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Contresens: Whyborne et Griffon, #1
Contresens: Whyborne et Griffon, #1
Contresens: Whyborne et Griffon, #1
Livre électronique451 pages5 heuresWhyborne et Griffon

Contresens: Whyborne et Griffon, #1

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À propos de ce livre électronique

Un intellectuel reclus. Un détective privé. Et un grimoire qui pourrait bien mener le monde à sa perte.

L'amour est dangereux. Depuis la mort tragique de celui qu'il chérissait par-dessus tout, Perceval Endicott Whyborne s'acharne sans pitié à refouler ses moindres désirs envers les autres hommes. Pour ce faire, il passe ses journées à étudier des langues mortes au musée où il travaille. Aussi, dès lors que Griffon Flaherty, bellâtre et ancien Pinkerton, le contacte pour lui demander de traduire un étrange ouvrage, Whyborne n'a qu'une idée en tête : achever sa tâche afin de se débarrasser de l'importun détective au plus vite.

Griffon a quitté les rangs des Pinkertons à la mort de son coéquipier. Désormais seul maître de sa destinée, il doit enquêter sur le meurtre d'un jeune homme issu d'une famille aisée. Son unique indice : un livre codé ayant appartenu à la victime.

Tandis que les deux hommes se rapprochent à mesure qu'avance leur investigation, le charme désinvolte de Griffon menace de briser le contrôle de fer de Whyborne. Lorsque leurs découvertes révèlent au grand jour l'existence d'un puissant culte déterminé à prendre le contrôle du monde entier, Whyborne devra faire un choix : rester dans les confins solitaires de sa zone de confort ou risquer de tout perdre pour celui qui a fait chaviré son cœur.

LangueFrançais
ÉditeurMnemosyne Lit.
Date de sortie14 déc. 2023
ISBN9798223045533
Contresens: Whyborne et Griffon, #1

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    Aperçu du livre

    Contresens - Jordan L. Hawk

    Jordan L. Hawk

    Contresens

    Whyborne et Griffon, tome 1

    Traduit de l’anglais (États-Unis)

    par Anne Doe

    Entière revu dans la présente édition

    par Terry Milien

    Mnemosyne Lit.

    Titre original : Widdershins (Whyborne & Griffin 1)

    Deuxième édition

    © 2012, Jordan L. Hawk, pour le texte

    © 2016, Lou Harper, pour la couverture

    © 2023, Terry Milien, pour la traduction

    ISBN papier : 9798865914204

    ISBN num : 9798223045533

    Tous droits réservés. Cette œuvre ne peut être reproduite, de quelque manière que ce soit, partiellement ou dans sa totalité, sans l’accord écrit de la maison d’édition, à l’exception d’extraits et citations dans le cadre d’articles de critique.

    Ceci est une œuvre de fiction. Les personnages, lieux et évènements décrits dans ce récit proviennent de l’imagination de l’auteur ou sont utilisés fictivement. Toute ressemblance avec des personnes, des lieux ou des évènements existants ou ayant existé est entièrement fortuite. L’auteure reconnaît toutefois que les marques déposées éventuellement mentionnées dans la présente œuvre de fiction appartiennent à leurs propriétaires respectifs.

    Avertissement sur le contenu : cette œuvre dépeint des scènes d’intimité entre deux ou plusieurs personnes de même sexe et un langage adulte. Elle vise donc un public averti et ne convient pas aux mineurs. L’éditeur décline toute responsabilité pour le cas où vos fichiers seraient lus par un public trop jeune.

    Chapitre premier

    J’étais en retard à mon rendez-vous avec un mort.

    À mon grand dam, même si le défunt en question avait péri en Égypte quelque quatre mille ans plus tôt, ses représentants, eux, étaient bien vivants. Notamment le Dr Hart, directeur du musée Nathaniel R. Ladysmith, qui n’apprécierait guère mon arrivée tardive à la réunion générale du personnel.

    Les bras chargés de livres et de notes, je traversai en courant le chemin du Joyeux Chat pour attraper l’omnibus qui venait de s’y garer. La nuit dernière, j’avais oublié de remonter mon réveille-matin, trop pris que j’étais à traduire mes hiéroglyphes au point que j’avais fini par m’endormir dans mon fauteuil. Résultat des courses : je devais à présent me rendre en toute hâte au travail, encore vêtu du costume dans lequel je m’étais assoupi ; mes joues affichaient la preuve d’un rasage des plus sommaires ; et je n’avais eu ni café ni petit déjeuner pour me remonter.

