À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTRICE
Laurine Rosio, s’est longtemps définie comme lectrice compulsive avant de passer, presque par surprise, sur l’autre rive en écrivant un premier roman de style new romance : "Un Nouvel Accord". C’est avant tout une dévoreuse de mots, ceux des autres d’abord, ceux qui l’ont transportée ailleurs depuis son enfance, ceux qu’elle dévore chaque soir, et les siens maintenant, ceux dont elle espère qu’ils sauront à leur tour vous faire rêver, vous faire vibrer. Outre la littérature, elle aime les chats, le thé, les jeux de société, les discussions sans queue ni tête et flâner dans les rues de Strasbourg.
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Aperçu du livre
Dans son ombre - Laurine Rosio
1
I Walk Alone, Tarja Turunen
Je ne l’avais plus revu depuis trois ans, mais pour être honnête je n’avais pas vu grand monde durant cette période. Les rares messages que nous nous étions envoyés pendant ce laps de temps ne pouvaient pas suffire à décrire celui qu’il était devenu. Je n’avais donc aucune idée de ce à quoi m’attendre lorsque je descendrai du train, et j’occupai les deux heures de trajet à lire, mes écouteurs enfoncés dans les oreilles, pour m’empêcher de penser à ce que je faisais là. Le TGV n’était pas bondé et j’avais au moins pu profiter tranquillement du confort de la première classe. Le contrôleur avait perdu son regard soupçonneux après avoir vérifié mon billet, sitôt les portes refermées, mais ces comportements m’étaient tellement habituels que cela ne m’atteignait plus, si tant est que j’en aie un jour pris ombrage. J’avais envoyé un bref SMS pour indiquer que le train était miraculeusement à l’heure et donner le numéro de voiture, rien que du factuel, entre nous il n’y avait jamais eu de place pour les mondanités.
Plus le train avançait vers l’est plus le ciel devenait gris, et cela m’apparaissait de bon augure ; j’adorais la pluie et le calme qu’elle m’apportait, plus efficace sur moi que toutes les méthodes de méditation. Ce temps s’accordait parfaitement avec mon humeur. Je crois que c’est principalement pour cette raison que j’avais fini par m’installer à Paris. J’aimais qu’il y fasse souvent gris. Je pouvais passer des heures à regarder les gouttes tomber sur les toits, l’écho du rythme verlainien s’écoulant dans ma mémoire. Quand nous entrâmes en gare, je laissai volontiers les autres passagers se presser devant les portes, leur attaché-case ou leur valise à la main, avant de me lever à mon tour, une fois le wagon vide. J’aurais tout aussi bien pu rester assise, attendre que le train reparte ailleurs et m’emmène, n’importe où.
Et si je ne le reconnaissais pas ? Ou pire, si lui ne me reconnaissait pas ? Bien qu’il n’eût pas pris la peine de répondre à mon message, il ne me vint à aucun moment l’idée qu’il puisse ne pas être là, à m’attendre. J’étais systématiquement distraite et souvent en retard, je n’avais même pas de montre, parfois j’oubliais carrément de venir à un rendez-vous ; jusque-là il était le seul à m’avoir toujours attendue, ne s’offusquant ni de mes absences ni de mon manque flagrant de ponctualité. Posant le pied sur la première marche je retraçai rapidement en pensée ce qui m’avait conduite jusqu’à la gare de Strasbourg en ce mois de février.
Deux jours plus tôt (ne s’était-il réellement écoulé que quarante-huit heures ?) mon téléphone avait sonné, ce qui m’avait doublement étonnée car, au-delà du fait de recevoir un appel, l’appareil se trouvait à portée de main et n’était pas déchargé. Je me souvenais parfaitement avoir sursauté en voyant son nom s’afficher sur l’écran éclaté de mon vieux smartphone ; je n’avais pas entendu le timbre de sa voix depuis des lustres. Évidemment j’avais décroché aussitôt, renversant au passage mon café sur le document que j’étais en train d’annoter. Heureusement il s’agissait d’une copie — c’était l’une de mes lubies, j’avais toujours au moins deux exemplaires papiers en plus d’une version numérique de mes travaux en cours —, et j’avais écouté ce qu’il me racontait pendant que mon rythme cardiaque revenait doucement à la normale.
