La FORME D'UNE VILLE, LE CŒUR D'UNE LITTERATURE
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À propos de ce livre électronique
Ce livre suit les contours de l’urbain dans la littérature québécoise écrite par des autrices et des auteurs nés depuis les années 1970 dont les œuvres sont teintées du discours social des trois dernières décennies. Organisé autour de thèmes et de motifs particuliers – le labyrinthe, la lutte des classes, la présence animale, la fête, la mort –, cet ouvrage évoque 56 œuvres de fiction parfois célébrées, parfois moins connues. Au cours de ses déambulations romanesques, l’auteur de cet essai revient sur son rapport aux villes et sur son histoire personnelle.
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Aperçu du livre
La FORME D'UNE VILLE, LE CŒUR D'UNE LITTERATURE - Jean-François Chassay
Plonger dans les villes
fictionnelles
Aller voir Roma de Fellini à Rome. Mettre ses écouteurs pour entendre Il n’y a plus d’après chanté par Yves Montand en se promenant dans Saint-Germain-des-Prés. Visiter la Casa Fernando Pessoa à Lisbonne (et se demander, encore, pourquoi il n’y a pas de musée Charles Baudelaire à Paris). Voir le lieu où Giordano Bruno a été arrêté à Venise avant d’être traîné à Rome où il finirait sur le bûcher et traverser le temps avec le roman de Serge Filippini (L’homme incendié) pour plonger dans cette vie peu ordinaire. Marcher dans New York en écoutant l’album New York de Lou Reed et s’arrêter pile devant le Chelsea Hotel au moment où se termine « Dime Store Mystery », la quatorzième et dernière des historiettes new-yorkaises qui le composent. Tant qu’à faire, retourner à Paris pour flâner aux abords de l’hôtel où séjournaient jadis les membres de la Beat Generation, rue Gît-le-Cœur, ou de l’hôtel d’Alsace, l’établissement miteux (en 1900, du moins) où est mort Oscar Wilde, alias Sebastian Melmoth, face à un affreux papier peint. Sentir autour de soi à Prague le souffle du Golem et arpenter l’Alexander Platz à la recherche du fantôme de Franz Biberkopf… Puis revenir au Québec, voir Montréal à travers les livres de Gabrielle Roy, Réjean Ducharme et Michel Tremblay, ou Québec à travers ceux d’Anne Hébert, Roger Lemelin et Jacques Poulin. Voilà quelques suggestions de promenades urbaines qui ne se limitent pas à la surface des murs.
Les villes sont le reflet permanent d’univers imaginaires. Des miroirs déformants grâce auxquels, avec un peu d’esprit, on vit continûment en elles en dehors de la réalité immédiate. On s’y promène et on découvre qu’elles parlent d’elles-mêmes. Les murs chuchotent, racontent des histoires passées, présentes, un futur espéré ou non… « Il n’est pas dit que Kublai Khan croit à tout ce que Marco Polo lui raconte, quand il lui décrit les villes qu’il a visitées dans le cours de ses ambassades ; mais en tout cas l’empereur des Tartares continue d’écouter le jeune Vénitien avec plus de curiosité et d’attention qu’aucun de ses autres envoyés ou explorateurs¹. » Ainsi s’ouvre Les villes invisibles d’Italo Calvino. Moralité : il faut savoir parler des villes et savoir les faire parler. Elles vivent et existent grâce aux pouvoirs de ceux qui savent en énoncer la trame, par la parole ou par l’écriture.
Le romancier Stéphane Audeguy est allé loin en ce sens dans Rom@ : Rome elle-même prend la parole pour raconter sa vie et celles des hommes et des femmes qu’elle a transformées. On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Dit-elle la vérité ? Pourquoi une métropole ne saurait-elle pas mentir ? La ville se disperse et de ses venelles étroites, de ses ruelles cachées dans l’ombre surgissent des récits qui peuvent relever de la pure galéjade. Qui s’en soucie ? Rien n’importe, si ce n’est de la mettre en scène dans sa splendeur, son lustre et sa fulgurance, ou dans ses obscurités, souvent encore plus attirantes.