    Un groupe d’employés grimpait dans la carriole. Je tentai de me faufiler derrière eux, toutefois le conducteur m’en empêcha.

    — Navré, c’est complet.

    — Mais…

    Le bougre fit claquer son fouet ; l’omnibus s’éloigna du trottoir, éclaboussant la chaussée et mon pantalon de neige fondue.

    Ravalant un juron, je rajustai ma prise sur mes notes et mes livres. Tant pis. Il ne me restait plus qu’à profiter d’une marche rapide jusqu’à l’autre bout de la ville à pied. Avec quinze kilos dans les bras. Dans des chaussures détrempées. Quelle merveilleuse façon de commencer la semaine !

    Au bout du pâté de maisons, je plongeai dans la foule qui arpentait la rue du Fleuve, l’artère principale qui coupait le cœur de Contresens en deux. J’y fus bousculé par un groupe de rustres travaillant sans doute à la conserverie, d’après leur tenue. Je leur murmurai mes excuses et m’esquivai en contournant un troupeau de vendeuses qui bavardaient. Les fiacres ne cessaient de défiler dans un sens et dans l’autre, sans se soucier des piétons. Un arôme velouté de café et de viennoiseries émanait d’un bistrot voisin dans une bataille acharnée contre l’omniprésent fumet du poisson. À chaque coin de rue, des gamins hurlaient les grands titres des journaux : « La police déconcertée par un pilleur de tombe ! Le corps du fondateur de Contresens n’a toujours pas été retrouvé ! »

    Plusieurs quartiers se dressaient entre mon appartement et le Ladysmith. Quand enfin, je pus escaler les marches du grand escalier de l’entrée principale, j’étais à bout de souffle. Monsieur Rockwell, le chef de la sécurité, m’adressa un regard sévère lorsqu’il me vit traverser le grand hall en courant – sans même avoir pris le temps d’admirer le squelette d’hadrosaure qui accueillait les visiteurs.

    — Dr Whyborne, me salua-t-il d’un ton qui semblait indiquer qu’il me soupçonnait d’avoir pris refuge au musée après avoir fui la scène d’un crime particulièrement odieux.

    Trop essoufflé pour répondre à son accueil, je me contentai d’un hochement de tête tandis même que j’ouvrais déjà la porte du personnel, discrètement placée au fond de la galerie. Ses petits yeux scrutateurs restèrent rivés sur moi jusqu’à ce que j’eusse refermé le panneau de bois d’un claquement délibéré.

    À l’abris des zones accessibles au public – et des remontrances de Rockwell –, je me hâtai de remonter le couloir vers la grande salle de réunion. Maggie Parkhurst, l’une des assistantes, me héla lorsque je passai en coup de vent devant son bureau.

    — Dr Whyborne, je vous débarrasse ?

    — Oh ! En effet.

    Étant déjà en retard à la réunion, mieux valait de pas attirer davantage l’attention. Je déposai rapidement chapeau et manteau dans ses mains tendues, tout en jonglant d’un bras à l’autre mon fardeau de papiers et bouquins.

    — M-merci, Mlle Parkhurst.

    — Je vous en prie, mais vous feriez mieux de vous dépêcher. Ils sont là-dedans depuis un quart d’heure déjà.

    Morbleu. Je réussirais peut-être à me faufiler discrètement dans la salle et à y trouver un siège disponible en évitant l’œil du directeur. J’entrouvris la porte, me glissai par l’interstice… et découvris que tous les regards étaient fixés sur moi. Je me figeai telle une antilope arrivant dans une clairière et réalisant que les lions l’y attendaient.

    Tous les conservateurs étaient présents, ainsi que les responsables des différents départements, leurs assistants, stagiaires… bref, tout le personnel exception faite des secrétaires, des concierges et des bibliothécaires. Certains d’entre eux paraissaient s’ennuyer, d’autres impatients, quelques-uns amusés. Pas un seul ne m’avait l’air particulièrement amical.

    Je n’en attendais pas moins, cependant.

