pénible !

    – Il y a des jours où j’ai les deux matières, se plaint-elle.

    – Pareil pour moi. Combinées avec maths et français.

    Un véritable désastre. J’aimerais bien avoir en face de moi celui ou celle qui est à l’origine de ces horaires pourris. Après, ils se surprennent que le taux de décrochage scolaire ne cesse d’augmenter avec les années ! Malgré mes bulletins exemplaires, je ne suis pas différente de la plupart des jeunes : l’école n’a rien d’une partie de plaisir...

    – L’année est à peine commencée et j’ai déjà hâte qu’elle finisse, soufflé-je.

    – C’est pas comme ça que j’avais imaginé notre secondaire cinq.

    – Moi non plus...

    Des cris s’élèvent du rez-de-chaussée. Mes parents se disputent. Rien de nouveau. Probablement pour un truc super important aux yeux de ma mère, du genre : François, ça fait cent fois que je te répète que ces vêtements-là ne vont pas ensemble ! Tu veux vraiment qu’on nous pointe du doigt, ou quoi ? Ou encore : Je t’avais dit de te raser la barbe avant d’aller au dépanneur, qu’est-ce que les voisins vont penser de nous, maintenant ? Vous voyez le portrait ? Dire que ma mère est pointilleuse sur les apparences est le pire euphémisme du monde. Elle est freak.

    – C’était censé être notre plus belle année, reprend Élise alors que je vais fermer la porte de ma chambre pour étouffer les éclats de voix. On devrait être en train de fêter le début de notre dernière année. Pas de se morfondre et d’espérer se réveiller dans dix mois.

    – Trouvons un truc à célébrer, dans ce cas, déclaré-je en m’assoyant sur mon lit, mon oreiller sur les genoux.

    – Comme quoi ? demande-t-elle d’un ton mi-sceptique, mi-désespéré.

    – Attends.

    Je tourne les pages de mon agenda jusqu’au calendrier scolaire, puis je commence à calculer en silence. Même à l’abri dans ma chambre, je perçois la tempête qui fait rage en bas. Je ne distingue pas les paroles de mes parents, mais je devine que mon père argumente comme il peut, essayant de plaider sa cause comme toujours.

    Pauvre lui, il n’a aucune chance contre lieutenant Mireille.

    – Il reste quatre-vingt-cinq jours avant Noël, Élise.

    – Et c’est ça le truc cool qu’on devrait célébrer ?

    L’abattement dans sa voix me fait pouffer de rire. Une distraction qui est plus que bienvenue. J’ai beau reprocher des tas de trucs à mes parents – principalement à ma mère –, je n’aime pas qu’ils s’engueulent ainsi. Je préférerais de loin qu’ils s’embrassent – même si je détournerais les yeux aussitôt – et qu’ils se témoignent leur affection comme deux adolescents. Comme le font les parents d’Élise.

    – Si on coupe l’année en deux, ça passera plus vite, non ? supposé-je.

    – Mouais, peut-être...

    Élise et moi, on se connaît depuis la sixième année. Plus précisément le 11 octobre, jour de mes premières menstruations. Sans elle et son short de rechange – Dieu merci, on faisait la même taille, déjà à cet âge ! –, je me serais probablement baladée toute la journée avec une énorme tache de sang au derrière. Depuis, on est inséparables, et j’ai toujours été l’optimiste de notre duo.

    – Je suis sûre que oui. Allez, penses-y. On pourrait planifier ce qu’on aimerait faire pendant le congé des fêtes ? Ça nous motiverait, non ?

    Mon amie demeure silencieuse, signe qu’elle cogite.

    – T’as raison, approuve-t-elle après un long moment. Qu’est-ce que tu proposes ?

    – Euh... Je...

    À vrai dire, je n’avais pas peaufiné mon idée plus que ça !

    – Marion ! Tu ferais mieux de trouver un plan si grandiose qu’il va me permettre d’oublier les quatre-vingt-cinq journées que je vais devoir passer à me faire chier en classe sans que tu sois près de moi pour me ramener à l’ordre !

