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Magie à Fermont
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Livre électronique377 pages4 heures

Magie à Fermont

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À propos de ce livre électronique

Pour que Roxanne Martin accepte un emploi de commis de bibliothèque à Fermont, c’est qu’elle n’a plus rien à perdre, sauf sa colère et un cœur meurtri. Quoi de mieux que de se plonger dans l’inconnu pour guérir et se réinventer! Or, cette nouvelle étape débute en dents de scie et elle ne tarde pas à ressentir l’envie de repartir, mais pour aller où? Et puis, il y a Randy McConnor. Ce travailleur de mine a quelque chose de magnétique. À commencer par son regard! Si l’ombre qui l’entoure est attirante, elle complique aussi les choses pour ce célibataire qui a pour habitude de fuir. Mais quand Randy rencontre Roxanne, une petite étincelle surgit. Deux êtres peuvent-ils se reconstruire ensemble? Ce n’est pas certain. Sauf, peut-être, si un chat perdu et un père Noël s’en mêlent. Il faut savoir qu’à Fermont, en décembre, il n’y a pas que le froid et la neige. Il y a aussi des collègues au grand cœur, des étoiles filantes, et… de la magie.
LangueFrançais
ÉditeurHugo Québec
Date de sortie24 oct. 2025
ISBN9782925386483
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    Aperçu du livre

    Magie à Fermont - Jo Bessett

    Chapitre 1

    Arrivée

    Lundi 2 décembre

    Neige intermittente

    Min. -18, max. -14

    – Désolée… Pardon.

    Le jeune homme aux cheveux longs assis devant moi ne réagit pas lorsque je heurte l’arrière de son crâne en me levant de mon siège. Le nez plongé dans l’écran de son téléphone, il demeure à sa place alors que tous les passagers s’empressent.

    Pour ma part, j’ai hâte de sortir d’ici ! Depuis le décollage, je me retiens de vomir. Vivement de l’air frais. Si l’on m’avait dit que le vol aurait été si mouvementé, j’aurais repoussé mon arrivée. J’ai le mal des transports depuis que je suis toute petite. En voiture, en bateau, en train ou en avion, c’est pareil. Ce qui fait de moi une sédentaire forcée. Qui veut passer son temps avec la nausée, hein ?

    Le plus dommage, c’est qu’avec tous ces nuages, je n’ai pas pu admirer le paysage. Moi qui attendais avec impatience de voir le fameux mur de Fermont du haut des airs, j’ai dû me contenter d’une purée de pois. J’aurai peut-être plus de chance lors de mon vol de mon retour, lequel pourrait bien survenir plus vite que prévu ! J’ai regardé la météo avant de me rendre à l’aéroport, et j’en ai eu des sueurs froides, expression tout à fait appropriée pour la région. La semaine prochaine, on prévoit des températures oscillant entre -10 et -35° C, alors que nous ne sommes qu’au début décembre ! Bien que j’aie été prévenue de la chose, cela ne la rend pas moins affolante.

    Debout, je tente de prendre mon sac de voyage coincé au fond du compartiment à bagages, tout en évitant les coups de coude des passagers derrière moi qui se hâtent vers la sortie. Mon bras accroche une nouvelle fois la tête du jeune homme toujours assis, mais cette fois, je ne m’excuse pas. De toute façon, c’est à peine s’il respire. Un introverti, sans doute. Ou un membre du prestigieux club Mensa doté d’une capacité de concentration surnaturelle. Enfin, j’attrape l’objet récalcitrant et je le glisse sur mon épaule en me contorsionnant pour éviter de frapper quelqu’un d’autre, puis je remonte la fermeture éclair de mon manteau. Je saisis ensuite mon immense fourre-tout, lequel porte parfaitement son nom puisqu’il me sert à la fois de sac à main, de boîte à lunch et de kit de survie en forêt, et vérifie que j’ai bien mon téléphone, avant de passer mon bagage en bandoulière sur l’autre épaule. Enfin, j’enfile mes gants et me glisse dans la file.

    Et si ce temps polaire est trop intense pour mon corps frileux ? Et si les gens ne me plaisent pas ? Ou si, au contraire, ils me plaisent, mais qu’eux ne m’aiment pas ? Et si ça ne changeait rien du tout que je sois venue jusqu’ici ?

