Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

La La lance du destin : Troubles en Britannia
La La lance du destin : Troubles en Britannia
La La lance du destin : Troubles en Britannia
Livre électronique658 pages8 heures

La La lance du destin : Troubles en Britannia

Par Marty

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Bretagne. An 495. Au lendemain des grandes invasions barbares, l'Europe est meurtrie et a subi d'énormes bouleversements. L'Empire romain d'occident, désormais disparu, a cédé sa place au règne des tribus germaniques. Afin de consolider ses frontières sur le Rhin, les troupes romaines campées en Bretagne avaient reçu l'ordre de quitter l'endroit, abandonnant ainsi l'île aux habitants bretons. L'ex-centurion Cassius Longinus, confronté à de nombreuses situations périlleuses, parvient finalement à se rendre sur l'île presque cinq siècles après avoir reçu sa malédiction sur le mont Golgotha. Dans l'espir d'y recueillir des indices concernant son fer de lance aux propriétés fabuleuses, arme divine qui lui permettrait d'annihiler les démons les plus puissants foulant la Terre, Longinus est assisté dans ses recherches par quatre companons rencontrés au fil de ses pérégrinations. Aidé de son regard transcendant qui lui permet de voir l'âme des gens au-delà de la chair, l'un des dons qui lui furent accordés, Longinus découvre toutefois que l'île Britannia est la source de mulltiples conflits ainsi que la cible de forces maléfiques. Sur place, il rencontre Gauvain, l'un des chevaliers de la Table ronde. Ensemble, ils participent au sauvetage de la reine. Impressionnée par l'aura de mystère qui entoure Longinus, cette dernière tombe follement amoureuse de lui. Hélas, la quête de la lance du destin est passablement compomise lorsque Longinus est confronté au Haut-roi du royaume breton et qu'il constate avec horreur qu'Artorius est conseillé par un étrange sorcier surnommé l'Enchanteur...
LangueFrançais
ÉditeurPratiko
Date de sortie22 févr. 2011
ISBN9782922889659
La La lance du destin : Troubles en Britannia

Auteurs associés

Lié à La La lance du destin

Livres électroniques liés

Fiction générale pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur La La lance du destin

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    La La lance du destin - Marty

    Canada

    PROLOGUE

    Suite aux prodigieux événements survenus dans la ville de Jérusalem en l’an trente, la Terre fut laissée à elle-même et, rapidement, devint la proie des forces du Mal. Craignant Yeshua au plus haut point, les Barons du Chaos profitèrent de son départ vers le royaume des cieux pour sortir de l’ombre et reconstituer leurs armées respectives. Depuis toujours, ces démons de grande puissance engendrés jadis par l’esprit de Sathanaël, Archange déchu et ancien Seigneur de ce monde, désiraient ardemment s’approprier son trône laissé vacant depuis sa chute. Ainsi, partout sur leur passage, ils semèrent peur et désolation et, inévitablement, en vinrent à s’affronter entre eux. Toutefois, possédant une part égale du pouvoir immense de leur créateur, nul ne parvint à se rendre grand vainqueur. Ainsi, à l’exception de Moloch, toujours emprisonné dans les sous-sols du grand temple de Jérusalem, ils furent responsables de guerres aussi sanglantes qu’inutiles qui causèrent la mort de milliers de vies humaines et d’irréversibles dégâts à la planète.

    Constatant l’ampleur du désastre, le Grand Architecte de l’Univers revint sur sa décision de ne plus intervenir dans le sort des humains depuis que ces derniers avaient rejeté son fils Yeshua. Afin de contrer les œuvres néfastes des Barons du Chaos, il réitéra ses avertissements à l’humanité par l’intermédiaire de nouveaux prophètes. Hélas, peu de ces hommes dotés de grande sagesse parvinrent à transmettre sa volonté divine, car la plupart furent pervertis par les sournois Barons et leurs messages subirent des altérations dramatiques par la suite. Jusqu’à ce qu’un obstacle majeur vienne freiner leurs ambitions despotiques, rien n’avait pu arrêter ces puissants démons.

    Auréolé de toute sa puissance, Elrik, le fils et héritier légitime de Sathanaël, se présenta à chacun d’eux, revendiqua le trône tant convoité et en paiement de leur trahison d’antan — ils avaient abandonné son père aux mains de l’Armée céleste — il n’exigea rien de moins que leur allégeance totale. Cependant, ayant goûté aux plaisirs de la liberté et à l’ivresse du pouvoir, les Barons du Chaos ne désirèrent pas revenir à l’état de servitude. Préférant éviter la colère d’Elrik, ils optèrent pour la retraite et se retirèrent à l’intérieur de leurs territoires respectifs. Ne pouvant les anéantir sans que son pouvoir s’affaiblisse du même coup, Elrik les laissa fuir. Mais afin de s’assurer qu’ils ne se mettraient pas en travers de sa route, d’un puissant sort, il délimita un large périmètre ceinturé d’un champ de force infranchissable pour ces derniers. Profitant de leur impuissance hors de ces limites, l’héritier ténébreux s’appliqua à assujettir le reste de l’humanité. Devant ce constat, de nombreux démons inférieurs, présents sur Terre avant même la venue des premiers hommes et jusqu’alors aux services des Barons du Chaos, quittèrent les rangs pour se joindre à lui. Cette défection attisa la colère de leurs anciens maîtres qui cherchèrent désespérément un moyen de contrer ces barrières invisibles. Toutes leurs tentatives furent soldées d’échecs jusqu’au jour où l’un d’eux réussit enfin.

    Aidé par l’un de ses sbires dont la loyauté avait été sauvegardée, Astaroth apprit par la suite l’importance de sa survie aux yeux d’Elrik et osa l’affronter. Un duel dévastateur eut lieu, mais craignant d’être dans l’obligation de détruire Astaroth, le prince héritier, à son tour, opta pour une retraite stratégique et chercha un moyen de contenir cette furie. Savourant sa victoire provisoire, Astaroth se réfugia dans la capitale du plus grand empire du monde, dirigée jusqu’alors par un peuple instruit par la science des dieux anciens.