    J’éclate de rire. Je suis sans aucun doute la plus studieuse. Que des notes supérieures à quatre-vingts pour cent ou presque. Élise n’a pas la même facilité. Disons qu’un rien la déconcentre, notamment la gent masculine. Par chance, elle peut compter sur mon aide pour réviser et rester attentive en classe. Du moins, elle pouvait compter sur moi.

    Plus cette année...

    – Arrête avec la pression et fais donc aller tes méninges, dis-je à mon amie. Deux cerveaux, c’est pas de trop pour concocter un super plan.

    – C’est bon. Je me mets dans le mood.

    J’attrape papier et crayon dans mon sac à dos, au pied du lit.

    – Je t’écoute.

    En bas, la tempête fait toujours rage. Plus intense que d’habitude. Je perçois un bruit sourd, pareil à du verre brisé. Durant une seconde, j’hésite à me faufiler au rez-de-chaussée pour aller jeter un œil, puis je renonce. Entre adultes, ils sauront se débrouiller, pas vrai ? Je parie que mon père demandera bientôt pardon et que ma mère passera l’éponge. Surtout, ne pas s’inquiéter.

    Dès demain, la vie aura repris son cours normal.

    – Et si on organisait un voyage ?

    – Avec quel argent ? répliqué-je du tac au tac.

    Aucune de nous n’a de travail pour l’instant. Et ce n’est pas avec mon argent de poche ni celui que je reçois à mes anniversaires que je pourrai me payer un voyage. Et Élise ? N’en parlons même pas. Chaque billet qui se retrouve entre ses mains est vite dépensé pour garnir sa garde-robe déjà bien remplie. Bref, c’est la plus fauchée !

    – OK, OK. Mauvaise idée. Je vais trouver autre chos...

    – Ne te donne pas la peine de me rejoindre cette nuit ! hurle ma mère, folle de rage. Reste dans ton maudit sous-sol, François !

    D’un geste vif, j’empoigne mon cellulaire, désactive la fonction mains libres et couvre le microphone de ma paume, l’oreille tendue. Mon cœur bat la chamade. La porte d’entrée claque à en faire trembler les murs de notre maison centenaire. Je frémis.

    Mon père est parti. Ça, c’est nouveau.

    Il faut savoir que mon père est du genre à capituler lorsque ça sent la soupe chaude, et non à tenir tête à sa femme. Autrement dit, c’est Mireille qui porte la culotte dans leur couple. François subit et exécute les ordres, point final.

    Elle doit l’avoir vraiment poussé à bout, ce soir.

    – Marion, ça va ? Marion ?

    La voix lointaine d’Élise me tire de mes pensées.

    – Euh... oui, oui, ça va. Mes parents se chicanent, c’est tout.

    Un mauvais pressentiment m’envahit et j’en ai la chair de poule.

    – Ton père a claqué la porte ? s’enquiert mon amie d’une voix douce.

    – Tu as entendu ? grommelé-je en me cachant le visage dans mon oreiller après avoir retiré mes lunettes de ma main libre.

    – J’ai l’impression que les murs de ma chambre ont vibré aussi.

    – Ouais...

    Aux bruits qui proviennent d’en bas, j’imagine que ma mère tourne comme une lionne en cage en attendant que mon père reprenne ses esprits et revienne à la maison. De mon côté, je ne sais que penser.

    – Ma mère dit toujours qu’il ne faut jamais se quitter sur une dispute, m’apprend mon amie, sans une once de malice ni de mépris.

    – Faut croire que mon père n’a pas eu le mémo...

    Le silence s’installe. Je me cramponne à mon oreiller, trop peureuse pour descendre et réclamer des explications. Ma mère est sans doute hors d’elle, mieux vaut lui laisser son espace...

    Le ton rassurant d’Élise me sort de ma torpeur.