Nous ne nous sommes pas dit bonjour, ni demandé de nos nouvelles, il a attaqué bille en tête avant même que j’aie pu ouvrir la bouche. Apparemment il avait une grande nouvelle à m’annoncer, de celles qui se partagent de vive voix. Tout en le laissant parler, je jetais un œil vide à mon studio que je n’avais pas quitté depuis des semaines, hormis pour faire quelques courses : il y avait des papiers raturés dans tous les coins, des emballages de livraison de repas un peu partout, et il était évident que sortir et voir quelqu’un ne pourrait que me faire du bien.
Il ne parut pas vraiment surpris quand je lui dis que je pouvais me libérer sans problème dans les prochains jours et que je serai à ses côtés avant la fin de la semaine ; il n’y avait aucune autre réponse envisageable. Sur le moment je n’avais pas songé à ce qu’il voulait m’apprendre ou me demander, le son de sa voix avait suffi à me ramener à une autre époque, plus légère, et à me redonner assez d’énergie pour me mettre en mouvement. Si c’était le signe que je n’attendais plus ?
J’avais raccroché et, avant de pouvoir faire marche arrière, pris en ligne un billet (aller simple) et une réservation d’hôtel pour deux nuits. J’aviserais pour la suite. Mettre dans un sac ce qu’il restait d’habits propres dans mon armoire, et autant de livres que je pouvais, ne fut pas très long. Exception faite de quelques plantes moribondes, je ne manquerais à personne et serais sans doute de retour avant même que quiconque ne remarque mon absence. J’aurais pu partir immédiatement, mais une petite pique d’amour propre m’avait suggéré de ne réserver que pour le surlendemain ; qu’il pense que des choses importantes à régler avant mon départ m’attendaient. Je réalisai après coup que je ne lui avais posé aucune question ; il me fallait une excuse pour me reprendre en main et j’avais sauté sur l’occasion. Je n’avais pas pris de vacances depuis des années alors je pouvais bien m’offrir une escapade de quelques jours sur un coup de tête (ou un coup de fil). Mes affaires prêtes j’avais donc passé les heures suivantes à mettre de l’ordre (ou du moins à limiter le désordre) dans mes travaux en cours ; finissant ce qui pouvait l’être, envoyant ce qui était déjà terminé et mettant de côté ce que je comptais emmener avec moi. Pour me donner bonne conscience, j’arrosai même les végétaux agonisants avant de partir.
En posant le pied sur le quai, je regardai les gens s’activer tout autour de moi, courir dans un sens et dans l’autre, pressés de rejoindre leur maison, leur travail, leur famille, leurs amis. J’observais avec un détachement curieux toutes ces personnes qui avaient une vie et la conscience de faire partie de l’univers, certaines d’avoir un rôle à y jouer. Une pensée fugace me traversa : que faisais-je là exactement ? Je détestais la foule et, rien qu’à voir toutes ces personnes s’affairer autour de moi, je reconnus les signes précurseurs d’une crise de panique. Tâtonnant dans ma poche, je montai à l’aveugle le son de ma musique, comme si ne plus entendre les bruits parasites pouvait rendre le monde extérieur moins réel.
Je fermai les yeux un court instant, le temps de calmer ma respiration et de reprendre pied. Quand je les rouvris, il était devant moi et le soulagement m’envahit. Même en le croisant par hasard dans la rue, il n’y aurait eu aucun risque de ne pas le reconnaître. Il avait les cheveux plus courts qu’avant, mais à l’exception de ce détail et de sa tenue un peu trop conventionnelle, il était tel que je l’avais laissé la dernière fois, trois ans plus tôt. Ses lèvres bougèrent silencieusement un moment, jusqu’à ce que je retire mes écouteurs ; alors sa voix se déversa en moi, recouvrant d’un doux voile chaque parcelle de mon cœur. J’étais de retour à la maison.