    Ainsi protégé derrière les armées romaines et usurpant au fil des siècles l’identité de personnages très influents au sein de l’empire (allant même parfois jusqu’à prendre celle de l’empereur en titre), Astaroth poursuivit ses visées ambitieuses en toute impunité. Sous son influence, la puissance et l’orgueil de Rome devinrent sans limites. L’empire prospéra et prit de l’expansion, mais du même coup, sombra dans une décadence extrême.

    Confrontée à un rival de cette qualité, combinée à la montée du christianisme malgré tous ses efforts pour la contrer, la domination d’Elrik sur l’homme s’estompa peu à peu. Toutefois, ayant en sa possession l’émeraude maléfique de son père qui permettait entre autres à son possesseur de manipuler l’esprit des hommes faibles, il était loin de s’avouer vaincu. Absorbé par tous ces conflits, il en vint presque à oublier une menace encore plus grande: la lance du destin, la seule arme sur Terre susceptible de lui causer du tort. Depuis sa victoire sur Moloch, il n’avait eu aucun écho de ce pilum romain aux pouvoirs exceptionnels ni du petit fragment provenant de celui-ci. Au fil des siècles, il en vint jusqu’à croire à sa disparition définitive. Un avis qu’était loin de partager son laquais.

    Ayant appris à la suite d’enquêtes exhaustives effectuées en Judée que cette lance hors du commun avait appartenu initialement au centurion Longinus, celui qui par son intervention l’avait privé d’obtenir l’émeraude avant qu’Elrik ne s’en empare, Malaric, le sorcier germain, redoutait qu’elle réapparaisse un jour ou l’autre et cause sa perte. Durant des siècles, lui dont le sort était lié à celui de son maître, il garda ses sens en alerte dans l’espoir qu’un jour il puisse recueillir des informations cruciales pouvant valider sa théorie. Il l’ignorait encore, mais son instinct ne lui avait pas menti.

    De son côté, depuis sa fuite de Jérusalem, le centurion Longinus inspire la terreur chez tous les démons qui ont le malheur de croiser sa route. Aidé de sa vision exceptionnelle permettant de percevoir les âmes au-delà de la chair et du fragment divin qui immole ses victimes à son simple contact, il anéantit autant que faire se peut les forces du Mal partout où le destin guide ses pas.

    À son retour dans la ville sainte après un bref voyage à Rome, il fut trahi et emprisonné dans la tour Antonia. Heureusement, il parvint à s’échapper de sa geôle et trouva refuge au cénacle, la cachette où s’étaient blottis les apôtres de Yeshua. Là, il revit avec joie Nicodème ainsi qu’Apollonios, le majordome de Joseph d’Arimathie. Ce dernier lui annonça que son maître avait quitté le Moyen-Orient et lui remit la missive que Joseph lui avait adressée.

    « Shalom à toi mon ami,

    Tu excuseras mon latin médiocre, mais si tu lis ceci, cela voudra dire que tu as réussi ta mission à Rome et que Yahvé t’offre maintenant la chance de poursuivre ta quête dans Jérusalem. J’aurais vraiment aimé pouvoir être présent afin de t’assister dans tes recherches, mais comme tu peux le constater, j’ai dû quitter la ville en toute hâte, car peu de temps après ton départ, j’ai reçu une terrible nouvelle.

    Mon fils Josépha, qui était responsable de mes affaires en Britannia, m’a fait parvenir un message urgent via l’un de mes navires marchands, m’expliquant que l’île souffrait de grands maux et que même sa propre vie et celle de sa famille s’en trouvaient menacées. Tu comprendras que je devais m’y rendre immédiatement afin de constater l’ampleur des troubles par moi-même. Selon le rapport alarmant de mon fils, qui a été dans l’obligation d’abandonner l’exploitation de mes mines de cuivre et d’étain pour se réfugier dans un endroit secret situé au pied d’une petite montagne, j’estime que ton aide me serait indispensable et j’aimerais que tu m’y rejoignes dès que tu le pourras. De plus, j’ai quelque chose en ma possession qui pourrait t’aider à réussir la mission que Yahvé t’a confiée. Dès que tu seras sur l’île, rends-toi au Cercle de pierres et de là, si tu es assez malin (car par mesure de sécurité, je me dois de me montrer extrêmement prudent), tu trouveras les indications menant au nouveau domaine que mon fils et ses gens ont construit. Voici toutefois une énigme qui t’aidera une fois sur place:

    À l’aube des ténèbres, par la croix la lumière jaillira!

    Prends garde à toi et à très bientôt j’espère. Que Yahvé t’accompagne, mon ami.

    J. »

    À la lecture de cette missive et suite à ses insuccès pour retrouver la précieuse lance du destin en sol palestinien, Longinus, intrigué par les propos du vieux marchand, décida d’aller le rejoindre sur l’île Britannia. Hélas, en raison des nombreux obstacles rencontrés sur son chemin, persécuté par les sbires du Sanhédrin et toujours recherché par les autorités romaines, il ne put effectuer la traversée. Grâce à ses nouveaux dons acquis depuis sa « malédiction », le centurion survécut à de nombreuses mésaventures, jusqu’à ce qu’il se retrouve dans une contrée hostile où il demeura caché pendant plus de quatre cents ans.

    CHAPITRE I

    LE FLÉAU DE DIEU

    Pannonie, ancienne province romaine. An 453.

    La soirée s’annonçait fraîche, mais même une tempête de neige n’aurait pu empêcher le déroulement de la noce prévue à l’horaire. Installés au beau milieu d’une plaine située à une demi-lieue du palais royal, les milliers de convives s’en donnaient déjà à cœur joie. Ils buvaient, mangeaient comme des porcs et dansaient sur les tables au rythme de la musique produite par les cithares. Pourtant, le futur marié se faisait toujours attendre, laissant seule sa promise debout devant l’autel de bois rudimentaire. Issue de la tribu germanique des Burgondes, Ildico, les yeux rivés au sol, attendait patiemment le début de la cérémonie quand l’orchestre et les cris de joie cessèrent subitement. Un espace fut libéré au centre de la masse humaine et tous virent enfin apparaître le futur époux. Monté sur son formidable destrier noir, celui dont on disait que nulle herbe ne repoussait après son passage, l’impressionnant personnage faisait comme à son habitude une entrée remarquée. À quelques pas de l’autel, il arrêta sa monture. De ses petits yeux cruels, il jeta un regard circulaire sur ses invités et le temps parut s’arrêter un instant. Mais, au soulagement général, un sourire carnassier apparut sur le visage ravagé par les nombreux combats que le Khan avait livrés jusque-là. Fier comme un paon, il se dressa sur ses étriers. D’une voix grave et forte, il s’adressa à la foule:

    — Je suis heureux de vous voir en si grand nombre et me souviendrai de votre allégeance! Soyez sans crainte, car ce que je vous ai promis, vous l’obtiendrez. Notre retraite stratégique à l’intérieur de nos frontières n’est que temporaire et nous permettra bientôt de marcher sur Rome! Auparavant, nous anéantirons les troupes de l’empereur de Constantinople, qui, comme un lâche, a profité de mon absence au pays pour franchir le Danube avec son armée dans le but évident de nous exterminer. Selon mes éclaireurs, ce chien se dirige maintenant directement vers nous. Eh bien, nous l’attendrons de pied ferme et je jure que le sang de ces maudits Romains coulera!

