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Tentative d'une clinique psychanalytique avec les malades et les patients de médecine
Tentative d'une clinique psychanalytique avec les malades et les patients de médecine
Tentative d'une clinique psychanalytique avec les malades et les patients de médecine
Livre électronique592 pages8 heures

Tentative d'une clinique psychanalytique avec les malades et les patients de médecine

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À propos de ce livre électronique

Cet ouvrage est le fruit du travail mené par le docteur Fernando de Amorim afin d’examiner les concepts de corps et d’organisme dont il faut constater qu’ils ont été et sont encore souvent utilisés comme synonymes. Cette difficulté à différencier strictement le champ que recouvre chacun de ces termes mène à des impasses théoriques et en résulte pour les médecins, tout comme pour les psychologues, psychothérapeutes et psychiatres, une difficulté à opérer cliniquement avec le malade, le patient ou le psychanalysant présentant une maladie organique ou un symptôme corporel.

Dans un premier temps, l’auteur délimite les concepts de corps et d’organisme. Dans un second temps, il expose l’hypothèse de la possible circulation libidinale vers les voies du symptôme psychique, corporel puis de la maladie organique. L’illustrant par des cas cliniques, il défend comment l’usage de la méthode et des techniques psychanalytiques peut permettre la construction d’une Autre voie désirante.

Ainsi, au fur et à mesure de sa recherche, ce psychanalyste démontre l’intérêt d’une révision de la définition des termes de corps et d’organisme pour les professionnels des champs médical, psychologique et psychanalytique afin d’opérer ensemble à partir de la clinique du partenariat.

Cet ouvrage est une invitation à ce que médecins et psychanalystes travaillent de concert : les premiers soignant la maladie, les seconds écoutant le malade, le patient et le psychanalysant dans leur désir inconscient, désir participant au déclenchement et au maintien de la maladie organique




À PROPOS DE L'AUTEUR



Fernando de Amorim, psychanalyste, développe et revisite les concepts et les techniques freudo-lacaniennes. Il est l’auteur de Le transfert dans la clinique psychanalytique des malades organiques (2000), Cartographie de la clinique avec le malade organique, corporel et psychique à l’usage des médecins, psychistes et psychanalystes en institution et en ville (2004), Projet pour une psychanalyse scientifique (2015). Le Manuel de psychanalyse du RPH-École de psychanalyse a vu le jour sous sa direction (2023).

Il enseigne et transmet la psychanalyse au sein de l’école du RPH. Il a créé la Consultation Publique de Psychanalyse (CPP), puis le Service d’Écoute Téléphonique d’Urgence (SETU ?).










LangueFrançais
ÉditeurPublishroom
Date de sortie13 juin 2024
ISBN9782386251207
Tentative d'une clinique psychanalytique avec les malades et les patients de médecine

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    Aperçu du livre

    Tentative d'une clinique psychanalytique avec les malades et les patients de médecine - Fernando de Amorim

    REMERCIEMENTS

    L’auteur voudrait avant tout remercier :

    L.-F. de A.

    R.-F. de A.

    J.-M. da S.

    P. H.

    G. von L.

    M. von L.

    J. C.

    L. P.

    J. de V. de A.

    G. de V. de A.

    R. S.

    O. C.

    R. C.

    P. S.

    M. L.

    O. de K.

    I. C.

    S. di V.

    J.-A. M.

    A., C., N. et E. de A.

    Les membres du RPH

    Puisqu’ils comptent.

    Introduction

    À l’heure actuelle, quel que soit le pays, certains médecins semblent être très éloignés du discours du malade. Par manque de formation conceptuelle et de temps ? Peut-on dire que ces médecins ont peu à peu abandonné la relation humaine avec le malade pour se consacrer uniquement à la disparition de la maladie ? La position du médecin ne justifie-t-elle pas cela ?

    De leur côté, très peu de psychanalystes paraissent s’intéresser à la position de malade ou de patient, concentrant leurs efforts pour conduire le psychanalysant vers l’éventuelle sortie de la cure psychanalytique, selon notre cartographie.

    Le malade, ou le patient, nous paraît se trouver seul face à lui-même, car le médecin s’intéresse, ou ne peut s’intéresser, qu’à la maladie organique, et le psychanalyste ne s’intéresse qu’au psychanalysant.

    Nous pensons que seul l’être dans la position de psychanalysant peut parler vrai des enjeux de la maladie, lorsqu’il cesse d’annoncer la question de la maladie pour interroger sa relation avec le désir. Est-ce le rôle du psychanalyste d’appuyer l’être dans la position de malade ou de patient à devenir psychanalysant ?

    À l’aide de leur propre expérience clinique, le médecin et le psychiste (psychologue, psychiatre, psychothérapeute) tentent parfois un « assemblage médico-psychique » pour écouter le patient, mais leur formation réciproque peut-elle leur procurer les moyens psychanalytiques nécessaires pour pousser le malade à trouver le désir ?

    L’intervention du psychanalyste peut-elle aider le médecin à prendre en considération le discours inconscient du malade ?

    Pouvons-nous dire que le médecin est le spécialiste de l’organisme, et que le psychanalyste est le spécialiste du corps ?

    La psychanalyse, telle que Sigmund Freud l’a fondée, et telle que Jacques Lacan l’a développée, n’était pas pensée pour s’occuper des patients atteints de lésions organiques, comme nous le montrerons au cours de ce travail. Il nous faut donc mettre en place des moyens d’études pour apprendre à aborder ces types de position, à savoir la position de malade et la position de patient.

    Pour cela, nous devons faire le vide, sans tomber dans la tentation de faire de la psychologie freudienne ou lacanienne, car,  comme Freud l’écrit : « L’ours polaire et la baleine ne peuvent pas, a-t-on dit, se faire la guerre, parce que, chacun étant limité à son élément, ils ne se rejoignent pas. » ¹

    Lorsque le Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital (RPH) a été créé, l’objectif n’était pas de mettre en évidence la personne du psychanalyste à l’hôpital, et de façon syndicale, créer des emplois ou faire reconnaître la profession de psychanalyste, mais bien de mettre en valeur la présence de l’inconscient structuré comme un langage, donc de la psychanalyse, dans l’enceinte de l’hôpital. Le RPH ne prône pas la cure analytique sur le lieu « hôpital », mais souhaite que la psychanalyse soit présente en forme de signifiant et représentée en ce lieu par le psychanalyste, en étroite collaboration avec le corps médical et les équipes soignantes, afin de pouvoir proposer aux patients d’entreprendre ou de poursuivre à l’extérieur la psychothérapie avec psychanalyste commencée à l’hôpital.

