Les chasseurs de prophéties
Par Geoffrey Legrand
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À propos de ce livre électronique
Une rivière bordée de dunes s’offre aux regards perçants des hauts prêtres de la Très Sainte cité d’Arsal. Du haut de sa pyramide à degrés, la Grande Ziggourat, ce clergé antique impitoyable assoie son pouvoir sur des prophéties infaillibles.
La plaine du Davel serait-elle bénie des dieux ?
Pas seulement. La guilde secrète des Chasseurs de Prophéties y veille…
L’énigmatique Telmozan, Maître Falsificateur, est recruté pour réaliser la Prophétie des Mille ans, la plus complexe de toutes : le retour sur Terre de la puissante déesse Damkina elle-même !
Politiciens, hérétiques, rivaux, truands…
Et si le plus grand adversaire de Telmozan venait de son propre camp ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Geoffrey Legrand - Ingénieur de formation, Geoffrey se réfugie souvent dans les mondes de l’imaginaire pour y dénicher la pincée de rêve dont le réel fait défaut. Il puise dans la grande Histoire autant que dans les mythes populaires, les briques de ses univers où se mêlent réalisme et fantastique, science et magie. Véritable globe-trotteur, Geoffrey a pu se frotter à de multiples cultures venues des quatre coins du monde. Ces voyages ont été l’occasion d’approcher d’autres manières de vivre et de penser, richesse dont les traces se distillent au fil des lignes.
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Aperçu du livre
Les chasseurs de prophéties - Geoffrey Legrand
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© Le Héron d’Argent 2023
Illustration et design de couverture ? Oli Price - Bonobo Covers Art
Maquette de couverture : Vincent Abitane - www.infographiste-independant.com
Mise en page de l’intérieur ? J. Robin Agency (J. Robin)
Collection Collectors
Gérante et directrice de collection ? Vanessa Callico
EISBN : 978-2-38618-018-7
Collection Collectors
Dépôt légal ? décembre 2023
SARL Le Héron d’Argent
27 rue de la Guette, 77210 Samoreau
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Table des matières
Chapitre 1 : Une prophétie achetée, la seconde offerte !
Chapitre 2 : Le pays des mille et une prophéties
Chapitre 3 : La voie de la prophétie
Chapitre 4 : Et la prophétie fut
Chapitre 5 : Ne manquez pas la prophétie sur votre gauche…
Chapitre 6 : La prophétie croît si le fervent croit
Chapitre 7 : Une prophétie peut en cacher une autre
Chapitre 8 : Les prophéties finissent mal, en général
Chapitre 9 : Une prophétie autour du feu
Chapitre 10 : Une prophétie d’outre-monde
Chapitre 11 : Une prophétie qui avait si bien commencé…
Chapitre 12 : Prophétie soumise à caution
Chapitre 13 : C’est la prophétie qui redémarre
Chapitre 14 : La prophétie est un plat qui se mange froid
Chapitre 15 : Quand la prophétie va, tout va… ou pas
Chapitre 16 : Comment voler une prophétie de haute volée
Chapitre 17 : Pour quelques prophéties de plus
Nouvelle : Trompeuse Prophéthie - Au commencement...
Mot de l’auteur
Chapitre 1 : Une prophétie achetée, la seconde offerte !
Une journée de marché est une joie pour les sens, cette fois-là peut-être plus encore que d’habitude. Les épices embaumaient la moiteur des étroites ruelles du bazar ; les étals des primeurs regorgeaient de figues et de grenades sanguines, certaines tranchées pour dévoiler une pulpe appétissante ; des oiseaux multicolores enfermés dans leurs cages d’osier égayaient le marché de leurs trilles guillerets, tandis que du fond de leurs prisons de bronze, des dragonnets se lamentaient d’avoir été arrachés au pays des légendes ; des soieries flottaient aux devantures en une danse voluptueuse, telle une invite aux mains gourmandes à venir les caresser.
— Vous avez l’œil, amadi ! Vous trouverez ici les plus fines étoffes d’Arsal !
