Poison d'outre-mine
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À propos de ce livre électronique
Ils s’entrecroisent et leurs destins se mêlent sur fond de fermeture des mines de charbon et de gestion de « l’après-mine ».
Financée par la population locale, une sculpture monumentale va jaillir de terre en une ascension vers l’aube. Elle va devenir le symbole de la rédemption et de la renaissance d’un bassin minier sans mine.
Une sale intrigue vient couronner le tout dans un pays vert et noir travaillé par les affaissements et les effondrements de « l’après-mine ».
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Aperçu du livre
Poison d'outre-mine - Jean Pierre Simonet
Poison d’outre-mine
Jean Pierre Simonet
Poison d’outre-mine
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2019
ISBN : 978-2-312-06506-9
I. Matthieu Gransimon
Longtemps, je me suis défoncé au travail.
Longtemps j’ai cru que ça ne finirait jamais, ni pour moi, ni pour la mine.
J’ai toujours aimé Emma, éperdument.
Et maintenant, me voilà assis, le regard fixe, dans le grand hall vitré, perdu dans mes pensées, au milieu du va-et-vient des soignants, des malades, des visiteurs. Il est six heures du soir lorsqu’enfin je me décide à sortir de l’hôpital général des mines de C. Le pâle soleil de ce dix-sept février 1974 disparaît derrière la ligne boisée des collines. J’ai froid. Je boutonne la vieille canadienne en cuir héritée de mon père et je relève le col en fourrure. Il me reste un peu moins d’un quart d’heure si je veux attraper l’autocar pour rentrer chez moi, à M. Je force le pas jusqu’à la gare routière, j’accélère sur les cinq cents derniers mètres, puis j’essaie de courir. Le car démarre sous mon nez. L’air siffle violemment dans mes narines et dans ma gorge. Je suffoque, l’odeur de gazole m’écœure. Je crois que je vais tourner de l’œil. Les feux rouges du bus disparaissent dans la nuit. Je m’affale sur un banc en crachant mes poumons au milieu de la gare routière déserte. Je ne suis plus qu’une vieille carcasse musculeuse secouée de spasmes et surmontée d’un regard noir auréolé de cheveux gris en bataille. Je dois avoir l’air d’un fou…
Il me faut vingt bonnes minutes pour reprendre mon peu de souffle. J’empoigne ma musette, dans laquelle il me reste une tranche de pain, un morceau de fromage et une petite pomme. Je remonte lentement vers le centre-ville de C. Je me demande comment je vais pouvoir rentrer chez moi. Sur la place Jean Jaurès, il y a une brasserie ouverte. J’ai envie de boire quelque chose de chaud. J’entre dans la salle et je m’installe au bar, où les consommations sont moins chères. Je commande un grand crème. J’aime bien le goût du café au lait, du pain et du fromage mêlés. Chez moi, je dîne souvent d’un grand bol de café au lait, d’une tranche de pain avec du fromage et d’un fruit. Au fond de la salle, la fluorescence d’un écran de télé palpite dans l’air bleui par la fumée des cigarettes. Quelques clients regardent un match de foot en buvant des bières. L’AS Saint-Étienne affronte le Standard de Liège dans l’enfer de Sclessin{1}, au beau milieu des aciéries de la vallée de la Meuse. C’est par là-bas que ma sœur s’est installée comme infirmière, après avoir fui le pays minier en courant. Elle voulait que j’arrête de travailler à la mine et que je vienne la rejoindre en Belgique. On s’est complètement perdus de vue depuis qu’elle est partie de M. Les soiffards crient chaque fois que l’une des équipes s’approche des buts adverses. Je me dis que je ne vais tout de même pas passer la nuit dans cette brasserie, que vingt-cinq bornes à pied ce n’est pas la mer à boire, et que, malgré ma foutue respiration, je pourrais faire la distance en quatre ou cinq heures. J’en ai vu d’autres au fond. Et, avec un peu de chance, une voiture me prendra en stop. Je finis mon café au lait. Je savoure le fond sucré de la tasse. Puis, de la main droite, je rassemble les miettes de pain et de fromage sur le comptoir et les fais tomber dans le creux de ma main gauche pour les mettre dans la soucoupe et faciliter le travail du barman. Un mineur de charbon c’est propre et bien élevé. Je paye et je sors. La nuit est claire et froide. Je retourne à la gare routière d’où je pars à pied pour rentrer chez moi, à la cité Saint-Roch.
Je marche sur les routes, dans la nuit. Je sens vibrer la terre sous mes pas. Je traverse les cités endormies. Sous la lumière des candélabres, leurs places ressemblent à des plages de sable jaune. Je longe les voies ferrées où passent au ralenti, dans un bruit sourd de métal, des convois de charbon. Les hauts fourneaux rougeoient dans la nuit, se gavant en continu de coke pour vomir leur acier incandescent. La campagne luit faiblement dans le halo des usines baignées de vapeur d’eau. Sur les carreaux des puits, les chevalements se dressent dans des sifflements de gaz et des chuintements de poulies. La lune joue avec la ligne de crête des monts, tantôt se montre, tantôt se cache, tantôt se voile dans les fumées. Puis à nouveau je retrouve la campagne.