Le titre de ce livre fait référence à un vers célèbre de Baudelaire dans Le cygne : « […] la forme d’une ville / Change plus vite, hélas ! Que le cœur d’un mortel ». Il a été partiellement repris comme titre (La forme d’une ville) par Julien Gracq au sujet de Nantes, et avec quelques modifications (La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains) par Jacques Roubaud comme intitulé de l’un de ses plus beaux recueils. On me trouvera peut-être un brin prétentieux de m’insérer dans une telle lignée.
Les villes, imaginaires et réelles, me passionnent. Si, par exemple, je ne cesse de relire Georges Perec depuis des décennies, c’est que parmi la foule de raisons qui le justifient, il y a le fait qu’il s’agit d’un écrivain très parisien. D’ailleurs, si les travaux de l’OuLiPo m’attirent à cause de l’accent qu’ils mettent sur les contraintes ainsi que pour des raisons idéologiques (refus d’une vision de la littérature associée à l’inspiration, au « génie créateur »), je note que plusieurs de ses représentants les plus connus ont beaucoup écrit sur les villes : outre Perec, Raymond Queneau, Italo Calvino, Jacques Roubaud, Jacques Jouet, Hervé Le Tellier… Marcel Bénabou me racontait, il y a déjà plus de trente ans, que ses pieds avaient sans doute foulé chacun des pavés de Paris et vers la même époque, Noël Arnaud, lors d’un souper mémorable, m’a rapporté une foule d’anecdotes littéraires qui avaient toutes la Ville lumière comme point d’ancrage. Ce sont là des écrivains pour lesquels écriture et monde urbain sont indissociables.
Je suis allé une quinzaine de fois à New York, et au moins six fois plus à Paris. J’ai ratissé les rues de Rennes, Bordeaux, Prague, Grenoble, Rome, Venise, Londres, Brno, Vienne, Brest, Porto Alegre. Puis je suis attaché, pour le meilleur et pour le pire, à Montréal. J’aime cette ville et si je la critique souvent, c’est en étant contre, tout contre, selon la formule convenue. J’ai même jadis rédigé un mémoire de maîtrise sur le Montréal des textes de Réjean Ducharme, David Fennario et Yolande Villemaire. Mon intérêt sensible, émotionnel, intellectuel, culturel pour cette métropole remonte à loin, on le constate. Le fait d’avoir vécu mon adolescence dans une banlieue morne à la fois proche (Montréal était à côté) et lointaine (les transports en commun étaient dramatiquement limités) n’y est sans doute pas étranger.
Cela dit, ces villes que je mentionne au paragraphe précédent sont-elles comparables ? Peuvent-elles l’être ? Notre attachement ne dépend pas nécessairement de leur taille surdimensionnée ni de leur caractère spectaculaire. San José en Californie a une population trois fois supérieure à celle de Brno, deuxième ville de Tchéquie par sa population. Je suis allé une fois dans la première sans éprouver aucune envie d’y remettre les pieds, alors que je retournerais avec plaisir dans la seconde, où j’ai déjà séjourné trois ou quatre fois. Le lien que l’on noue avec un milieu urbain repose sur une foule de signes que deux personnes ne verront pas de la même façon. Je connais des gens (surtout des Français !) qui ne supportent pas Paris. Moi, je dois y aller au moins deux fois par an. Nous avons tous et toutes souffert de la pandémie de COVID-19 ; ne pas être en mesure de voir Paris a été pour moi l’un des aspects les plus déprimants de cette période. Pourquoi Paris, au juste ? On se doute bien, depuis le temps, que je ne m’y rends pas pour monter au sommet de la tour Eiffel. Parmi de fort notables et nombreuses raisons, j’aime Paris pour ses cinémas. Je vais dans cette ville pour aller au cinéma. Et pour le plaisir de marcher du VIe au Ve au Ier au XIe au XIVe au XIIIe arrondissement, d’une salle à une autre. Aimer une ville parce que l’on s’y enferme dans des salles, penseront ceux et celles qui n’apprécient guère le grand écran, n’est-ce pas une étrange manie ? C’est qu’il faut voir ce qu’englobe l’idée du cinéma. Je ne pourrais l’expliquer mieux que Régine Robin, qui se penche sur la question dans une magnifique scène de Mégapolis, dont je ne citerai ici qu’un extrait : « Ne me demandez pas ce qu’est le cinéma. Je suis le cinéma. Je suis un travelling permanent. Rien à voir avec un film vu à la télévision ou en DVD. Il faut que le cinéma donne sur un trottoir de la métropole, que le soir, en sortant, je retrouve les néons, les enseignes, la circulation trépidante, la stridence des sirènes des voitures de flics, des pompiers ou des ambulances ; le bruit si particulier du métro quand on marche sur une grille du trottoir à son passage ; celui, pétaradant, des bus. Il me faut ce tapage, la masse des bâtiments alentour. Une ville qui ne s’arrête jamais, un bistrot encore ouvert à deux heures du matin, un cinéma où la dernière séance commence à vingt-trois heures ou minuit². » On sort d’un film, d’une salle (dans cet ordre ?) et on se retrouve dans la continuité des images vues, elles accompagnent le paysage urbain.