Afin de prouver ses dires, le commerçant sortit de son échoppe cinq rouleaux différents, du vermillon intense à l’azur moiré de blanc. Le savant maillage des fibres mêlées changeait la couleur du tissu selon l’angle de l’observateur. Un travail d’artiste.
— Peut-être un autre jour. Je suis en quête d’autres marchandises.
Le visiteur se drapa dans sa mante de coton pour clore la tentative de négoce.
Notre inconnu se faufila d’un pas pressé dans la foule compacte, désireux d’échapper aux boutiquiers qui essayaient de l’alpaguer tous les trois pas. Un homme attentif l’aurait facilement perdu de vue dans cette cohue chamarrée, brouillonne et bruyante. Ce dédale de venelles encombrées de sacs, de paniers et de ballots entassés du sol jusqu’au toit-terrasse du premier étage ne manquait pas d’angles morts derrière lesquels il était aisé de disparaître. Poussé par quelque urgence, ce mystérieux personnage courait presque en jouant des coudes vers l’endroit le moins honorable du Grand Bazar de la très sacrée ville d’Arsal.
Le marché des esclaves grouillait d’acheteurs avides, attirés par l’annonce d’une caravane revenue des lointaines et mythiques montagnes d’Erkan, aux confins du monde habité. La rumeur vantait la qualité des prisonniers, des hommes robustes pour les travaux de force et des femmes d’une élégance rare pour la domesticité. Elle n’avait pas besoin de rappeler la longue histoire de ce peuple prestigieux, de cet ancien royaume qui avait su unifier les tribus pastorales en une communauté raffinée, aussi bien dans le domaine des arts que dans celui de la guerre. Un royaume qui avait décliné depuis des siècles, consumé par ses luttes intestines. Il n’en restait plus que des légendes, autant d’avertissements pour l’orgueilleuse Arsal qui régnait désormais sur les plaines fertiles.
Une estrade avait été montée au centre de la place sur laquelle défilaient les produits mis aux enchères. Le reste était attaché par des anneaux à une poutre de métal, tel du bétail exposé pour la foire. Des enclos séparaient les lots de chaque marchand, davantage pour maintenir à distance raisonnable les visiteurs curieux que pour empêcher une improbable évasion. Les organisateurs de la vente réservaient la fameuse cargaison pour la fin de journée, le temps pour les clients potentiels d’observer chaque spécimen et d’exciter leurs convoitises.
Il y avait parmi les badauds à s’agglutiner sur la place aux esclaves, plusieurs régisseurs venus compléter leurs équipes, de rares aristocrates en quête de frissons hors les murs de la cité, et des plébéiens fortunés aux goûts de grands seigneurs. À en juger par sa mise de pauvre facture, notre homme ne s’apparentait à aucune de ces familles. Issu de la roture, pour sûr, l’on avait du mal à lui soupçonner quelconques richesses. Sa mante grise, triste comme les marais du fleuve Davel les jours de pluie, marquait son âge, ses bords raccommodés de pièces cousues de points larges et grossiers. À moitié dissimulé par un chèche, son visage buriné ombré de barbe semblait davantage celui d’un artisan laborieux que d’un prospère bourgeois. Il examinait pourtant chaque esclave avec une minutie d’orfèvre.
Il passa une bonne heure à aller et venir entre les stands, disparut un temps dans une auberge, avant de revenir ragaillardi pour une nouvelle étude attentive. Cette fois-ci, il se concentra sur un lot de cinq prisonniers, trois femmes et deux gamines tout à fait ravissantes.
L’une d’elles en particulier retenait son attention. La jeune femme n’avait pas encore été lavée et apprêtée en vue de sa présentation aux enchères. La crasse dissimulait mal une beauté sévère, rehaussée par des traits altiers et un corps sculpté par la vie nomade des montagnes. Sa peau d’ébène, propre au peuple d’Erkan, cette peau que l’on enviait comme l’empreinte de la gloire passée tout en l’associant à la déchéance de cet ancien peuple roi, flamboyait d’éclats d’argent à peine ternis d’un voile poussiéreux. Ses cheveux bouclés d’un noir d’encre posés sur son visage telle une couronne révélaient ses yeux effilés, deux obsidiennes dans leurs écrins de nacre.