— … je suis tellement content que tu aies pu venir aussi vite. Je peux te prendre dans mes bras ?
Et, parce qu’il avait pensé à poser la question, parce qu’il n’avait pas oublié, j’acceptai d’un léger mouvement de tête. Je me crispai alors et retins ma respiration, anticipant à l’avance l’inconfort douloureux dans lequel me mettaient toujours les contacts physiques et qui allait forcément m’envahir. Pourtant, quand ses bras se refermèrent sur moi, je ne ressentis nulle sensation désagréable, simplement son odeur familière et le sentiment d’être à ma place. Je me détendis suffisamment pour poser quelques secondes mon front contre son torse, les mains pendant bêtement de chaque côté de mon corps, jusqu’à ce qu’il desserre son étreinte. Il me détailla des pieds aux cheveux. Je voyais son sourire s’élargir au fur et à mesure de ses observations, la fossette sur sa joue gauche se creuser, et je me rappelai immédiatement la mésaventure qui l’avait causée.
— Contrairement à moi, je vois que tu n’as toujours pas fait de concession sur ton look. Ça ne m’étonne pas, on sait bien que tu es la plus forte de nous deux. Période bleue donc ?
J’étais peut-être la plus forte — il aurait certainement changé d’avis sur le sujet s’il avait eu connaissance de ma vie pendant les trente-six derniers mois — pourtant il me fallut un moment avant de saisir de quoi il parlait. Jusqu’à ce que, pour expliciter son propos, il écartât avec deux doigts la mèche qui masquait une bonne partie de mon visage.
— Ah ça ! Oui bleu… En tout cas jusqu’à la prochaine couleur. Ma coiffeuse est toujours la personne la plus importante dans ma vie. Je lui ai proposé d’emménager avec moi pour gagner du temps, mais elle a refusé.
Il rit et je réalisai alors que je venais de prononcer plus de mots en une fois que dans les six derniers mois, au moins.
— Ça te va bien, comme toujours. Tu préfères aller poser tes affaires ou on va directement boire un verre ?
« Toi non plus tu n’as pas changé, tu es toujours aussi canon, même avec cette tenue de vieux », voilà par exemple ce que je lui aurais répondu, avant. Mais, contrairement à ce qu’il voyait, je n’étais plus la même. J’avais perdu l’habitude depuis trop longtemps ; des conversations, des relations, je ne savais plus comment faire et, même en me forçant, il me faudrait quelques jours pour retrouver un minimum de réflexes sociaux. Je décidai de me laisser le temps, ou quelques grammes d’alcool, pour accélérer le processus. J’optai donc avec empressement pour sa seconde proposition.
Comme à son habitude, il attendit à peine que nous soyons posés autour d’une bière — il avait commandé pour nous deux — avant d’attaquer sans préambule.
— Tu te souviens de ce qu’on s’était promis ?
Tellement de choses que j’aurais pu en citer une dizaine sans même avoir à y réfléchir. Mais je n’eus pas besoin de faire de sélection ; il était déjà reparti sur sa lancée.
— Le jour où l’un de nous se mariait l’autre devait être son témoin. On y est ! Je vais me marier dans trois mois, alors je te le demande officiellement : veux-tu être mon témoin ?
Si cela n’avait pas été contre mes principes, j’aurais certainement recraché ma gorgée de bière. J’aurais été bien incapable de dire ce qui me choquait le plus dans sa déclaration : l’incongruité de la demande après des années sans se voir — je ne savais même pas qu’il était en couple —, le fait qu’il se raccroche encore à un vieux serment d’adolescent, la solennité de sa voix, qu’il n’ait pas voulu ou réussi à trouver quelqu’un de plus proche pour tenir ce rôle ou, pour finir, ce pincement ridicule au fond de moi. Si je voyais encore ma thérapeute, j’aurais pu l’occuper deux séances entières avec cette unique et interminable seconde.