    — Vous voilà enfin, Dr Whyborne ! Nous vous attendions, déclara le directeur avec humeur.

    Le Dr Hart ressemblait à un gros morse boudiné qu’on avait forcé dans un costume coûteux mais classique. Cette comparaison tenait en partie à son extravagante moustache, en plus de son physique rondouillard. Il faisait face à l’assemblée, aux côtés d’un homme que je ne connaissais pas.

    — M-mes excuses, balbutiai-je.

    Je ne comprenais pas du tout pourquoi le directeur m’avait attendu pour une réunion générale, en particulier celle-ci, qui concernait le Gala égyptien. Je n’étais aucunement l’employé le plus important de l’équipe à y travailler, après tout.

    — C’est, euh, m-mon horloge, je veux dire mon alarme, elle, ah…

    Les oreilles en feu, sensation fort peu agréable, je me faufilai vers le siège libre le plus proche.

    — Non, ne vous installez pas tout de suite, Whyborne, m’ordonna le directeur en m’indiquant de le rejoindre. Avant de commencer la réunion, j’ai quelques mots à vous dire.

    Je n’arrivais pas à imaginer ce qu’il me voulait. J’avais consacré l’essentiel de ma vie à rester invisible, autant que possible. Pourtant, je n’avais aucune échappatoire : je dus me lever et passer devant toutes les tables, les yeux de tous mes collègues fixés sur moi. D’instinct, je me voûtai alors même que je me creusais la cervelle. Qu’avais-je fait pour attirer l’attention – et surtout celle du directeur ? Il ne s’agissait sûrement pas de mon dernier article paru dans le Journal de Philologie ; certes, mes conclusions sur les origines de la langue phénicienne pouvaient sembler suggestives, néanmoins elles restaient dans les limites admises par la déontologie et ne risquaient donc pas de porter préjudice au musée.

    L’inconnu m’adressa un sourire amical lorsque je les eus rejoints. Il était très beau, même s’il portait ses cheveux châtains plus longs que ne le dictait la mode actuelle. Peut-être nous arrivait-il tout droit du Far West, où les mèches flottantes à la Bill Hickock étaient plus à la pointe.

    Dieu du ciel, avais-je pensé à me peigner ? De grâce, compte tenu de la tendance regrettable qu’avaient mes cheveux à pointer tout droit, sauf s’ils étaient lourdement enduits d’huile de macassar, c’était donc sans importance. Pourtant, cette idée ne me réconfortait guère.

    — Monsieur Griffon Flaherty, déclara le directeur, permettez-moi de vous présenter le Dr Perceval Endicott Whyborne, notre expert en philologie comparée.

    — C’est un plaisir de vous rencontrer, Dr Whyborne, affirma M. Flaherty

    Il me tendit la main. Je n’eus d’autre choix que de passer sur mon bras gauche la masse de papiers et de livres qui m’encombrait toujours pour la lui serrer…

    Un ouvrage au milieu de la pile se mit à glisser. Je tentai maladroitement de rétablir l’équilibre, mais un instant plus tard, tout s’écroula sur le sol avec fracas.

    Plusieurs de mes collègues aboyèrent de rire. Le Dr Putnam poussa un soupir résigné. Quant au ricanement, il ne pouvait provenir que de M. Osborne.

    La chaleur de mes oreilles se répandit à tout mon visage tandis que je tombais à genoux pour rassembler mon fardeau en toute hâte. Si seulement la foudre venait à frapper le musée ou qu’un cataclysme ouvrait le sol sous moi…

    — Laissez-moi vous aider, proposa M. Flaherty.

    — C’est inutile, euh, j’ai…

    Il était déjà accroupi, cependant, et ramassait mes documents éparpillés.

    — Balivernes, insista-t-il. C’est mon manque de réflexion qui a provoqué cet incident. Permettez-moi de faire amende honorable.

    D’aussi près, ma première impression se vit renforcée : il était encore plus beau. Ses yeux, d’un vert malachite où se mélangeaient des éclats de rouille et de lapis-lazuli, se creusaient de petites rides aux coins des paupières lorsqu’il souriait. Il possédait un nez droit, une bouche ferme, une peau légèrement tannée avec quelques taches de rousseur sur les pommettes. Il portait un costume gris sobre, allégé par une veste bleu vif et une cravate assortie à la couleur de ses yeux. Face à lui, je me sentais d’autant plus laid et dégingandé. Détournant rapidement le visage, je rassemblai mes livres et papiers avant d’y ajouter la pile qu’il avait amassée de son côté.

