Le jour se lève encore
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Éducateur de formation, Sébastien Deswarte a déjà marqué son empreinte avec deux ouvrages remarquables, "Destinée d’un grain de café, histoire d’une adoption en Colombie" et "Dans l’engrenage : tuer pour survivre, quel autre choix ?" Aujourd’hui, il se lance dans l’écriture d’un recueil de nouvelles, explorant les réalités de personnes ayant surmonté les défis du présent et du passé, avec une touche de résilience, en s’inspirant d’histoires vraies pour réinventer l’existence à sa manière.
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Aperçu du livre
Le jour se lève encore - Sébastien Deswarte
De ceux
Je suis de ceux qui ont foi en l’espèce humaine, de ceux qui portent à bout de bras des âmes en vrac, des âmes en peine, des âmes meurtries.
Ces mêmes âmes qui me nourrissent de leur authenticité, de leur volonté de bien faire malgré les difficultés et les mauvais coups du sort.
Ces mêmes âmes que l’on tente de panser, parfois malgré elles.
Je suis de ceux qui œuvrent patiemment, dans les rues, les institutions, au domicile des personnes « en difficultés ».
Travailleurs sociaux, travailleurs de l’ombre, éducateurs et autres petites mains qui ont encore la conviction que le travail d’équipe, la solidarité et le don de soi représentent des valeurs essentielles pour faire évoluer les choses.
Ces personnes qu’on accompagne, qu’on porte, qu’on subit parfois, qu’on essaie de rendre plus autonomes, plus capables de, plus, plus, plus…
Elles nous tolèrent, car on apprend à se connaître, à s’apprivoiser même, malgré nos différences et nos particularités.
La bonne distance, l’empathie, l’authenticité sont le ciment de notre accompagnement. Elles permettent ainsi de nous faire admettre par la personne, c’est de là que débute la confiance. Ou pas.
Ça ne marche pas à tous les coups, mais quand ça fonctionne, qu’une situation ankylosée se débloque, le monde nous appartient, fiers d’avoir soulevé des montagnes et d’avoir un retour gratifiant.
En effet, malgré tout ce qu’on peut dire, on apprécie que notre travail de l’ombre porte ses fruits de temps en temps. À plus ou moins grande portée.
C’est qu’on ne devient pas « de ceux » par hasard.
C’est une évidence pour certains, une fuite en avant pour d’autres, un besoin de se sentir utiles, vivants.
Tout a une explication quoi qu’on en dise.
Cela peut permettre, en soignant les plaies de l’Autre, de soigner ses propres plaies indirectement.
Pour d’autres, ils sont eux-mêmes passés par des périodes compliquées et, résilients, ils ont décidé de se servir de leur « expérience » pour accompagner la personne qui souffre.
Pour d’autres encore, ils seront reconnaissants d’avoir été épargnés par la vie, conscients d’être des privilégiés dans une société à deux vitesses. Du coup ils auront la volonté de se sentir utiles, d’aider les plus démunis.
Certains encore sont juste tombés dedans, par passion, par envie de donner, d’aider.
Notre travail consiste à assurer une permanence, une fiabilité qui sera mise à mal, éprouvée, testée à l’envi.
Il nous faudra alors tenir, proposer un cadre, une présence, une continuité, être inventif, essayer autre chose, être présent, mais pas intrusif, susciter la demande, mais pas faire à leur place.
Se décharger aussi, de la pression, de la subjectivité ; porter ensemble des misères qui paraissent insurmontables et qui sont juste trop lourdes à porter quand on est seul.
Les âmes en peine se méritent et, justement, ne pensent pas mériter qu’on s’intéresse à elles.
Trop endolories, elles mettent en place des stratagèmes inconscients pour ne pas être aidées de peur que leur équilibre, même chaotique, ne suffise plus à les porter.
C’est qu’il en faut du courage et de l’énergie pour envisager de tourner la page, de passer à autre chose.
Le passé, parfois, a été pour eux si décousu qu’ils restent empêtrés avec leur boulet au pied, incapables d’envisager le présent comme un possible renouveau.
Et le futur n’a pas davantage de signification, hantés par leur propre démon qui prend tout ou partie de leur énergie.
Ils ne peuvent encore moins se résoudre à aborder les lendemains comme potentiellement meilleurs. Ils n’ont souvent plus rien à perdre, mais n’en ont pas conscience alors ils préfèrent s’accommoder de leur vie de petits riens.
Ces petits riens dont nous-mêmes faisons partie.
Il faut être présent le temps de leur lente reconstruction puis s’effacer progressivement, car personne n’est indispensable et ne doit surtout pas l’être.
Il nous faut être là pour eux, même quand ils n’y croient plus. Surtout quand ils n’y croient plus. Comme des tuteurs qui accompagnent la croissance d’un arbre en devenir, comme des béquilles qui supportent des corps endoloris.
Car nous sommes de ceux.