    – Je suis certaine qu’il avait besoin de décompresser pour éviter de dire des conneries qu’il aurait regrettées... Allez ! Concentrons-nous plutôt sur notre planning des fêtes ! Je commence.

    J’esquisse un léger sourire.

    – Vas-y, impressionne-moi, blagué-je en m’arrachant à la contemplation de ma porte de chambre.

    Heureusement, les idées farfelues de mon amie me font vite oublier ce drôle de pressentiment. Je rigole tellement que j’en ai mal au ventre et qu’il m’est impossible de tout noter. Élise en est ravie.

    – Mission accomplie ! clame-t-elle fièrement avant d’enchaîner avec une énième suggestion loufoque.

    Il est près de vingt-deux heures lorsque j’exige une pause pour cause de cerveau en bouillie. On raccroche en se promettant de continuer demain midi. Entre-temps, j’ai entendu ma mère monter à sa chambre. On pourrait croire qu’elle s’est calmée, mais non. En passant devant ma porte, elle ne s’est pas arrêtée pour me souhaiter bonne nuit.

    Mireille n’a rien digéré du tout.

    Fatiguée, j’enfile mon pyjama, me brosse les dents, puis me glisse sous la couette. Mais le sommeil ne vient pas. Les yeux grands ouverts et l’esprit en ébullition, je fixe mon plafond durant ce qui me semble une éternité.

    – Argh ! Il faut que je règle ça, sinon je vais jamais réussir à fermer l’œil !

    J’attrape mon cellulaire sur la table de nuit et sélectionne le numéro de mon père.

    Ça sonne, ça sonne...

    – Allez, papa, réponds, maugréé-je en rongeant mon pouce.

    Au son de la messagerie vocale, mes espoirs s’évanouissent. Je raccroche et peste tout bas, avant de retourner à la chaleur de mes draps. Et lorsque je sens le sommeil me gagner enfin, mon père n’est toujours pas rentré.

    - 2 -

    La porte de ma chambre s’ouvre à la volée.

    – Marion, debout ! me presse ma mère.

    Je mets un certain temps à ouvrir les yeux. C’est alors que je constate l’obscurité de la pièce. Ma mère n’a pas pris la peine d’allumer les lumières.

    – Il est quelle heure ? marmonné-je en me massant les paupières.

    – Habille-toi, on doit aller à l’hôpital.

    Je saute du lit, complètement réveillée à présent.

    – C’est papa ? Qu’est-ce qui lui est arrivé ?

    – Il a eu un accident de voiture. Nous en saurons plus une fois là-bas. Dépêche.

    Je fouille déjà dans ma commode, à la recherche d’un jogging, d’un t-shirt et d’une veste.

    – Mais il va bien ? Je veux dire, il est en vie ? insisté-je.

    – Il n’est pas mort. Je t’attends en bas.

    Sur ce, elle tourne les talons. Je fonce à la salle de bain.

    En moins de deux minutes, j’ai mes vêtements sur le dos, mes lunettes sur le nez et mes chaussures aux pieds. Je me rue au rez-de-chaussée et retrouve ma mère dans le portique, droite comme un piquet, l’air imperturbable. Comment peut-elle être aussi calme ? C’est le milieu de la nuit et mon père est à l’hôpital ! Il y a de quoi capoter, non ?

    Durant le trajet, je me retiens tout juste de lui crier d’appuyer sur le champignon ; ce n’est pas le temps d’avoir un accident. Un pour ce soir, c’est bien assez ! Je suis donc l’exemple de ma mère et prends mon mal en patience.

    Sauf que toutes ces appréhensions qui surgissent de mon imagination fertile ne me facilitent pas la tâche. Et si mon père était paralysé ? Et s’il avait perdu des membres ? Et si un truc lui avait perforé un organe vital et qu’il devait recevoir une greffe dans les plus brefs délais ?

    – Cesse de te ronger les ongles, me rabroue ma mère, son attention fixée sur la route.

    Je glisse mes mains sous mes cuisses, les yeux rivés à la fenêtre.

    – Désolée.

