Les Histoires d'Adèle: D’ici et d’ailleurs
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Avis sur Les Histoires d'Adèle
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Aperçu du livre
Les Histoires d'Adèle - Christine S Moiroux
Les Histoires d’Adèle
Christine S Moiroux
Les Histoires d’Adèle
D’ici et d’ailleurs
I
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2020
ISBN : 978-2-312-07642-3
« On respire mieux en sachant que la beauté
des êtres et de la vie
est un défi permanent à tous les gouffres. »
Andrée Chédid,
Entretien, Le Message
Prologue
Adèle, une rencontre, à l’heure où la lumière indécise balance ; à l’heure où, d’un bord à l’autre de la terre, au ras du ciel, le jour et la nuit se font face.
Ce soir-là, le silence de la marée descendante entraînait le soleil dans une chute vertigineuse tandis que la lune se faisait remorquer accrochée aux bretelles des anges.
Il se passait quelque chose d’inhabituel.
Malgré la chaleur des tropiques Elle portait un manteau noir et des gants blancs. De toutes parts, je voyais autour d’elle, des remparts de masques qui riaient ou sanglotaient. Emilio était là, assis près d’elle ; le poète mariachi jouait à aligner des coquillages.
Elle se leva en s’appuyant sur sa canne et, marcha péniblement le long de la ligne ourlée qui partageait le jour de la nuit.
Sa silhouette s’estompa peu à peu puis disparut à l’orée des vagues. L’air immobile était encore baigné d’une lumière de feu.
Puis, la nuit arriva, rien n’était plus pareil.
Curieuse de savoir qui était cette vieille femme, presqu’une apparition, le lendemain, j’allai au seul hôtel du village. Je la trouvai assise dans le salon. Elle buvait un café. Je l’abordai, timide mais confiante. Adèle se montra avenante. Nous passâmes la journée ensemble, et plus, puisque nous ne sommes plus quittées jusqu’à notre retour en France plusieurs mois plus tard.
Depuis, Adèle a fait partie de mes chers amies et, quand elle nous quitta pour un dernier voyage, elle me laissa ses journaux, notes, photographies et la mission de les partager.
Christine S Moiroux
Une montre en or
C’était au retour de la messe, un beau dimanche de fin d’été, malgré la chaleur, je portais pour la première fois un panti qui faisait de moi une jeune fille. Imbue de cette distinction je marchais à pas comptés, les yeux fixés sur le bord de ma jupe d’où dépassait un centimètre de jolie dentelle. Pierre, mon petit frère, essaya de m’entraîner dans son jeu favori, mais il se lassa vite. Faisant mine de conduire, il courait, revenait tournant un volant imaginaire, il clignait de l’œil droit quand il projetait d’aller dans cette direction ou de l’autre quand il voulait bifurquer à gauche. Papa et Maman marchaient juste à côté de moi en devisant tranquillement. J’entendais quelques bribes de leur conversation où il était question de retour de vacances, heure de départ, je pensais que c’était encore tôt pour s’en préoccuper quand, tout à coup, j’aperçus, éclairée par un rayon de soleil une tâche jaune sale, je m’arrêtai, me penchai et trouvai, enfoncé dans la terre dure, un boîtier. « Papa, criai-je, j’ai trouvé un truc. » Il m’aida à désincruster l’objet de la gangue de terre, le frotta et, dans la paume de sa main le tendit à notre curiosité. Jetant un coup d’oeil dans son rétroviseur, mon frère avait remarqué qu’il se passait quelque chose, il fit demi-tour et termina sa course en un dérapage contrôlé dans un cri aigu de freins. Il ne prit pas le temps de descendre de son bolide pour admirer ma trouvaille mais ouvrit la fenêtre en un tour de main.
« C’est une montre, précisa Papa en la nettoyant du plat de sa main, regardez, il y a des initiales.
En effet, deux lettres « J’, étroitement enlacées, surmontaient deux prénoms suivis de leurs initiales :
– Juliette C – Jacques M. C’est quoi leur nom Papa ? demanda Pierre qui savait lire depuis peu et s’entraînait à haute voix à chaque occasion.
– C ? M ? Je ne sais pas, ils n’auront probablement pas eu la place de les faire graver en entier, répondit-il et, sans plus s’attarder il me donna l’objet. Tiens garde-le Adèle, il faudra se renseigner demain, peut être que quelqu’un au village saura à qui cette montre appartient. »
J’étais très fière de la mission, aussi, le lendemain matin, pressée de rendre son bien à celui qui l’aurait perdu et surtout très fière de la perspective de contenter cette personne, je filai sans tarder. Papa m’avait suggéré d’interroger les commerçants. Comme le village en comptait trois, le sondage fut très rapide et personne ne m’ayant donné d’indice, désemparée, j’échouai assise sur le parvis de l’église. Déçue, je tournai et retournai la montre – en or avait remarqué Marie l’épicière. Je cherchais une solution pour sortir de l’impasse où mon enquête se trouvait quand mon frère déboucha dans son bolide sur la place. Pneus qui crissent, dérapage contrôlé, il me lance par la fenêtre d’une voix sautillante :
« Alors ? Tu sais à qui elle est ?