Il ferra le regard de la jeune femme, une prise plus coriace qu’il ne l’eût cru. Ils restèrent ainsi de longues minutes, leurs iris rivés l’un dans l’autre, un pêcheur et sa proie en combat singulier. L’inconnu céda le premier, un sourire aux lèvres, avant de s’éloigner sans avoir prononcé un mot.
La matinée s’écoula. Après une pause pour nourrir les prisonniers que les affres de la faim auraient dépréciés, les tractations reprirent pour une lucrative après-midi. Notre envoûtante captive devait se présenter sur l’estrade vers l’heure sacrée de None. Les gongs des principaux temples d’Arsal sonnèrent la neuvième heure du jour lorsque les cinq femmes enchaînées furent amenées pour la vente.
Le maître des enchères grimaça devant ce lot d’esclaves tordues de douleurs gastriques. Quelle poisse ! Une marchandise si fraîche une heure plus tôt, la voilà pourrie par des vers de côlon… Des gros bras redressaient cette camelote incapable de garder la pose et de paraître désirable plus de deux secondes. Le public s’éloignait de la scène par peur d’une contagion, laissant craindre au négociant une issue dramatique : une cargaison contaminée restée sur les bras qui viendrait décimer l’autre partie de son stock.
L’enchère reprit néanmoins, à la baisse cette fois. Lorsque les prix frisèrent le ridicule, même pour un lot maladif et que l’on dédaignait encore sa marchandise, le commerçant se sentit lui-même souffrant. Après maints sacrifices, il trouva enfin des acheteurs, sûrement des hommes aux desseins inavouables.
Vint le tour de la belle Erkanienne, qui malgré la vermine gardait une figure honorable. Cette prestance incita le vendeur à commencer au plus haut pour descendre lentement, Sol après Sol. Sans doute était-ce prétentieux de lancer l’entame au prix d’un pur-sang ; fut-elle fertile et en pleine santé, une donzelle ne valait pas tant. En temps normal, à l’aune de son galbe et de la finesse de ses traits, elle aurait trouvé preneur pour l’équivalent d’un camélion, chimères félines aux bosses de dromadaires que prisaient tant les arpenteurs du désert. Mais l’état piteux de ses congénères laissait désormais craindre quelques vices cachés, si bien que l’offre dégringola jusqu’au niveau honteux d’un mulet, sans que personne se porte acquéreur. D’expérience, le vendeur voyait approcher l’instant fatidique. Les pupilles fébriles, les lèvres frémissantes, les coups d’œil à droite et à gauche pour deviner les intentions des voisins, autant d’indices infaillibles qui l’amenèrent à ralentir la dévaluation.
Une main se leva. Notre énigmatique inconnu retranché dans le fond de l’assemblée, hors de vue, tendait fièrement l’index, un regard mauvais pour ses confrères qui auraient eu l’envie de lui ravir son prix.
— Au monsieur à l’arrière pour deux cent cinquante Sols !
L’annonce lâchée dans un soupir désespéré, le commerçant hésitait entre rage et soulagement. La somme dérisoire ne couvrait même pas les frais engagés. Tout juste limitait-elle, Baldéran en soit loué, le bilan d’une vente catastrophique.
Confié à un partenaire chargé des détails de la transaction, tandis que le vendeur vantait les mérites d’une nouvelle esclave, l’heureux propriétaire conduisit l’Erkanienne vers une tente adossée à l’estrade où il retrouva le marchand. Le regard torve s’adoucit lorsque l’acheteur déversa des pièces étincelantes sous les rayons de soleil filtrés par les coutures de la toile.
— Mille mercis, honorable client. Pourriez-vous me donner votre nom pour que je puisse finaliser la vente ?
— Telmozan.