Avant de lui répondre, une personne plus sensée aurait peut-être pris la peine de vérifier son agenda, simplement pour laisser penser qu’elle avait une vie et des obligations. Mais il me regardait si sérieusement que je n’eus pas le cœur de refuser, bien que les raisons de le faire fussent nombreuses : je ne croyais pas au mariage, je ne me voyais pas porter une robe aux allures de bonbon acidulé, je n’avais aucune envie de me faire traîner sur une piste de danse, de devoir sourire pour des photos ou réciter un discours convenu devant des inconnus. Il existait tant de motifs valables de me rétracter et un seul d’accepter, mais il l’emportait et l’emporterait toujours sur tout ; il s’agissait d’Alexis et je n’avais jamais pu lui dire non.
Je l’écoutais distraitement évoquer une sortie le soir même avec des amis et sa fiancée dont le prénom m’échappa sur le moment. Il avait l’air indéniablement heureux, ses yeux brillaient tandis qu’il évoquait des détails que je n’entendais pas. Je me demandais encore dans quelle galère je venais de m’embarquer : un mariage, son cortège d’invités, de la musique sirupeuse et des repas interminables… À cette seule évocation mon estomac se noua et je vidai mon verre d’une traite pour lutter contre l’angoisse qui n’allait pas tarder à m’assaillir. Il me fixait, la tête un peu penchée, un sourcil levé, semblant attendre une réponse qui ne venait pas.
— On en parlera tranquillement ce soir et demain, j’ai posé ma journée. Raconte-moi plutôt ce que tu deviens.
— On en est là ? Bientôt on va parler du temps qu’il fait ? Je ne vais épouser personne, répondis-je après un instant de réflexion, les seuls êtres vivants, si on veut, que je côtoie ces derniers temps ce sont mes plantes vertes ou ce qu’il en reste.
Et dans la minute qui suivit je me sentis obligée de nuancer mes propos.
— Désolée, je suis fatiguée et à cran, je dors mal en ce moment et j’ai un peu froid aussi. Je voudrais bien passer déposer mes affaires dans ma chambre, me changer et me reposer si ça ne t’ennuie pas.
— Bien sûr, excuse-moi, c’est vrai que tu as l’air crevée. Je t’accompagne, c’est à deux pas.
Je ne relevai pas son manque de tact, cela n’aurait fait que l’encourager à continuer. Nous marchâmes jusqu’à l’hôtel sans parler. Les silences entre nous n’avaient jamais été gênants et je prenais plaisir à redécouvrir ces rues que je n’avais pas parcourues depuis un moment. J’aurais peut-être dû revenir plus souvent, voire définitivement, mais je m’étais faite à ma tanière parisienne ; mon appartement minuscule était déjà bien assez vaste pour contenir mes démons et, au fond, j’aimais l’anonymat omniprésent de la capitale.
Arrivé à la réception, il ne me demanda pas s’il pouvait m’accompagner, et je ne le lui proposai pas. Je savais pertinemment qu’il ferait ce qu’il voulait sans pour autant s’offusquer si je finissais par le mettre à la porte. Nous avions toujours fonctionné ainsi. Comme deux jumeaux dizygotes, nous vivions chacun notre vie, mais nous habitions le même utérus. Dans l’ascenseur il dut évoquer des détails sur son mariage tandis que j’échafaudais des scénarios pour y échapper, même s’il était évident que je n’en ferais rien. Une fois la porte de la chambre refermée, je pris quelques affaires avant d’abandonner mon sac au milieu du chemin. Mon manteau en velours subit le même sort et mes Doc Martens volèrent à travers la pièce. Sans me préoccuper de ce qu’il faisait, je me dirigeai vers la salle de bains ; mon seul programme pour le moment était de rester sous une douche brûlante jusqu’à pouvoir me rappeler qui j’étais et ce que je faisais là. Mais quand je coupai l’eau, ma peau avait beau être écarlate, j’étais toujours congelée et perdue. Tout ce que je voulais c’était prendre un somnifère, dormir pendant deux jours sans cauchemar, et non devoir me préparer pour sortir avec des inconnus qui allaient au mieux m’ignorer toute la soirée, au pire vouloir me poser des questions. Alexis fredonnait une chanson des Doors, allongé sur le lit, ses chaussures bien alignées le long du mur.
