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Mort suspecte à l'école
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Mort suspecte à l'école
Livre électronique281 pages3 heures

Mort suspecte à l'école

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À propos de ce livre électronique

Pierre-Olivier Petit, directeur adjoint de la Petite École, est retrouvé sans vie dans son bureau après la représentation d’un des spectacles de fin d’année. Les circonstances de sa mort sont suspectes. Dans le cadre du reportage qu’elle effectue, la journaliste Emmy Langlois se trouve mêlée à l’enquête.

On soupçonne un crime homophobe ou une possible vengeance contre la victime. La disparition d’un autre membre du personnel vient brouiller les cartes. Les enquêteurs enjoignent Emmy à la prudence, toutefois sa propre vie sera menacée, une fois encore.
LangueFrançais
Date de sortie30 mai 2024
ISBN9782897759254
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    Aperçu du livre

    Mort suspecte à l'école - Marie-Michelle Gagné

    Prologue

    Longueuil, vendredi 15 juin 2018, 18 h 40

    Pierre-Olivier Petit ouvre la boîte et mord avec bonheur dans la pointe de pizza qu’on vient de lui livrer. Peu à peu, ses forces reviennent, alors qu’un peu plus tôt, il avait eu l’impression d’avoir été sur le point de défaillir. Malgré un léger retard, il pourra assister au spectacle des élèves de l’école dont il est le directeur adjoint. Sa secrétaire a dû monter sur scène à sa place pour accueillir le public et présenter l’animateur de la soirée.

    Soulagé, il lui écrit pour l’aviser qu’il se sent mieux et qu’il sera là pour la suite. Après avoir terminé son message, il repense à ce qui s’est passé une semaine auparavant et aux menaces que le père d’un des écoliers a proférées contre lui. « Est-ce que ma faiblesse est due à ma maladie ou est-ce que les paroles de ce gars ont pu m’affecter à ce point ? Non, ça peut pas être ça », se dit-il.

    Il ouvre la porte de son bureau, content de se sentir à nouveau en forme. Il ne remarque pas les billes qui jonchent le sol et fait à peine deux pas dans la pièce attenante avant de perdre l’équilibre. Il tente de le retrouver en s’agrippant au cadre de porte. Toutefois, une forte poussée le fait tomber vers l’avant. Sa tête heurte violemment le coin d’un classeur et tout devient noir autour de lui.

    Chapitre 1

    Longueuil, vendredi 8 juin 2018, 16 h 30

    Pierre-Olivier Petit ferme le couvercle de son portable. Satisfait du travail accompli durant sa journée, il recule ensuite sa chaise pour s’étirer et chasser le stress accumulé tout au long de cette semaine. Quand il a accepté le poste de directeur adjoint à la Petite École, il n’imaginait pas l’ampleur du défi. Passer d’enseignant de première année à gestionnaire demande énormément d’énergie.

    L’établissement qui l’emploie occupe deux pavillons : les Petits Lions pour le préscolaire et le 1er cycle et les Lionceaux pour les élèves plus vieux. Sa responsabilité concerne principalement les plus petits. Aussi, passe-t-il la majeure partie de son temps dans l’édifice qui les accueille. À l’occasion, il est appelé à épauler l’équipe du personnel de l’autre bâtisse. Il s’engage également dans plusieurs comités qui touchent tous les enfants.

    Dans moins d’un mois, ce sera les vacances estivales. Pour souligner la fin de l’année, des activités viendront pimenter les derniers jours de classe. Parmi celles-ci, deux spectacles-bénéfice pour lesquels Pierre-Olivier s’est impliqué d’arrache-pied. L’objectif de la levée de fonds est d’améliorer l’état des bâtisses et des terrains ainsi que d’acheter de l’équipement sportif et des instruments de musique. Il a su trouver les arguments pour convaincre les parents du conseil d’établissement. Plusieurs d’entre eux imaginent que les subventions du ministère suffisent à combler tous les besoins des élèves. Finalement, ses efforts ont porté fruit et le projet a été approuvé à l’unanimité. Les préparatifs vont bon train. Il a reçu de la part de la majorité du personnel un bel appui. À moins d’une semaine de la première représentation, il se sent confiant. Tout devrait être prêt dans les délais prévus. L’esprit en paix, il s’apprête enfin à profiter d’un week-end bien mérité.