Le scribe le nota ainsi que la somme encaissée sur une tablette d’argile marquée du sceau du commerçant en double exemplaire. Il tendit l’une d’elle à Telmozan.
— Montrez ceci aux commissaires de foire si l’on vient vous contrôler. Cette tablette garantit l’achat.
Le geste hésitant du néophyte convainquit le négociant que des rappels de base s’imposaient.
— Conservez les anneaux de cuivre sur les chevilles et les poignets, ils attestent de son statut d’esclave. Pour prouver votre propriété, je vous conseille de marquer cette femme dès que possible. Il y a tant de gens mal intentionnés de nos jours… Il serait dommage d’abîmer un si joli modèle, aussi je vous recommande un tatouage discret à un endroit connu de vous seul. L’arrière de l’oreille ou la voûte plantaire par exemple. Si vous êtes pressé, le fer rouge fera l’affaire. Des forgerons locaux vous proposeront ce service pour quelques Sélènes.
— Merci de ces bons conseils. Est-ce tout ?
Une dernière vérification du montant versé, le sourire satisfait du négociant clôtura la transaction. Telmozan passa une cordelette entre les bracelets de cuivre pour fermement menotter son acquisition, qu’il utilisa ensuite pour la traîner dans la foule du marché.
Contrainte par une poigne de fer à avancer sans rechigner, chaque pas de la belle esclave était arraché au prix d’une lutte impitoyable. Malgré la maladie qui écornait les forces de la captive, le nouveau maître sentait à travers la lanière tendue une inébranlable pugnacité, une hargne viscérale qui, loin de lui déplaire, dessina une ombre de sourire au coin de ses lèvres. Trop intelligente pour ignorer la milice et les soldats en patrouille, la jeune femme se contentait de cette lutte invisible le temps de s’éloigner de la ville vers le mont Guiyan.
***
Au fur et à mesure de leur progression, la perspective écrasait les murs et les faubourgs d’Arsal au fond de la plaine limoneuse du Davel. Au bout d’une heure de marche sur des pentes d’une austère solitude rocailleuse, l’indomptable Erkanienne changea subitement de tactique. Elle planta ses talons nus dans la roche et tira à elle la tête de cordée.
— Libère-moi !
Nullement décontenancé par la fièvre mutine, Telmozan s’approcha de la prisonnière pour la défier, front contre front, ocre contre ébène. Il resta une minute, ses yeux ancrés dans les siens, tandis qu’il dénouait le lien. Inquiète d’une si prompte docilité, elle se laissa faire en armant ses griffes pour les lui planter dans la gorge en cas de besoin.
— Derrière le replat se trouve une cabane de berger. Je t’y offrirai du lait frais, une paillasse et un toit. En bas de la montagne, la ville cerclée de désert est le repère d’une milice à l’affût des esclaves en fuite. À toi de choisir, conclut-il avec une pichenette aux bracelets de cuivre clinquants.
Sans davantage d’arguments, il tourna le dos à son achat et l’abandonna à son dilemme. Une brève réflexion sous le cagnard de la fin d’après-midi persuada l’esclave qu’après tout, un verre de lait frais méritait un détour.
Comme convenu, le lamentable esclavagiste attendait sa captive avec les meilleures civilités, un verre de lait rempli posé sur un rondin en guise de table. La jeune femme évalua la situation d’un œil méfiant. Le logis offrait tout le confort possible dans une cabane de montagne. Les murs et le toit érigés avec des pierres disparates habilement ordonnées n’étaient percés que d’une porte et d’une cheminée pratiquée dans la voûte d’où s’infiltrait la lumière d’un jour déclinant.
— Comment t’appelles-tu ? demanda Telmozan en tendant le verre.
— Sya.
— Sya, fille du chef Akawel de la tribu Hatti.
— Comment le savez-vous ?
Telmozan vida sa coupe de lait, s’essuya soigneusement les lèvres ; trop maniéré pour un berger, songea Sya. Son hôte se resservit avant de daigner répondre.