    Pendant que je rumine, mes jambes suivent le mouvement. Il n’y a plus que deux personnes devant la porte ouverte sur ma nouvelle vie et une petite bourrasque vient balayer mon visage, me donnant un avant-goût de ce qui m’attend. Enfin, c’est à mon tour de descendre les quelques marches qui mènent au tarmac et c’est là que le vent du nord me frappe de plein fouet. Un vent cinglant, glacial et inhospitalier. Bon sang ! La seule chose qui m’empêche de faire demi-tour immédiatement est mon orgueil.

    Voilà. Je suis à Fermont. À plus de 1 400 kilomètres de chez moi. Entourée d’environ 2 500 inconnus. Je remarque seulement maintenant qu’une fine neige tombe du ciel, formant un voile devant mes yeux. Je comprends mieux pourquoi le pilote a eu du mal à se poser. J’ai peut-être évité la mort sans le savoir.

    Mais je suis toujours vivante et déjà gelée, cinq secondes à peine après ma sortie de l’avion. Ça promet pour la suite !

    Le bâtiment de l’aéroport n’est pas très grand, mais au moins il y fait chaud. Les autres passagers semblent bien connaître l’endroit. La plupart sont des hommes, mais il y a aussi quelques femmes. Je suis le groupe jusqu’à l’aire d’attente des bagages, puis je fais un saut aux toilettes pour me rafraîchir. À mon retour, j’aperçois le jeune homme aux longs cheveux. Sans surprise, ce dernier a le nez sur son téléphone. Je tire le mien de ma poche et vérifie pour la énième fois l’adresse et le nom de la personne qui m’hébergera pour le mois : monsieur Roy-Desjardins. J’aurais préféré une femme, mais bon, c’est temporaire, à ce qu’on m’a dit.

    Je soupire en croisant les doigts pour que tout se passe bien. Un taxi et mes valises, c’est tout ce que je demande. Au bout d’une quinzaine de minutes pendant lesquelles je perds mon temps sur les réseaux sociaux, les bagages commencent à défiler et, une à une, la trentaine de personnes qui ont fait le vol avec moi quittent l’aire d’attente. Quand le dernier voyageur m’abandonne à mon sort, je me prends à fixer désespérément le tapis vide, toute mon énergie concentrée dans mon regard, comme si la force de ma volonté à elle seule allait faire apparaître mes précieux biens. Mais le mécanisme s’arrête, tuant du même coup mes espoirs de posséder un pouvoir surnaturel. Et merde ! Je ne peux pas croire que ça m’arrive.

    Je me dirige vers l’unique guichet en service où une femme brune dans la quarantaine relève la tête.

    – Je peux vous aider ?

    Je décèle un léger accent anglophone dans sa voix.

    – Oui, s’il vous plaît. Mes bagages ne sont toujours pas là. Comme le tapis vient de s’arrêter, je me demandais…

    La femme qui, selon son badge, s’appelle Delia, me coupe la parole :

    – Si vous ne les avez pas, c’est qu’on ne les a pas non plus. Ils sont probablement dans un autre avion, ou alors, toujours à votre point de départ.

    Elle ajoute en grimaçant :

    – C’est la troisième fois ce mois-ci.

    – Que… Quoi ? Vous avez perdu mes bagages ?

    – Voilà ce qu’il faut faire. Je vais remplir ce formulaire avec vous…

    Delia se penche pour fouiller dans ce que j’imagine être un tiroir rempli de dossiers, puis se redresse, une feuille à la main, tout en poursuivant ses explications :

    – … et une fois que ce sera fait, je le ferai suivre à mon collègue qui s’occupera des recherches. On va les retrouver, ne vous inquiétez pas.

    Je répète, n’y croyant toujours pas :

    – Vous avez perdu mes affaires ?

    La femme fait un geste qui se veut rassurant.

    – Oui, mais ne vous en faites pas, répète-t-elle. Nous les retrouvons toujours ! Ça peut prendre quelques jours, peut-être une semaine, mais vous les aurez.

    – Une semaine ?

    Je gémis, le cœur à nouveau au bord des lèvres.

    – Mais… Je n’ai rien ici. Je suis venue pour un emploi. Qu’est-ce que je vais faire ?