    Enfiévrés par l’alcool et ces propos exaltants, ses généraux et les Jarls des tribus germaniques assujettis et invités à la cérémonie le proclamèrent comme étant le plus grand conquérant que le monde ait connu. Le terrible monarque glissa de sa selle et se dirigea d’un pas lourd vers sa promise, les yeux toujours fixés au sol. Visiblement, la jeune femme n’était pas très enthousiaste à l’idée de s’unir à cet homme qui traînait une réputation sordide et avait plus de deux fois son âge. Pour l’occasion, le Khan avait enfilé une riche tunique finement brodée et arborait de nombreux bijoux; colliers, bracelets et bagues scintillèrent sous les rayons du soleil couchant. Toutefois, aucune de ces babioles ne pouvait rivaliser avec l’éblouissante et énorme émeraude qu’il portait constamment autour du cou au bout d’une chaîne en fer. D’un pas assuré, il prit place à la droite d’Ildico et d’un signe, ordonna à l’officiant de débuter la cérémonie. Tremblant comme une feuille, le vieil homme défila son texte à une vitesse incroyable. À la fin de son discours, il pria les époux de bien vouloir conclure l’alliance par un baiser. Ildico demeura immobile et les invités commencèrent à marmonner entre eux, ce qui attisa la colère du terrible monarque. D’un geste brusque, il saisit d’une main la mâchoire de la jeune femme et la força à le regarder. Tenant l’émeraude de son autre main, il marmonna quelques mots entre ses dents que nul parmi l’assistance ne put saisir. L’instant suivant, les yeux remplis de passion, la jolie Germaine lui apposa un long baiser appuyé. Devant cet heureux dénouement, les convives crièrent leur joie et retournèrent rapidement auxfestivités.

    La noce se poursuivit jusqu’à ce que tous aient fini par s’endormir, complètement ivres. De leur côté, les nouveaux époux filèrent sous la tente royale sécurisée par deux guerriers à jeun à l’entrée. Étendu sur sa couchette, le Khan attendit que sa jeune épouse vienne lui retirer ses bottes. Alors que cette dernière faisait un brin de toilette, il admira ses formes gracieuses à travers le paravent derrière lequel elle cachait sa nudité. Pendant qu’il assistait à cet excitant spectacle, le Khan laissa son esprit errer et les souvenirs de toutes les étapes de sa fulgurante ascension lui ayant permis d’être à la tête de l’armée la plus crainte de tous les temps lui revinrent en mémoire.

    Attila était très jeune quand son père Moundzouk périt sur un champ de bataille. Son frère aîné Bleda et lui furent ensuite adoptés par leur oncle Rugila, le Khan de l’époque. Ce dernier, bien qu’ayant pu engendrer de nombreux héritiers mâles grâce à son harem constitué de plus d’une centaine d’épouses, en vint à les considérer rapidement comme ses propres fils. Sous sa tutelle, les garçons apprirent rapidement les rudiments de la guerre, car ce peuple belliqueux dont ils étaient issus et qui était originaire des plaines froides à l’est de la rivière Volga avait amorcé un demi-siècle plus tôt sa migration vers l’ouest en quête de terres plus prometteuses.

    Montés sur des chevaux trapus et rapides, ils s’étaient d’abord attaqués au clan des Alains, une tribu germanique située tout près de leur frontière qu’ils réussirent à asservir sans trop de résistance. Profitant de leur succès, ils avaient poursuivi leur conquête vers le sud-ouest. Aidés de leurs nouveaux alliés, ils avaient presque anéanti le clan des Ostrogoths. La bataille fut si sanglante que bien vite la nouvelle circula dans toute la Germanie qu’une terrible armée orientale constituée d’hommes sauvages et cruels exterminait tout ce qu’elle rencontrait sur son passage.

    Devant cette menace grandissante, les Wisigoths demandèrent asile en terre romaine et en échange d’un tribut annuel, l’empereur Valens leur permit de s’établir en Thrace. Mais aussitôt qu’ils furent installés, l’empereur les attaqua sournoisement. Un terrible affrontement eut lieu dans la ville d’Andrinople et Valens périt au combat. Le pouvoir impérial passa ensuite à Théodose Ier, qui fit la paix avec les Wisigoths. Hélas, un précédent avait été commis et d’autres clans barbares, dont les Vandales, les Burgondes, les Suèves et les Alamans, traversèrent le Rhin et s’installèrent au sud-ouest sans payer aucun tribut, ni demander aucune autorisation. Théodose Ier choisit de laisser porter, mais il ignorait alors que ces premières migrations germaniques représentaient un prélude aux grandes invasions barbares.

    Insultés de ce traitement injuste, les Wisigoths, qui ne se satisfaisaient plus de cette pauvre terre de Thrace offerte par l’empereur, imitèrent leurs cousins germains. Sous la gouverne d’Alaric Ier, ils conquirent la Grèce et l’Illyrie pour s’installer définitivement en Gaule, là où ils fondèrent le premier État barbare en sol romain. Devant un tel succès, ils poussèrent l’audace jusqu’à piller Rome elle-même sans toutefois pouvoir s’y établir en permanence. Afin de les aider à chasser ces intrus, Flavius Aetius, consul et commandant en chef des forces armées romaines campées en Gaule, engagea Rugila et ses terribles guerriers à titre de mercenaires. Grâce à leur aide, les Romains se débarrassèrent des Wisigoths. Quelques années plus tard, Rome paya chèrement cette erreur, car ces mercenaires, déjà considérés à l’époque comme des cavaliers émérites, profitèrent de l’occasion pour approfondir leurs connaissances sur les techniques militaires utilisées par les Romains. Ils améliorèrent entre autres l’arc de combat et la selle qu’ils munirent d’étriers de cuir et de fer.