— La rumeur d’une princesse barbare parmi le lot du jour a fait le tour du marché. J’ai immédiatement su qui tu étais lorsque j’ai lu les flammes au fond de tes yeux. Les ragots taisaient un seul détail. Comment t’es-tu retrouvée prisonnière ? Butin de guerre ou rencontre malheureuse ?
— Mon cousin, ce fils du pourceau, a trahi mon père, son roi ! Il a tué mes frères ainsi que tous les prétendants au trône, avant de vendre les femmes à des marchands d’esclaves. Que Nalili me donne la force de lui faire payer ses crimes !
Fondue dans la pénombre de la cabane, la sombre silhouette de Sya s’effaçait pour ne laisser luire que deux billes de nacre percées d’insondables pupilles d’encre, océan laiteux ravagé par une tempête vengeresse. Plutôt que de défier les vents contraires, Telmozan préféra louvoyer et les convertir en alliés.
— Quelle tristesse ! Si la vengeance est ton horizon, je promets de t’assister au mieux le moment venu. Pour l’heure, j’ai besoin de ton aide.
— De mon… aide ?
— Comme le sait sans doute la fille du roi Akawel, l’empire d’Arsal est dirigé par le Collège Théocratique, une assemblée de Hauts Prêtres qui régente d’une poigne de fer la vallée du Davel. Un pouvoir dont la légitimité repose sur l’accomplissement des milliers de présages répertoriés dans le Codex Prophétique. Les réalisations régulières des prévisions du clergé, dûment homologuées par l’impartial Conseil Clairvoyant, prouvent aux yeux du peuple la bienveillance des dieux à l’égard de nos dirigeants. Des émeutes se sont déjà produites à la suite de défiances divines excessives. Nombre de Hauts Prêtres ont perdu leurs têtes de cette manière. D’habiles manœuvres pour remanier le Collège, en vérité. Celles-ci n’ont guère été appréciées par les gouvernements en place, dont les mandats se voyaient ainsi écourtés.
— Mon père m’a raconté ces histoires. Voir les crânes de braves ecclésiastiques montés en haut de leurs bourdons, il y a de quoi donner le cafard aux survivants.
Telmozan haussa un sourcil dubitatif agrémenté d’un « certes » navré. Il passa outre et poursuivit.
— J’ai hélas ! le regret de vous informer, pieuse demoiselle, que les prophéties se produisent rarement d’elles-mêmes. En particulier au moment opportun ! C’est là où nous intervenons, moi-même ou l’un de mes estimés confrères.
— Vous intervenez ?
— Nous réalisons les prophéties telles qu’énoncées dans les textes, cela dans l’anonymat le plus total, afin que demeure le miracle de l’accomplissement spontané. De quoi émerveiller le bon peuple, pour le plus grand bonheur de nos employeurs.
— En un mot, vous êtes un escroc.
— Plutôt un artiste de talent. Au sein de notre cercle très fermé, nous nous appelons les chasseurs de prophéties. C’est pour réaliser l’une d’elles que j’ai besoin de toi.
La face de Sya se décomposa, choquée. Jamais la princesse barbare ne souffrirait pareille avanie. L’habile Telmozan n’en espérait pas moins.
— Je comprends tes réticences, crois-moi. J’ai été, comme toi, outré par cette mascarade, avant que ne tombent les premiers salaires. Je ne serai pas ingrat. Si tu acceptes mon offre, je t’affranchis à compter de ce jour. Je couperai ces bracelets à tes poignets et à tes chevilles. Je te traiterai en égale et verserai ta part une fois le travail accompli. En tant qu’associée. Quand l’affaire sera terminée, tu seras libre de partir où bon te semble. Je pourrais même t’aider dans ta vengeance familiale, comme promis.
— Vous me libérerez ? Vraiment ? Je pourrais m’enfuir sitôt mes bracelets tranchés.
Un discret sourire illumina le coin des lèvres de l’aigrefin.
