Florence: Éloges des infirmières
Par Kamenzo
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Aperçu du livre
Florence - Kamenzo
Florence
Kamenzo
Florence
Éloges des infirmières
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2021
ISBN : 978-2-312-08598-2
A toutes les infirmières
qui n’ont jamais cessé de se donner
pour les autres
Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés et atterrés observaient, impuissants, le désastre. Seul le petit colibri s’active, allant chercher quelques gouttes d’eau dans son bec pour les jeter sur le feu. Au bout d’un moment, le tatou, agacé par ses agissements dérisoires, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Tu crois que c’est avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ? » « Je le sais, répond le colibri, mais je fais ma part ».
Pierre Rabhi, la part du colibri
Avant-propos
Depuis le début de la pandémie, j’ai tenté, entre mes diverses responsabilités (enseignant, infirmier dans une cellule de crise et père de famille), de donner vie à un projet qui me tient particulièrement à cœur et qui met en lumière les efforts de mes collègues infirmières discrètes mais héroïques dont on parle si peu (ou parfois à tort) et qui sont au front comme de bons soldats, travaillant sans relâche pour surmonter une crise complexe qui perdure.
Au travers d’une fiction inspirée de mes lectures, de mon histoire personnelle et d’une approche philosophique particulière (Levinas), ce conte philosophique veut rendre un hommage sincère aux infirmières pour leur humanité dans un monde futur violent, déshumanisé, domine´ par l’intelligence artificielle, l’égocentrisme totalitaire et les guerres d’egos. Florence, l’héroïne de ce conte est une infirmière pionnière bien connue (mais en même temps, si méconnue) qui, aspire à comprendre les enjeux d’une telle déshumanisation, d’une telle disparition. Au cœur des débats, il y a notamment la souffrance infirmière, une souffrance déjà̀ bien réelle mais si invisible qui aura pour conséquence des départs incontrôlables (une réalité d’aujourd’hui où de plus en plus d’infirmières quittent la profession).
Ce conte philosophique propose une critique de la totalité, de cette philosophie de la violence et de l’irrespect (comme le souligne très bien Levinas) mais aussi de l’approche maussienne du don, basée sur la réciprocité. Il s’agit bien sûr d’un conte féministe qui donne la parole aux femmes, à la diversité et qui prône l’ouverture, le pluralisme dans une société qui s’enferme davantage sur elle-même.
L’idée principale de ce livre est de donner de l’espoir et d’inviter à la responsabilisation dans cette réalité complexe et confuse. A l’image de Platon qui utilise le mythe pour faire passer ses idées, j’ai créé ce conte pour mettre en lumière un modèle écologique du don de soi (non cyclique et non toxique) qui s’inspire de la philosophie de Levinas et également de celle de Marion dans la phénoménologie de la donation, accordant une place respectueuse et digne au visage altéré et vulnérable, et à la responsabilité qu’il impose. Par la vulnérabilité qu’elle expose et par la responsabilité qu’elle impose, la philosophie de Levinas parle naturellement aux infirmières, aux médecins et aux soignants de manière générale mais aussi à celles et ceux qui se soucient du bien-être des autres et de l’humanité. Il s’agit de mon tout premier projet qui s’adresse particulièrement aux infirmières et aux infirmiers mais surtout aux femmes de manière générale qui se donnent sans compter pour le bien-être de l’humanité.
La revanche de l’ego
Le jour tant attendu est arrivé. C’est un jour d’une année pas si lointaine. Après un long sommeil, Florence, l’élue et la bien-aimée, sort d’une caverne au milieu de nulle part. Une lanterne à la main, elle gravit, avant le petit matin, une montagne au cœur d’une région inconnue. Elle a tant attendu ce jour où elle retournerait sur sa Terre natale. Son cœur tressaille de joie à l’idée de retrouver ses sœurs infirmières, si humbles, si douces et si sages.