    Je repense à ce mauvais pressentiment d’hier, quand mon père a claqué la porte. J’avais raison, un truc clochait. Mais jamais je ne me serais doutée qu’il aurait un accident ! Qui aurait pu savoir ? Et ma mère ? S’en veut-elle de l’avoir laissé partir ? À l’heure qu’il est, ferait-elle les choses différemment ?

    Je risque un coup d’œil dans sa direction.

    Ses yeux ne clignent presque pas derrière le verre de ses lunettes, sa mâchoire est crispée et ses mains agrippent le volant avec une force effrayante. Ces petits signes ne trompent pas. Au fond, elle se fait du souci. Je lui presse le bras. Elle sursaute à mon contact, comme si elle avait oublié ma présence.

    – Ne t’inquiète pas, maman, dis-je d’un ton qui se veut plein d’espoir. Il va s’en sortir. Faut avoir confiance.

    Le silence me répond. J’essaie d’accrocher son regard, mais rate mon coup. J’abandonne alors la partie et porte mes doigts à ma bouche en fixant la route devant. Du coin de l’œil, je la vois qui inspire à fond, avant d’expirer longuement.

    Deux intersections plus loin, elle lâche enfin :

    – Ce n’est pas pour lui que je m’inquiète.

    Mon père est un miraculé. Ce sont les paroles des médecins, pas les miennes. Ils sont incapables d’expliquer comment il a survécu, compte tenu de l’état désastreux de sa voiture. Mais mon père est bel et bien vivant. Quel soulagement !

    Je laisse alors ma mère s’entretenir avec les médecins et vais patienter dans l’aire d’attente adjacente. Je remercie le ciel d’avoir sauvé mon père, même si je ne suis pas croyante.

    Perdre un parent à seize ans, c’est beaucoup trop jeune ! En fait, s’ils pouvaient vivre jusqu’à... je ne sais pas... cent ans ? Oui, cent ans, ça ferait bien mon affaire ! Mais pas question de leur en parler, hein ? Après tout, je ne suis plus leur bébé, comme mon père se plaît à me le répéter pour me taquiner. Eh oui, je suis égoïste.

    Après un long moment qui semble durer des heures, où ma mère n’a pipé mot, le nez plongé dans une revue à la suite de sa discussion avec les docteurs, on nous permet de voir mon père. Je saute sur mes pieds et fonce à la chambre, au bout du couloir, sans me préoccuper de savoir si ma mère m’emboîte le pas.

    En arrivant sur le seuil de la chambre 303, je sens l’hésitation me gagner. Dans quel état vais-je le trouver ? Miraculé peut-être, mais à quel prix ? Dois-je me préparer au pire ? Argh ! J’aurais mieux fait d’écouter le compte rendu des médecins jusqu’au bout !

    – Marion, râle mon père.

    Je lève la tête et ne vois que ses bras ouverts.

    – Papa !

    Sans perdre une seconde, je cours m’y réfugier, malgré les fils et les tubes auxquels il est relié.

    – Marion, répète-t-il en resserrant sa prise sur moi, le nez dans mes cheveux.

    Aux trémolos dans sa voix, je sens qu’il retient ses larmes. Instantanément, mes yeux se voilent et j’intime à mon cerveau de se calmer. Mon père est là, devant moi, en un seul morceau. Attendez. Un seul morceau ? Brusquement, je me libère de ses bras pour analyser son état. Ouf ! Le compte est bon, ses deux jambes sont là.

    Je déglutis.

    – Tes jambes, tu peux les bouger ?

    Il s’esclaffe, mais son rire se mue rapidement en une quinte de toux. J’aperçois un pichet d’eau sur la table de chevet. Je lui en sers un verre, qu’il avale en trois gorgées.

    – Je peux remuer tous mes membres, me rassure-t-il, une fois bien hydraté.

    – Génial, soufflé-je en m’écrasant dans le fauteuil près du lit.