    À partir de notre expérience en tant que psychanalyste au sein du service de médecine interne et d’immunohématologie de l’Hôpital Avicenne (Bobigny), nous tentons de définir les dispositifs psychanalytiques qui peuvent permettre au malade organique de corporéifier son organisme.

    Cependant, le travail du psychanalyste ne peut commencer que lorsque le malade accepte de le rencontrer au nom du transfert. C’est au nom du transfert et des soins médicaux que le malade devient patient. À ce moment-là, il pourra fantasmatiser la maladie organique, entrer en psychanalyse, commencer à corporéifier la maladie organique et ainsi sortir, effectivement, de la position de malade.

    Cette mise en place du transfert se réalise en partenariat avec le médecin, ce que nous appelons la cônification du transfert. En entrant à l’hôpital, ou dans un cabinet en ville, le malade organique se remet entre les mains du médecin auquel il accorde sa confiance pour le soigner et le guérir. Il revient ensuite à ce médecin, s’il le désire, de l’adresser vers un psychanalyste capable d’aider le malade à s’en sortir, c’est-à-dire, à être moins malade, à passer de la position de patient à celle de psychanalysant, et enfin à sortir de la cure dans la position du sujet.

    Dans la première partie de notre étude, nous distinguerons les concepts de corps et d’organisme, afin de mieux éclairer certaines interprétations de nombreux psychanalystes et psychistes (psychiatres, psychologues, psychosomaticiens, psychothérapeutes), mais aussi les opinions des non-praticiens du corps, tels que Marcel Mauss ou Maurice Merleau-Ponty.

    Dans la deuxième partie de notre étude, nous proposerons une cartographie de la clinique avec le malade, le patient et le psychanalysant, à l’usage des médecins, psychistes et psychanalystes en institution et en ville, avec nos commentaires sur les concepts énoncés.

    Nous mettrons en évidence les travaux des cliniciens tels que Jean Guir, Patrick Valas et Alain Merlet, qui ont poussé la clinique psychanalytique avec le malade organique jusqu’à son terme, sans se contenter d’une cure psychothérapeutique. Ils ont, à partir du désir du psychanalyste, et là est l’essentiel, poussé le psychanalysant jusqu’à la position de sujet. C’est cette opération qui, selon nous, justifie la relation clinique possible entre le médecin, le psychanalyste et le malade.

    Nous étayerons notre réflexion par quatre exemples cliniques relatés dans la troisième partie, car, au-delà de la théorisation des idées, il faut toujours garder présent à l’esprit que la clinique est souveraine.


    1 Freud, S. (1918). « À partir de l’histoire d’une névrose infantile », in Œuvres Complètes, Vol. XIII, Paris, PUF, 1988, p. 45.

    I – La prise en charge

    psychique et psychanalytique

    de l’être atteint

    dans son organisme

    ou dans son corps

    A – Différenciation du corps et de l’organisme

    Notre intention est de mettre en évidence l’importance de la distinction entre l’organisme et le corps et que cette distinction ne peut se faire qu’avec l’introduction du symbolique. Peut-on parler d’une théorie du corps chez Pierre Janet, ou du moins, peut-on dire qu’il nous aide à éclaircir ce qu’est, pour lui, un corps ? Dans l’une de ses conférences au collège de France en 1928, Janet commente l’ouvrage Introduction biologique à l’étude de la neurologie et de la psychopathologie écrit par Constantin von Monakow et Raoul Mourgue. Il écrit :

    « Il est rédigé par deux auteurs dont les noms sont à mon avis intéressants parce qu’ils indiquent des tendances assez différentes, tendances qui arrivent à se synthétiser. Le premier de ces auteurs est le Professeur von Monakow, de Zurich, médecin et professeur d’anatomie pathologique du cerveau et qui a publié tant de beaux ouvrages sur l’histoire cérébrale (…). Son collaborateur est M. R. Mourgue, médecin des asiles en France. M. Mourgue est surtout psychologue, un érudit des études psychologiques. Il a un autre caractère qui, ici, ne peut que le rendre sympathique : il est un disciple enthousiaste de M. Bergson – ce n’est pas tout à fait la même chose que l’anatomie du système nerveux. Il a soutenu en Angleterre, en particulier auprès du Professeur Head, que les critiques de Bergson dans « Matière et Mémoire » avaient joué un grand rôle dans l’interprétation de l’aphasie et devraient donner lieu à une autre interprétation de ce syndrome. » ²

    Janet continue :

    « Ces deux auteurs associés veulent faire pénétrer dans l’étude anatomique du système nerveux les idées de M. Bergson. Quelle singulière tentative ! C’est un assemblage encore plus étrange que celui que je faisais autrefois de Maine de Biran et de Charcot. Ils ont cependant réussi sur certains points d’une manière intéressante. En tout cas, dans tout cet ouvrage d’introduction, ils nous présentent un certain nombre d’hypothèses qui vont devenir pour nous un peu embarrassantes. » ³

    Encore Janet :

    « L’introduction [de l’ouvrage associé de von Monakow et Mourgue] l’annonce de ce que l’on veut faire, est plus intéressante que le contenu. En somme, les auteurs nous promettent une psychologie de l’embryon. Je veux bien. Ce sera très intéressant. Mais il faudrait parler de l’embryon avec des termes psychologiques. »

    Peut-on parler de l’embryon avec des termes psychologiques ? Il nous semble que pour cela, celui qui parle de l’embryon ne pourra sans doute pas éviter d’introduire son désir dans l’interprétation.

    Janet, devant cette tentative des auteurs de donner un corps à l’organisme vivant, l’embryon en l’occurrence, apparaît très réticent :

    « Quand on lit ce chapitre, on est convaincus que l’embryon a une personnalité, qu’il contient le germe de toutes les fonctions. Et alors pouvons-nous dire que tous les embryons, que tous les êtres vivants, que les herbes, que les arbres aient des personnalités ? Même question que tout à l’heure pour la lampe. Nous disons bien : La lampe ressemble à la personnalité mais n’en est pas une. Nous pouvons dire actuellement : Un être vivant, un grain de blé qui pousse ou bien un embryon qui se forme, ressemble en quelque chose à la personnalité, mais il n’en est pas une. Il faudrait faire une nouvelle distinction. »

    Plus loin, Janet cite les auteurs qui, selon lui, répètent avec insistance :

    « L’embryon travaille à se distinguer. Il se fabrique une peau – c’est déjà quelque chose – pour se séparer de la mère, et s’en sépare même si bien qu’il prend un rythme cardiaque et une composition élémentaire qui n’est pas la même. Ce travail, c’est bien ce que nous appelions le travail de la personnalité. »

    Peut-on soutenir une telle idée ? Cela nous semble difficile parce que l’embryon est en état de préparation pour devenir une personne. Il n’est pas encore. Peut-on sentir l’odeur d’une semence ? Ne faut-il pas attendre qu’elle devienne une rose ? Il y a dans cette affirmation, nous semble-t-il, une précipitation encore courante de nos jours.