— En effet. J’apprécie d’ailleurs ton honnêteté. À moi de te retourner la pareille : les indispositions gastriques endurées ce midi sont dues à un poison glissé dans ton déjeuner. Un mal nécessaire, j’en suis navré. Ton véritable prix était hors de portée, il me fallait faire baisser les cours. Pourquoi cet air scandalisé ? Tu devrais être flattée. Calme-toi, tu as bu l’antidote avec le bol de lait de tout à l’heure. Le même contrepoison a été distribué à tes camarades de mésaventures. Une cargaison entière décimée aurait trop attiré l’attention, tandis qu’une colique passagère ne donne des migraines qu’aux seuls propriétaires. Et des aigreurs d’estomac aux infortunées victimes, évidemment.
Le temps d’une inspiration, il marqua une pause ponctuée d’un doigt véhément.
— Pour revenir à ton cas, la conclusion n’est pas si radieuse. Le remède ingurgité s’accompagnait d’une nouvelle dose mortelle, subtile combinaison où l’un et l’autre s’équilibrent un temps, jusqu’à ce que le venin prenne irrémédiablement le dessus. À moins d’une prise quotidienne du sérum préparé par mes soins, jusqu’à la fin du travail. Après quoi, je te l’assure, nous mettrons un terme à ce cycle infernal.
— Sous vos faux airs philanthropiques, vous me tenez à votre merci.
— Une simple garantie qui ne gâte en rien mes promesses.
Les rouges sanglants du jour déclinant perçaient par les rares ouvertures de la cahute pour draper Sya d’une parure vermeille. Les ombres brunes surlignaient les sévères arêtes de son visage, contraste saisissant avec les plages rubis de ses joues, masque terrible d’une guerrière impitoyable. Malgré son aplomb apparent, Telmozan redoutait le retour de flamme de la princesse erkanienne. Il l’avait choisie précisément pour ce caractère fougueux, en sachant dès le départ combien celui-ci serait difficile à gérer. Il s’en sentait néanmoins capable, tel un équilibriste sur une corde raide balayée par les vents. En dépit des bourrasques et du vide vertigineux, il traverserait le précipice coûte que coûte. Il le fallait.
Sya gardait le silence depuis une bonne minute. Sans accepter ce chantage, elle se pliait à la loi du plus fort. Pour l’instant, du moins. Telmozan profita de cette disposition pour exposer son offre.
— Au cœur de notre coterie, commença-t-il, nous avons l’habitude de classer les prophéties en différentes catégories, manière aisée d’en évaluer le profit escompté. En haut de l’échelle se situent les prophéties d’or, elles ont un potentiel marchand incalculable, à la hauteur de leur incroyable difficulté. Il se trouve que l’une d’elles intéresse un de mes clients, une commande que je compte honorer.
— Pourquoi ? Est-ce l’appât du gain, ou le défi qui vous motive ?
— Les deux, jeune fille. Il s’agit d’une prophétie énoncée en l’an cinquante-sept du Comput d’Arsal, il y a de cela près de six cents ans, par le Haut Prêtre Nabuxar. Nous la surnommons « la Prophétie des Mille Ans ». Imprègne-toi de chaque mot, imagine les implications glissées entre les non-dits. Apprends-la jusqu’à ce qu’elle hante tes rêves. Elle doit s’ancrer au cœur de tes souvenirs et devenir une part de toi-même. Prête ?
D’un hochement de tête, Sya donna son assentiment. Telmozan ferma alors les paupières, son buste subtilement cambré dans un équilibre parfait, tel un gourou en pleine méditation. Lorsque sa voix s’éleva, elle avait baissé d’un ton et gagné en ampleur, colorée de vibratos mystiques, comme surgie de l’entre-monde où errent les esprits des devins.