    C’est une catastrophe. Dans mon sac de voyage, j’ai à peine de quoi survivre une journée. Mon fourre-tout comprend bien des choses, dont une petite culotte de rechange et une paire de bas Thermo, mais rien pour tenir quelques jours alors que je débute un nouveau poste dans une ville de glace. Seigneur Dieu ! Pourquoi est-ce que ça m’arrive maintenant ? Encore une fois, mon mauvais karma se confirme. S’il y a la moindre chance que quelque chose tourne mal, ça va se produire à coup sûr. Un mélange d’exaspération et de colère obscurcit mon cerveau, imposant à mon corps des tics nerveux familiers : ma main s’ouvre et se referme dans le vide tandis que je cligne des yeux sans pouvoir m’arrêter.

    À ma grande honte, je sens des larmes gonfler mes paupières. Je voudrais être téléportée loin d’ici. Immédiatement. J’entends vaguement l’employée prononcer des paroles rassurantes quand une main effleure mon épaule, me faisant sursauter. Je me retourne d’un bloc et j’écarquille les yeux de surprise en découvrant le jeune homme aux cheveux longs.

    – Roxanne Martin ? demande-t-il.

    Il me faut deux ou trois secondes pour réagir :

    – Je… Oui ?

    Comment se fait-il que cette personne connaisse mon nom ?

    – Je viens vous chercher.

    Interloquée, je fixe le visage aux traits délicats qui se trouve face à moi.

    – Pardon ?

    – Oui. Je suis Hugo. Vous allez rester chez moi.

    Je secoue la tête.

    – Vous faites erreur. Un taxi doit m’attendre pour aller chez un certain monsieur Roy-Desjardins. Vous… Vous étiez dans l’avion…

    – C’est moi, me coupe-t-il. Le taxi est arrivé. Et tu peux me dire « tu ».

    – Vous, tu…

    Je nage dans l’incompréhension. Ce jeune homme me semble un peu trop jeune pour que je le suive. Et un peu bizarre.

    Les lèvres du dénommé Hugo s’étirent, mais je ne pense pas qu’on puisse qualifier ce mouvement de sourire. Nonchalamment, il enfouit une main dans sa poche arrière et en retire un portefeuille. Après quelques secondes de recherche, il finit par me tendre son permis de conduire.

    – Tiens.

    Je saisis la carte et lis : Hugo Roy-Desjardins. Zut. C’est bien le nom qu’on m’a donné.

    – Mais… pourquoi vous… tu étais dans l’avion ?

    – Je reviens de chez ma mère qui vit à Montréal, m’explique-t-il en évitant de me regarder.

    Puis ses yeux m’effleurent brièvement.

    – J’ai bien pensé que c’était toi quand je t’ai vue près du tapis roulant. Je t’attendais dehors. Viens, on doit y aller.

    – C’est que… mes bagages sont perdus. Je dois remplir un formulaire.

    – Ah. OK. Rejoins-moi après, alors.

    Surtout, ne sois pas désolé pour moi, pesté-je intérieurement.

    Il tourne les talons, me laissant désemparée, inquiète et démunie au plus haut point. Ressaisis-toi, Rox. Ça va s’arranger. Je respire un bon coup et me tourne vers Delia qui me tend un crayon.

    – Voilà. J’ai inscrit le numéro de vol, la compagnie, l’heure et tout ce qu’il faut. Il ne reste qu’à indiquer vos coordonnées et le nombre de bagages perdus en précisant s’ils sont identifiés à votre nom.

    Elle fait glisser ses lunettes sur le bout de son nez.

    – Ils le sont ?

    – Identifiés ? Bien sûr.

    – Parfait. Quand c’est fait, signez au bas de la page.

    Je prends le crayon et m’attelle à la tâche. Quand j’ai terminé, je révise les informations en m’assurant d’avoir correctement indiqué le numéro de téléphone pour me joindre.

    – C’est bon, dis-je en repoussant le papier dans sa direction. Vous pouvez me dire qui appeler pour faire un suivi ?

    Delia ouvre un étui devant elle et en sort une carte.

    – Voilà. Ici, vous avez le numéro général de l’aéroport et plus bas, celui du poste. Tout va bien se passer. Je numérise le formulaire et je l’envoie.