    Nous suivons ce souci de distanciation de Janet. Pour nous, la lampe, la table sont des exemples du champ du physique, des structures solides mortes, l’embryon vivant du champ de l’organisme et l’être qui parle du champ du corporel.

    De même, quittant Janet, peut-on dire qu’il y a une théorie du corps chez Paul Schilder ? Nous ressentons une certaine confusion dans son ouvrage L’image et l’apparence du corps humain, avec la tentative de donner des fondements physiologiques à l’image du corps⁷ mais, surtout, avec une lecture neuro-psychologique où nous trouvons dans la même page le « schéma » corporel⁸ et l’« image » du corps⁹. Notre remarque ne doit pas donner au lecteur le sentiment que nous n’apprécions pas le travail de Schilder. Quand il écrit que « Nous sommes accoutumés à posséder un corps complet »¹⁰, nous ne pouvons qu’approuver. Mais cela ne nous semble pas établir une théorie du corps, même si cela contribue à une théorie prenant en compte le « fondement physiologique du corps », c’est-à-dire l’organisme. Jean Lhermitte glissa aussi dans une lecture neuro-psychologique du corps, même si chez lui, nous reconnaissons une plus grande mise en valeur de la dimension imaginaire du corps¹¹.

    Nous verrons plus loin que les psychosomaticiens ont été sensibles à la clinique du corps, mais en paraissant préférer le réel (Georg Groddeck) ou l’imaginaire (Franz Alexander, Pierre Marty), plutôt que le symbolique articulé au réel et à l’imaginaire (l’Œdipe et la castration).

    Peut-on dire que, jusqu’à aujourd’hui, personne n’a élaboré une théorie du corps ? Il nous semble que Freud et Lacan ont proposé des théories partielles du corps. La théorie du corps chez Freud naît de sa clinique avec les hystériques, nous en reparlerons. Celle de Lacan est née de sa théorie des nœuds.

    L’article de Louis de la Robertie met en ordre la notion du corps chez Lacan¹², mais a-t-il totalement raison lorsqu’il écrit : « Ne nous attardons pas sur ses premiers écrits, où Lacan, jeune psychiatre, pose le corps comme étant le corps souffrant, le corps malade »¹³ ?

    En lisant les textes de Lacan publiés entre 1926 et 1929, nous trouvons une référence au corps. En 1929, il évoque un syndrome d’hypertonie à type extra-pyramidal¹⁴. C’est le Lacan neurologue. Il semble que dans le syndrome de Parinaud, nous avons affaire à une paralysie des saccades verticales, à la fois vers le haut et le bas, ou le haut seulement, ou le bas seulement, avec respect des ROC [réflexe oculo-céphalique]¹⁵. Il paraît que dans le cas du syndrome de Parinaud, ce qui est en jeu c’est une lésion du tronc cérébral. S’il s’agit d’une lésion, nous serions plutôt dans le champ de l’organisme, non dans celui du corps et de l’image du corps comme le pense de La Robertie¹⁶.

    Puis, de 1930 à 1939, les références de Lacan au corps sont liées à des troubles neurologiques et psychiatriques, mais aussi à l’organisme malade, c’est-à-dire à des atteintes neurologiques¹⁷.

    Il nous semble que nous pouvons parler d’un Lacan neurologue¹⁸ et d’un Lacan psychiatre¹⁹ avant d’un Lacan devenu psychanalyste.

    En 1931, il nous communique un cas de folie à deux. Il s’agit d’une femme de 44 ans dont le propre corps est 

    « quadrucéphale à l’œil vert. Ce qui l’a mis sur la voie, c’est que son sang est parfumé. Sa peau se durcit et se métallise à de hautes températures ; elle est alors en perle et donne naissance aux bijoux. Ses parties génitales sont uniques, car il y a pistil, comme une fleur. Son cerveau est quatre fois plus fort que les autres, ses ovaires sont les plus résistants. Elle est la seule femme au monde qui n’a pas besoin de faire sa toilette »²⁰.

    La malade se déclare être unique et en veut pour preuve ses résurrections successives : « (…) quand elle meurt, elle est réduite en cendres et en renaît comme en témoigne ce qui s’est passé en 1885 et son retour à la vie en 1887 selon des papiers qui sont à l’hôtel de ville : le petit corps qu’on a tiré alors de son corps, a subi toutes sortes d’épreuves (…) »²¹. À la question : « Qu’est-ce qu’une mère ? », elle répond : « Une dame qui a fait sa toilette et à qui la mairie a installé un enfant qu’on a sorti de mon corps. »²² Nous avons ici, selon Lacan, un cas de délire paranoïde, un des trois éléments (avec l’autisme et la discordance) fondateurs de la schizophrénie. « La structure délirante paranoïde est caractérisée par une formulation abstraite, incohérente, mal systématisée, voire absurde »²³. Mettons aussi en évidence la non-appartenance corporelle de la malade qui, selon Antoine Porot, « ne fait pratiquement jamais défaut »²⁴.

    Dans son article Structures des psychoses paranoïaques, Lacan affirme que « Les stigmates somatiques [dans les psychoses paranoïaques] y sont, semble-t-il, beaucoup plus fréquents »²⁵. Le stigmate, s’il n’est pas produit par l’individu, est à saisir du côté de l’organisme, puisqu’il y a effraction de l’organisme. La cicatrice est à mettre du côté du corps. Si nous suivons cette logique, pouvons-nous dire qu’à cette époque, Lacan n’a pas encore fait de différence entre organisme et corps, et cela parce qu’il n’est pas encore psychanalyste ? II est vrai qu’il parle avec beaucoup de réserve de la psychanalyse et des psychanalystes.