Paris constitue une métropole culturelle au passé historique puissant. Personne n’hésiterait à affirmer qu’il s’agit d’une ville. Peut-on pour autant proposer un lien entre Paris et Le Tampon (58e ville de France par sa population) ou Melun (181e, surtout connue pour son melon, à cause d’un célèbre monologue de Fernand Raynaud, trop oublié aujourd’hui) ? Quand on veut définir une ville, de quoi parle-t-on, au fond ?
La question, en apparence banale, est presque aussi complexe que celle de savoir comment définir un roman. Si l’on comprend sans mal ce qui distingue la ville du village, ce qui l’éloigne de la campagne et de la forêt, le concept, en soi, recèle un flou artistique certain. Les dictionnaires sont utiles pour mettre à plat une définition. J’aime parfois y chercher des mots simples comme « fourchette » ou « table », des vocables que l’on ne tente jamais de définir parce qu’ils vont de soi, alors que des mots comme « ontologie » ou « épistémè » nécessitent réflexion. Pour caractériser une ville, la présentation la plus neutre ressemble à ceci : « Agglomération relativement importante et dont les habitants ont des activités professionnelles diversifiées. (Sur le plan statistique, une ville compte au moins 2 000 habitants agglomérés.) » C’est la définition du Larousse et ces deux phrases ne signifient rien, ou si peu. Wikipédia offre une description en apparence un peu plus intéressante : « Une ville – le milieu urbain – est un milieu à la fois physique et humain où se concentre une population qui organise son espace en fonction du site et de son environnement, en fonction de ses besoins et de ses activités propres et aussi de contingences, notamment socio-politiques. » Ce n’est pas faux, mais la phrase vaut aussi bien pour New York que pour Brossard. Peut-être est-il préférable de ne pas trop s’avancer.
Les ouvrages théoriques de sociologie, de géographie urbaine et d’histoire sur les villes ne manquent pas, je n’en ajouterai pas un de plus. Ce livre propose plutôt une exploration de leur représentation dans la fiction en prose contemporaine au Québec : je me pencherai sur la manière dont sont traitées Montréal et Québec, mais aussi parfois de plus petites agglomérations, ou encore des espaces urbains étrangers qui font écho, dans les textes, à leurs équivalents québécois. Le concept de « ville » sera donc une idée intuitive, abstraite si l’on veut. Un espace d’une certaine amplitude, aux frontières plus ou moins précises (relevant moins du domaine juridique que de l’imaginaire), où cohabitent beaucoup de gens et qui a une histoire considérable sur laquelle s’appuyer. On pourra regretter ce flou, mais il me paraît plus intéressant pour approcher ce concept de l’intérieur, à travers les textes.
Je propose néanmoins ceci : si l’on tient pour acquis que l’être humain et son environnement ne sont pas des entités distinctes, l’importance de la ville se trouve accrue. Bassin culturel au sens large et résiduel (les traces de la culture persistent, s’incrustent dans l’espace urbain), elle apparaît comme le lieu idéal d’un « contexte global », la mise en situation de structures organisationnelles complexes où l’on retrouve les écritures et les signes d’une société. Elle est de plus le théâtre d’une médiation entre ce qu’Henri Lefebvre, dans Le droit à la ville, nomme « l’ordre lointain » et « l’ordre proche » : celui que dictent les institutions et celui qui se crée entre les individus ou les groupes sociaux. Imaginaire et politique ne sont pas des entités séparées.