    Constatant la terreur que les armées de son oncle suscitaient, le frère aîné d’Attila rêva d’accéder au pouvoir royal afin de diriger lui-même cette formidable machine de destruction. Bouillant d’impatience et se croyant seul à la cuisine, il avait versé du poison dans le plat de fruits destiné à Rugila qu’une servante vint chercher quelques minutes plus tard. Ce soir-là, Attila et Bleda furent convoqués au chevet de leur oncle agonisant. Au grand désarroi de Bleda, Rugila, juste avant de mourir, partagea de façon équitable la charge de ses pouvoirs entre eux deux. Jamais Attila n’avait soufflé mot du crime dont il avait été témoin, caché derrière l’une des armoires de la cuisine. Les premières années se déroulèrent assez bien, mais comme le pouvoir se partage difficilement, Bleda avait tenté d’éliminer Attila à son tour.

    Alors qu’Attila chassait le gros gibier escorté par trois guerriers de forte stature, un vieillard barbu, vêtu d’une longue tunique grisâtre et élimée, sortit précipitamment des fourrés. Le vieil ermite s’était avancé vers la lumière du jour et d’un geste théâtral avait pointé l’index en direction d’Attila en s’écriant:

    — Surveillez vos arrières, jeune roi, ou vous perdrez la vie!

    Entendant cela, l’un des cavaliers qui escortaient Attila descendu de selle et s’était était élancé vers l’inconnu, l’épée brandie. Cependant, d’une rapidité inouïe, le vieillard avait esquivé l’attaque. D’un geste vif, il avait plaqué deux doigts sur le front de son assaillant, qui s’était aussitôt écroulé au sol. Les deux autres cavaliers avaient voulu secourir leur compagnon, mais d’un geste autoritaire, Attila les avait stoppés dans leur élan et s’était adressé personnellement à l’intriguant personnage:

    — Alors vieillard, pourquoi me menacer ainsi?

    — Vous menacer? Non, vous n’avez rien à craindre de moi, jeune roi! Je suis juste venu vous prévenir du danger qui vous guette avant qu’il ne soit trop tard.

    — Vous savez qui je suis?

    — Bien sûr! Cela fait déjà un certain temps que nous vous observons, mon maître et moi.

    — Votre maître? Comment avez-vous réussi à terrasser ce guerrier aussi facilement?

    — Un bon magicien ne dévoile jamais ses secrets!

    — Peu importe! De quel danger parliez-vous? Expliquez-vous avant que je ne perde patience!

    — Demandez-le aux hommes qui vous escortent, avait répondu l’ermite. S’ils sont aussi loyaux qu’ils le prétendent, ils vous avoueront qu’ils projetaient de vous assassiner avant que le jour ne tire à sa fin.

    Abasourdis par ces aveux, les deux cavaliers s’étaient regardés l’un l’autre durant un court instant avant de fondre sur Attila. Lorsqu’il avait constaté la traîtrise et le meurtre dans leurs regards, Attila avait dégainé sa longue épée à deux tranchants et avait éliminé le premier des deux. L’autre, ne désirant pas l’affronter seul, avait tourné bride et s’était enfui au grand galop. L’ermite s’était alors placé derrière le fugitif et par sa seule volonté, sembla-t-il, avait soulevé et projeté une grosse pierre en direction du fuyard. Sous la force de l’impact, le cavalier et sa monture s’étaient écrasés contre le tronc d’un gros chêne, périssant tous les deux sur le coup.

    — Mais… qu’êtes-vous au juste? avait demandé Attila à l’ermite.

    — Cela importe peu! Comme vous venez de le constater, sachez que si je suis ici présent, c’est pour vous offrir aide et conseils.

    — Comment saviez-vous pour ces traîtres? Qui les a payés pour accomplir un tel crime sur ma personne?

    — Votre frère l’a fait.

    — Comment?

    — Attendez encore un peu et vous pourrez interroger le premier homme que j’ai terrassé. Il vous confirmera la véracité de mes dires.

    — Il est toujours vivant?

    — Bien sûr! Vous remarquerez une petite différence chez lui, mais cela ne l’empêchera pas de parler. D’ici à ce qu’il reprenne connaissance, laissez-moi vous donner un autre conseil.

    — Lequel?

    — Débarrassez-vous de votre frère avant qu’il n’y parvienne le premier! Vous avez vous-même été témoin de ce dont il est capable. Je veux dire à propos de votre oncle et…

    — Comment pouvez-vous savoir cela?

    — J’ajouterai que jamais vous ne pourrez réaliser vos rêves si vous n’acceptez pas le présent que je vous ai apporté.

    — Et quels seraient ces rêves, selon vous?

    — De marcher sur Rome afin de dominer le monde!

    Étonné par ces révélations judicieuses, Attila n’avait su quoi ajouter. C’est à ce moment que le vieil ermite lui avait montré l’incroyable joyau vert. Tout en lui expliquant en détail les pouvoirs qu’il recelait, l’ermite lui avait précisé que ce présent n’était qu’un prêt et que dès qu’il aurait accompli sa destinée, il devrait le lui remettre. De gré ou de force.

    — Pourquoi faites-vous tout cela pour moi? avait questionné Attila.

    — Mes raisons me regardent! Pour l’instant, débarrassez-vous de votre frère et ensuite tout s’enchaînera. Dans les siècles futurs, votre nom se trouvera inscrit dans tous les livres d’histoire. Maintenant, prenez cette émeraude et usez-en bien jusqu’à notre prochaine rencontre. Surtout, gardez toujours un æil dessus, car si vous la perdez, je vous tiendrai personnellement responsable!

    Prenant l’émeraude que lui tendait l’étrange vieillard, Attila fut surpris du poids de celle-ci. Relevant les yeux en quête de réponses à ses nombreuses interrogations, il s’aperçut que l’intrigant personnage s’était déjà volatilisé. Peu après, le cavalier terrassé par l’ermite était sorti de sa torpeur.