    Dans son article Troubles du langage écrit chez une paranoïaque présentant des éléments délirants du type paranoïde (schizographie), Lacan parle de « l’état somatique » et de « signe organique » sans aucune distinction²⁶. À cette époque, Lacan pouvait dans la même phrase écrire sur « l’examen somatique »²⁷ et « l’examen physique » sans se soucier davantage. Mettons toutefois un bémol : cet article était publié par deux autres auteurs. Dans sa thèse, Lacan n’évoque la notion de corps qu’en citant Ernst Kretschmer²⁸. Dans la deuxième partie de sa thèse, il se pose la question de savoir si la psychose de son cas représente un « processus organo-psychique », ce qui semble contredire La Robertie car Lacan n’est pas dans le registre du corps²⁹, mais encore dans celui de l’organisme.

    En 1937, Lacan fait une intervention sur le stade du miroir. C’est la première fois que le corps est mis en évidence chez lui sans la dimension organique ou physique. « Le corps chez Lacan à ce moment est un corps articulé à l’image que le moi reçoit de l’autre »³⁰.

    En intervenant dans l’exposé de Marie Bonaparte, Lacan dit que la représentation narcissique, qui est le stade du miroir, « explique l’unité du corps humain »³¹.

    En prenant la défense de Charles Odier, Lacan met en évidence que le schéma corporel est précedipien³². Ici, il fait référence au schéma corporel et non à l’image du corps, qui elle est œdipienne. Nous pouvons repérer l’usage que Lacan fait du corps quand cette conférence est publiée, 13 ans plus tard, dans les Écrits : Lacan y évoque la « forme totale du corps »³³ et 1’« imago du corps propre »³⁴. À ce moment du texte, l’image, l’identification à l’autre, donne forme (Gestalt) au corps au point de produire des « effets formatifs sur l’organisme »³⁵, c’est-à-dire que, par identification à l’autre, le Moi forme un corps qui produit des effets de dénaturation de l’organisme. Pour affirmer cela, Lacan ne s’appuie pas sur sa clinique, comme nous le faisons aujourd’hui, mais sur « une expérimentation biologique »³⁶ voire éthologique.

    Il dit que « La fonction du stade du miroir s’avère pour nous dès lors comme un cas particulier de la fonction de l’imago, qui est d’établir une relation de l’organisme à sa réalité – ou, comme on dit, de neurologue à neurologue »³⁷, c’est-à-dire, du monde intérieur à l’environnement. N’y a-t-il pas dans cette formule plusieurs éléments qui viennent nous indiquer encore une indistinction entre organisme et corps dans la pensée de Lacan ?

    Pouvons-nous traduire « de l’organisme à la réalité » comme un mouvement qui va de l’organisme à la réalité psychique ou à la réalité comme une assimilation par l’individu du réel, ou encore à la réalité projetée de son image dans le miroir ?

    Avons-nous le droit d’affirmer que la définition du corps chez Lacan est ici une affaire de régulation de l’image, comme les lentilles d’un microscope ? Nous passons de « l’insuffisance à l’anticipation »³⁸. A-t-il raison de parler de « drame » ?³⁹. Le corps est-il un tour de force chez un être qui n’est pas prêt mais qui veut se croire prêt ? Le corps est-il un rassemblement des morceaux organiques orchestré par le Moi ? Et ce dernier lie-t-il le tout avec le fil de l’imaginaire ? Nous avons représenté le Moi comme un diamant⁴⁰, il est dur et, même lorsqu’il se morcelle, il garde toujours sa structure⁴¹.

    Dans Les complexes familiaux dans la formation de l’individu, Lacan écrit qu’« il apparaît que l’imago de l’autre est liée à la structure du corps propre et plus spécialement de ses fonctions de relation, par une certaine similitude objective »⁴². Dans ce même texte, il fait usage d’une expression étonnante. Il écrit que « Le stade [du miroir] ainsi considéré répond au déclin du sevrage, c’est-à-dire à la fin de ces six mois dont la dominante psychique de malaise, répondant au retard de la croissance physique, traduit cette prématuration de la naissance qui est, comme nous l’avons dit, le fond spécifique du sevrage chez l’homme »⁴³. C’est la « croissance physique » qui nous étonne. Il n’y a, nous semble-t-il, dans la langue française, rien qui puisse justifier l’usage du mot physique pour articuler une croissance concernant l’homme ou l’animal. Le mot qui, selon nous, serait plus approprié est celui de croissance organique. Le mot physique est trop chargé dans son rapport avec la matière inanimée pour que nous puissions comprendre qu’il soit utilisé dans le registre auquel Lacan fait référence. Il se reprend d’ailleurs lorsqu’il évoque le « geste de référence à quelque partie du corps propre »⁴⁴. Freud, intuitivement, dans sa distinction, inconsciente, entre l’organisme et le corps, définit l’organisme comme étant un rassemblement d’organes et le corps comme un rassemblement de ses parties (le mot ici utilisé par Lacan) liées par le Moi, ce qui donne à ce dernier le statut de corporel.

    L’hypothèse de Lacan est que le petit d’homme, par l’incoordination prolongée des appareils, met en place un stade affectif et mental

    « constitué sur la base d’une proprioceptivité qui donne le corps comme morcelé : d’une part, l’intérêt psychique se trouve déplacé sur des tendances visant à quelque morcellement perceptif, dont le chaos atteint jusqu’à ses catégories, ‘‘espaces’’, par exemple, aussi disparates que les statiques successives de l’enfant, s’ordonne en reflétant les formes du corps, qui donnent en quelque sorte le modèle de tous les objets »⁴⁵.

    Bien entendu, il faut attendre dans la clinique, que le psychanalysant puisse évoquer les « fantasmes de démembrement, de dislocation du corps »⁴⁶.

    Il est vrai que Lacan fait usage du mot corps encore dans ce texte, par exemple quand il évoque les « transmutations délirantes du corps »⁴⁷, mais il ne nous définit pas ce qu’il met dans ce mot. Nous savons simplement que l’usage du mot corps dans le texte concerne la psychose.

    Lacan écrit que Freud parle d’un « symbolisme organomorphique »⁴⁸ que nous n’avons pas trouvé chez ce dernier en tant que concept. Le symptôme hystérique chez Freud est en effet une « désintégration d’une fonction somatiquement localisée : paralysie, anesthésie, algie, inhibition, scotomisation »⁴⁹, cependant, nous avons affaire à un symptôme localisé dans le corps, corps représenté autrement que par l’anatomie. D’où notre étonnement face à cette expression lacanienne (« symbolisme » et « organomorphique »). Une telle expression est-elle la preuve que la définition de corps est encore hésitante dans l’esprit de Lacan ? Est-elle la preuve que nous n’avons pas encore de définition de corps chez Lacan jusqu’à présent ? Nous pouvons dire qu’il est sensible au fait que « (…) l’expérience analytique suggère d’étendre toujours plus loin, et jusqu’à la détermination de maladies organiques les effets de l’autopunition »⁵⁰. Étonnante information car il ne nous donne pas des éléments de sa clinique sur la relation entre maladie organique et surmoi, même si nous sommes tout à fait d’accord avec cette remarque, que nous avons pu vérifier cliniquement⁵¹.

