Le mystère de Chalucet: Polar au passé et présent
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À propos de ce livre électronique
De nos jours, le capitaine Léonard Vinoy et le lieutenant Mathieu enquêtent sur la mort par crucifixion de celui qui devait devenir le conservateur départemental du site de Châlucet. L’opportunité pour l’officier de police limougeaud (par ailleurs propriétaire d’un bar à vin), de multiplier les rencontres, notamment avec un chanteur de rock sataniste installé dans la campagne limousine, et de faire découvrir à son adjoint les charmes de Limoges. Chevauchées, ripailles, amours et trahisons médiévales s’immiscent dans la progression de l’enquête, créant ainsi un suspense original.
Découvrez le premier tome d'une série de polars où se mêlent des épisodes de l’histoire du Limousin et des enquêtes policières menées aujourd’hui.
EXTRAIT
Celle qu’ils devinaient être Mathilde se fraya un chemin entre les deux molosses et entrouvrit le portail. Grande, belle, ronde. En robe noire, cheveux châtains ramenés sur la tête en un habile chignon. Une chaîne en or autour du cou. Des chaussures de sport sans chaussettes qui ne dénotaient pas. Quelque chose de juvénile, encore, ou plutôt d’une fausse ingénue. En la regardant, Léon songea à l’actrice britannique Gemma Arterton, qui l’avait charmé dans le film Gemma Bovary d’Anne Fontaine, où elle partageait l’affiche avec un Fabrice Luchini transi d’amour. Une fille qu’il n’imaginait pas dans les bras d’un rocker sataniste, mais il savait que les apparences sont souvent trompeuses. Mathieu descendit de la voiture tandis que les aboiements montaient en intensité et prononça le sésame habituel : « Police nationale », complété par l’habituel : « Nous souhaiterions poser quelques questions à M. Ber. » Et le regard limpide de son interlocutrice s’obscurcit. D’une voix ferme, elle ordonna aux chiens d’aller « à la niche », ce qu’ils firent instantanément – Léon pensa qu’ils les mettraient en pièces également sur ordre le cas échéant – puis elle leur dit simplement :
— Suivez-moi.
Ils s’éxécutèrent sans quitter des yeux son oscillante démarche, jusqu’à une grande bâtisse close par une porte coulissante qu’elle ouvrit d’un seul coup, avant de lancer :
— La police !
Le lieu était immense, baigné par la lumière jaune et crue des projecteurs. Un tiers environ de l’espace était occupé par une scène où se trouvaient les musiciens qui s’arrêtèrent immédiatement de jouer.
— La police ? s’exclama celui qu’ils identifièrent immédiatement comme John Ber. Un corps massif et musclé, un tatouage de serpent sur le bras gauche, des cheveux blonds coupés très court, une barbe carrée, un t-shirt blanc barré par l’inscription « Lucifer ».
À PROPOS DE L'AUTEUR
Né en 1962 à Limoges, Laurent Bourdelas, ancien étudiant du Centre de recherches historiques et archéologiques médiévales de Limoges, également diplômé en tourisme, s’est spécialisé dans l’histoire culturelle et littéraire. Il est professeur d’histoire et géographie à Limoges, membre du Comité des Anciens Elèves du Lycée Gay-Lussac. Homme de radio depuis une trentaine d’années, il est aussi photographe et écrivain. Récemment, son ouvrage L’ivresse des rimes (Stock, 2012) a obtenu le Prix Jean Carmet, sa biographie d’Alan Stivell (Editions Le Télégramme, 2012) est devenue une référence et il a contribué au Dictionnaire historique de Paris (La Pochothèque). Il vit à Vicq-sur- Breuilh.
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Aperçu du livre
Le mystère de Chalucet - Laurent Bourdelas
Laurent Bourdelas
Le Mystère de Châlucet
Crimes et histoire en Limousin
i
© 2018 — — 79260 La Crèche
Tous droits réservés pour tous pays
Fly high, fight hard.
Sébastien Raizer
Message du 21 juillet 2015
On m’a attribué tous les crimes que je racontais.
Charles Baudelaire, projet de préface pour une
édition nouvelle des Fleurs du Mal
À la mémoire des fantômes de Châlucet.
En souvenir des années passées à œuvrer à sa sauvegarde.
Note de l’auteur
La plupart des personnages et des faits historiques racontés dans cet ouvrage ont vraiment existé. Médiéviste, je les ai étudiés et les connais bien. Néanmoins, il arrive qu’ils soient un peu « décalés » par le romancier.
Pour ce qui est de la partie contemporaine… il s’agit d’une autre histoire ! Même si celle de la sauvegarde de Châlucet ne m’est pas étrangère.
