La Renaissance du Muralisme Mexicain 1920-1925
Par Jean Charlot
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La Renaissance du Muralisme Mexicain 1920-1925 - Jean Charlot
illustrations
I. L’Aube de la Renaissance Muraliste
Vers un art national
Les peintures murales d’aujourd’hui, imprégnées des traditions indienne, coloniale et populaire, ne sont pas un embrasement accidentel allumé au bûcher d’une révolution. Pourtant, un style national était loin d’être une évidence au commencement du mouvement. En 1920 déjà, des décennies de pression des officiels avaient réussi à étouffer l’esthétique mexicaine, ou tout du moins à l’enterrer profondément dans le subconscient. Quand l’heure fut venue pour les jeunes révolutionnaires de renouer avec leur héritage artistique, ils durent traverser des affres tels des pionniers avançant à l’aveugle, ce qui valut au mouvement son nom de Renaissance.
Étudier l’école de peinture mexicaine qui précède l’ère muraliste, tant est-elle imprégnée de tradition indienne, coloniale et populaire, revient à assister à l’éveil d’un langage artistique national peut-être plus important encore de par la direction empruntée que par ses résultats. Le mouvement nationaliste, destiné à être éclipsé par l’ambitieux groupe muraliste, fut très prodigue pendant la courte période de son règne où il demeura inégalé. Il s’avéra être un outil de premier choix dans l’évolution des goûts d’un public laïc, de la vénération du bon ton Européen vers une esthétique ethnique. La Renaissance mexicaine aurait difficilement pu s’épanouir, si l’art mexicain ne lui avait déjà ouvert le passage.
À travers le XIXe siècle, nombre de peintures prenaient pour sujet le folklore mexicain, en représentant par exemple des costumes populaires. Les costumbristas, des artistes comme Hesiquio Iriarte et Casimiro Castro, étaient plutôt adeptes de moyens autres que la peinture. Ils nous ont laissé une étude encyclopédique du Mexique du XIXe siècle à travers des albums de lithographies donc certaines colorisées à la main, ainsi que quelques photos, conservées à présent au musée d’histoire de Chapultepec. Et pourtant, prophètes en leur propre pays, ils demeurèrent sans honneur de leur vivant, et leurs œuvres se fondirent anonymement dans la masse mouvante de la production populaire.
Cela prit longtemps aux beaux-arts avant de nouer le contact avec le milieu mexicain. Les critiques surent voir plus loin que les artistes, et un leitmotiv parcourt les essais sur l’art au milieu du XIXe, un soupir, que l’art national n’ait encore commencé l’ascension pour être enfin à la hauteur de l’indépendance nationale fraîchement acquise. Quand en 1869 Petronilo Monroy présenta son allégorie La Constitution de 57, une femme volante drapée de voiles pompéiens, les critiques l’admirèrent, mais ne manquèrent toutefois de suggérer : « Aussi beau qu’il soit, il n’est pas encore temps pour nos artistes d’exploiter la richesse dormante de nos styles de vie, anciens comme nouveaux. »
Lorsqu’arriva la révolution de 1910, il n’était plus possible d’ignorer le paradoxe qu’était la majorité de ces artistes inconscients de cette fierté nationale qui faisait trembler leur terre natale. Manuel Gamio s’en plaint en 1916 : « Les peintres copient Murillo, Rubens, Zuloaga, ou pire encore représentent des paysages de France, d’Espagne, d’Italie et si besoin de Chine, mais presque jamais ne peignent-ils le Mexique. » « Presque jamais » ne montrent-ils que Garnio était au courant qu’il existait des exceptions à son affirmation. La redécouverte artistique mexicaine avait déjà commencé tandis qu’il prononçait ces mots désabusés.
En 1907 le jeune peintre de province Jorge Enciso arriva de sa Guadalajara natale pour chercher fortune à la capitale. Que cela soit son but, c’est le journal El Kaskabel qui le suggéra, jurant que l’artiste avait fait ce voyage mémorable agrippé sous un wagon de marchandises, ses photographies roulées dans une taie d’oreiller, sa seule possession.
Alfredo Ramos Martínez, Sur le retour du marché, vers 1940. Tempera et charbon sur papier, 67,3 x 51,1 cm. Location inconnue.
Alfredo Ramos Martínez, La Capatilla, date inconnue. Tempera et encre sur planche, 45,72 x 43,18 cm. Dalzell Hatfield Galleries, Los Angeles.