Il reste que la prolifération du tissu urbain – la présence de l’urbanité comme réalité sociale – devient de plus en plus visible dans toutes les régions. Dans ce contexte, à partir de quand peut-on dire d’une ville qu’elle devient « importante » ? William Carlos Williams, auteur du magnifique recueil de poésie Paterson, écrivait qu’il n’existe pas de lieu où il ne se passe « rien ». Quand on sait regarder, on remarque toujours des événements intéressants. Il le montre en poétisant un lieu aussi banal en apparence que Paterson, au New Jersey. L’écrivain ne se contente pas d’interpréter la ville dans laquelle il vit, il la recrée, la sublimise.
J’examinerai donc ici le cadre spatial que l’on nomme « ville » dans la littérature québécoise contemporaine et la manière dont la narration en traite. Depuis longtemps déjà, l’affirmation selon laquelle Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy marquerait l’entrée de Montréal dans la littérature québécoise ne fait plus recette. La métropole apparaissait déjà dans La terre paternelle en 1846… Il est vrai qu’elle a tardé à se manifester comme un réel personnage, mais il y a maintenant longtemps qu’elle a cessé d’être un simple décor.
Je reviens ainsi à la ville plus de trente-cinq ans après avoir publié Promenades littéraires dans Montréal avec (et grâce à) Monique LaRue. Le présent ouvrage diffère cependant de son prédécesseur. D’abord parce que, quoique très présent, Montréal ne sera pas le seul espace urbain traité, comme je l’écrivais plus haut. Ensuite, parce que depuis quarante ans, la littérature québécoise a beaucoup changé – j’y reviens plus loin. Parmi les auteurs et les autrices dont on lira le nom entre ces pages, ceux qui étaient en âge de publier quand Promenades littéraires dans Montréal est paru, en 1989, se comptent sur les doigts d’une main (mutilée). Plusieurs n’étaient d’ailleurs même pas nés. Enfin, parce qu’il ne s’agira pas de se servir de la littérature pour découvrir une ville, mais à l’inverse, de partir des textes pour voir comment ceux-ci se servent de la ville pour penser et imaginer le réel qui nous entoure.
Ce livre propose une promenade au rythme irrégulier, une flânerie à travers des textes qui seront comme autant de rues, de quartiers, de ruelles, d’espaces où évoquer, regarder, se représenter les villes. Parfois en s’arrêtant sur des scènes spectaculaires propres aux grands espaces de rassemblement, et parfois au contraire sur ce que l’on ne voit plus, mal, trop peu, cet infra-ordinaire qu’a si bien théorisé (mine de rien, car il ne se pensait pas en théoricien) Georges Perec. Des motifs, des figures émergeront ici et là.
Au début du mois de décembre 2003, je me trouvais à la Foire du livre de Guadalajara au Mexique, où la littérature québécoise était cette année-là à l’honneur. Parmi mes activités, j’ai prononcé une conférence intitulée « Vingt-huit propositions sur la littérature québécoise en ce début de siècle³ ». On m’avait demandé de brosser, en quarante-cinq minutes, un portrait de la production récente.
Alors que je rédigeais cette introduction, j’ai relu le texte qui en a été tiré. Je défendrais encore sans mal mes propos de l’époque. Pourtant, par certains côtés, ils me paraissent datés. Une littérature change en plus de vingt ans, mais à ce point ? J’affirmais lors de ma conférence que la multiplicité des titres, des maisons d’édition et donc des perspectives éditoriales ne permettait pas de proposer une lecture synthétique, homogène, de la littérature québécoise. Il a toujours été tendancieux de se livrer à cet exercice, mais certains courants se dessinaient bel et bien entre les années 1950 et 1990. En 2003, on pouvait encore suggérer des lignes de force, de la littérature migrante à l’américanité, par exemple. Je n’en vois plus de si aisément décelables, à cause de la quantité et des effets provoqués par la fragmentation du corpus.