À la fin du
xiv
e siècle, affaibli par la guerre, les difficultés intérieures de toutes sortes, le pouvoir royal a du mal à extirper du pays le poison que représentent les brigands ou routiers. Au moment où commence ce roman, c’est Charles V « le Sage », un lettré à l’origine de la « Librairie royale » (qui devint la Bibliothèque nationale), qui gouverne le pays. Il a réussi à récupérer presque toutes les terres perdues par ses prédécesseurs lors de la première partie de la guerre de Cent Ans, restaure tant bien que mal l’autorité de l’État et s’efforce de relever son royaume.
Dans celui-ci, le recours aux contrats d’engagement était devenu courant après le milieu du
xiv
e siècle, sous la forme principalement de « lettres de retenue », par lesquelles le roi, ou son lieutenant, retenait un capitaine avec un certain contingent et moyennant une certaine solde, même si la noblesse faisait encore jouer les obligations militaires de type féodal. Les villes fournissaient également des contingents communaux.
Les compagnies de mercenaires sans emploi ou déserteurs devinrent des associations dont l’objectif primordial était l’exploitation de la population locale. Elles contribuèrent à transformer les campagnes de France en un désolant spectacle. On parle à leur sujet de « compagnies d’aventure » dont les membres se désignaient entre eux comme « compagnons ». En 1380, lorsque la mort de Charles V et l’abolition des impôts obligèrent à licencier l’armée, seules quelques régions de la langue d’oc virent surgir des compagnies, résultat de la carence de l’autorité au sud de la Loire. Progressivement, devant la gravité de la situation, la réaction devint générale : des hommes et des subsides furent levés, les populations locales, et même le clergé, s’unissant pour faire face aux « routiers ».
Les brigands « jouaient » sur une ambiguïté propre au temps : il est difficile de distinguer chez eux les actes de guerre et les « délits de droit commun ». Ils rançonnent et pillent comme les troupes régulières. Leur méthode habituelle est de s’emparer par surprise de quelques châteaux et de s’y installer. Tout le pays est alors mis en coupe réglée.
Liste des personnages principaux par ordre d’apparition
Partie médiévale
Perrot le Béarnais, capitaine « routier » à Châlucet
Aymerigot Marchès, capitaine « routier » à Châlucet
Charles V, roi de France
Geoffroy Tête-Noire, capitaine « routier » à Ventadour
Aymeri Marchès, père d’Aymerigot
Duc Jean de Gand, fils du roi d’Angleterre Édouard III
Armel, envoyé de Perrot le Béarnais
Marion, compagne de Geoffroy Tête-Noire
Géraud Bernard, chevalier chassé de Châlucet par Perrot le Béarnais
Pierre Polet, habitant de Saint-Lazare, près de Limoges
Marie, guérisseuse, compagne de Perrot le Béarnais
Maréchal de Sancerre, gardant l’Aquitaine pour le roi Charles VI
Frère Bertrand, moine, « négociateur » avec les routiers au nom de l’abbé de Solignac
Geoffroy de Vigeois, chroniqueur
Adémar de Chabannes, chroniqueur
Bernard, vicomte de Ventadour
Guillaume de Lignac, chevalier du siège de Ventadour
Jean Bonne-Lance, chevalier du siège de Ventadour
Alain et Pierre Roux, parents de Geoffroy Tête-Noire
Jean de Tournemire, seigneur de Bezaudun, cousin d’Aymerigot Marchès
Robert de Béthune, vicomte de Meaux, représentant de Jean de Blaisy, chambellan du roi
Saint François d’Assise
Partie contemporaine
Léonard Vinoy, ancien agent du renseignement militaire, capitaine de police, propriétaire d’un bar, place des Bancs, à Limoges ; surnom donné par ses collègues : « Double Saint-Cyr »
Bruno, ami de Léonard, professeur d’histoire-géographie
Martial, fils de Léonard, étudiant à Sciences-Po, Paris
Mathieu, lieutenant de police
Liliane Defaye, substitut du procureur de la République
Philippe Baillehache, conservateur régional des Monuments historiques du Limousin
Maurice Flanant, directeur des Affaires culturelles du Limousin
Le maire de Limoges
Bérénice, avocate, « amie » de Léonard Vinoy
Stéphanie, restaurant Les Petits Ventres à Limoges
Mathilde Lebrun, commissaire
Dr Marchand, médecin légiste au CHU de Limoges
Isabelle Baillehache, veuve de Philippe Baillehache
John Ber, alias John Done, leader américain du groupe sataniste limousin Demon ConviXion
Ivy, petite amie de John Ber, morte aux États-Unis
Mathilde, web designer, petite amie de John Ber en France
Michel Scott, bébé de John Ber et Mathilde
ArCor (Didier Berchaud), batteur de Demon ConviXion