Ces vies en lambeaux qui ont été éclaboussées, salies, meurtries, bafouées… il faut faire avec, en tenir compte, assister par notre présence, écouter, être présents, agir avec empathie, détendre avec un peu d’humour même parfois et surtout croire pour deux en des lendemains plus sereins.
C’est ça aussi le travail de ceux.
Parfois, c’est plus compliqué : on se trompe, on prend une mauvaise direction, on pense pourtant bien faire, mais ça ne suffit pas toujours. On investit à perte, car l’âme blessée n’est pas encore en capacité d’accepter la main tendue. Ce n’est pas qu’elle ne le désire pas, c’est surtout qu’elle n’est pas prête.
Pas grave. Si l’émergence d’un lendemain meilleur est présente, l’investissement n’est pas si vain au final.
Si on les a déjà remis sur les rails, ça valait le coup.
Et si notre aide n’a pas suffi, l’âme meurtrie aura puisé dans notre accompagnement une bribe d’espoir, une étincelle susceptible d’engendrer un feu de renouveau dans un jour, quatre mois ou même six ans. L’espoir qu’elle vaut le coup d’être aidée et tant pis si ce n’est pas encore le bon moment.
C’est déjà les faire exister, leur donner un regard, une attention, une reconnaissance.
Peut-être qu’avec le temps, l’âme blessée saura se faire apprivoiser davantage un jour prochain ?
Peut-être prendra-t-elle conscience qu’elle vaut le coup qu’on se batte pour elle pour qu’enfin elle tente de se battre par elle-même, pour elle-même ?
De façon à ce que ses souffrances soient moindres, lui prouver qu’elle compte quoi qu’on en dise, quoi qu’elle en pense.
Être de ceux, ce n’est pas rien.
En effet, ils ne sont pas nombreux ceux qui croient encore, ceux qui supportent cette misère humaine. Ces petits gestes gratuits, ces rituels structurants, ce cadre rassurant, ces attentions, cette empathie, ces sourires échangés, ces coups de gueule même parfois, cet agglomérat de petits riens qui peuvent changer bien des lendemains.
Parfois il nous faut composer, courber l’échine, supporter.
On a beau faire comme il faut, mais le Système nous plaque au sol, nous rappelle que nous ne sommes que de la poussière face à la Bureaucratie, l’Administration pesante, ignorante même parfois.
Ces âmes pensantes qui nous disent comment faire, qui tentent de tout mettre dans des cases quand tout ne rentre pas, qui s’évertuent à quantifier un travail qui ne peut pas toujours l’être.
Parce que l’Humain ne se calcule pas, que l’Humain n’est qu’une entité fragile en révolution constante, en mouvement perpétuel, avec un cœur qui bat, même faiblement, mais qui bat quand même.
Parce que ce qui est un jour ne l’est plus forcément le lendemain. Il faut aussi souvent composer avec cette impression de vivre dans un monde parallèle, un monde où les nantis comme les gens ordinaires n’ont même pas idée de la réalité des plus fragiles d’entre nous.
Parce que le Handicap, quel qu’il soit, effraie. L’opinion publique n’en a souvent que faire, car ne vivant pas dans la même réalité, n’étant pas informée ou encore n’étant pas sensible à la misère de quelle que manière qu’elle soit.
Les différences inquiètent, refroidissent, mettent à distance.
Et au bas de l’échelle sociale, les oubliés, ces personnes accompagnées qui n’ont pas leur mot à dire, qu’on encadre plus qu’on accompagne, qu’on assiste plus qu’on fait avec.
Il convient alors de leur garantir au moins notre présence bienveillante et notre empathie qui restaurent tant bien que mal.
Pour qu’un jour ils aient de nouveau foi en eux.
De ceux.
De ceux qui après une journée « ordinaire » peinent parfois à reprendre le fil de leur propre vie, car envahis des situations dont ils ont la charge, dont ils sont référents, éducateurs, tuteurs et autres fourmis du social.
Ces aidants qui auraient, à leur tour, bien besoin d’être aidés dans une société qui en demande toujours plus, mais qui laisse son lot d’incasables errer sur les bas-côtés.
Pas simple de tourner la page quand la journée est finie pour nous, mais pas pour ceux qui restent à gérer leur quotidien d’oubliés, à gérer comme ils peuvent, avec leurs moyens, jour après jour, leur triste sort.
Ces personnes accompagnées, en difficulté passagère ou à long terme, diminuées, déficientes, en efficience intellectuelle réduite, ces handicapés physiques, ces handicapés psychiques, ces polyhandicapés, ces « autistes », ces handicapés de la relation qui ne savent pas faire face à l’Autre, à cette normalité qu’on leur vend comme un « El Dorado », ces cas sociaux, ces SDF, ces « migrants », ces « gamins de l’ASE » sans foi ni loi et j’en passe…
Autant de personnes à la dérive, en proie à des souffrances inimaginables, laissées pour compte, abandonnées par un système qui ne les comprend plus, qui ne les tolère plus, qui ne sait plus composer avec cette partie de la société en marge, mise au ban.