    Pour se redresser, il s’aida d’une canne robuste que je n’avais jusqu’alors pas remarquée : en ébène, avec une poignée en argent massif. Monsieur Flaherty était de taille moyenne, son corps visiblement bien bâti et large d’épaules sous ce costume. Je me voûtai pour tenter de dissimuler ma grandeur, même si à plus d’un mètre quatre-vingts, c’était peine perdue.

    — Si vous en avez terminé, déclara le Dr Hart comme si j’avais délibérément monopolisé l’attention, mettons-nous au travail. Monsieur Flaherty est détective privé, il a été engagé par M. Rice.

    — Le fiduciaire ?

    Pourquoi l’un des administrateurs du musée aurait-il besoin d’un détective ? S’il y avait eu vol au Ladysmith, M. Rockwell se serait certainement chargé du problème.

    Et, plus important encore, en quoi pouvais-je bien être mêlé à cette histoire ?

    — Lui-même, oui, répondit le directeur. Monsieur Flaherty a besoin de faire traduire un manuscrit, c’est pourquoi M. Rice l’a dirigé vers nous.

    — Le manuscrit est codé, ajouta M. Flaherty. Monsieur Rice désirait m’accompagner en personne, mais il a été retenu par un problème à Boston. J’espère que vous serez en mesure de m’assister.

    — Bien sûr qu’il le sera ! répondit le Dr Hart dont la moustache frémissait de manière alarmante à chaque mot, si bien que je me résignai à entendre le sermon habituel. Notre établissement n’accepte aucun employé médiocre, Monsieur ! Le musée Ladysmith a pour vocation d’établir Contresens comme le joyau du Massachusetts, aussi bien culturellement que scientifiquement. C’est à cette fin que je n’engage que les meilleurs. L’élite !

    — Percy fait partie de l’élite ? demanda Bradley Osborne à haute voix que le directeur n’entendit pourtant pas.

    Monsieur Flaherty, lui, paraissait plutôt surpris d’un discours aussi véhément.

    — Dans ce cas, me voilà rassuré, déclara-t-il. Disposeriez-vous d’un endroit plus isolé où le Dr Whyborne et moi-même pourrions discuter du problème ?

    — Oh ! fis-je. Mais la réunion…

    Le Dr Hart agita dédaigneusement la main à mon intention.

    — L’un de nos administrateurs a réclamé votre expertise, Whyborne. Vous resterez à la disposition de M. Flaherty pour aussi longtemps qu’il requerra votre aide.

    Même si j’avais détesté m’occuper des préparatifs du gala car elles interrompaient ma routine rassurante du musée, mon rôle dans la procédure devait au moins aboutir à une réelle avancée du savoir scientifique. Et j’avais beau apprécier déchiffrer des messages codés durant mon temps libre, je trouvais fort peu raisonnable de mettre de côté un travail sérieux pour jouer avec un manuscrit fourni par un détective inconnu.

    — Oh, répétai-je, sans rien trouver d’autre à ajouter.

    Le Dr Hart et les administrateurs avaient tout pouvoir sur mon emploi du temps, aussi longtemps que je souhaiterais garder mon poste au musée.

    Je serrai les bras autour de mon fardeau de livres et de documents désormais affreusement désorganisés.

    — D’accord. Très bien… Je suppose que vous feriez mieux de me suivre, M. Flaherty.

    *

    Je le menai jusqu’à mon bureau sans mot dire. Monsieur Flaherty me suivait, sa canne tapotant légèrement le bois poli des planchers. Il ne boitait pas, pas plus qu’il ne s’appuyait lourdement sur son bâton, aussi ne l’utilisait-il probablement que comme accessoire de mode.

    — C’est un vrai labyrinthe, ma foi ? déclara Flaherty au bout de quelques minutes.

    Je sursautai au son inattendu de sa voix.

    — Euh, oui.