Il n’existe évidemment pas de progrès dans la culture. Le Caravage est encore notre contemporain. Des progrès technologiques ont des effets sur les arts ; pas sur l’acuité de ce que révèlent les artistes et les écrivains. Il n’était pas ridicule pourtant, il y a peu, de parler d’une forme d’évolution dans la littérature québécoise, une évolution qui pouvait sembler relativement facile à associer aux mutations politiques et sociales. Si les narrations que génère la fiction littéraire sont indissociables du discours social, l’ensemble de la production présente une telle hétérogénéité qu’il serait illusoire de vouloir la synthétiser en deux coups de cuillère à pot. La ville est une perspective à partir de laquelle je voudrais flâner au cœur de la fiction québécoise actuelle. Être à la fois ce flâneur (un lecteur) et ce détective (un interprète) – frères ennemis, figures schizophrènes – qu’imaginait Walter Benjamin au XIXe siècle.
Si le présent ouvrage opère une lecture orientée de la fiction en prose récente – c’est-à-dire les œuvres parues grosso modo depuis le début du siècle –, il ne faut pas y voir une volonté de couper les ponts avec le passé. Parler de la fiction en prose « aujourd’hui » pourrait en effet laisser croire à une volonté d’y échapper, de jouer la rupture, sinon à un désir de déshistoricisation. Ce n’est pas le cas, et j’ajoute que plusieurs textes de ce livre s’inscrivent, par des ramifications parfois inattendues, dans une filiation avec le passé (littéraire, culturel, social, politique) et examinent notre rapport à l’Histoire aujourd’hui. En creux, on la voit poindre un peu partout.
Cela me rappelle une thèse de René Audet⁴ qui m’a toujours intéressé : il faut renverser notre rapport habituel au contemporain. Au lieu de l’approximation qui consiste à parler du « début du contemporain », proposons l’exercice inverse : le contemporain commence aujourd’hui, il s’agit de notre point de référence, et la véritable question consiste à se demander à quand il remonte. Formulons les choses autrement : à quel moment, lorsque je porte mon regard en amont, ne suis-je plus dans mon actualité, mais dans l’Histoire ? Quand nous heurtons-nous à la frontière de notre présent ? Le temps pourrait alors, selon cette perspective, prendre dans la fiction des auteurs et autrices d’aujourd’hui une coloration singulière qu’il serait intéressant d’examiner. Et ce rapport au temps invite à lire peut-être d’une manière particulière notre rapport à l’Histoire. Celle-ci se sédimente souvent au cœur des villes.
D’un point de vue culturel, chaque époque est ponctuée d’événements marquants ; il n’existe pas d’époque creuse. La bête nostalgie consiste à affirmer « qu’avant » était mieux, la forfanterie à prétendre qu’« aujourd’hui » n’a pas d’égal. Dans ces affaires, il faut plutôt parler de perspectives, de mise en contexte, sinon de goûts personnels. Notons tout de même que certaines périodes stimulantes donnent soudain l’impression que la culture agit différemment. Depuis quelques années, il existe dans la fiction en prose québécoise un renouvellement qui tient à la diversité et à l’intelligence d’auteurs et d’autrices informés, d’une culture redoutable, qui travaillent sans ressentir de contraintes – ou alors uniquement celles qu’ils et elles veulent bien se donner. Un moment particulier qui mérite que l’on s’arrête pour examiner, dans l’expression de ces voix multiples, les enjeux de la littérature actuelle.
Les textes dont je traite ont été écrits par des individus nés à partir de la décennie 1970 ou, très rarement, à la toute fin des années 1960. Les plus vieux ont donc le milieu de la cinquantaine et les plus jeunes approchent de la trentaine. C’est là une façon d’aborder des fictions récentes ou relativement récentes, que j’ai parfois analysées ailleurs et autrement, et de marquer mon intérêt pour celles-ci. L’écriture de ce livre est également motivée par une raison que l’on qualifiera de biographique. Nous sommes des