    Des coups frappés avec force et insistance contre sa porte le font sursauter. Curieux et légèrement inquiet, il invite la personne à entrer. Un homme de taille moyenne à l’allure d’un haltérophile s’engouffre dans la pièce et se plante devant lui les bras croisés. Pierre-Olivier reconnaît Fabien Bergeron. Celui-ci approche son visage rouge de colère à moins d’un centimètre du sien, avant de lui cracher sa hargne.

    — Écoute-moi bien Men, c’est la dernière fois que mon gars danse icitte. C’est ben parce que ma femme a l’a rien voulu savoir que j’ai pas cancellé son inscription. Si c’était juste de moé, y serait dans une autre école, mais ça l’air que ça marche pas de même. Ostie, si j’avais du cash, c’est au privé qu’y irait Noah. Pis j’y achèterais un kit pour jouer au hockey. En tout cas, on peut pas s’attendre à grand-chose dans une place dirigée par un fifi et une gang d’importés. C’tu clair ?

    Pierre-Olivier se demande comment réagir. Très jeune, il lui est déjà arrivé de régler ses conflits en se battant. Sa haute taille l’avantage et il n’a pas à lancer les gants très souvent. Depuis, il a appris les vertus du dialogue, ce qui lui évite d’en venir aux mains. Par ailleurs, celui qui se tient devant lui semble trop énervé pour entendre quoi que ce soit de sensé. S’il l’invite à se calmer, il n’en sera que plus irrité. L’adrénaline l’envahit, il bande ses muscles au cas où il devrait parer à une attaque physique, tout en s’exhortant mentalement à conserver son sang-froid. L’expérience lui a montré qu’il y a des moments où il est préférable de ne pas argumenter. Même s’il dépasse son vis-à-vis d’une bonne tête, il a conscience que la colère de celui-ci peut décupler ses forces.

    — T’as compris ou il faut que je te fasse un dessin ? crache l’homme rempli de hargne.

    Pierre-Olivier a l’impression que Fabien Bergeron est sur le point d’exploser. Lui-même fait appel à toutes ses ressources pour se retenir de répondre par la force. Il acquiesce d’un signe de tête sans cesser de fixer son adversaire. Il affiche un air imperturbable pour cacher le tumulte d’émotions qui l’a envahi. Finalement, l’homme détache son regard de lui, tourne les talons et se précipite hors de la pièce sans ajouter quoi que ce soit.

    Stupéfait, Pierre-Olivier reste figé quelques secondes. Jamais, il n’avait été attaqué de front sur son homosexualité. Il est vrai que rien dans ses manières ni dans son apparence ne donne d’indices quant à son orientation. Et même s’il ne la cache pas vraiment, il ne parle que rarement de sa vie personnelle. La colère du père de famille l’ébranle et lui rappelle les réflexions qu’il entendait autour de lui quand il était encore enfant et qui, à l’adolescence, le faisaient hésiter à sortir du placard.

    Il reprend ses esprits et compose le poste de la secrétaire de l’école pour la prévenir. Celle-ci décroche aussitôt.

    — Salut. Écoute, Fabien Bergeron vient de quitter mon bureau. Tu devrais peut-être fermer ta porte à clé, il est fou furieux. Je…

    Au moment même où il prononce ces mots, celle-ci voit l’individu sortir de l’établissement au pas de course. Surprise, elle n’écoute plus ce que son patron lui dit.

    — Ça va, il est dehors, le coupe-t-elle. Qu’est-ce qui arrive ?

    — Heu… j’ai besoin d’un moment encore pour reprendre mes esprits. Je te rappelle dans pas long.

    — Hé ! Minute ! Il faut que je parte, j’ai un rendez-vous. D’ailleurs, ma journée est terminée depuis un bon bout de temps !

    — D’accord, c’est vrai. Excuse-moi, je n’avais pas vu l’heure. Je voulais juste t’avertir.

    — OK, mais… est-ce que ça va aller ? s’enquiert-elle prête à différer son départ en entendant le désarroi dans la voix de Pierre-Olivier.

    — Oui, oui… Je suis un peu surpris de sa réaction, mais ça va aller.

    — Bon, alors j’y vais. Bonne fin de semaine quand même.

    * * *

    Pierre-Olivier raccroche sans attendre. Il s’assoit et remarque avec dépit que ses mains tremblent. Il ferme les yeux, prend quelques inspirations afin de retrouver son calme. Il a envie de parler à son conjoint, mais il doit d’abord contacter le directeur pour discuter de la marche à suivre. Ce dernier décroche au deuxième coup. Pierre-Olivier lui fait rapidement un compte-rendu de la situation.