Comme je fais un signe négatif de la tête en jetant mes longs cheveux en arrière, il continue tout excité :
– T’as vu Gustave ?
– Zut alors ! J’l’ai loupé !
– J’en étais sûr.
– Mais de quoi, j’me mêle, Monsieur Fangio ? »
J’étais vexée d’avoir oublié d’interroger le vieux savetier toujours caché au fond de son échoppe sombre ! Même si d’habitude je n’ai mais pas trop m’attarder près de son antre, je sautai sur mes pieds et me dirigeai d’un pas ferme dans la direction pour me donner du courage. Pierre me doubla par la droite et faillit tomber dans le fossé. Il redressa habilement la trajectoire de son véhicule et continua sa route sans encombre en klaxonnant pour s’annoncer. Nous arrivâmes près de la caverne de Gustave qui en sortait justement. « Tant mieux, pensai-je, comme ça on n’entrera pas. »
Mon frère freine, se gare, moi je salue Gustave et exhibe ma trouvaille en sautillant d’impatience.
« Bonjour Monsieur Gustave, on a trouvé cette montre sur le chemin de la rivière, savez-vous à qui elle pourrait appartenir ?
Je sentis mes lèvres trembler d’enthousiasme et de timidité. Gustave la tritura de ses grandes mains, il ne mit pas longtemps avant de s’exclamer :
– Mais c’est la montre de Juliette Capri !
– Ouais ! Gagné ! J’t’avais dit Adèle ! s’exclama Pierre.
Je jubilais moi aussi, et, oubliant tout à coup ma peur de ce bonhomme plutôt impressionnant par sa carrure, son air bienveillant m’incita à plus de questions.
– Juliette Capri ? Vous la connaissez ? Alors, Jacques M ? C’est qui ?
Gustave bourru d’habitude est dans un bon jour, d’un geste de la main il me signifia de me calmer et m’expliqua :
– Juliette Capri, c’était notre locataire dans les années soixante, elle venait pendant les vacances avec sa nièce, Estelle je crois.
– Et Jacques ? Vous le connaissez ?
– J’sais pas.
Il se caresse le menton, je trépigne d’impatience, Pierre arrête le moteur et met le frein à main au cas où il faille intervenir rapidement.
– Y’a la ferme Mignon derrière la forêt là-bas, continua-t-il, y zavaient ben un Jacques dans l’temps, mais quand même je les ai jamais vus ensemble avec la Juliette !
– On va voir Juliette pour lui donner sa montre ?
– Tu sais, Adèle, la Juliette, on peut pas lui rendre cette montre, elle est pas venue depuis longtemps et sûrement elle reviendra plus. Moi j’ai pas son adresse… si elle vit encore. »
Remarquant mon dépit, il proposa de nous montrer la maison où Juliette et Estelle venaient passer leurs étés. Il partit prendre la clé. Pendant ce temps mon frère s’extirpa de sa voiture de course et la ferma d’un tour de clé. Gustave réapparut à l’autre bout du jardin. Pierre glissa sa main dans la mienne et nous courûmes rejoindre notre guide avec tous les deux la peur au ventre. C’est que le vieil homme de stature imposante, sorti de derrière son comptoir, se révélait encore plus impressionnant ! La maison aussi l’était, sombre, fleurant le moisi, les planchers craquant à chaque pas.
« Tiens ! Ça me permet de l’aérer un peu cette baraque », bougonna son propriétaire en poussant un volet. Alors les enfants qu’est-ce que vous en dites ? demanda-t-il en se tournant vers nous en esquissant pour la première fois un vague sourire. Ben, on était un peu morts de trouille et on n’en pensait pas grand-chose à vrai dire. Ces pièces poussiéreuses, sales même, dénuées de tout romantisme décevaient mes espérances. Je ne lui répondis pas car je savais d’instinct que ce n’était pas le genre de commentaire qu’il aurait apprécié. Apparemment, Gustave n’en savait pas plus que les quelques informations déjà délivrées et comme notre enthousiasme s’était considérablement refroidi pendant la visite de l’horrible maison du savetier, je pris rapidement congé et entraînai mon frère vers la sortie. Nous rentrâmes très vite chez nous sans nous retourner. Pierre en oublia même sa voiture rouge garée devant chez Gustave !
Les années passèrent, nous ne sommes jamais revenus en vacances dans ce village. Depuis, la montre est restée dans mon coffret à bijoux. Souvent je l’ai prise pour la contempler en rêvant d’un grand amour. Et puis, il y a peu, Pierre me téléphona :
« Salut ma sœur ! Devine comment s’appelle ma collègue de travail ?
– Comment veux-tu que je le sache ?
– Elle s’appelle Estelle Capri !
– Tu te rappelles de la montre ? Toi tu te souviens de ce nom ?
– Ben heureusement, Capri, Ford Capri, pardi !
– Ça, c’est bien toi ! Le fondu de bagnoles. Alors, raconte, Estelle, tu lui as parlé ?