    Là où les zones ouvertes au public avaient été conçues pour évoquer une progression claire et ordonnée à travers l’Histoire, le reste du bâtiment était l’incarnation du chaos. Les entrepôts s’étiraient sous le sol tels des terriers alors que diverses ailes s’étalaient aux quatre horizons. La bibliothèque était un véritable dédale, si bien que peu de temps après mon arrivée au musée, je m’étais retrouvé contraint de passer par les toits-terrasses, la route la plus directe que j’aie pu trouver pour me rendre d’un service à l’autre. Bien que le musée n’ait pas encore fêté ses quarante ans, il circulait déjà des rumeurs de placards et de bureaux disparus. Cette éventualité ne me surprendrait pas du tout.

    — La construction a débuté en 1859, lui expliquai-je de bon gré, et l’architecte était un peu, euh… eh bien… c-certains prétendent qu’il est devenu fou en dessinant les plans de la bibliothèque. Il a été interné dans un asile peu après la fin des travaux.

    Monsieur Flaherty frissonna.

    — Je vois, dit-il sans insister davantage.

    Mon bureau se trouvait au premier sous-sol, au bout d’un long couloir aux tuyaux apparents qui couraient le long des parois. Flaherty regarda autour de lui d’un air inquiet. Sans doute se demandait-il pourquoi « l’élite » de la philologie comparée avait été relégué dans un réduit sans fenêtre. Que voulez-vous que je lui dise, sachant que j’appréciais tout particulièrement l’endroit à cause de son isolement ? En effet, lorsque le Dr Putnam partait sur le terrain, il m’arrivait de passer des jours entiers, voire des semaines, sans croiser âme qui vive.

    Monsieur Flaherty s’était montré très aimable jusqu’ici, même si je m’étais déjà ridiculisé une fois devant lui, je doutais toutefois qu’il puisse comprendre mon désir de solitude. Peut-être y verrait-il un sinistre secret à dissimuler ? Il était détective privé, après tout.

    Je sortis mes clés et déverrouillai la porte de mon cabinet. Cette tâche ne me fut pas facilitée par les livres que je tenais toujours dans les bras, mais je réussis, cette fois au moins, à ne pas répandre le tout par terre. La pièce, comme à son habitude, était dans un état déplorable. J’avais sincèrement prévu d’y mettre un peu d’ordre, cependant je trouvais toujours d’autres tâches plus urgentes. D’ailleurs, tant que je retrouvais tout ce qu’il me fallait, la pagaille me paraissait sans importance. Des monticules de papiers, journaux et autres livres cachaient la surface de mon bureau, l’une des chaises et une bonne partie du sol. Une douzaine de tasses encore remplies de café froid étaient disséminées ici et là, certaines depuis un temps assez alarmant.

    Je déposai mon fardeau sur une autre pile déjà vacillante au-dessus du bureau avant de dégager le second siège en posant ce qui l’occupait sur le plancher.

    — J-je v-vous en prie, asseyez-vous, M. Flaherty.

    — Merci.

    Avant de détourner les yeux, je vis ses lèvres frémir d’amusement.

    Alors que j’allais m’asseoir à mon tour, on frappa discrètement à la porte restée entrouverte. Mademoiselle Parkhurst passa la tête par l’entrebâillement.

    — Je voulais seulement savoir si votre invité – et vous-mêmes, bien entendu – désirait du café, haleta-t-elle, les yeux braqués sur Flaherty.

    — Oui, merci, répondis-je, plus sèchement que je ne l’avais souhaité.

    Manifestement, je n’étais pas le seul à avoir remarqué la beauté de mon visiteur. Elle rougit et disparut dans le couloir.

    Je m’occupai les mains en remettant de l’ordre dans mes notes. Que ferait Flaherty si je prétendais tout simplement qu’il n’existait pas ?

    Il s’en plaindrait au Dr Hart, assurément. Je n’avais aucun moyen d’échapper à cette mascarade. Autant accéder à sa requête, dans ce cas, et en finir le plus vite possible.

    — Si vous aviez l’amabilité de me laisser votre manuscrit, je verrai à le décrypter, dis-je en m’adressant aux ouvrages empilés sur table de travail. Quand mes autres tâches me le permettront, évidemment.

    Flaherty se raidit.

    — Quelles sont-elles, vos autres tâches ? demanda-t-il d’un ton étrangement neutre.

    — La traduction.