À cette époque, les plus sérieux des étudiants en art, grisés par les applaudissements d’amateurs éclairés et les idéaux photographiques de Maestro Fabres, s’apprêtaient à peindre des mousquetaires aussi joviaux que ceux de Roybet, des odalisques aussi roses que celles de Gerome et des grenadiers aussi martiaux que ceux de Meissonnier. Méconnaissant cette ambition, Enciso à son arrivée déballa le fruit du travail de sa jeune vie dans le studio de Gerardo Murillo avec lequel il cohabitait et ouvrit bientôt une petite exposition à Calle de San Francisco, n° 3, 4e étage. Trois pièces voyaient s’empiler plus de 250 œuvres, des dessins à l’huile, pastel, fusain et mine de plomb. Sur la couverture du catalogue une gentille China poblana s’inclinait devant son public sur fond de cactus nopales ; vert et rouge sur blanc, les couleurs du drapeau mexicain soulignaient le parfum national. Toutes les images étaient sur des thèmes mexicains et d’une grande simplicité. Des paysages surtout, parfois un simple mur nu ou une maison cubique, avec quelques personnages sans visages accoutrés d’un sarape ou d’un rebozo, le dos tourné, sans savoir qu’ils sont observés. Les titres plantaient l’ambiance : Muse de l’aube, À la messe, Vieille maison. Un succès instantané, le spectacle, grâce à sa simplicité, avait esquinté la prétention du groupe de Fabres, soulevant ainsi la question essentielle d’un art national.
En dehors des paysages contemporains, Enciso relança les anciens thèmes aztèques tels par exemple Les Trois Rois, avec des coiffes en longues plumes de quetzal et des personnages tenant des encensoirs de copal. Ces sujets inspirèrent le poète José Juan Tablada, qui voyait l’artiste et son répertoire indien comme une seule et même entité : « Les yeux d’Enciso sont faits d’obsidienne, étincelants et tranchants tels des flèches de silex trempées dans le feu d’une étoile… Brun et agile tel un archer aztèque, l’artiste ressuscite le prodige de Ilhuilcamina. Des flèches tirées de ses yeux soufflent les étoiles du firmament. »
Enciso fut aussi l’auteur de la première peinture murale au contenu amérindien du XXe siècle. Peinte directement sur le mur de deux écoles, l’une de garçons et l’autre de filles, dans la pas si aristocratique Colonia de la Bolsa, elles furent commencées en décembre 1910 et terminées le 16 mai 1911. Elles furent détruites au cours de travaux de reconstruction des bâtiments. Son autorité tint bon. Après être devenu conservateur des bâtiments coloniaux, l’artiste s’arrêta de peindre en 1915, mais son influence reste l’un des facteurs majeurs de l’art mexicain.
Un autre pionnier, Saturnino Herrán, peignit d’une façon qui énonçait, bien que sans résoudre, le problème d’un style national qui soit distinct d’une simple représentation de la couleur locale. Né en 1888 et mort à l’âge de trente ans, Herrán, pendant sa courte vie, ne fut pas un peintre prospère. Vertueux par nécessité, Herrán ne quitta jamais le Mexique, ne peignit jamais autre chose que des sujets mexicains. Une toile typique de son Œuvre est El Rebozo, datée de 1916, une mestiza nue avec des détails mexicains, un coin de la cathédrale métropolitaine, des fruits mexicains, un chapeau. La peau noisette, le chapeau de feutre brodé d’or, le tissu de damas, la dentelle de pierre « churrigueresque » de la façade coloniale – tout indique le Mexique. Toutefois rester au pays n’immunisa pas Herrán contre l’Europe. Il avait étudié longuement les illustrations des magazines et les produits étrangers qui croisaient son chemin. Ses influences dominantes sont l’Anglais Brangwyn et l’Espagnol Zuloaga, ainsi que l’humeur mélancolique de l’art flou du Français Eugène Carrière. Mais les critiques négligèrent son style et ne prêtèrent attention qu’à ses sujets. À sa mort, Herrán devint un symbole du Mexicanisme et fut acclamé comme « le Mexicain qui était le plus un peintre, et le peintre le plus mexicain ».
Saturnino Herrán, L’Offrande, 1913. Huile sur toile, 210 x 182 cm. Museo Nacional de Arte, Mexico.
Roberto Montenégro, Femmes mayas, 1926. Huile sur toile, 80 x 69,8 cm. Museum of Modern Art, New York.
Originaire de Guadalajara comme Enciso, Roberto Montenégro débuta la peinture à l’Académie de Felix Bernadelli. La première mention imprimée de ce monstre sacré de l’art mexicain est une ligne dans le catalogue de l’Exposition universelle de Paris en 1900, alors que l’artiste précoce n’avait que treize ans : « Roberto Montenégro (de Guadalajara) : Peinture ».
Montenégro vint à la capitale en 1905 pour étudier auprès de Fabres. À San Carlos il arriva à égalité avec Diego Rivera pour les honneurs. Leur récompense arriva en 1906 : une seule bourse pour l’Europe. L’impasse dans laquelle se trouvaient les deux prodiges se décida en faveur de Montenégro sur le lancer d’une pièce. Il partit quelques mois avant que Diego ne réussisse à récolter assez d’argent pour le suivre.
Tous deux rentrèrent pour la Fête du Centenaire de 1910, et tous deux furent consacrés maîtres, traînant derrière eux des caisses pleines de toiles pour le prouver. Cette fois Rivera remporta le tirage au sort et ainsi put ouvrir une exposition à