    — OK, c’est assez sérieux, constate son patron. On ne peut pas tolérer ça. Je suis encore aux Lionceaux. Si tu veux, viens me rejoindre.

    — Écoute, j’apprécie, mais quand il a déboulé dans mon bureau, j’étais sur le point de quitter pour le week-end. J’ai juste envie de rentrer à la maison.

    — Tu devras quand même écrire un rapport de l’événement. Viens me le montrer lundi matin avant de l’envoyer. On pourra contacter le siège social pour être certains de bien suivre la procédure. À cette heure-ci, c’est inutile d’essayer de joindre qui que ce soit.

    — Ouais, c’est bon. Écoute, je suis brûlé.

    — Ça marche ! S’il y a autre chose, ne te gêne pas pour m’appeler.

    Après avoir raccroché, Pierre-Olivier s’empresse de ramasser son portable pour rejoindre son mari et ses enfants. Il ressent le besoin impérieux de les prendre dans ses bras.

    Chapitre 2

    Varennes, samedi 9 juin 2018, 8 h

    — Papapop, papapop, au secours ! hurle Romy en déboulant dans le bureau de son père. Kim son jumeau la poursuit et tente désespérément de lui prendre des mains la manette du téléviseur.  

    — C’est à mon tour, proteste le garçonnet.

    Pierre-Olivier tourne la tête vers ses enfants. Âgés de quatre ans, les deux petits roux aux grands yeux noisette sont généralement adorables. Toutefois, les bessons sont insupportables quand ils se disputent. Il pousse un soupir exaspéré. Il essaie de rédiger un compte-rendu de l’incident survenu à l’école la veille.

    — Chéri, tu t’en occupes ! Je ne peux pas me concentrer avec leurs hurlements !

    Jeffrey Hamelin entre dans la pièce en essuyant ses mains tachées de peinture sur son tablier. Sans rien dire, il enlève à sa fille l’objet du différend et le pose sur une filière hors de leur atteinte. Aussitôt, les enfants retrouvent leur solidarité.

    — Mais papajeff, c’est pas juste ! conteste Kim.

    — Ce n’est pas gentil ! appuie sa jumelle.

    Sans se démonter, Jeffrey les entraîne hors du bureau et d’un ton qui ne laisse place à aucune discussion, il décrète :

    — Moi, je dis que c’est l’heure d’aller sur le trampoline.

    Les petits cessent aussitôt leurs récriminations. Avant de sortir de la pièce, Jeffrey lance un clin d’œil à Pierre-Olivier qui, en retour, lui offre un sourire rempli de reconnaissance.

    * * *

    Romy et Kim se sont endormis tôt. Après avoir terminé leur repas, les époux discutent tout en lavant la vaisselle.

    — Merci de t’être occupé d’eux ce matin. J’ai pu finaliser ce que je voulais faire.

    — Tant mieux ! Après tout, c’est moi le meilleur papa !

    — Et je ne vais pas te contredire. Avec mon travail, je suis moins disponible.

    — Hé ! Je blaguais. Les enfants t’adorent.

    — Ouais.

    — Comment ça ouais ?

    — Excuse-moi, j’ai un problème à l’école et je n’arrive pas à penser à autre chose. Oublie ça.

    Jeffrey ne dit rien. Il sait très bien que c’est la meilleure façon d’amener son conjoint à se confier. Et effectivement, après une minute de silence, Pierre-Olivier lui confie enfin ce qui le préoccupe.

    — C’est le père d’un élève. Il a fait une méchante montée de lait. J’ai eu l’impression qu’il voulait me frapper. Il est en maudit parce que son garçon danse dans le spectacle qu’on donne la semaine prochaine.

    — C’est quoi son problème ?

    — En fait, il est nettement homophobe et paranoïaque. Il a peur que son gars vire tapette, comme il dit. Mais sa femme tient à ce que son petit puisse choisir ses activités. Le gars s’écrase devant elle. Pourtant, il m’a carrément fait savoir qu’il l’aurait changé d’école s’il en avait les moyens.

    — OK, mais qu’est-ce que ça peut changer pour son fils ?

    — Il ne veut pas d’un fif comme directeur.

    Jeffrey ne répond pas. Jusqu’à maintenant, jamais Pierre-Olivier n’a évoqué un quelconque problème dans son parcours professionnel concernant son orientation sexuelle. Sans dire un mot, il ouvre ses bras. Son mari se colle aussitôt à lui et ferme les yeux, quelque peu réconforté.