    — Mais… que m’arrive-t-il? s’était écrié le traître. Pourquoi n’y vois-je rien?

    — Relève-toi, chien! Si tu avoues tes fautes, je te laisserai la vie sauve! lui avait proposé Attila.

    Désespéré, l’homme lui avait tout révélé à propos de l’attentat que ses complices et lui projetaient de commettre sur sa personne. Furieux, Attila avait fait demi-tour, laissant seul l’homme atteint de cécité complète au cœur de la forêt, à la merci des éléments et des prédateurs. Le lendemain, Bleda fut retrouvé mort, poignardé à plusieurs reprises. Maintenant seul à la tête de cette armée impitoyable, plus rien n’avait stoppé les élans destructeurs d’Attila.

    Cinq ans après ces événements, Attila régnait sur un vaste empire. Durant toutes ces années de terreur, il s’était forgé la réputation de l’homme le plus détesté dans toute l’Europe et l’Asie réunies. Au cours de cette période, il s’était enrichi grâce au tribut payé annuellement par Constantinople jusqu’à ce que Théodose II décède et que son successeur Marcien refuse de poursuivre les paiements. Après cet affront, au lieu d’attaquer Constantinople, Attila s’était tourné vers l’Occident où une intrigue à la cour impériale lui avait presque permis de devenir le souverain légitime de Rome.

    Honoria, la sœur cadette de l’empereur Valentinien III, avait été écartée du pouvoir et chassée de la cour de Ravenne, la ville d’où siégeaient les empereurs depuis quelques années déjà. En raison de ses comportements déplacés et pour protéger sa virginité, elle avait été condamnée à passer le reste de sa vie dans un couvent de Constantinople. Pour se venger, Honoria avait demandé son appui à Attila, lui dont les armées se trouvaient à proximité de la ville de Ravenne à ce moment-là. Secrètement, la belle impératrice évincée lui avait fait parvenir un anneau d’alliance en or pur en guise de dot. Sur une missive qu’elle avait réussi à joindre au colis, elle l’avait exhorté de tuer son frère et en retour, avait promis de l’épouser et de partager avec lui le plus grand empire du monde. Voyant les portes du pouvoir absolu s’ouvrir devant lui, Attila avait vite acquiescé à sa demande. Cependant, les membres de l’entourage d’Honoria eurent vent de la situation et parvinrent à avertir Valentinien III. Furieux, ce dernier s’en était pris à sa sœur et le projet de mariage était tombé à l’eau. Frustré, Attila était entré dans une grande colère et, pour effacer l’insulte qu’il venait de subir, avait exigé des Romains qu’ils lui offrent la Gaule au grand complet en guise de compensation. Comme il s’y attendait, ses demandes furent rejetées du revers de la main et ainsi, à la tête de plus d’un million de guerriers en partie coalisés, Attila avait déclaré la guerre à l’empire d’Occident.

    Sa première cible fut donc la Gaule et il fit brûler les villes de Cologne, Metz et Reims. À Orléans, il combattit avec peine les troupes de Théodoric Ier, grand Jarl des Wisigoths désormais au service de Rome et du général Flavius Aetius. Ce dernier était appuyé par tous les peuples gaulois et germaniques romanisés installés sur ces terres. À l’intérieur de la ville fortifiée d’Orléans, les villageois avaient été encouragés à résister à l’envahisseur par une femme nommée Geneviève, une jeune vierge qui affirmait parler au nom de Dieu. Stimulés par cette dévotion, les villageois avaient réussi à repousser l’armée d’Attila vers un champ situé tout près de la ville de Catalaunum. Après cette bataille des plus sanglantes, qui fit des milliers de morts dans les deux camps, Attila avait préféré battre en retraite. Au printemps suivant, il avait repris les hostilités et s’était dirigé cette fois en direction de l’Italie. Après avoir rasé les villes d’Aquilée, de Padoue et de plusieurs autres sur son chemin, Attila avait guidé ses armées jusqu’aux portes de Rome.

    Devant celui que l’on surnommait maintenant « le fléau de Dieu », l’empereur d’Occident avait opté pour la négociation. Conduite par le pape Léon Ier accompagné du préfet et du consul de la ville, la délégation s’était rendue jusque devant la tente d’Attila et lui avait demandé audience. Ce dernier avait accepté, et après un entretien privé avec le pape, qu’il préférait désormais oublier, Attila avait retiré ses troupes. Sur le chemin du retour, il fut informé que Marcien, l’empereur de Constantinople, se préparait à l’attaquer par-derrière. Aussitôt arrivé sur ses terres en Pannonie et désirant divertir son peuple et lui démontrer qu’il ne craignait rien, il avait organisé ses noces et avait choisi pour épouse la plus belle fille parmi tous les clans soumis…

    — Eh bien, femme! maugréa Attila, de retour au temps présent.

    Vas-tu me faire attendre encore longtemps?

    Sans dire un mot, la jeune femme surgit de derrière l’auvent et s’avança vers son époux, entièrement nue. Subjugué par son teint de lait et sa beauté gracieuse, il tint l’émeraude au creux de son poing et l’obligea à se serrer tout contre lui. Enlacé par des caresses de plus en plus torrides, le Khan relâcha le joyau sans remarquer que la jeune femme profitait de ce moment intime pour tenter subtilement de se l’approprier. Soudain, juste avant qu’elle n’y parvienne, le bruit soudain d’une double chute à l’entrée de la tente royale mit fin aux ébats du nouveau couple.

    — Qu’est-ce que ceci? s’exclama Attila en repoussant violemment la jeune femme qui roula dans un coin et observa dans l’ombre la scène qui suivit.

    Devinant qu’un malheur venait d’arriver aux gardes chargés de sa protection, Attila dégaina son épée et se releva vivement de sa couchette. C’est alors qu’une petite sphère de cristal dégageant un gaz inodore roula jusqu’à ses pieds. L’instant suivant, il se sentit immobilisé en plein mouvement et s’aperçut alors qu’il ne pouvait plus remuer un seul muscle. Dès que le gaz se fut dissipé, le vieil ermite pénétra dans la tente royale.

    — Je vous salue, Attila le roi des Huns!

    S’approchant du Khan, l’ermite se saisit de l’émeraude en faisant éclater d’un simple geste la chaîne qui la retenait au cou d’Attila.