    Que pourrait-il bien comprendre au juste de mon œuvre ? Je ne connaissais pas grand-chose aux détectives privés, mais de ce que j’en savais, ils étaient chargés d’appréhender les voleurs de banque et de briser les grèves.

    — Je travaille sur des reliques qui proviennent des expéditions financées par le musée ou nous ont été envoyés par des collectionneurs privés voire d’autres musées réclamant notre aide. En ce moment, cependant, j’ai pour mission de traduire les fragments de papyrus et les inscriptions de vases canopes qui seront présentés lors du Gala égyptien. Mon temps est précieux, aussi j’espère que vous comprendrez si votre code doit attendre un peu...

    Je m’interrompis, espérant qu’il saisirait le message. Au lieu de quoi, sa posture se raidit davantage.

    — Monsieur Rice et le directeur m’ont formellement assuré la coopération de ce musée.

    — O-oui, bien s-sûr, soufflai-je, vaincu.

    Flaherty sortit un petit carnet de la poche de son manteau. Aucun titre n’ornait la couverture en cuir fin et je remarquai d’emblée que ses pages paraissaient usées, comme si elles avaient été consultées à maintes reprises.

    — Vous avez appris le décès du fils de M. Rice, je présume ?

    — S-son fils ?

    Un vague souvenir me revint en mémoire : au cours d’un gala ou rassemblement quelconque organisé par le musée, j’avais aperçu de loin un jeune homme robuste et bien bâti, au rire facile, au sourire empathique. De mon côté, bien entendu, j’étais resté tapi contre un mur en espérant n’être remarqué par personne.

    — Pour vous répondre : non, je l’ignorais.

    Flaherty m’observait comme si j’étais l’un de ces spécimens exotiques rapportés des plus sombres jungles de Bornéo. Mademoiselle Parkhurst choisit ce moment pour revenir avec le café. Le temps qu’elle nous serve puis s’éclipse derechef, l’expression du détective s’était muée : il paraissait désormais perplexe. Au moins n’exprimait-il aucun mépris.

    — Les journaux en ont peu parlé pour éviter le scandale. Le corps de Philip Rice a été trouvé dans un quartier… disons, peu recommandable de la ville.

    Il s’agissait donc des quais, où tripots et bordels s’amoncelaient autant que leur clientèle de marins et de dockers. Le bruit courait même qu’il s’y trouvait des bains publics. Je n’avais bien évidemment pas cherché à savoir si la rumeur disait vrai.

    Je posai les yeux sur le manuscrit que Flaherty serrait toujours dans ses doigts forts et carrés. S’agissait-il d’un journal intime ? Plusieurs raisons pouvaient pousser un homme à coder ses pensées les plus secrètes, d’autant plus si leur contenu risquait de provoquer ruine et scandale.

    — La veille de son assassinat, Philip a envoyé ce manuscrit à son père, enchaîna Flaherty.

    Quittant enfin l’objet du regard, je relevai la tête et découvris que le détective me dévisageait avec attention.

    — Il y a une semaine, continua-t-il, M. Rice senior m’a engagé pour étudier de plus près la mort de son fils. Ce manuscrit contient, de toute évidence, des indices potentiels, puisque Philip l’a jugé suffisamment important pour l’envoyer à son père.

    — Oh.

    Selon moi, si le journal contenait des informations scabreuses, Philip ne l’aurait certainement pas confié à son père.

    — Je ferai mon possible.

    — Je vous en sais gré, répondit Flaherty en m’adressant un sourire étonnamment chaleureux.

    Il me tendit aussi le livre relié de cuir. Lorsque je le lui pris des mains, nos peaux s’effleurèrent par accident. Le point de contact sembla m’embraser et me couvrir de picotements.

    — J-je vais m’y mettre d-dès aujourd’hui, balbutiai-je. Dès que j’en aurai tiré quelque chose, je vous contacterai, M. Flaherty.

    Il hocha la tête et se leva, bras tendu. Ses doigts étaient rugueux contre les miens, quoique pas aussi calleux que ceux d’un ouvrier. Leur chaleur, associée au sourire qui accompagna cette poignée de main, déclencha un courant électrique qui me traversa le corps. Sensation que je réprimai sans aucune pitié.