    — Tu devrais le signaler. Après tout vous avez une politique de tolérance zéro. Il me semble que…

    — J’ai rempli un rapport de l’événement ce matin, le coupe Pierre-Olivier. Lundi, je rencontre mon directeur et on va communiquer avec les responsables de la commission scolaire pour la suite. Maintenant, oublie ça ! Je vais plutôt me concentrer sur le spectacle des élèves. Il y a encore de petits détails à organiser.

    — En tout cas, ne laisse pas la situation dégénérer.

    — T’en fais pas avec ça. Après tout, c’est samedi et demain est ton grand jour. Te sens-tu nerveux ?

    — Je n’y crois toujours pas ! Sans ta confiance en moi, jamais je n’aurais accepté que mes toiles soient présentées au public. Mon patron a inscrit des prix que personne ne voudra payer. Il m’a dit que je n’ai pas à m’en faire, mais j’ai presque envie de rentrer à la galerie pour les changer avant l’ouverture.

    Pierre-Olivier observe son amoureux. Doté d’une abondante chevelure rousse et frisée, sa barbe bien taillée et ses yeux noisette sont remplis de tendresse. Il se dégage de lui une grande douceur, malgré sa carrure plutôt costaude.

    — Je pense que tu te sous-estimes. Heureusement que ton boss a remarqué ton talent. Je suis convaincu que tes œuvres vont emballer le public. Maintenant, que dirais-tu d’imiter les enfants et d’aller au lit ?

    — Tu veux dormir ? s’étonne Jeffrey.

    — Qui te parle de dormir ?

    Chapitre 3

    Varennes, dimanche 10 juin 2018 18 h 30

    Tout en s’habillant pour le vernissage, Pierre-Olivier repense à sa situation. En dépit de l’événement de vendredi dernier, la tournure que prend sa vie professionnelle le satisfait. Malgré les incontournables problèmes reliés à l’adaptation, il adore relever les défis inhérents à sa nouvelle fonction. Enfant, alors qu’il entendait son père et ses oncles rire des tapettes comme ils surnommaient les homosexuels, jamais il n’aurait cru pouvoir fonder une famille et réussir à obtenir cette promotion sans avoir à cacher sa vie amoureuse. Un beau jour, il avait enfin trouvé le courage pour révéler à ses parents son attirance pour les personnes de son sexe. Après l’onde de choc, il avait eu le bonheur de voir son père et sa mère se remettre en cause, puis accepter la situation et au bout du compte prendre sa défense contre ceux qui le critiquaient. Aujourd’hui, les membres de sa parenté le respectent et, à une exception près, ils ont tous assisté à son mariage.

    Jeffrey entre dans la pièce et jette un coup d’œil admiratif sur son époux. Grand et mince, Pierre-Olivier a un physique de jeune premier dû à l’hérédité et dont il a plus ou moins conscience. Plusieurs femmes et hommes ont tenté de le séduire, mais peu y sont parvenus.

    — Tu as vraiment fière allure, j’en ai de la chance. Tu es prêt ? La gardienne est arrivée et les enfants sont installés devant leur film préféré.

    Chapitre 4

    Montréal, dimanche 10 juin 2018 20 h

    Jeffrey n’en revient tout simplement pas. Autour de lui, les invités à son vernissage ne tarissent pas d’éloges sur ses toiles. Malgré les prix qu’il juge exorbitants, une petite affiche à droite d’une de ses œuvres indique qu’elle a été vendue.

    — Dis-moi que ce n’est pas un rêve et que je ne vais pas me réveiller dans deux minutes, demande-t-il à Pierre-Olivier.

    Ce dernier ne semble pas avoir entendu la question. Il admire le tableau que son époux a peint, il y a déjà plusieurs années. C’est le premier qu’il lui avait montré. Pour un peu, il regrette presque de ne pas l’avoir acheté lui-même. Il se dégage de cette composition, comme de toutes ses autres, une impression de paix. Comme si l’artiste à travers ses couleurs transportait ceux et celles qui les contemplent dans un univers hors du temps, doux et réconfortant. Une méditation en peinture. En le découvrant, il se souvient s’être fait la réflexion que son chum méritait de pouvoir se consacrer entièrement à son art, sans avoir à gagner sa vie. Il réalise aujourd’hui à quel point il avait raison. Il tourne son regard vers Jeffrey et s’aperçoit que celui-ci attend une réponse ou un commentaire de sa part.

    — Je t’avais bien dit que tu as des aptitudes artistiques hors du commun. À un moment donné, tu pourras cesser de travailler ici et avoir tout ton temps pour peindre.