    Nous pouvons signaler qu’au cours de cette période durant laquelle Lacan évoque la maladie organique, ce qu’il appelle corps est pour lui une affaire qui tourne autour de l’image et du fantasme, comme les « fantasmes de démembrement et de morcelage corporel »⁵².

    En commentant la conférence d’Adrien Borel, Lacan dit que « ce n’est pas la même chose de dire que les maladies organiques sont des phénomènes de lutte et de dire que cette lutte soit un essai d’intégration des phénomènes morbides psychiatriques »⁵³. Il faut entendre ici « maladies organiques » comme étant des maladies avec lésion, ce qui n’est pas le cas des maladies corporelles.

    Notre dette envers la psychanalyse est immense. Pour preuve, ce commentaire fait par Lacan dans son texte intitulé Propos sur la causalité psychique⁵⁴ au sein duquel il met ensemble, dans le même paragraphe, « l’organique », le « psychique » et le « corps »⁵⁵. Il fallait seulement mettre les mots en ordre. Notre expérience clinique nous a aidés à le faire. La perspective dans la cure d’un malade organique est de corporéifier l’organisme et d’aller vers son monde psychique, à savoir le fantasme et sa traversée.

    Prenons encore une seule page pour situer la logique, chez Lacan, de ce passage de l’organisme à la relation psychique, en passant bien entendu par le corps. À la page 182, il écrit : « L’imago a-t-elle donc cette fonction d’instaurer dans l’être un rapport fondamental de sa réalité à son organisme ? »⁵⁶ Ici, il reconnaît les deux berges de la rivière. D’un côté, il met l’être, et de l’autre, son organisme. Qu’est-ce qui lie, qui fait pont, dans la question de Lacan, entre l’être et l’organisme ? Il nous semble que c’est ce « rapport fondamental de [l’être] à sa réalité ». Ce rapport fondamental, est-ce ce que nous pourrons nommer le corps ? Le corps est-il ce rapport fondamental entre la réalité de l’être et de l’organisme ? L’imago est une autre structure⁵⁷. Et cette structure – l’imago – a comme fonction d’instaurer dans l’être ce rapport. Ainsi, l’imago, ce n’est pas le corps, mais elle participe à la constitution dans l’être de cette relation fondamentale de sa réalité (de l’être) avec son organisme. D’où notre formule :

    Organisme + Moi (l’être en relation fondamentale à sa réalité, c’est-à-dire, ce qu’il a saisi du réel) = corps

    Pouvons-nous dire que ceci est notre hypothèse d’une possible définition de corps chez Lacan ? Il nous semble qu’il est encore pris entre deux eaux, c’est-à-dire, entre la médecine et la psychanalyse. Nous voulons pour preuve de ce que nous avançons cette phrase : « L’habitude et l’oubli sont des signes de l’intégration dans l’organisme [où nous pensons qu’il faut parler de corps] d’une relation psychique : toute une situation, pour être devenue au sujet à la fois inconnue et aussi essentielle que son corps, se manifeste normalement en effets homogènes au sentiment qu’il a de son corps. »⁵⁸ Le corps chez Lacan ne porte pas de contradiction avec les objets perçus, ou, comme il l’écrit : « (...) il n’y a aucune antinomie entre les objets que je perçois et mon corps »⁵⁹.

    Il dira que « Le phénomène d’identification du corps propre est la matrice sur laquelle se forment les identifications ultérieures »⁶⁰, mais il ne dit pas ce qu’est un corps selon lui.

    En affirmant que « Des phénomènes liés à telle ou telle lésion neurologique font réapparaître cette image de façon plus appauvrie et plus objective »⁶¹, Lacan peut nous laisser entendre que le corps est de l’ordre de l’imaginaire, d’une organisation qui peut se caractériser par une consistance intouchable, comme les courants d’air qui peuvent faire monter un planeur et qui en leur absence peuvent faire descendre plus vite ce dernier. Mais il n’affirme pas que le corps est ici à mettre du côté de l’imaginaire, c’est-à-dire, il n’y a pas, pour l’instant, de conceptualisation du corps. Il évoque « l’imaginaire », mais en contre-argument à une théorie du schéma corporel de Lhermitte⁶². Nous pouvons penser que la confusion terminologique semble généralisée car Lhermitte fait usage d’un concept largement neurologique et élaboré à partir de la clinique Head⁶³. À la fin de son commentaire, Lacan nous laisse entendre qu’il s’éloigne de la dimension organique, neurologique, et qu’il va vers l’imago.

    Dans L’agressivité en psychanalyse, Lacan propose une phénoménologie de la notion de corps. Il explique le phénomène, mais il ne nous confie pas sa définition de corps. À la page 104, il parle de ces phénomènes mentaux qui s’appellent les images, des « imagos » [selon l’appellation antique] que j’ai regroupées sous la rubrique qui paraît structurale « d’imagos du corps morcelé »⁶⁴. Notre remarque n’a rien de péjoratif, elle est une constatation. Un scientifique trébuche avant de développer un concept. Nous ne pouvons donc pas encore parler de corps comme étant de l’ordre de l’imaginaire puisque Lacan n’a pas encore défini ce qu’est, selon lui, un corps. Bien entendu, nous pouvons repérer la présence de ce qui deviendra l’imaginaire dans la conception de ce qui constituera le concept de corps. Nous pouvons repérer chez lui l’influence de l’éthologie jusqu’à Lhermitte, par exemple, mais nous n’avons pas encore le concept de corps chez Lacan. Il semble être en train de l’élaborer. Ne pas avoir la définition d’un mot pose de très grands problèmes d’ordre logique. Par exemple, sur le « rapport spécifique de l’homme à son propre corps »⁶⁵ dans les images « de castration, d’éviration, de dévoration, de mutilation, de démembrement, de dislocation, d’éventrement, d’éclatement du corps »⁶⁶, nous pouvons constater une série de pratiques comme le tatouage, l’incision, la circoncision jusqu’à « l’arbitraire procustéen de la mode, en tant qu’il [le rapport spécifique de l’homme à son propre corps] dément dans les sociétés avancées ce respect des formes naturelles du corps humain, dont l’idée est tardive dans la culture »⁶⁷. Or, nous ne pouvons pas discuter si nous ne savons pas ce qu’est un corps pour un auteur, Lacan en l’occurrence.