— Tu es sûr que je dois venir ce soir ?
— Yep, j’ai besoin de ma coéquipière, ils vont tous finir par croire que mon témoin n’existe pas.
Je sortis de la salle de bains, séchant mes cheveux avec une serviette sans grand enthousiasme avant de m’asseoir à côté de lui.
— Il n’y aura personne que je connais ?
— Au mariage si certainement, mais pas ce soir. Il y a moi ça ne suffit pas ? C’est surtout des collègues et des amis de Pauline.
— Pauline ?
— Pauline. Ma fiancée. Mariage. Témoin. Tu n’as rien écouté de ce que je t’ai raconté ?
— Tu parles trop, mon cerveau a fait le tri. J’ai juste entendu que tu étais content de me voir. On sort où ?
— Juste dans un bar, pas la peine que je te donne l’heure ou l’adresse, tu vas oublier. Je passerai te prendre. Tu veux qu’on dîne ensemble avant ?
— Je n’ai pas très faim, je vais me reposer et lire un peu si tu me laisses de la place sur ce lit.
— Ça doit t’arriver souvent, dit-il en se levant et en enfilant ses chaussures.
— De quoi ?
— De ne pas avoir faim. Tu as encore maigri. Ta quincaillerie doit peser plus lourd que toi. Mais j’aime bien la grue sur ta hanche gauche, je ne l’avais jamais vue. Tu sais que normalement on ferme la porte de la salle de bains derrière soi ?
— Tu sais que tu n’étais pas obligé de regarder ? Allez file, tu m’agaces déjà. On se voit tout à l’heure.
Il se retourna une dernière fois, comme pour ajouter quelque chose, mais se contenta de me sourire avant de partir. Je lançai sans grande conviction un coussin dans sa direction, mais je savais qu’il avait raison. Je sautais souvent les repas, et quand j’en prenais c’était sur le pouce, à n’importe quelle heure. Ce n’était pas volontaire, je n’y pensais simplement pas ; je travaillais beaucoup, parfois toute la nuit pour ne pas risquer de m’endormir. Je n’avais jamais été épaisse — d’après les photos, j’avais hérité de ma mère mes yeux en amande et l’éternel physique d’une adolescente —, mais effectivement j’avais encore maigri ces dernières années : je perdais mes bagues et je devais serrer mes corsets au maximum pour qu’ils tiennent. Je ne faisais rien pour, je ne faisais rien contre, je me laissais flotter, avec une seule certitude : le courant finirait bien par me déposer quelque part.
J’avais le temps de faire une sieste ; il ne me faudrait pas longtemps pour me préparer, puisque je n’avais pas amené assez d’habits pour hésiter une éternité sur ma tenue. Je m’allongeai donc, un livre à la main, et laissai les pages m’emporter ailleurs. Je fermai les yeux et fus réveillée par des coups à la porte ; apparemment j’avais dormi plus de deux heures.
Je n’avais pas fermé à clé alors Alexis entra sans attendre ma réponse ; décidément j’avais un problème avec les portes. L’avantage quand on abrite ses propres peurs c’est qu’on ne craint plus l’extérieur. Il m’avait apporté des sushis au thon, mes préférés, prétextant qu’il valait mieux que je ne boive pas le ventre vide. Avec la certitude que dans le cas contraire il ne me lâcherait pas, je finis le plateau.
2
Rise Again, Apocalyptica & Epica
On arriva au bar les derniers, deux places nous attendaient à la grande table animée au fond de la salle : une sur un banc à côté d’une jolie blonde, que j’imaginais être sa fiancée, et l’autre en face d’elle sur une chaise. Cette dernière m’offrirait le double avantage d’éviter de déranger tout le monde pour m’installer, et de pouvoir m’éclipser quand je le voudrais. En nous voyant entrer, la jeune femme se leva, fit immédiatement un signe de la main à notre intention et les autres convives se tournèrent vers nous. Pour l’entrée discrète on pouvait malheureusement repasser ; je détestais être au centre de l’attention, ce qui était paradoxal vu qu’au quotidien je ne faisais rien pour passer inaperçue, du moins en apparence.