    — Vous? Quelle est la raison de cette intrusion? s’écria Attila.

    — Inutile de tenter de vous arracher à mon sort paralysant, car votre langue est le seul muscle qu’il vous est possible de remuer pour l’instant! Tâchez de bien vous en servir! lui conseilla le vieil ermite.

    — Vous m’aviez confié le joyau autrefois afin que j’accomplisse ma destinée. Je… n’ai pas encore terminé!

    — Si!

    — Mais enfin, pourquoi me le reprendre maintenant alors que je suis si près d’écraser les deux royaumes latins? Mes armées sont toujours nombreuses et dès que j’en aurai fini avec ce Marcien, je retournerai à Rome et je…

    — Vos armées se tenaient déjà à ses portes! Que s’est-il passé pour que vous rebroussiez ainsi chemin, imbécile présomptueux? Attila encaissa l’insulte et tenta de se justifier:

    — Tout était en place pour une attaque prévue au crépuscule lorsqu’une délégation de hauts personnages franchit les portes de la ville et demanda à parlementer avec moi. Mon idée première avait été de tous les massacrer, mais l’un d’eux a demandé un entretien privé. Comme vous me l’aviez expliqué, j’escomptais sur les pouvoirs de l’émeraude pour le manipuler et conquérir la ville, mais ce dernier était doté d’une forte personnalité et le joyau n’eut aucun effet sur lui.

    — Qui était cet homme? demanda l’ermite, intrigué.

    — Le pape lui-même!

    — Que vous a-t-il dit pour vous convaincre de rebrousser chemin?

    — J’ignore comment il s’y est pris, mais pendant que j’écoutais ses propos insignifiants, j’ai eu la vision d’un formidable chevalier apparaissant derrière lui. Il était auréolé d’une lumière si vive que je dus fermer les yeux un moment pour ne pas en être aveuglé. Pendant que le chef de l’Église chrétienne poursuivait ses admonestations sans se rendre compte de rien, l’apparition couvrit sa voix et me menaça des pires tourments si je ne retirais pas mes troupes dans les plus brefs délais. Pris de frayeur, j’ai finalement plié aux demandes des Romains. Le lendemain, sur la route du retour, je repris mes esprits et me rendis compte que l’on m’avait fort probablement ensorcelé. Furieux, j’ordonnai que l’on fasse demi-tour, mais au même instant, mes ministres m’avertirent que l’empereur d’Orient enfonçait mes frontières. Il était trop tard pour revenir sur mes pas et attaquer Rome, car je me devais de sauver ma propre patrie…

    — Votre patrie m’importe peu! l’interrompit l’ermite. Ce pape dont vous parlez est probablement l’un de ces maudits prophètes en contact direct avec l’un des membres de l’Armée céleste!

    — Des prophètes? Mais qui sont-ils au juste? demanda Attila, qui, malgré sa fâcheuse position, était intrigué par toute cette histoire.

    — Ce sont des hommes dotés de grande sagesse, choisis par le Grand Architecte de l’Univers!

    — Qui?

    — Oubliez ça! Ce qui importe, c’est que nous tenions enfin notre ennemi et que par votre faute, il s’est encore échappé pour filer vers le nord, probablement pour se réfugier vers le dernier bastion de cet empire déchu.

    — Mais de qui parlez-vous? Qui êtes-vous réellement?

    L’ermite retira sa capuche et dans une révérence toute théâtrale, se présenta:

    — Je me nomme Malaric. Bien que cela me désole, sachez que je ne suis qu’un homme au service d’Elrik, fils légitime et héritier de Sathanaël, jadis le Seigneur de ce monde. Celui que nous poursuivons est un puissant démon qui se nomme Astaroth, l’un des sept Barons du Chaos. Autrefois, mon maître s’est vu dans l’obligation de le neutraliser, lui ainsi que ses frères, mais par un procédé qui nous échappe encore, il réussit l’impensable et se réfugia derrière les armées de Rome. Depuis, nous ne cessons de le traquer. Mais nos nombreuses tentatives furent toutes infructueuses jusqu’à présent, car changeant continuellement d’identité, il ne cesse de glisser entre les doigts de nos exécutants chargés de le capturer. Cette fois était la bonne, car il était pris en souricière. Sans votre erreur impardonnable, nous l’aurions enfin neutralisé!

    Attila examina en détail la physionomie de cet homme étrange qui tenait des propos dignes d’un fou. Maigre et rabougri, la cinquantaine avancée, il portait une longue barbe grisâtre et malpropre. Hormis sur le dessus de son crâne, complètement chauve, il avait de longs cheveux crasseux qui lui descendaient jusqu’au bas des épaules. L’aspect général en était assez repoussant, surtout lorsqu’il fixait son interlocuteur de ses énormes yeux globuleux.

    — Mais qu’est-ce qui vous fait croire que ce… Astaroth se trouvait bien à Rome s’il peut changer d’identité comme vous l’affirmez? demanda Attila, incrédule.

    — Nous savons qu’il fait régulièrement la navette entre Rome et Ravenne, la demeure des empereurs, et malgré la présence de ce pape hors de l’ordinaire, mon maître a décelé sa présence dans la capitale.

    — Vous vous êtes servis de moi comme d’un simple pantin! Pourquoi?

    — Depuis toujours, les clans germains ne cessent de se quereller entre eux et, suite à la mort d’Hermann le Chérusque, nul homme possédant le charisme nécessaire pour tous les unir à une même cause ne s’était présenté à nous! Jusqu’à ce qu’une menace commune les force à le faire! Avec l’aide de l’émeraude, vous étiez le seul pouvant accomplir un tel exploit.

    — Mais lequel?

    — Celui de forcer les clans germains à quitter leurs terres pour ensuite les inciter à défoncer les frontières occidentales! Avec moi comme conseiller, vous auriez régné sur le monde…

    — Comment cela? Vous oubliez l’empereur de Constantinople!

    — Rome est le point central de l’empire. Si elle était tombée comme prévu, tout l’Empire romain se serait effondré comme un château de cartes pour faire place à celui des Huns! Du même coup, notre ennemi pris ainsi dans la tourmente, cela nous aurait permis de lui mettre le grappin dessus. Hélas, à cause de votre couardise, vous avez permis à Astaroth de fuir tout en laissant l’empire aux mains de ces Barbares germains sans cervelle.