    Le lecteur remarquera que le corps humain est au centre même de cette phrase. Mais Lacan passe de la lecture sociologique (« l’arbitraire procustéen de la mode ») à la lecture ethnologique (« les rites du tatouage, de l’incision, de la circoncision dans les sociétés primitives »). À notre avis, il manque encore, à ce moment de son œuvre, une lecture clinique, issue de sa clinique.

    L’unique définition possible du corps est-elle clinique et psychanalytique ? Clinique parce que la clinique vétérinaire ne peut pas définir le corps humain, et psychanalytique parce que la clinique médicale a comme champ d’opération et de compétence l’organisme ? Alors le psychanalyste a la grande responsabilité de savoir de quoi il parle quand il se réfère au corps.

    Lorsque Lacan écrit que quelques individus font appel aux coups pour le « repérage du corps »⁶⁸, nous pouvons sans crainte être d’accord avec lui puisque plusieurs de nos patients évoquent des moments d’auto-flagellation ou même d’automutilation pour « sentir leur corps », « sentir qu’ils sont vivants », mais cela ne définit pas un corps. Nous sommes encore dans le champ du phénomène et dans une lecture strictement imaginaire même... du corps. Que l’individu qui vient nous consulter fasse une lecture imaginaire de son corps, cela va de soi ; que le psychanalyste soit pris dans l’imaginaire, cela devient plus compliqué.

    Plus loin, Lacan nous indique que l’imago du corps propre a une « fonction décisive »⁶⁹ dans la détermination de la phase narcissique »⁷⁰. Notre tentation est d’essayer de généraliser une telle phrase et non de la limiter à la « relation clinique entre les anomalies congénitales de la latéralisation fonctionnelle (gaucherie) et toutes les formes d’inversion de la normalisation sexuelle et culturelle »⁷¹.

    Dans sa communication sur le stade du miroir, nous pouvons dégager trois organisations dynamiques fondamentales, à savoir le je, le moi et la forme ou imago du corps propre⁷². Le stade du miroir est à comprendre comme l’identification « produite chez le sujet quand il assume une image »⁷³. Le je est ce que nous allons trouver comme le plus caractéristique de la matrice symbolique, souche qui servira à la constitution du moi. Quant à l’imago du corps, elle assure un mirage de maturation. Cela dit, Lacan ne donne pas encore sa définition de corps, comme il donne celle de l’inconscient, par exemple.

    À la page 96, il écrit que « La fonction du stade du miroir s’avère pour nous dès lors comme un cas particulier de la fonction de l’imago, qui est d’établir une relation de l’organisme à sa réalité – ou, comme on dit, de neurologue [monde intérieur] à l’Umwelt [environnement) ».⁷⁴ Nous pouvons repérer ici un jeu des miroirs, mais sans la définition du corps.

    Dans un article intitulé Some reflections on the ego, Lacan écrit qu’une théorie « peut être considérée comme psychanalytique dans la mesure où elle traite de la relation du sujet à son propre corps dans des termes d’identification à une imago, qui est la relation psychique par excellence »⁷⁵. Lacan a-t-il ici à l’esprit une théorie génétique qu’il souhaite psychanalytique car elle vise la relation du moi au corps dans les formes d’une identification à l’image ?

    Nous pouvons ici dégager :

    a) L’attachement de Lacan à la biologie ;

    b) La preuve même que le corps n’est pas exclu de sa théorie (le corps est au centre même de sa pensée) ;

    c) L’idée que le corps et le moi sont liés par une identification imaginaire.

    Pour la première fois, nous pouvons repérer la présence de l’imaginaire⁷⁶ dans sa relation au corps.

    Encore deux remarques : l’imaginaire ici est lié à l’identification, mais il ne dit pas ce qu’il met dans ce qu’il appelle le corps, même si l’« imago du corps morcelé »⁷⁷ était dans les années 1940 d’un usage courant « parmi les analystes français »⁷⁸. Le positionnement neurologique, génétique, éthologique et ethnologique de Lacan sur la question du corps vient nous conforter dans l’idée qu’ici nous sommes dans le champ du schéma corporel et non de l’image du corps. Mais tout cela, pour l’instant, n’a pas une grande importance puisque nous ne savons pas encore ce qu’est un corps pour Lacan.

    Dans son Intervention sur le transfert, Lacan évoque la notion⁷⁹ de corps, de « son propre corps » (à la femme)⁸⁰, sans nous dire encore ce qu’il entend par-là.

    Dans son discours de Rome, par exemple, Lacan parle de « béance organique »⁸¹ et il met ensemble l’« épine lésionnelle ou complaisance du corps »⁸². Nous pouvons constater ici l’indifférenciation qu’il semble faire entre la maladie organique (organe lésé) et la maladie psychique (la complaisance somatique caractérisant le terrain corporel nécessaire à la mise en place symptomatologique de la structure hystérique) car nous savons que toutes les personnes qui font des maladies organiques n’ont pas une structure hystérique. D’ailleurs, pour connaître la structure en place, nous pensons que le psychanalyste doit d’abord s’engager à installer le transfert. Mais même avec le transfert établi, comme dans une psychothérapie⁸³ par exemple, nous ne pouvons nous prononcer sur la structure et la direction de la cure que lorsque le malade ou le patient entre en psychanalyse, c’est-à-dire lorsqu’il devient psychanalysant.

    Une des façons d’accéder à l’inconscient est la voie du corps, que Lacan appelle « monument »⁸⁴. Pour la première fois, Lacan dit ce qu’est pour lui un corps. Un corps c’est un monument dans le sens que Littré nous indique, à savoir une « Construction faite pour transmettre à la postérité la mémoire de quelque personnage illustre, ou de quelque événement considérable »⁸⁵.

    Ainsi, cette première période des travaux de Lacan, que La Robertie appelle « corps et image du corps », ne nous paraît pas mériter ce titre, car Lacan nous dit que le corps est défini comme un monument, ce qui n’est pas à dissocier d’un symbole. Nous reconnaissons que Lacan a fait largement usage de l’image pour évoquer le corps. Nous reconnaissons aussi la présence d’une connaissance approfondie des travaux de Head, Konrad Lorenz et Lhermitte, pour n’en citer que quelques-uns.