Je crispai les poings dans mes poches, vérifiant que mes écouteurs s’y trouvaient bien, puis pris une grande inspiration avant de suivre Alexis. J’ôtai le manteau long qui me descendait jusqu’aux chevilles et le mis en boule sur ma chaise avant de m’asseoir en soufflant un bonsoir quasi inaudible. Alexis ne me présenta pas, et était déjà embarqué dans deux discussions simultanées avant même d’avoir rejoint sa place et embrassé celle qui était donc bien sa future femme. Ce fut finalement elle qui fit le premier pas vers moi et me tendit la main en souriant :
— Tu dois être Cassandre, enchantée de faire enfin ta connaissance. Je suis Pauline et il faudra que tu me racontes absolument tout ce que tu sais sur l’énergumène qui m’a convaincue de l’épouser. Au fait, j’adore ta tenue.
Le pire c’est qu’elle avait l’air sincère. Je lui serrai la main par-dessus la table, marmonnai une réponse de rigueur et jetai par réflexe un œil sur mes vêtements. J’avais déjà oublié ce que je portais : des bas résille, une jupe écossaise et un haut large noir, rien que du classique en somme, pour moi, mais à mon avis bien loin de sa garde-robe habituelle. Le serveur arriva pour prendre les dernières commandes et je lui lançai un regard de pure reconnaissance lorsqu’il m’apporta rapidement ma pinte. Autour de moi les conversations avaient repris, tout le monde était de bonne humeur et personne ne me prêtait trop attention. C’était parfait comme ça, j’allais peut-être survivre à cette soirée et m’en sortir sans trop de dégâts.
Je commençais tout juste à me détendre, quand la question que je redoutais arriva, bien plus vite que je ne le pensais : y avait-il eu, à une époque, autre chose entre nous que de l’amitié ?
Cette question, la question, je ne savais pas qui l’avait posée. J’étais toute à la contemplation du verre que je faisais machinalement tourner entre mes mains lorsque je sentis d’un coup tous les regards converger vers moi. J’aurais pu répondre quelque chose, pourquoi pas la vérité, ou inventer n’importe quelle fable, mais le rire d’Alexis s’éleva aussitôt, si franc et sincère, que je n’en avais même plus besoin.
Malgré moi je levai les yeux vers lui et les mots qui auraient pu sortir moururent sur mes lèvres ; tout son visage était ouvert et détendu, mais il y avait dans ses pupilles cet éclat que je ne pouvais ignorer, il me demandait de ne rien dire. Je haussai imperceptiblement les épaules et retournai à l’observation de mon verre vide. Je ne connaissais la future mariée que depuis quelques minutes, je savais à qui allait mon allégeance et s’il estimait qu’il n’y avait rien à raconter ce n’était certainement pas moi qui allais le contredire. D’autant qu’il n’avait pas vraiment tort ; la simple pensée que j’aurais pu représenter une menace quelconque, que je puisse, par les souvenirs de notre passé commun, être un obstacle à son union, prêtait effectivement à rire, ou du moins à sourire. La question paraissait pourtant logique ; on avait fait les quatre cents coups ensemble et, même si l’on s’était perdus de vue depuis quelque temps, parmi toutes ses connaissances récentes et passées, c’est moi qu’il avait choisie comme témoin. Alors oui, les gens pouvaient s’interroger sur notre relation ou la légitimité de ma présence à ses côtés, et sans doute se seraient-ils posés encore plus de questions s’ils avaient su qu’au fil de toutes ces années, bien loin de se tourner autour, nous avions surtout servi de rabatteur l’un pour l’autre.