    — Je ne comprends rien à toutes ces histoires, mais si vous désirez ma mort, faites-le promptement! tonna Attila.

    — Votre mort? Assurément elle viendra, mais ce ne sera pas de ma main, car dans sa grande mansuétude, mon maître désire seulement que je lui ramène son joyau. Malgré votre comportement lamentable, votre contribution ne fut pas totalement sans intérêt et de toute façon, votre âme est suffisamment pervertie pour vous assurer une place de choix au sein des armées des ténèbres. Alors, tâchez de bien en profiter d’ici là! conseilla l’ermite avant de s’en retourner par où il était venu.

    — Non! Je retire ce que j’ai dit… Laissez-moi la chance de poursuivre mon œuvre! Je retrouverai cet Astaroth et le tuerai pour vous si tel est votre désir!

    Les appels d’Attila restèrent sans réponse. Mais comme promis par Malaric, il émergea tranquillement de sa paralysie. Pouvant maintenant pivoter la tête, il vit Ildico sortir de sa cachette. La jeune épouse se dirigea droit vers la sortie, regarda au-dehors un moment avant de revenir vers lui, le visage orné d’un sourire compatissant. Attila remarqua cependant un léger changement dans son regard quand elle approcha ses lèvres sensuelles pour lui susurrer à l’oreille d’une voix mielleuse:

    — Mon pauvre époux, comme tu dois être las de te tenir ainsi! Laisse-moi t’aider à t’allonger…

    Par une poussée hors du commun, Attila, toujours presque entièrement paralysé, s’effondra de tout son long et se percuta la tête sur la terre durcie. Pendant un instant, il crut que la jeune femme désirait se venger de lui, mais à sa grande stupéfaction, cette dernière poursuivit d’un ton doucereux:

    — Ainsi, le joyau que tu portais au cou était bien celui que je recherchais… Dire qu’il m’en a fallu de peu pour que je mette enfin la main dessus!

    Cette fois, c’est avec stupeur que le roi des Huns regarda la jeune femme. Il sentit la sueur couler sur son front et une peur incontrôlable le saisit subitement aux tripes. Tous ses sens de guerrier l’avertissaient que désormais, sa vie ne tenait plus qu’à un fil. Tenant toujours son épée dans sa main droite, il commençait à sentir son sang circuler de nouveau au niveau de son bras et souhaita que le temps ne joue pas contre lui.

    — Ildico… je suis désolé!

    — Désolé? Certainement pas! Sache que l’émeraude de Sathanaël n’a aucun effet sur moi et que ce mariage bidon n’était qu’une mise en scène afin que je puisse m’en emparer. Sache qu’il n’y a pas qu’Astaroth qui ait réussi à s’évader de sa prison. Regardemoi, mortel. Admire dans toute sa splendeur Lilith, la puissante Baronne du Chaos!

    Impuissant, Attila ne put qu’assister au spectacle insolite qui se déroula sous ses yeux. Tel un pantin dont on aurait coupé les cordes, Ildico s’affaissa au sol. S’extirpant de ce corps inerte, surgit une ombre d’un violet foncé, presque noir. La substance éthérée prit forme et se métamorphosa graduellement en une superbe femme bien en chair. Sa beauté ténébreuse n’avait pas d’égale et même la blonde germaine étendue à ses pieds parut comme un bijou sans éclat. Le peu de vêtements qui couvraient sa nudité était d’une couleur indéfinissable et sa peau très pâle, presque translucide, contrastait étrangement d’avec ses cheveux aussi noirs que le plumage d’un corbeau. Elle avait le port d’une reine, mais dans ses yeux d’une profondeur abyssale, on pouvait y lire la mort. L’impressionnante créature de la nuit se pencha près d’Attila et tel un serpent jouant avec sa proie, elle ajouta:

    — Maintenant, je dois te quitter mon époux, je dois retourner sur mon île! Toutefois, avant de partir, laisse-moi te donner un tendre baiser d’adieu.

    Animée d’une force incroyable, elle écrasa presque le visage d’Attila entre ses deux mains munies de griffes acérées et apposa ses lèvres noires sur celles du monarque. Attila sentit que sa paralysie s’était complètement estompée et se prépara à transpercer de sa lame cette créature de l’enfer. Ce fut trop tard, car toujours uni à la démone par ce baiser torride, un liquide chaud et amer s’infiltra insidieusement dans sa gorge pour se faufiler rapidement jusque dans ses poumons. Paniqué comme un homme sur le point de se noyer, il tenta de se défaire de l’étreinte mortelle de la Baronne. Mais Lilith ne desserra pas sa prise pour autant. Sombrant graduellement dans le néant, il vit la créature se transformer à nouveau. Cette fois, ce fut en un horrible monstre muni de trois rangées de crocs, éclatant d’un rire sinistre.

    Le lendemain, les deux gardes revinrent de leur évanouissement, atteint de cécité complète. L’alerte fut donnée et Ildico fut découverte aux pieds du corps inerte de son époux couvert de sang. La pauvre femme paraissait se trouver dans un état second, car baignant dans son urine et pleurant comme un nourrisson, elle semblait ignorer ce qui se passait autour d’elle. Après examen, les médecins de la cour conclurent que le roi était mort durant la nuit d’une hémorragie interne causée par un empoisonnement. La jeune veuve, déclarée folle à lier, fut jugée et périt la tête tranchée par le bourreau. Des funérailles royales furent organisées et Attila le roi des Huns fut mis en terre dans un lieu gardé secret. On déposa sa dépouille à l’intérieur d’un triple cercueil d’or, d’argent et de fer et les esclaves chargés d’accomplir cette tâche furent retrouvés morts quelques heures plus tard. Jamais l’emplacement exact de sa tombe ne fut découvert.

    La mort d’Attila, le « fléau de Dieu », annonça la fin de l’Empire hunnique, car sa succession dégénéra en conflits sanglants. Odoacre, l’un de ses ministres, prit la tête des Hérules, un clan germanique, et fut responsable de la chute finale de l’Empire romain d’Occident lorsqu’à Ravenne il vainquit le dernier empereur, Flavius Romulus Augustus. Avec l’accord du sénat maintenu en poste, il offrit ensuite son allégeance à Zénon, l’empereur d’Orient toujours bien protégé derrière ses hautes murailles de Constantinople et rival d’Augustus. Ce fut le début du règne des Barbares en sol romain et de l’Âge des ténèbres. Rapidement, les clans germains tels que les Francs, les Lombards, les Ostrogoths, les Wisigoths et bien d’autres encore, venant du Danemark, de la Norvège et même de la Suède, devinrent ainsi les maîtres incontestés de toute l’Europe occidentale.