    Je prends la carte et la glisse dans ma poche avant de remercier Delia. J’imagine que je vais devoir me procurer quelques trucs pour survivre d’ici le miracle annoncé. Heureusement, j’ai un peu d’argent de côté grâce à la vente de la maison que je partageais avec mon ex. Les larmes menacent de couler à nouveau, comme chaque fois que j’évoque ma récente séparation. Mais ce sont des larmes de frustration, cette fois.

    – Ça va aller ? me demande gentiment la préposée.

    – Je suppose, oui.

    Dehors, je vois tout de suite le taxi dans lequel se trouve Hugo Roy-Desjardins. Il est assis sur le siège passager. J’ouvre la portière arrière pour me glisser sur la banquette, épuisée. Le conducteur démarre sans attendre, déjà au fait de notre destination. La neige s’est calmée et je laisse mon regard dériver sur le paysage sauvage qui m’entoure.

    – Hugo ?

    – Hum… ?

    – Je dois acheter certaines choses, on peut s’arrêter quelque part ?

    – J’habite à côté du mur, tu pourras y aller à pied. Il y a des commerces là-bas. Et la piscine, les écoles, l’aréna, l’hôtel de ville, la Coop alimentaire…

    Je l’interromps.

    – Je sais ce qu’est le mur et ce qu’il contient. J’ai fait quelques recherches avant de prendre la décision de venir ici.

    – Super, dit laconiquement Hugo.

    Le silence se réinstalle et ma petite voix m’informe que je suis à deux doigts de sombrer dans l’apitoiement. Je dois me distraire, avant que ça ne tourne mal.

    – Il faut combien de temps pour arriver à Fermont ?

    – Une demi-heure.

    – On est sur la route du Labrador ?

    – Oui. La 500 devient la 389.

    – Pardon ?

    – C’est les numéros de route.

    J’ai envie de lui répondre qu’il est lui-même tout un numéro, mais je juge plus sage de changer de sujet.

    – Tu habites seul ?

    – Non. Je vis avec mon père. Mais il est à Baie-Comeau en ce moment, dans un centre de thérapie. Il est alcoolique.

    Il me dit ça sans gêne aucune, comme s’il faisait référence à un voyage d’agrément. Pourquoi Marie, la responsable des ressources humaines, ne m’a pas fourni ces détails ?

    – Il est parti pour longtemps ?

    – Six semaines, peut-être plus.

    – Et… tu as quel âge ?

    – Dix-neuf. Et toi ?

    – Vingt-six ans.

    Il ne commente pas et ne semble pas non plus se questionner sur les raisons de ma présence. Je prends les devants :

    – J’ai été embauchée comme commis à la bibliothèque.

    – Je sais.

    Évidemment.

    Dans un effort visible pour se montrer amical, il ajoute :

    – Je travaille à la bibliothèque aussi. C’est temporaire.

    – Oh ! Cool…

    – J’étudie en informatique, précise-t-il. Une formation à distance.

    Je jette un coup d’œil au chauffeur dont j’aperçois une partie du visage dans le rétroviseur. Il porte des lunettes de soleil, maintenant que le ciel se dégage, et son visage glabre ne montre aucun signe d’intérêt envers ses passagers. Il est probablement concentré sur la route et il y a de quoi faire. Je reporte mon attention sur l’extérieur et je comprends le pourquoi des verres fumés : la neige est éblouissante.

    – Il y a toujours autant de neige ?

    Hugo a un geste vague.

    – Nan. Il y en a plus que ça, d’habitude. Le réchauffement climatique.

    Je ne sais quoi répondre. Le silence plane encore pendant la minute qui suit, me donnant tout le temps de réfléchir, mais c’est justement ce que je ne veux pas faire. Néanmoins, les souvenirs des dernières semaines, voire des derniers mois, ne peuvent pas disparaître tout à fait. Ils profitent de chaque brèche pour s’engouffrer, me contraignant à me battre pour ne pas m’y complaire.

    – Pourquoi tu viens ici ?

    La question d’Hugo surgit, inattendue, mais prévisible. Je hausse les épaules, bien qu’il ne puisse pas me voir, et j’opte pour la vérité :

    – J’avais besoin de changer d’air. Je me suis séparée de mon conjoint et mon travail ne m’intéressait plus.

    Je ne dis pas qu’il n’y a plus grand-chose qui m’intéresse dans la vie.

    – Hum… commente sobrement Hugo.