Je me souvenais de toute cette période d’adolescence avec un certain détachement, comme si j’écoutais avec bienveillance les anecdotes d’une petite cousine un brin turbulente. Il paraît que « on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans »¹, nous concernant c’était le moins que nous puissions dire. Au lycée nous étions souvent fauchés, ou alors nous nous ennuyions, ou peut-être les deux en même temps, et quand l’un de nous avait réussi à garder un peu d’argent de poche pour le week-end nous avions une manière toute personnelle de nous amuser. On chassait toujours ensemble et, une fois notre proie ferrée, elle n’avait quasiment aucune chance de nous échapper. Les scénarios différaient parfois, mais ils étaient toujours bien rodés et exécutés avec brio. Parfois j’étais sa sœur et il désespérait de trouver quelqu’un pour m’occuper afin de pouvoir passer du bon temps de son côté, d’autres fois je venais de le quitter en faisant une telle scène qu’il fallait bien que quelqu’un le console, ou encore je venais d’apprendre qu’il m’avait trompée et je voulais à mon tour le rendre jaloux, quitte à partir avec un autre juste sous ses yeux… Depuis le jour de notre rencontre nous étions passés maîtres dans l’art de jouer la comédie et il n’y avait qu’entre nous que nous jouions la carte de la sincérité, du moins dans ces années. Ces soirs-là il rangeait ses tenues de skater et s’habillait de façon plus classique que d’ordinaire ; chemise blanche et pull ajusté, les cheveux faussement sages, juste assez décoiffés pour appeler à y passer les doigts et les remettre en place.
Ce geste précis je l’ai fait des centaines de fois, et quand j’en voyais d’autres se laisser prendre au piège, je savourais ce que j’étais la seule à savoir : il lui fallait un temps infini pour obtenir ce résultat parfait, le dosage exact entre décontraction et sophistication, et il pouvait devenir dingue si au final celle qui le recoiffait ne succombait pas à ses avances (ce qui pour être honnête n’arrivait presque jamais). Quand je le regardais du coin de l’œil baisser ses longs cils en se mordant la joue, laissant transparaître son désarroi de s’être fait quitter en public par une folle furieuse, personne ne remarquait le signe qu’il me faisait sous la table au moment où celle qu’il avait choisie s’approchait enfin, pensant être à même de ramasser les morceaux de son cœur meurtri. Lorsqu’il quittait rageusement le bar, serrant les poings, tournant le dos pour ne pas me voir danser avec un autre, qui aurait deviné que c’était surtout pour masquer son sourire ?
Parfois aussi il arrivait que rien ne soit prévu, qu’on décide juste de traîner quelque part. Ces soirées étaient celles qui m’énervaient le plus car immanquablement arrivait toujours cette seconde où je devenais invisible aux yeux des filles présentes dans la salle. J’avais beau arborer des coiffures iroquoises roses ou violettes et plus de piercings qu’elles ne comptaient de bougies sur leurs gâteaux d’anniversaire, je n’existais tout simplement pas. Elles n’envisageaient jamais qu’elles puissent déranger une conversation intéressante ou que nous puissions avoir envie de rester entre nous ; d’un côté lui, son sourire ravageur et sa silhouette qu’on aurait cru tout droit sortie d’un ranch américain — un peu plus et on se serait attendu à trouver du foin accroché dans ses cheveux châtains —, et de l’autre côté… moi. Sans doute avait-il perdu un pari qui l’obligeait à passer du temps avec moi et il serait ravi qu’elles viennent le délivrer de cette compagnie indésirable. Alors elles venaient, envahissaient la table, les bancs, les tabourets, saturaient l’air de leurs parfums et de leurs cheveux vaporeux, rougissaient immanquablement quand il posait sa main sur leur cuisse tout en leur parlant d’un air innocent. Si je tendais l’oreille, je pouvais presque l’entendre ronronner de plaisir et, le plus souvent, je finissais par les laisser et m’en allais sans que quelqu’un le remarque. Pendant une seconde je les plaignais ; bientôt le chaton redeviendrait prédateur et, dans quelques heures tout au plus, elles se retrouveraient en plan, leur égo lacéré, leur assurance réduite en miette, sans personne pour lécher leurs blessures narcissiques. Puis je me rappelais ce qui venait de se passer et déjà elles ne comptaient plus ; demain on se raconterait tout parce que nous formions un microcosme, un organisme autonome, dans lequel elles n’avaient aucune existence, à peine plus que des éphémères qui venaient voleter autour de nous, attirés par sa lumière.