– Oui, elle est pas la nièce de Juliette mais sa fille.
– Ah ! Et son père c’est qui ?
– A ton avis ?
– Jacques Mignon ? Mais pourquoi Juliette faisait-elle passer la petite pour sa nièce ?
– J’t’explique : Juliette et Jacques s’aimaient éperdument, ils voulaient se marier quand Jacques a été appelé sous les drapeaux, en Algérie. Juliette, restée seule, a donné naissance à la petite mais ne pouvait pas déclarer le père, ça se faisait pas en ce temps-là. Bref, alors elle faisait croire qu’Estelle était sa nièce. Juliette revenait au village chaque année, près de chez son fiancé, pour tenter de s’en rapprocher.
– Ah !
– Un jour, n’ayant plus de nouvelles de lui, elle s’est fait muter en Algérie pour l’y chercher. Elle y est encore. Estelle par contre est revenue en Métropole, elle m’a avoué que chaque année, elle déposait un bouquet au monument aux morts, pour cet homme, un père inconnu mais aussi un mari absent dont la veuve n’a pas même retrouvé le corps. Et voilà. Enquête bouclée ! Salut ma belle ! »
Quand le ciel était gris…
I
« Sans Souci, Sans Souci, Sans Souci », une vague de chuchotis traverse le wagon. Sous l’oeil bienveillant de deux parents et d’une animatrice, un groupe d’écoliers s’étonne du nom de cette station. « Sans Souci. Sans Souci ! Sans Souci ? », le nuage de douceur susurre et il revient en boomerang aux oreilles de Roman : « Sans Souci ! Sans Souci ? Sans Souci… » chuchotent-ils avec bonheur. « Et ben ! Sans Souci, ça veut dire qu’il n’y a pas de problème ! », se croit obligé d’expliquer une petite fille tendre et joufflue.
La rame redémarre. Roman observe le petit groupe à la fois discret et joyeux qui ajoute une touche de couleur joyeuse à cette matinée printanière, claire et douce. Soudain, il s’aperçoit que chaque enfant porte sous son bras ou dans un sac un drone qu’il s’amusera vraisemblablement à piloter au parc situé à quelques stations de là. L’homme ne sourit plus, il ferme les yeux, la satisfaction de ne pas assurer la permanence à la clinique vétérinaire ce samedi matin s’envole tout à coup et la tendresse inspirée par cette rencontre se teinte d’amertume. Il se souvient, à leur âge, quand il se levait et regardait tout de suite par la fenêtre pour vérifier la météo du jour. Quand le ciel était gris, les drones de combat ne pouvaient pas voler et, il était soulagé.
Comme elle le fait mille fois par jour, depuis ce jour, une ombre opaque et lourde envahit son esprit tandis que le bourdonnement des drones est de plus en plus présent à ses oreilles. Dans un ciel chauffé à blanc, les engins tournoient dans le ciel déversant la mort sur le camp. Ylal qui avait dix ans avait attendu le retour de sa maman, puis il avait sauté du muret. Roman voudrait oublier ce moment et retrouver son enfance, quand il s’appelait Ylal, d’autres souvenirs plus tendres. Mais, il n’y arrive pas. Jamais. Depuis ce jour où sa mémoire avait été balayée sur le muret, il entend à chaque minute son cœur pleurer et c’est comme si pour lui, rien n’avait jamais existé avant, avant l’attente, avant, avant qu’il n’apprenne tout de la mort et de la vie, en quelques secondes foudroyantes.
Roman se trouve de nouveau confronté à ses images et des idées bruyantes qui lui chavirent le cœur et l’estomac depuis longtemps. Son arrivée en Europe, quand il brandissait des bouquets de jonquilles, des soleils au bout de ses bras, qu’il vendait dans la rue. Il lutte pour s’attacher aux seuls sourires de lumière des enfants du métro, à l’instant de candeur, de beauté et de bonne humeur qu’ils lui offrent sans le savoir. Il cherche désespérément la paix, la joie de rêver et d’espérer dans cette rencontre, même lointaine et insignifiante. « Ici, à Sans Souci, les enfants entendent les échos des guerres mais ils résonnent en rumeurs lointaines. Sans souci, ils devront réaliser ou renoncer à leurs rêves mais au moins en ont-ils, de ceux qui ouvrent vers l’espoir, de ceux qui rajoutent une si magnifique beauté dans l’existence ! » pense-t-il en essayant de se focaliser sur eux pour ne pas tomber de nouveau dans la noirceur tapageuse de ses visions intimes. Mais le groupe quitte la rame dans un sage brouhaha de chuchotements et de petits rires charmants et, Roman, confronté à ses souvenirs, sait que la journée se passera dans l’enfer de la guerre qu’il avait vécu.
Il sort précipitamment à la station suivante. « En ai-je eu jamais des rêves ? Une enfance ? Oublierais-je un jour pour enfin apprendre à considérer l’avenir ? » L’homme sait parfaitement combien d’efforts il a déjà fournis pour oublier ses