    Il reprend :

    – Moi, je trouve ça cool, Fermont. Ma mère voudrait que je reste à Montréal, mais j’aime mieux être ici.

    – Ton père, il fait quoi comme travail ?

    – Mécanicien à la mine du mont Wright. Il n’y en a pas assez dans le coin, c’est pour ça qu’il a encore son emploi, j’imagine. C’est la troisième fois qu’il va en désintox.

    – Oh ! Désolée.

    – Je suis habitué. Il est correct quand il n’est pas soûl. Mais on ne s’entend pas très bien.

    Une fois de plus, je ne sais quoi dire. La candeur avec laquelle Hugo s’exprime, malgré son absence d’émotion, me touche.

    – Ta formation, elle a une spécialisation ?

    – Programmation. On dirait que t’as un accent quand tu parles.

    La transition est abrupte, mais je me ressaisis rapidement :

    – Il paraît. Je suis d’origine française. Mais je vis ici depuis que j’ai huit ans. Mon père est québécois. J’aurais cru que mon accent disparaîtrait avec le temps.

    – Hum… C’est pas trop pire.

    – Tant mieux, dis-je, supposant que sa remarque est positive.

    La conversation tombe à plat. Une bourrasque plus forte que les autres fait légèrement dévier la voiture, mais le chauffeur la redresse avec agilité. Des rangs de conifères enneigés défilent devant mes yeux. L’expression les grands espaces, quand on évoque certaines régions du Québec, prend tout son sens ici. J’essaie de me détendre, mais je n’y arrive pas. Notamment parce que je commence à avoir la nausée. J’aurais dû demander de m’asseoir à l’avant.

    Enfin, nous arrivons à l’entrée de la ville de Fermont. Mes yeux sont attirés par le revêtement rouge de la partie centrale de ce que je devine être le fameux mur-écran. Pour la première fois, j’ai des papillons dans l’estomac. Et l’intuition que quelque chose m’attend ici.

    Dans ce désert blanc et froid, isolé de tout.

    En espérant que mon karma ne fasse pas tout dérailler…

    Chapitre 2

    Prendre ses marques

    Mardi 3 décembre

    Ensoleillé et venteux

    Min. -17, max. -13

    J’ai dormi dans la chambre d’Hugo qui, lui, a passé la nuit dans celle de son père. La veille, après m’avoir fait découvrir ma nouvelle demeure provisoire ‒ une maison en rangée, petite, mais relativement propre ‒, Hugo m’a accompagnée au mur-écran. Pour se justifier, il m’a dit que je m’y perdrais facilement. Je l’ai cru. D’après ce que j’ai lu, le mur ferait plus de 1,3 kilomètre de long pour une surface totale de près de 2 323 m², sur cinq étages. De quoi se remettre au patin à roulettes !

    La maison d’Hugo se situe tout près, dans la rue du Mistral. En chemin, nous sommes passés par une venelle. J’avais vu ces drôles de ruelles sur Internet, et ça m’a fait tout drôle de réaliser que j’y étais en vrai. Il y a des décorations de Noël ici et là, et les lumières scintillantes ajoutent un cachet d’exotisme à l’endroit.

    Enfin, nous sommes entrés dans le mur par la porte extérieure du P’tit bar, un agréable resto. La déco est au diapason de la saison avec des guirlandes blanches et des branches de sapin dans tous les coins. J’ai prévenu Hugo qu’il y avait de bonnes chances que je squatte la place vu mes piètres talents en cuisine et que s’il avait à me chercher un jour, le P’tit bar serait le premier endroit où venir ! Pour la première fois, il a ri.

    Nous avons commandé une pizza en précisant que nous allions repasser dans une vingtaine de minutes. Puis Hugo m’a guidée vers le centre commercial, un vaste espace sur deux étages. Mes recherches m’avaient déjà informée qu’on retrouvait ici la plupart des commerces et activités de la ville. Ce qui fait en sorte qu’une personne peut y vivre sans jamais en sortir, c’est quand même incroyable ! Car, oui, il y a même des logements là-dedans. J’ai trouvé ça génial, même si Hugo m’a appris qu’il y avait peu de chance que j’y habite, car ces appartements sont pour la plupart réservés aux travailleurs de la mine.