    Nous ne sommes pas d’accord avec La Robertie quand il affirme qu’à cette période, que nous avons située maintenant de 1926 à 1953, Lacan, « jeune psychiatre, pose le corps comme étant le corps souffrant, le corps malade »⁸⁶. Cette affirmation nous apparaît étonnante. Pour nous, à ce moment-là, il n’y a pas chez Lacan une telle distinction entre corps et organisme, fait que nous avons signalé ci-dessus en nous appuyant sur les textes neurologiques, psychiatriques et psychanalytiques de Lacan. Quant à la phase du miroir, nous témoignons que le moi se précipite à rassembler et souder imaginairement l’organisme grâce à l’Autre. Mais cela peut difficilement nous autoriser à dire que nous avons rencontré une définition lacanienne du corps, sauf bien entendu vers la fin de cette première période où le corps est défini, répétons-le, comme monument.

    Nous avons affirmé qu’alors Lacan utilisait indistinctement organisme et corps. La Robertie, quant à lui, affirme que l’image du corps propre « permet, par identification, d’anticiper son unité à la fois physique et psychique »⁸⁷. Le mot « physique », selon nous, ne concerne en rien l’expérience du vivant. Ainsi, nous proposons uniquement l’usage des mots « corps » et « organisme », laissant le mot « physique » à l’usage des structures inanimées. Affirmer que Lacan attribue « l’unité du corps à l’unité de l’image »⁸⁸ est pour nous questionnable. Signalons que nous n’avons pas trouvé un tel rapprochement. D’ailleurs, peut-on introduire des mots si importants pour nous comme « unité », « corps » et « image » sans savoir ce qu’ils valent du point de vue conceptuel ?

    La Robertie assure qu’« il ne suffit pas d’un organisme vivant pour pouvoir parler d’un corps, mais il faut un organisme et une image »⁸⁹. Nous sommes d’accord avec lui dans la première partie de sa phrase, mais nous avons des réticences quant à la seconde partie. Un organisme et une image ne constituent pas un corps. Un chien ou un poisson qui se regarde dans un miroir ne constitue pas un corps. Cela peut constituer à la limite une relation imaginaire. Il faut enfin dire que cette articulation, nous ne la trouvons pas dans la première période des études de Lacan. Il s’agirait plutôt d’une interprétation de La Robertie. Nous pouvons lire par la suite : « À ce moment de l’élaboration lacanienne, un corps serait précisément un organisme unifié par l’image dans un système d’identification »⁹⁰. Pouvons-nous dire que Lacan s’éloigne du concept et du maniement clinique de l’organisme, mais qu’il n’est pas encore dans le maniement du concept de corps ? Le corps comme monument, comme symbolisme, nous laisse au moins penser qu’il s’éloigne du corps comme rassemblement précipité d’images.

    En 1955, Lacan parle du « pouvoir de la vérité en nous et jusqu’en notre chair »⁹¹. Comment saisir l’usage de ce mot ? Bien entendu, il a raison d’évoquer la vérité plantée dans la chair⁹². Cependant, notre visée ici est de dégager le concept de corps chez Lacan. D’où notre étonnement. Le mot « chair » vient-il ici nous plonger dans la confusion ? Il y a dans ce mot une porte ouverte au trouble. Selon Le Littré, le mot « chair » nous donne la possibilité de saisir une dimension physiologique (les parties molles du corps de l’homme et des animaux) et une dimension symbolique (« Le Verbe s’est fait chair »).

    En 1956, Lacan traduit un texte de Martin Heidegger intitulé Logos⁹³. Notre question, qui est aussi une hypothèse, est la suivante : ce texte a-t-il influencé Lacan dans la distinction entre organisme et corps ? Notre hypothèse est née de la phrase suivante :

    « Les oreilles auxquelles on a affaire en anatomie et en physiologie n’ont jamais, comme organes d’un sens, donné matière au plus petit fait d’ouïr, alors même que nous le prendrions simplement pour le fait de percevoir des bruits, des sons articulés et des tonalités. Une telle perception ne peut être ni constatée anatomiquement, ni démontrée physiologiquement, ni être saisie en général biologiquement comme un processus qui suit son cours à l’intérieur de l’organisme, encore que ce qui est de percevoir ne prenne vie qu’autant qu’il soit d’un corps. C’est ainsi qu’aussi longtemps que, pour méditer sur ce que nous oyons, nous partons de l’acoustique à la façon des sciences, tout est la tête en bas »⁹⁴.

    Avec ce texte, Lacan ne se sépare-t-il pas d’une lecture du corps, genre mi-figue, mi-raisin, pour aller dans une voie effective de réflexion sur le corps, c’est-à-dire le corps dépourvu de ses amarres anatomophysiologiques ? Heidegger, à notre avis, a éclairé Lacan quant au fait de sortir de sa lecture neurologique, psychiatrique, médicale de l’organisme.

    Certes, nous n’avons pas encore une définition lacanienne du corps, mais nous pouvons supposer l’effet de ce texte sur Lacan. Pouvons-nous dire que ce texte d’Heidegger est le diviseur d’eaux pour Lacan de ce que n’est pas un corps ? Autrement dit, Lacan sait, avec le texte d’Heidegger, ce que Freud savait intuitivement, c’est-à-dire qu’un corps n’est pas un organisme. Cette remarque d’Heidegger, nous semble-t-il, est un pas majeur pour la lecture lacanienne du corps.

    Quand Lacan publie, en collaboration avec Robert Levy et Henri Danon-Boileau, Considérations psychosomatiques sur l’hypertension artérielle, nous avons été, tout d’abord, surpris par leur introduction : « Nous n’envisagerons ici que les formes dites essentielles de cette affection [l’hypertension artérielle], éliminant du cadre de cette étude les cas où une étiologie organique précise a été décelée. »⁹⁵ Tout d’abord, il nous semble que ces auteurs font de la résistance à la psychosomatique de Pierre Marty et des siens. Malheureusement, leurs résistances tombent dans un registre scientifique qui les éloigne de la clinique médicale, la clinique de l’organisme malade.

    Dans la séance du 24 février 1954, Lacan nous laisse-t-il entendre que l’expérience du bouquet renversé peut nous instruire à saisir le corps en tant qu’image ? Le corps peut-il être interprété comme étant le « vase imaginaire qui contient le bouquet de fleurs réel »⁹⁶ ? Vase imaginaire d’avant la naissance du moi, et donc du corps, car après la naissance du moi et le surgissement du corps, le vase est contenu par le réel. À l’intérieur du vase, nous trouvons le moi ; à l’extérieur du vase, le réel.