« Au soir d’un équinoxe rouge apparaîtra Damkina, mère des Eaux et de la Vie. D’un doigt, elle ensemencera le fleuve et ouvrira les portes d’une gloire de mille ans. D’un doigt, elle désignera son héritier en ce bas monde, premier d’une lignée d’âmes éclairées à même de faire fructifier les largesses de la déesse. »
Telmozan laissa flotter la sentence dans le silence. La maxime dictée par un vieux fou, il y a plus d’un demi-millénaire, emplissait l’espace confiné de la cahute jusqu’à se condenser et prendre une texture palpable. Une moiteur soudaine pesa sur la peau nue des épaules de la jeune femme. Malgré elle, Sya frissonna. L’air du soir apportait des effluves de terre brûlée, les fragrances d’un antique passé ravivé par les présages d’un défunt.
— Tu seras Damkina, lança Telmozan tout de go.
— Damkina ? La déesse ?
— J’ai tout de suite vu en toi sa grâce, sa prestance et son autorité.
— Qu’une Erkannienne joue le rôle d’une déesse d’Arsal, n’y a-t-il pas un problème, disons… de teint ? Mon peuple suscite des sentiments contradictoires chez les vôtres.
— Au contraire ! Il me fallait une femme d’Erkan. S’il y a peu de mentions (pour ainsi dire aucune) des couleurs de peau des divinités dans les textes sacrés, le cantique apocryphe des deux jumelles nous éclaire sur ce point.
Telmozan se dressa de nouveau et retrouva sa voix extatique.
« Des larmes de solitude d’Eya naquirent deux filles, deux sœurs si dissemblables et contraires que l’on peinait à croire leur lien gémellaire. Damkina, déesse de la Vie et des Eaux, portait l’anthracite de la terre fertile à fleur de peau. Khalian, déesse du temps, de la mort et des ténèbres, arborait quant à elle l’ivoire funèbre. »
Ravi, Telmozan ajouta avec malice :
— Les Sages du Conseil Clairvoyant ne manqueront pas de faire le rapprochement. J’imagine déjà les débats sans fin qui enflammeront ces vieilles badernes. Rassure-toi, tu seras parfaite dans le rôle de Damkina, pour peu que tu sois bien encadrée. Je vais te former, t’habiller et te métamorphoser en source divine de toute vie. Il te faudra bûcher, fouiller les moindres détails, puiser en toi l’étincelle qui te permettra non pas d’incarner, mais de devenir Damkina ! Car n’en doute pas, les Hauts Prêtres ne se laisseront pas facilement convaincre, en particulier lorsque devant eux se jouera la Prophétie des Mille Ans. Il ne s’agit pas de mettre la main sur un magot pour le compte d’un tiers. Non, les implications de cette prophétie sont bien plus vastes. Elle légitimera la prise de pouvoir de l’héritier de la déesse, celui que tu désigneras du doigt (notre client, évidemment), ce même doigt qui ouvrira une gloire de mille ans. Cet héritier qui, non content de prendre le contrôle de l’empire d’Arsal, fondera une dynastie régnante. En d’autres termes, cette prophétie annonce la fin du régime collégial en place.
— Pour le remplacer par quoi ? Une dictature ?
— Au contraire ! Un monarque éclairé.
— De belles fariboles ! Quand bien même serait-il le meilleur des hommes, le pouvoir corrompt les cœurs les plus purs.
La conversation prenait une tournure déplaisante. Sans doute Telmozan avait-il péché par enthousiasme, emporté par son emphase. Sa propre maladresse l’énervait autant que l’insurrection de sa pièce maîtresse.
— Qui est votre commanditaire ? renchérit Sya.
— Tu le rencontreras bien assez tôt. N’aie aucune crainte, je t’assure que notre client est quelqu’un d’honorable, de dévoué au bien commun, d’idéal pour la tâche qui lui incombe. Je n’aurais jamais accepté cette mission, sinon.
— La perfection n’est qu’illusion. Le seul désir de ce pouvoir est à mes yeux une tare intolérable.
La cabane désormais plongée dans la pénombre bleutée du crépuscule, Sya semblait accrocher la moindre lumière qu’elle irradiait ensuite de toute la puissance de sa colère. Réfugié dans son coin d’obscurité, Telmozan méditait sur la meilleure manière de sortir de l’impasse. La princesse