    CHAPITRE II

    LE TRÉSOR D’ARHUBA

    Afrique de l’Ouest. An 495.

    Un soleil radieux s’était levé sur le continent noir et ses rayons ardents éclairaient depuis deux heures déjà le petit village construit au centre d’une clairière située en plein cœur de la jungle, à deux heures de marche de la côte atlantique. Comme tous les matins, les membres de la tribu s’étaient éveillés aux doux chants des milliers d’oiseaux et des cris des petits singes qui peuplaient la cime des grands arbres environnants. Tous vaquaient maintenant à leurs occupations quotidiennes lorsque Buma, le chasseur personnel du roi, revint vers le village avec le fruit de son labeur sur l’épaule: une bonne cuisse d’antilope. Contrairement à ses compatriotes, le jeune garçon âgé d’une douzaine d’années s’était levé un peu avant l’aube, avait pris ses lances et s’était enfoncé dans la jungle en quête de gibier. Alors qu’il ne se trouvait qu’à quelques pas de l’enceinte du village, il prit conscience d’une chose curieuse et tous ses sens s’alarmèrent d’un coup. S’arrêtant net, il tendit l’oreille et remarqua que les bruits familiers de la jungle s’étaient tus d’un coup, comme si le temps s’était brusquement arrêté. Cela n’annonçait rien de bon et, paniqué, il accéléra le pas. Ses pires craintes se confirmèrent lorsqu’une nuée d’oiseaux surgit du sommet des arbres pour s’envoler vers les cieux. Au même moment retentirent les premiers hurlements poussés par les femmes du clan. Laissant choir au sol le déjeuner du roi, il courut à toute vitesse et, arrivé sur place, se cacha parmi les fougères qui poussaient autour du village. Avec horreur, le jeune chasseur constata la présence d’une vingtaine d’impressionnants guerriers barbus à la longue tignasse couleur de paille et portant de lourdes armures malgré l’humidité oppressante. S’exprimant dans un dialecte inconnu à l’accent brutal et guttural, les intrus défonçaient les portes des frêles huttes de bois à l’aide de leurs lourdes haches et pénétraient en force à l’intérieur pour éjecter sans ménagement les occupants qui s’y trouvaient. Les hommes et les femmes d’âge moyen furent regroupés dans un coin et liés solidement deux par deux, tandis que vieillards, infirmes et enfants en bas âge étaient réunis à l’entrée du village. Sitôt fait, quatre guerriers levèrent leurs lames d’acier et éliminèrent sans sourciller ces pauvres innocents. Effrayé comme jamais auparavant, Buma ne put qu’assister impuissant à ce massacre. Il sortit toutefois de son hébétude lorsqu’il entendit sa propre mère hurler à s’en fendre l’âme. Regardant dans la même direction qu’elle, il vit Tabi, sa jeune sœur de quatre ans, se faire brutaliser par l’un des guerriers qui venait de dénicher sa cachette et s’apprêtait à commettre l’irréparable. Les yeux baignant dans l’eau et la rage au cœur, il émergea des fourrés et, pointant l’une de ses lances devant lui, s’élança aveuglément vers l’agresseur. Hélas, l’énorme guerrier le vit charger à la dernière minute et à l’aide de son épée tranchante comme un rasoir coupa la frêle arme de bois en deux sans résistance aucune. Sous l’effet du choc, le jeune garçon chuta au sol, mais sa diversion permit à Tabi de fuir dans la jungle, là où aucun de ces Barbares n’osa la suivre.

    — Ha! ha! ha! Mais que comptais-tu faire avec cette branche, petit noiraud? se moqua le grand guerrier. Tu as mérité que je t’égorge pour avoir osé t’attaquer à moi et permis à cette sale gamine de s’enfuir… Attends un peu, tu vas goûter au tranchant de ma hache!

    Mais le rustre fut stoppé dans son élan quand une voix forte et autoritaire s’exclama avec véhémence:

    — Gothar! Cesse cette folie à l’instant!

    Malgré la grosse main que le géant blond lui avait apposée sur le visage, Buma réussit à entrevoir du coin de l’œil celui qui venait de s’écrier ainsi. Bien sûr, il n’avait saisi aucune parole de ce dialecte étranger, mais à l’intonation de ce ton chargé de reproches, il sentit que le dernier arrivant n’était pas très heureux du déroulement de l’opération. Le dénommé Gothar desserra sa prise et le jeune chasseur en profita pour lui donner un solide coup de pied au tibia avant de s’éclipser pour aller rejoindre Tabi dans les sous-bois. Sa jeune sœur accrochée à son cou, il grimpa se mettre en sécurité dans les hauteurs d’un grand sipo. Du haut de son perchoir, Buma remarqua que l’arrivée fortuite de cet individu avait aussi arrêté net deux guerriers s’apprêtant à forcer la porte de la hutte royale, un bâtiment plus imposant situé au centre du village et entouré par les cabanes basses. Un simple coup d’œil permettait de comprendre qu’il était bien le chef de cette bande d’assassins. Comme ses guerriers, il était grand, les épaules larges et bardées d’acier. L’énorme casque à corne à l’aspect repoussant qu’il portait ainsi que deux longues tresses façonnées dans sa barbe, aussi blonde que ses cheveux, le distinguaient clairement des autres assaillants. Escorté de quatre soudards à l’aspect patibulaire ainsi que d’un curieux petit homme bedonnant vêtu d’une tunique brune et portant une petite croix en argent autour du cou, le chef s’adressa au reste de ses troupes avec fureur:

    — Mais qu’est-ce que vous foutez, nom de…

    — Tut tut… Monseigneur, n’oubliez pas que vous avez promis de ne plus jurer! le coupa l’homme à la croix d’argent.

    — Malgré tout le respect que j’ai pour vous, mon Père, restez à l’écart de ceci!

    Le chef s’avança devant le dénommé Gothar.

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1