Je me revois quand le chef du service de pneumologie de l’hôpital général m’a fait entrer dans son cabinet en début d’après-midi. Il m’a serré distraitement la main et m’a indiqué une chaise en face de son bureau. Sa main était fine et froide. Il portait un nœud papillon lie de vin, une chemise bleu pâle et une blouse d’un blanc immaculé avec son nom « Pr. J. LEONARD » écrit sur la poche avant. Il avait un visage mince, une peau impeccable et portait de fines lunettes en métal argenté. Ses cheveux grisonnants, très soignés, étaient ramenés en arrière. Je me suis assis devant son imposant bureau en métal noir.
Pendant un temps qui m’a paru très long, il a cherché dans une armoire mon dossier médical. Ça m’énervait de l’entendre farfouiller dans mon dos. J’avais envie de me lever pour l’aider à trouver plus vite. Il a posé mon dossier sur son bureau. Mon nom « Matthieu GRANSIMON » était écrit tout en haut, au-dessus de ce qui ressemblait à des clichés de mes poumons. Puis il est allé à la fenêtre pour descendre le store. Sur le coup, ça m’a ennuyé, car l’hôpital était situé sur les hauteurs et, depuis son bureau, on avait une belle vue sur les cités et les collines, sur le bassin sidérurgique et minier. Il s’est approché du mur pour allumer les grandes plaques de verre dépoli qui servent à examiner les radios des poumons. Il est revenu à son bureau pour prendre trois clichés dans la grande enveloppe bleu pâle, est allé les accrocher sur les verres dépolis rétroéclairés. La pièce baignait dans une lumière grise et bleue. Il m’a dit de m’approcher pour qu’on regarde les radios de mes poumons. Je me suis levé. Quand je suis arrivé près de lui, il m’a pris par le bras pour me montrer une longue succession de taches foncées dans les alvéoles pulmonaires. Je voyais mon nom inscrit en transparence sur le bord des clichés et la date de l’examen. Mes poumons étaient salement amochés, remplis de cette saloperie de poussière de silice et de charbon. Le professeur m’a dit que j’étais silicosé à plus de quatre-vingt-dix pour cent, qu’il allait demander ma mise à la retraite anticipée et la reconnaissance officielle de l’invalidité pour compléter ma pension. Il voulait m’envoyer en sanatorium pour me refaire une santé. Je lui ai dit que ça n’était pas possible, que je devais travailler, que c’était pour moi le seul moyen pour continuer de vivre depuis que j’avais perdu ma femme. Il m’a rétorqué que j’étais à un stade avancé de la maladie et que je n’avais pas le choix. Mais alors pourquoi ne pas m’avoir arrêté plus tôt, avant d’en arriver là. Il m’a répondu qu’il ne faisait qu’appliquer le protocole médical de la Compagnie des Mines. Je lui ai demandé combien d’années il me restait. Il ne pouvait pas faire de pronostic, un an peut-être, ou deux ou cinq… J’étais sonné. J’ai regagné ma chaise en titubant. Il m’a dit qu’il comprenait ce que je ressentais et qu’il était de tout cœur avec moi. J’ai articulé « Merci… Docteur » en appuyant bien sur le « merci » en le regardant droit dans les yeux. Je pensais qu’il n’en avait rien à foutre. Que pouvait-il savoir de ce que je ressentais ce professeur payé par la Compagnie des Mines dont le seul but était de nous faire trimer jusqu’au bout ? Il est allé relever le store. À nouveau j’ai pu voir le pays vert et noir, le pays d’Emma. Le paysage était magnifique sous le soleil d’hiver. Ma colère est tombée d’un coup. Pendant qu’il enregistrait son rapport sur un dictaphone, j’ai senti quelque chose de froid couler sur ma joue.
Je marche. Je me revois assis, perdu dans le grand hall vitré de l’hôpital. Je pense toujours à elle, sans cesse. Je ne peux pas l’oublier. Elle a disparu il y trente-cinq ans et, depuis trente-cinq ans, elle est là, à chaque instant de ma vie, depuis trente-cinq ans je m’abrutis en abattant du charbon, depuis trente-cinq ans je me détruis méthodiquement en travaillant. J’aurais mieux fait de me foutre en l’air tout de suite quand elle a disparu. Et ces cons de patrons qui m’ont décoré de la médaille du meilleur mineur de France. Triste vie, triste farce. Cette fois, avec mes plus de quatre-vingt-dix pour cent de silicose, je n’en ai plus pour longtemps. Cette fois, il est bien foutu le mineur d’élite.
Je marche depuis plus de deux heures. Il est près de dix heures du soir quand une voiture stoppe à mes côtés. La portière s’ouvre et je reconnais le Père Joseph Browarski, le curé de la paroisse Saint-Roch, qui roule vers M. Il me dit qu’il peut me déposer chez moi. Assis à ses côtés, je regarde la route éclairée par le faisceau de lumière des phares de la deux-chevaux. Je suis hypnotisé par le défilement des fossés, des haies et des talus dans la lumière jaune des phares. Bercé par les ondulations de la suspension de la deux-chevaux, je somnole et ne dis rien. Je suis las. Le Père Joseph rompt le silence. C’est un jeune curé polonais au regard gris et aux cheveux clairs, qui joue de l’harmonium pendant les offices et au football avec les gamins du catéchisme. Il n’a pas son pareil pour lire les emmerdements dans la tête des gens.