    — Puisque nous sommes amenés à travailler ensemble, appelez-moi Griffon, je vous en prie, déclara-t-il.

    — Passez une bonne journée, M. Flaherty.

    Son sourire se fit contrit, toutefois il n’insista pas, contrairement à beaucoup d’autres à sa place.

    — Vous de même, Dr Whyborne. J’attendrai de vos nouvelles avec impatience.

    Chapitre 2

    Aussitôt qu’il fut reparti, je fermai la porte derrière lui et m’écroulai sur mon chaise. Le manuscrit semblait me défiait par son mutisme depuis le rebord du bureau où je l’avais moi-même posé.

    S’il s’agissait d’un journal intime, je n’aurais probablement affaire à rien de plus complexe qu’un chiffrement de substitution : la lettre B au lieu du A, le D à la place du C, ainsi de suite. Dans ce cas, il ne me faudrait pas plus de quelques heures pour le traduire.

    Et si le manuscrit faisait le compte rendu d’événements que personne ne souhaiterait porter à la connaissance du public ? Si des noms célèbres s’y trouvaient mentionnés et que cela les rendait vulnérable au chantage ? Que faire alors ? Serais-je en mesure de les dissimuler d’une façon ou d’une autre, en supposant qu’ils n’aient rien à voir avec la mort de Philip ? Aurais-je un moyen de le savoir ?

    La porte s’ouvrit à la volée. Je sursautai violemment, si bien que ma chaise heurta le mur derrière moi.

    — Que se passe-t-il, Whyborne ? demanda le Dr Christine Putnam.

    Quoique partisane de tenues pratiques sur le terrain, en guise de concession envers le musée elle s’habillait différemment au sein celui-ci et portait ce jour-là une jupe sévère ainsi qu’un chemisier adapté, dépourvu toutefois des manches amples à la mode en ce moment. Ses cheveux noirs étaient tirés en un chignon strict qui libérait son visage.

    — Entrez, Christine, l’invitai-je alors qu’elle pénétrait déjà dans mon bureau et s’octroyait le siège libéré par Flaherty.

    — Vous estimez l’avoir échappé belle, j’imagine, déclara-t-elle en me jetant un regard soupçonneux. De ne plus avoir à vous occuper des préparatifs de ce maudit gala !

    Je rajustai les papiers sur mon bureau, veillant au passage à en extraire le manuscrit de Philip afin de le glisser dans un tiroir qui fermait à clé.

    — Au contraire. Il y a plusieurs papyrus que je tenais à étudier auparavant. À présent, il va me falloir faire des heures supplémentaires pour accomplir tout cela.

    — Hum. Voilà, nous sommes tous deux écartés de nos besognes, désormais, et pour quoi ? À cause de ces maudits administrateurs !

    Christine grinçait des dents, l’air encore plus féroce que d’ordinaire.

    — Voyons, ce gala doit quand bien même vous apporter un peu… de satisfaction, non ? suggérai-je d’un ton hésitant.

    Les administrateurs du musée avaient très mal vu que le Dr Hart engage une femme pour gérer les fouilles en Égypte. Mais, comme l’avait indiqué le directeur à Flaherty, celui-ci veillait à s’entourer de « l’élite », ce qui l’obligeait à gérer tout un tas d’excentricités. Y compris, en l’occurrence, le simple fait d’être une femme.

    Même si une bonne partie des administrateurs n’étaient toujours pas apaisés, la stupéfiante découverte par Christine de la tombe de Nephren-ka, le Pharaon noir, avait fait les gros titres de la presse internationale. Contrairement aux tombeaux précédemment découverts à ce jour, celui de Nephren-ka avait traversé les millénaires sans jamais avoir été violé. Là où l’attention du public se portait essentiellement sur les statues d’or et le mobilier incrusté de pierres précieuses, je m’intéressais personnellement aux nombreuses inscriptions et aux papyrus intacts.

    Christine me lança un regard furieux.

    — Cela aurai pu, oui, si j’accordais le moindre intérêt à ce que la société pense de moi. Si telle avait été le cas, cependant, je serais restée à la maison pour épouser cet horrible garçon, comme le désirait ma mère. Dites-moi franchement, Whyborne ; préféreriez-vous l’hôtesse d’une soirée extravagante ou vous remettre au travail ?