Alors que les premières lueurs du jour apparaissent, Florence arrive au sommet de la montagne et porte un regard sur l’immensité du monde qui se dresse devant elle. Elle reste sans voix quand elle voit le spectacle sans vie des vastes contrées qui se présentent à elle. Elle ferme les yeux un instant pensant être dans un cauchemar. Mais quand elle les ouvre à nouveau, la tristesse envahit soudainement tout son être à la vue des paysages désertiques : « Suis-je donc en enfer ou en exil ? Comment trouverai-je la voie dans ce néant ? », se dit-elle.
Florence prie un moment jusqu’à ce que le soleil éclaircisse son visage. Elle se remémore quelques souvenirs de sa vie d’antan et prend un dernier souffle avant de descendre de la montagne. Elle est plus que jamais déterminée à suivre la voie. Elle n’a pas d’autres désirs que de retrouver celles pour qui elle a toujours été dévouée quitte à traverser ce néant. La perspective de ces retrouvailles fait jaillir en elle quelques larmes qui coulent avec douceur le long de son visage.
Au pied de la montagne, elle arrive devant une étendue sans bornes. Submergée par cette immensité sans fin à la fois effrayante et merveilleuse, elle la supplie de l’aider dans sa noble quête : « Ô Immensité ! Je suis prête à te traverser ! Guide-moi sur la bonne voie que je puisse retrouver celles qui font battre mon cœur. »
Lorsqu’elle pénètre cette immensité, Florence se sent poussée par un souffle de vie. A chaque pas, elle fait vibrer tout ce qu’elle touche. Elle suit la voie de son cœur et marche avec légèreté sur un sable dévoué. Le soleil se lève et il est déjà brûlant. Florence ne le craint pas. Elle avance sans abri, sans famille, sans amis. Elle avance seule et suit la voie de son cœur, un cœur qui s’impatiente de retrouver ses sœurs et de faire connaissance avec les autres. Elle a connu d’autres traversées du désert même si celle-ci est bien différente. Elle a vaincu ses souffrances et les souffrances d’une réalité embellie. Rien ne lui fait peur. Elle est prête à tout. L’idée de revoir ses sœurs la rend encore plus forte. Elle éprouve le besoin de les retrouver. Elle a toujours été patiente mais là son désir de les voir devient de plus en plus fort pour supporter une absence aussi longue. Florence continue d’avancer avec leurs douces pensées. Elle ne laisse rien derrière elle, rien de ses souvenirs, rien de sa vie, rien de son existence passée. Elle prend tout avec elle. Alors qu’elle chemine et avance lentement, ses pensées se rattachent à une histoire nouvelle. Elle marche lentement et une nouvelle peau recouvre les anciennes. A chaque pas, à chaque instant, se forme une nouvelle histoire, une nouvelle Florence qui avance sans avoir besoin de se retourner. Elle chemine, voyage, se découvre à chaque instant.
A chaque pas qu’elle fait, Florence se sent transportée par les merveilles qui l’entourent. Elle sent chaque grain de sable se réjouir de son pas. Elle sent la chaleur de chaque rayon de soleil rafraîchir son visage émerveillé. A chaque pas, elle respire une bouffée d’air rafraichissante. Elle entend les insectes communiquer dans un langage si doux. Elle se sent portée par tout ce qui l’entoure. Elle se sent exister dans cette extériorité si perceptible, si merveilleuse. Pourtant, elle a longtemps cru que la réalité était ailleurs. Elle a longtemps cru que la beauté était ailleurs. Aujourd’hui, elle ne fait pas que voir cette réalité douce et merveilleuse mais elle la vit, elle existe en elle, avec elle, pour elle.