    Il acquiesce et se mouche. J’en profite pour l’observer attentivement. Son visage est enflé et des ecchymoses le parsèment. Sa lèvre inférieure est fendue sous un pansement de rapprochement et ses avant-bras portent des éraflures. Le bas de son corps demeure un mystère, caché sous les draps, mais son abdomen semble intact. Après tout, il m’a serrée dans ses bras sans se plaindre.

    – Et sinon, comment tu te sens ?

    Il grimace, et je regrette aussitôt d’avoir posé la question.

    Comment voudrais-tu qu’il se sente, voyons !

    On jurerait la voix de ma mère ! C’est à mon tour de grimacer.

    – Rien de cassé, que des blessures mineures, m’explique-t-il. Des raideurs au dos et au cou, dues à l’impact, mais c’est le dernier de mes soucis.

    Ses yeux marron foncé sont rougis, gonflés... et assombris. Les contempler me tord le cœur, mais pour tout l’or du monde je ne me détournerais d’eux, bien consciente du privilège que j’ai de me trouver en face de lui. En chair et en os.

    J’aurais pu le perdre.

    – T’as été chanceux, papa.

    Il rejette mes propos d’un reniflement dégoûté.

    – Je n’appelle pas ça de la chance, Marion.

    – T’aurais pu mourir !

    Il tend la main, celle dépourvue de tubes de perfusion, et je la serre à lui faire mal, sentant les larmes monter.

    – Tu n’aurais pas dû imaginer le pire, ma grande. Je... je suis là.

    – Je sais, mais tu me connais, hein ? raillé-je avec émotion.

    Son hochement de tête est lent et lourd de sens. De sens que je ne saisis pas. J’ai l’impression que mon cerveau fonctionne au ralenti. C’est sûrement le manque de sommeil. Justement, je me demande quelle heure il est. Sommes-nous mercredi ?

    Je balaie la pièce du regard, à la recherche d’une horloge. Je n’en repère aucune.

    – Où est ta mère ?

    Machinalement, je jette un œil vers l’embrasure de porte déserte.

    – Aux toilettes ? supposé-je bêtement.

    – Elle ne doit pas être bien loin, murmure-t-il plus pour lui-même que pour moi.

    Cela attire mon attention. Je remarque au fond de ses pupilles une lueur de peur, semblable à celle qui brillait dans les miennes tout à l’heure, dans le miroir de notre salle de bain.

    – Elle était dans la salle d’attente avec moi. Je suis sûre qu’elle voulait nous laisser du temps seul à seule. Elle ne devrait plus tarder, maintenant.

    Malgré mes paroles encourageantes, un certain malaise s’installe dans la chambre. Faute de savoir quoi ajouter, j’entremêle nos doigts. Mon père fixe nos mains, les yeux dans le vague, alors que je songe aux endroits où pourrait être ma mère...

    Au bout de plusieurs minutes, son raclement de gorge rompt le silence.

    – Bon, assez parlé de ça. Raconte-moi plutôt comment s’est passée ta journée. Avec mon congrès qui s’est étiré, je suis rentré tard... Et je… n’ai pas eu les détails. Surtout, n’oublie rien, hein ?

    Son entrain est un peu forcé, mais je lui souris néanmoins, reconnaissante du changement de sujet. Il se sert un second verre d’eau. Je me cale plus confortablement dans le petit fauteuil, jambes allongées et chevilles croisées, puis je joue avec la fermeture éclair de ma veste.

    – Tu me croiras jamais. J’ai aucun cours avec Élise.

    – Aucun ?

    – Aucun.

    Il arque les sourcils, l’air aussi désappointé que nous, ce matin. Je soupire.

    – Ouais... Tout sera différent, maintenant, énoncé-je d’un air absent en m’imaginant seule dans mes classes, sans ma fidèle acolyte.

    Quelques secondes passent.

    – J’ai bien peur que ce soit ça, la vie, Marion, déclare-t-il d’un ton solennel.

    Je cesse mon manège. Sa tête est tournée vers l’unique

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