« Matthieu ? Qu’est-ce que tu fais à pied entre C et M en pleine nuit ? Ça va ?
– Ça va, merci Mon Père. J’avais une visite médicale de routine au centre hospitalier, le toubib a pris beaucoup de retard et j’ai raté le dernier bus. Je me suis dit que je pouvais rentrer à pied.
– Ah bon, j’aime mieux ça.
– Et vous Mon Père, vous étiez à C ce soir ?
– Oui, on aurait même pu se croiser à l’hôpital général. Tu l’as connu toi André Merle ?
– Oui, Mon Père, je le connais bien.
– Je lui ai donné les derniers sacrements, il s’est éteint en fin d’après-midi dans le service de pneumologie du professeur Léonard.
– Je le savais bien malade mais pas à ce point-là.
– Ces dernières semaines, il était à l’hôpital général de C, sous respirateur artificiel et sous cortisone.
– Je n’en reviens pas. Il n’a pas beaucoup profité de sa retraite. Heureusement ses enfants ont fini leurs études et ont de bonnes situations. Je crois qu’ils ne sont plus à M. Ça va être dur pour sa femme. Elle va se retrouver toute seule. La Compagnie des Mines va la mettre dans un petit logement et elle n’aura plus que sa pension de réversion pour vivre.
– Elle savait que son mari était au bout du rouleau. Elle est très investie dans la paroisse. Je la soutiendrai de mon mieux.
– Mon Père, est-ce que je peux vous confier quelque chose de personnel ?
– Oui, bien sûr.
– Voilà Mon Père, c’est un peu compliqué à dire : je ne me suis jamais remis de la disparition d’Emma en juin quarante.
– Je le sais, Matthieu, tu m’en as parlé il y a quelques temps.
– Je me suis démoli au travail, jusqu’à en crever, pour ne plus penser à elle, mais elle est toujours là, dans ma tête, tout le temps. Mon Père…
– Oui, Matthieu.
– Le professeur Léonard vient de m’annoncer que j’étais foutu, condamné à court terme.
– Ne parle pas comme ça, on peut toujours faire quelque chose.
– Je suis foutu Mon Père, en phase terminale, comme André Merle. Et je me demande à quoi j’ai servi dans ma foutue vie. Et la mine, elle est foutue aussi. Les puits ferment les uns après les autres. Et vos prières n’y changeront rien Mon Père !
– Je sais Matthieu, je comprends.
– La Compagnie des Mines va nous laisser crever comme des parias dans notre coin. Après tout ce qu’on a fait pour extraire ce foutu charbon.
– Ne dis pas ça. On peut toujours rester digne et faire quelque chose.
– Faire quoi, Mon Père ? Prier dans votre foutue église ?
– …
– Nous sommes arrivés chez moi Mon Père, désolé de m’être emporté. Merci de m’avoir ramené à la maison.
– Bonsoir Matthieu. Tu peux venir me voir quand tu veux pour causer.
– Bonsoir Mon Père. Encore merci.
La deux-chevaux s’éloigne. Je suis devant ma maison. Elle est aussi celle de Jean Cuvilier, mon beau-frère, mon homme{2} dans la mine, mon voisin dans la cité. Nos deux logements sont mitoyens, nos deux jardins sont attenants. J’ouvre le portail et j’avance en silence dans la cour de Jean. Sa cuisine est éclairée. Il est assis à la table, un journal posé sur la toile cirée. Le café est en train de passer. Il va manger un morceau et prendre son poste de nuit au puits Vauban. Par la porte ouverte du séjour, je vois les halos bleuâtres de l’écran de télévision. Irène, son épouse, a dû regarder une série et oublier d’éteindre le poste.
J’observe l’intérieur de la maison de Jean. Je pense à Emma. Je rentre chez moi en pleurant, silencieusement.
*
Avril 1975. Il y a un peu plus d’un an que je viens séjourner, à intervalles de plus en plus rapprochés, au sanatorium de Notre Dame de Lavalette, sur le haut plateau d’Aillange face au Mont Blanc. Depuis ce jour funeste, à l’hôpital général des mines de C, où le professeur Léonard m’a condamné à l’inactivité, je partage mon temps entre la cité Saint-Roch à M, où la Compagnie des Mines m’a laissé provisoirement la jouissance de ma maison, et ce foutu sanatorium. J’y suis depuis six semaines. Le médecin a préféré prolonger mon séjour, car ici j’arrive encore à gober un peu d’air sans les bouteilles d’oxygène, avec le peu de poumon qu’il me reste. Je me sens bien dans ma chambre avec vue sur la montagne. Je m’installe sur le transat de la terrasse, au besoin sous de bonnes couvertures, et je reste des heures à rêvasser et à contempler le Mont Blanc.
Diane, ma petite chienne