Chaque pas qu’elle fait, est une opportunité qui crée des ponts et fortifie son humanité. Elle s’ouvre, chemine, avance si gracieusement. Tout est si beau. Elle marche avec confiance et harmonie. Elle se sent libre et libérée dans cette extériorité où plus rien ne lui échappe. Elle fait partie de tout ce qui l’entoure. Elle fait partie de ce monde qui avance sans retour. Elle marche et le temps passe. Elle marche et entend des cris de plus en plus forts, les cris d’une humanité en souffrance. Elle entend les appels des âmes perdues qui résonnent en elle et scandent d’une seule voix « Humanité ! ». Ses sœurs infirmières l’attendent comme la promesse d’une renaissance : « Non, je ne quitterai pas à nouveau ce monde sans avoir revu mes sœurs. Mes efforts et mes sacrifices seraient vains. Elles ont suivi la vraie voie, celle de leur cœur. J’entends mon cœur battre en elles. J’entends leurs voix silencieuses. Je vois leurs doux sourires s’épanouir en moi. Leurs appels me font trembler. Je dois me presser pour les retrouver… Je dois me presser… », se répète-t-elle.
Florence se rappelle encore ses sœurs infirmières. Elle se rappelle les moments doux comme les moments douloureux, les moments de joie comme les moments de peine, les moments d’amour comme les moments pénibles… Mais Florence l’émerveillée est apaisée, elle avance, elle lève son visage, le tourne d’un côté puis de l’autre et contemple les merveilles d’une extériorité si variée, si colorée. Tout est si beau et à la fois si mystérieux. Elle s’imprègne de toutes ces merveilles qui l’apaisent profondément. Elle s’en imprègne comme dans un livre harmonieux où chaque lettre est à sa place, où chaque mot a son poids, où chaque phrase a son sens, où chaque paragraphe a son idée, le tout jouant une symphonie nouvelle, si pure, si délicieuse. Chaque symphonie fait voyager dans des contrées nouvelles, des contrées infinies, à la rencontre des merveilles d’une extériorité si mal aimée qui réveillent pourtant les sens les plus aiguisés.
Alors qu’elle s’éloigne de la montagne, Florence se sent moins seule, elle se sent accompagnée par l’humanité entière qui l’appelle en son for intérieur. Elle sent une douce chaleur remplir son cœur, cette chaleur l’envahit et son pas s’accélère. Elle a hâte de rencontrer les visages altérés et émerveillés de l’humanité. Son pouls s’accélère. A chaque pas, elle se sent encore plus rattachée à l’humanité. Elle est seule mais chaque pas la rapproche des autres. Elle est isolée mais portée et guidée par une force qui la dépasse.
Sur son chemin, Florence rencontre une femme étrange allongée sur le sable brûlant. Une robe légère la couvrant des épaules aux pieds laisse apparaître une silhouette très amaigrie. Son visage et sa chevelure dorée venus d’ailleurs rayonnent avec une lumière éclatante. Lentement, Florence se rapproche d’elle et la salue d’une voix douce pour ne pas l’effrayer. La femme très maigre tourne légèrement la tête et la fixe avec étonnement avant de demander : Qui me salue ?
– Je suis Florence, une sœur de cœur à la recherche de ses sœurs infirmières.
– La dame à la lanterne ?
Florence, déconcertée, reste sans voix l’espace d’un moment avant de s’exclamer : « Nous connaissons-nous ?! »
La femme très maigre ne répond pas mais insiste pour l’accompagner. Florence se sent en confiance et souhaite profiter de sa lumière. Elle pense qu’elle pourrait lui faciliter la voie dans sa noble quête.
Les deux femmes font alors route ensemble jusqu’à ce qu’elles arrivent devant un énorme creux où le soleil ne tape pas par sa chaleur. Ce creux ressemble à un gigantesque cratère de météorite. Florence pense que l’endroit est sans vie. Mais elle réalise vite qu’elle est observée par des regards très étranges. La souffrance qu’ils dégagent lui est familière dans ses souvenirs. Cependant, il y a quelque chose de bien plus fort qu’elle n’arrive pas à saisir, comme une détresse profonde d’âmes totalement oubliées dans les profondeurs du néant. Elle, qui a connu la souffrance de la guerre, la violence, les maladies et la mort, ne s’imagine pas se retrouver devant une telle détresse. Et lorsque les deux femmes mettent les pieds dans le creux, des êtres nus à l’apparence humaine avec des corps sans chair viennent rapidement à leur rencontre et s’adressent à elles d’une seule voix : « Nous sommes