    — Sans aucune hésitation. Je comprends ce que vous voulez dire.

    Christine fit un geste impatient de la main.

    — Je sais que vous essayiez de voir le bon côté des choses, quoique je n’arrive pas à saisir pourquoi, vous qui êtes bien le dernier à se soucier de ce genre de sornettes. Malheureusement, en Égypte, la saison archéologique commence juste après Noël. Même si j’avais la possibilité de m’en aller dès le lendemain de ce ridicule gala, j’aurais déjà perdu la moitié du temps disponible en arrivant sur le site. Autant rester à Contresens et publier des articles, à ce rythme ; je n’y gagnerais pas moins.

    — Saviez-vous que le fils de M. Rice avait été assassiné ? lançai-je sans réfléchir dans une tentative désespérée de changer de sujet.

    Elle me dévisagea en clignant des yeux.

    — Que diable… ? Est-ce la raison de la venue de ce détective ?

    — Oui. Il a trouvé un manuscrit, voyez-vous. Il pourrait s’agir d’un journal intime. Je ne sais pas… Il est chiffré, c’est donc que Philip ne voulait pas… Je ne sais que faire.

    Malgré ses fanfaronnades, Christine ne manquait pas pour autant de sensibilité.

    — Hmm. Y avez-vous déjà jeté un œil ?

    — Je n’en ai pas eu l’occasion, non.

    Christine rit de mon irritation.

    — Non, effectivement, confirma-t-elle en se relevant. Ne vous préoccupez pas de moi, Whyborne. Je pars en découdre avec les conservateurs. Je ne doute pas qu’ils tiendront à exposer les d’objets les plus barbants et les plus horribles de toute la collection. Heureusement qu’ils seront obligés de montrer la momie, même si m’est avis que ce pauvre Nephren-ka n’apprécierait pas du tout de voir sa dépouille mortelle exhibée de la sorte.

    — Comme vous dites.

    Subrepticement, je jetai un regard au tiroir dans lequel j’avais caché le manuscrit. Philip l’aurait-il envoyé à son père s’il avait su que ses secrets seraient « exhibés de la sorte », comme l’avait formulé Christine ?

    Peut-être. Après tout, je ne le connaissais pas. Je n’avais jamais eu le courage de lui parler, pas plus qu’à aucun de ces beaux jeunes hommes qui apparaissaient régulièrement aux soirées du musée. Pleins d’aisance et de confiance en eux, ils auraient aussi bien pu représenter une espèce totalement différente de la mienne, comme ces oiseaux aux couleurs vives que j’admirais de loin avec mes jumelles.

    Philip eut-il été du genre à fréquenter les bains publics, je ne me faisais aucune illusion : il n’aurait pas éprouvé la moindre sympathie pour moi, même si j’avais osé me présenter à lui entre deux balbutiements. J’étais trop dégingandé, trop timide, trop étrange. Il m’aurait très probablement ri au nez.

    Mais il était mort, moi en vie. Je pouvais lui accorder un brin de solidarité à sens unique.

    Les épaules carrés, je rouvris le tiroir, saisis le livre et me mis au travail.

    *

    Quoi qu’il puisse être, le manuscrit n’était pas un simple journal intime. Un examen plus approfondi me révéla qu’il était assez ancien, avec une couverture en cuir au grain curieusement fin dont je ne pus discerner l’origine, une reliure usée et craquelée. Plus d’une main avait écrit sur le papier en épais coton, remarquablement bien conservé. Il me sembla toutefois que le deuxième écrivain n’avait fait qu’annoter ou corriger le premier. Une lecture rapide me permit de trouver un certain nombre de curieux dessins et glyphes, certains vaguement familiers, d’autres parfaitement inconnus.

    Quant au code employé, il n’avait rien d’une basique substitution. Cela m’aiderait de savoir en quelle langue le manuscrit avait été écrit, bien sûr. Mon seul espoir était que je la reconnaîtrais, même si je n’étais pas en mesure de la traduire. Pourquoi un riche jeune homme tel que Philip Rice s’était-il intéressé à un volume datant de l’époque médiévale, sinon plus avant ? Je n’en avais pas la moindre idée.

    Toujours plongé dans l’analyse des méthodes qui me permettraient de résoudre cette énigme, je quittai mon bureau en quête

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