    À la boutique de vêtements, j’ai acheté un chemisier blanc, un chandail en tricot vert et un blouson en similicuir un peu cher, mais auquel je n’ai pu résister. J’ai aussi pris des chaussettes pour porter avec les chaussures plates qui se trouvent dans mon sac. Par chance, j’y avais rangé, en plus des sous-vêtements, un pantalon sport, un t-shirt et un pull à col roulé. Mais ce n’est pas ça qui allait me consoler. J’ai payé la facture en sourcillant et en me promettant de harceler sans répit cette Delia, s’il le fallait, pour récupérer mes bagages au plus sacrant, comme aurait dit mon ex.

    Couchée dans le lit d’Hugo, les yeux grands ouverts dans l’aube matinale, je sens l’inquiétude me gagner. J’ai mal dormi après ma journée chargée de la veille : deux heures de bus pour me rendre à l’aéroport de Montréal et près de trois heures d’avion, en plus du trajet jusqu’à Fermont et de la visite au mur. Tandis que je fixe le plafond à la recherche de potentielles araignées, j’essaie de m’imaginer ce qui surviendra dans les prochains jours. Au quatrième scénario, l’alarme de mon téléphone retentit, et je me lève d’un bond. Ça y est. Ça se passe maintenant. Après toutes ces semaines, j’y suis. Vêtue du t-shirt que j’ai porté pour dormir, j’enfile le pantalon sport que j’ai laissé sur le lit la veille, j’attrape mon nécessaire de toilette et je file à la salle de bain, pieds nus, en essayant de ne pas penser à ce qu’on y trouverait si on l’éclairait après l’avoir aspergée de luminol. Certainement des fluides corporels. Peut-être même du sang.

    Je lave mon visage pâle et l’enduis de crème hydratante avant de brosser mes dents. Je rassemble mon épaisse chevelure brune dans une haute queue de cheval, pour ensuite maquiller légèrement mes yeux pour accentuer leur couleur mordorée qui plaisait tant à Alex à qui je souhaite désormais des poux ou n’importe quelle maladie qui gratte. Je cherche ensuite mon gloss et me rappelle que ce dernier est dans la poche de mon manteau. Je retourne dans la chambre m’habiller de mon pull à col roulé et de mon jean noir. Je complète ma tenue avec ma nouvelle veste, puis quitte la chambre en prenant garde de ne pas faire de bruit. Hugo n’est toujours pas levé, et c’est tant mieux. Je ne me sens pas d’attaque pour une discussion, aussi brève soit-elle.

    Je passe devant la cuisine, me dirige vers le hall d’entrée. Je pourrais manger ici, puisque mon hôte m’a dit de faire comme chez moi, mais justement, j’ai plutôt l’habitude de déjeuner dans ma voiture d’un sandwich et d’un café que j’achète sur le pouce en me rendant au travail. Je vise donc le P’tit bar pour débuter ma journée. J’ai remarqué hier qu’ils ouvraient tôt et je rêve d’un café chaud et sucré. Et d’œufs au bacon.

    À la seconde où je mets le pied dehors, le Grand Nord se rappelle à moi. On dirait qu’il fait deux fois plus frisquet qu’à mon arrivée ! Ou alors, je ne suis pas assez réveillée. Mais pourquoi ils n’ont pas fait des tunnels plutôt que des rues ? Il me semble que cela s’impose, non ? Je presse le pas, les fesses déjà gelées vu la longueur inadéquate de mon manteau, mais j’ai quand même l’impression qu’une tortue avancerait plus vite que moi. Mes pieds ne cessent de se prendre dans la neige épaisse et le vent insiste pour m’arracher la capuche que je retiens à deux mains sur ma tête pour éviter des engelures aux oreilles. L’inconvénient, c’est que je risque l’amputation d’un doigt avec ces gants trop légers. Et je ne parle même pas de mon idée stupide de m’attacher les cheveux !

    Je n’y croyais pas. Ou plutôt, je croyais que ce n’était pas si mal puisque tout plein de gens vivent ici à plein temps. Tant pis pour moi.

    Enfin, je pousse la porte du restaurant-bar. La différence de température est saisissante et je me frotte les mains pour les réchauffer. Autour de moi, il y a quelques personnes attablées ici et là, et derrière le comptoir, une jeune femme aux cheveux châtains coupés au carré est en train de verser du

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