    Alexandre Dubois, le propriétaire de la galerie, s’est rapproché d’eux. Il tend un verre de vin à Jeffrey.

    — J’ai entendu, d’accord pour le talent, commente-t-il sans l’ombre d’un sourire. Pour le reste, c’est à voir.

    L’homme a un visage aux traits fins, une silhouette filiforme et de longs cheveux ébène, ce qui lui donne une allure androgyne. Il porte des vêtements noirs et il souligne ses yeux bleu clair d’une ligne d’eyeliner foncé. Malgré son aspect un peu rébarbatif, Jeffrey sait que son patron a un cœur d’or. Manifestement, celui-ci cherche une personne du regard. Son regard se tourne vers la fenêtre au fond de la galerie. Dès qu’il la repère, il les invite d’un signe de la main à le suivre vers la cour arrière qu’il a ouverte pour l’occasion.

    — J’ai quelqu’un à vous présenter, annonce-t-il. Venez.

    * * *

    Malgré l’arrivée du mois de juin, un vent frisquet oblige Gabriel Prévost, le conjoint du propriétaire de la galerie d’art, à relever le col de sa veste. Il attend sa meilleure amie, la journaliste Emmy Langlois, qui est venue effectuer un reportage sur le vernissage intitulé : Méditation en peinture. Ils se connaissent depuis l’enfance et se considèrent presque comme frère et sœur. Elle a su le protéger contre les garçons de l’école qui riaient de son apparence soignée presque efféminée. Elle a respecté son choix de cacher son homosexualité et elle l’a soutenu quand il a rencontré Alexandre et qu’il a enfin pris la décision d’afficher sa véritable nature.

    En l’attendant, il s’arrête un moment pour contempler son reflet dans une des vitres arrière du commerce. Il passe une main dans ses cheveux châtain clair et sur la barbe qu’il porte depuis qu’il vit avec son amoureux. Soucieux de son apparence, il se rend compte de la confiance qu’il a gagnée depuis sa sortie du placard. Autrefois, sa taille moyenne lui donnait des complexes. Il se rasait de près, se coiffait de façon conventionnelle et ses habits très classiques lui servaient de paravent. Et, en tant que représentant, il s’évertuait à ne laisser aucune place aux éventuels quolibets. Maintenant il est plus détendu et, étonnamment, les ventes s’avèrent plus faciles.

    Il a conscience que l’homophobie existe toujours. Encore aujourd’hui, certains pays comme l’Iran, le Nigeria et le Yémen peuvent condamner à la peine de mort des amants du même sexe. Sans aller jusqu’à cette extrémité, d’autres États sont nettement intolérants face aux amours différents. Ici aussi, il y a de ça quelques années, il n’aurait pu se dévoiler sans danger d’être ostracisé, voire battu. Il réalise que maintenant, il est possible de réussir sans se cacher. Alexandre lui a présenté Jeffrey Hamelin et son mari Pierre-Olivier Petit, il y a quelques semaines. Ce dernier est directeur adjoint dans une école primaire et il n’a jamais cherché à camoufler son orientation. Ils ont recouru à une mère porteuse et sont devenus parents de jumeaux.

    Il est si concentré dans ses pensées qu’il ne voit pas son amie Emmy arriver. Celle-ci s’approche doucement de lui et lui touche l’épaule. Il sursaute et recule brusquement.

    — Oh boy ! Attention, s’exclame Emmy, en se tassant pour éviter qu’il lui pile sur les pieds. Tu t’admires, on dirait ! Alors, c’est fini le gars modeste que je connais depuis toujours, ajoute la jolie brunette au visage rieur dont les yeux verts pétillent.

    Gabriel ne peut s’empêcher de sourire. Il se penche pour l’embrasser sur les joues. Emmy porte une petite robe émeraude et étant donné la fraîcheur du soir, elle a posé sur ses épaules un châle où on voit clairement les poils de Virgule, son golden retriever.

    — Dis donc, tu es bonne pour mélanger les styles, la taquine-t-il.

    — Eh ! Monsieur mode ! Ne te moque pas. J’avais un texte à remettre. J’ai dû courir pour arriver à l’heure et j’ai oublié ma veste. Alors la doudoune de Virgule est juste parfaite.

    — Oh ! Ne te choque pas, tu es parfaite comme ça, raille-t-il. Qu’est-ce que tu penses de l’exposition ?

    — Super ! C’est vrai que ses œuvres sont hors du commun. Ça va faire un bon article.

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