J’étais là, en train de repenser à tous ces épisodes, quand la réalité me frappa d’un direct si violent qu’il m’aurait renversée si je n’avais pas été assise. Il semblait ne pas avoir changé d’un iota ; il n’avait pas vieilli et, alors qu’il avait un bras autour des épaules de sa fiancée tout en parlant à tout le monde, ouvert et lumineux comme toujours, j’étais persuadée que si je me baissais j’allais voir son autre main sous la table, l’index et le majeur formant ce V qui était notre signe de ralliement. Sauf que plus rien n’était pareil et je lui en voulus d’avoir réussi à rester le même quand tout s’écroulait autour de moi. J’aurais été bien incapable de redevenir cette jeune fille et je me demandais s’il le savait seulement, s’il le regrettait, s’il en avait conscience ou si en fin de compte j’avais vraiment réussi à devenir invisible même à ses yeux.
Parce qu’il m’avait appelée, moi qui ne sortais plus de chez moi, je me retrouvais dans un bar, entourée de plus d’inconnus que je n’en avais côtoyés depuis trois ans. Parce que c’était lui, j’avais accepté d’être son témoin alors même que je n’avais plus pris la parole en public depuis mes soutenances de mémoire, qui auraient pu tout aussi bien avoir eu lieu dans une autre existence. Parce que c’était moi, j’étais à peine en mesure de savoir si je lui en voulais ou si je l’en remerciais.
Avant j’en aurais été ravie ; je lui aurais organisé un enterrement de vie de garçon mémorable. Maintenant je me sentais seulement prise au piège ; incapable de refuser, et chaque seconde à venir allait être un supplice. Je ne pouvais pas non plus lui dire ce que je ressentais sans le faire culpabiliser. Comment pouvait-il concevoir que sa meilleure amie, sa sœur, avait disparu du jour au lendemain dans un gouffre béant ? Au début j’avais lutté pour m’en sortir, mais bien vite j’avais compris que mes efforts resteraient vains. Quand mes doigts étaient encore agrippés au bord du précipice j’aurais pu l’appeler à l’aide, mais je ne l’avais pas fait, ensuite j’avais lâché prise et il avait été trop tard.
Au fil des années il m’avait vue dans toutes les situations, y compris les plus humiliantes ; j’avais pleuré sur son épaule, me mouchant sans doute même à l’occasion sur ses vêtements, il m’avait tenu les cheveux pendant que je vomissais sur ses chaussures, il avait mis de la glace sur mes bleus, des pansements sur mes plaies, il avait pris des punitions à ma place, j’avais dormi dans son lit pour qu’il veille sur moi quand j’étais trop malade, et j’en avais fait de même pour lui, tout ça et bien plus encore. Mais jamais il ne m’avait vue vraiment détruite, amoindrie au point que certains matins je ne reconnaisse plus mon reflet dans le miroir, qu’en pleine nuit je m’effraie du bruit de ma propre respiration. Même si je refusais de l’admettre, je savais très bien quand la descente aux enfers avait commencé. Par contre, je ne comprenais toujours pas pourquoi. Est-ce que depuis ma naissance j’abritais au fond de mes entrailles un compte à rebours, une bombe prête à exploser ? Est-ce qu’il était écrit quelque part que ce jour-là précisément tout devait s’écrouler ? Est-ce que j’aurais pu trouver en moi des ressources pour réagir différemment ?
Ils continuèrent à parler tandis que je m’efforçais de disparaître. De temps en temps j’observais la future madame Alexis Molvant et je voyais ce qui l’avait séduit