    Nous nous interrogeons sur l’avis de Serge Leclaire qui, dans l’Introduction au narcissisme, soutient que nous pouvons considérer « l’influence des maladies organiques sur la répartition libidinale (...) comme une excellente introduction à la médecine psychosomatique »⁹⁷. Si nous pouvons partager l’enthousiasme de la première partie de la phrase, nous tenons à dire que ce texte freudien indique qu’il est possible de travailler en tant que psychanalyste avec le malade atteint dans son organisme. Tout notre travail va dans ce sens.

    Lacan se frotte à la définition du corps en disant que la distinction « de notre conscience et de notre corps (...) fait de notre corps quelque chose de factice »⁹⁸. Ainsi, nous pouvons conclure que l’organisme est naturel et qu’en ayant conscience de son corps, l’être parlant artificialise l’organisme en lui donnant le statut de corps. Le corps, en tant que monument de la première définition lacanienne, devient, avec la deuxième définition de Lacan, corps en tant que factice, c’est-à-dire « qui est fait ou imité par l’art », selon Le Littré. L’organisme est naturel, le corps est artificiel. Le corps est-il un fétiche ? Le corps de la chirurgie esthétique est-il un fétiche ? Le corps n’est pas artificiel de par la chirurgie esthétique, il l’est parce qu’il n’est plus organisme. Il semble que la chirurgie esthétique ait de beaux jours devant elle, elle qui se contente d’être une pratique qui institutionnalise le mirage par où doit inévitablement passer la libido. Dans notre pratique avec les chirurgiens plasticiens, nous essayons de sortir le patient de la tentation de continuer dans la voie imaginaire de la chirurgie plastique⁹⁹ pour l’introduire dans la relation avec le symbolique qui produit des effets dans le réel. La chirurgie plastique produit des effets dans l’imaginaire, même si son intervention est dans le réel. La psychanalyse, en travaillant à partir du symbolique dans l’imaginaire, produit des effets dans le réel.

    Ce que Jean Hyppolite appelle corps idéal, Lacan appelle Ideal-Ich ou Idealich :

    « (...) l’homme dans ses premières phases, n’arrive pas d’emblée, d’aucune façon, à un désir surmonté. Ce qu’il reconnaît et fixe dans cette image de l’autre, c’est un désir morcelé. Et l’apparente maîtrise de l’image du miroir lui est donnée, au moins virtuellement, comme totale. C’est la maîtrise idéale (...) C’est l’Ideal-Ich. Son désir, lui, au contraire, n’est pas constitué. Ce que le sujet trouve dans l’autre, c’est d’abord une série de plans ambivalents, d’aliénations de son désir – d’un désir encore en morceaux. Tout ce que nous connaissons de l’évolution instinctuelle nous en donne le schéma, puisque la théorie de la libido dans Freud est faite de la conservation, de la composition progressive d’un certain nombre de pulsions partielles, qui réussissent ou ne réussissent pas à aboutir à un désir mûr. »¹⁰⁰

    C’est par le biais du moi-idéal que l’individu va manipuler¹⁰¹ ou aider dans la manipulation¹⁰², pour que le corps puisse s’ajuster, par mirage ou dans le réel, au désir de l’autre.

    Hyppolite était un interlocuteur de taille pour Lacan. C’est lui qui évoque, en faisant référence à La Jeune Parque de Valéry :

    « le corps idéal, statutaire ou statue (…) Si je dis deux corps, ça veut dire simplement que ce que je vois constitué soit dans l’autre, soit dans ma propre image dans le miroir, c’est ce que je ne suis pas, et en fait ce qui est au-delà de moi. C’est ce que j’appelle le corps idéal, statutaire, ou statue. Comme dit Valéry dans la Jeune Parque – Mais ma statue en même temps frissonne, c’est-à-dire se décompose. Sa décomposition est ce que j’appelle l’autre corps. »¹⁰³

    D’ailleurs, comment s’étonner que, dans les cas des membres fantômes, les patients puissent continuer à ressentir la présence de la partie de l’organisme qui manque ? Le corps bâti à partir de l’autre ne peut exister qu’avec la constitution imaginaire idéale. C’est par la castration uniquement que le moi-idéal (Idealich) peut quitter le mirage qui lie le corps à l’autre. Le témoignage de cela est à repérer quand les êtres qui sont en psychanalyse changent corporellement. Tristes ou renfermés au début, pendant la cure, les patients deviennent plus ouverts corporellement, plus libres dans leur marche et dans la façon d’établir une relation avec l’autre. Les proches remarquent le changement, mais, la plupart du temps, pas les intéressés. Ils disent même le contraire, à savoir que la cure ne leur est point utile.

    Dans son texte La lettre volée, Lacan écrit : « C’est, on le sait, dans l’expérience inaugurée par la psychanalyse qu’on peut saisir par quels biais de l’imaginaire vient à s’exercer, jusqu’au plus intime de l’organisme humain, cette prise du symbolique. »¹⁰⁴ Si nous savons cela (puisqu’il dit « on le sait »), est-ce parce que Lacan, éclairé par Heidegger, nous a éveillés à articuler l’organisme humain – le réel – à partir de l’imaginaire et du symbolique ?

    Notre insistance à cerner le concept de corps nous paraît essentielle quand nous lisons la confusion qui peut régner autour de ce concept, par exemple lors d’une discussion rassemblant Daniel Lagache, Angelo Hesnard, Françoise Dolto, Xavier Audouard et Lacan sur le moi idéal¹⁰⁵. Ce qu’ils ont vécu, c’est, à notre avis, ce que nous vivons aujourd’hui concernant le corps.

    Il me semble important de remarquer qu’en 1957, dans une intervention à l’exposé de Juliette Favez-Boutonier, Dolto raconte l’histoire d’une enfant juive en ces termes : « Son image du corps : c’était des trous au bout de tous les membres, mains, bouche, yeux, nombril. »¹⁰⁶ Mettons en évidence cette constatation clinique, à savoir que l’image du corps de cette enfant, c’était des trous. Qui théorisera cela ? Lacan ou Dolto ?

    Nous pouvons conclure, à partir de l’intervention de Dolto dans l’exposé de Paul Matussek, que c’est elle qui revient et qui montre un intérêt sur la question du corps¹⁰⁷. Lacan, quant à lui, en 1958, dans son texte D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose, est dans une lecture du corps morcelé, de la relation imaginaire et

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