Ariel (Fabrice Prade), professeur d’arts plastiques, bassiste du groupe
Namtar, ancien professeur de philosophie, claviers et chant du groupe
Muriel, directrice du service régional d’identité judiciaire de Limoges
Éliane Jamme, médiéviste, ancienne présidente de l’Association de sauvegarde de Châlucet
Franck Dumontel, capitaine de police
Hervé Leduc, archéologue
Florence, professeur de lettres, sœur du lieutenant Mathieu
François Dumoulin, documentaliste au service des Monuments historiques
- I -
Envoyés avec dextérité, les grappins s’envolèrent simultanément du fossé et s’accrochèrent pour la plupart au sommet de la muraille. La nuit était claire, en ce mois de juin 1380, et, très vite, silencieusement, les hommes gravirent le rempart percé d’archères. Aucune sentinelle ne donna l’alerte. Il y en avait peu, d’ailleurs. La forteresse de Châlucet – près de Solignac, au sud de Limoges, sur la route qui serpentait vers l’Espagne – semblait en effet inexpugnable : une vaste enceinte protégeait deux châteaux-forts bâtis sur un éperon rocheux, au confluent de la Briance et de la Ligoure. Pourtant, quelques mois auparavant, il avait fallu faire appel à Bertrand Du Guesclin et à Louis de Sancerre pour en chasser la bande du brigand Paya Negra qui s’en était emparé, faute de défenseurs efficaces. La ville de Limoges avait dû mobiliser hommes et finances pour concourir au succès de l’entreprise. La leçon, semble-t-il, n’avait pas porté ses fruits, puisque, à nouveau, de redoutables « routiers » escaladaient ses murs, bardés de dagues, de rapières et d’armes diverses. Leur chef, en bas, des herbes fleuries montant jusqu’à ses genoux, observait d’un regard sévère l’escalade en cours. Plus haut derrière lui, sur le plateau, son convoi de chevaux, d’ânes, de mules et de chariots attendait à couvert sous les châtaigniers, avec d’autres hommes en armes, mais aussi des femmes et quelques enfants. Lorsque le premier garde survint avec sa torche, il était trop tard, on s’empara de lui et on le précipita au bas de la muraille.
Perrot attendait, silencieux, que ses hommes mettent à exécution le plan soigneusement préparé. Le Béarnais savait qu’ils allaient se faufiler et tuer chaque homme rencontré, l’égorgeant et dissimulant son corps dans un recoin de la forteresse. D’autres routiers faisaient le tour du château par l’extérieur, pour se tenir prêts à y entrer lorsque la herse serait levée. En contrebas, le petit village était silencieux. Bientôt, ses habitants seraient soumis à l’autorité des brigands. Deux proches de Perrot se tenaient à ses côtés, pour le protéger en cas de besoin ; comme lui, ils portaient de larges chapeaux, les cheveux longs, des sortes de longs manteaux, des bottes de cuir ; bien qu’ils ne soient pas nobles, de lourdes épées pendaient à leur côté. En cas d’échec ou de contre-attaque, le Béarnais se replierait et attendrait une autre occasion de s’emparer d’une place forte. Mais réussir à prendre Châlucet serait formidable : il n’y avait pas pareille forteresse des lieues à la ronde, s’y retrancher permettrait à la bande de s’installer durablement et de mettre en coupe réglée toute la province. La progression sur le chemin de ronde des hommes de Perrot était ponctuée par le bruit sourd des corps de sentinelles précipitées du haut du rempart et s’écrasant sur la roche en contrebas. Et, alors que le ciel était devenu plus noir, on entendit soudain le grincement métallique de la herse que l’on remontait lentement, suivi des hurlements des hommes entrant dans la place. C’en était fait de la garnison de Châlucet ! Lorsque les habitants du village situé au confluent des deux rivières se réveillèrent, il était trop tard : celui-ci était encerclé par une horde de soudards patibulaires et menaçants – les quelques chevaliers ayant fait mine de sortir leurs épées des fourreaux avaient été promptement désarmés ou même assassinés par d’habiles lanceurs de dagues ou manieurs de haches. Un silence apeuré et noyé de larmes avait succédé aux premiers cris de stupeur et de terreur.
Le grand défilé avait commencé, à la lumière des torches : les chariots s’étaient mis en route sur le chemin qui longeait la rivière et montait vers les deux châteaux. Perrot le Béarnais ouvrait la marche, sur son cheval noir énervé, entouré par ses deux lieutenants, Jean et Martin. Venait après lui Aymerigot Marchès, d’origine noble, dont le père défendit jadis Saint-Léonard-de-Noblat. Dès l’âge de vingt-deux ans, Aymerigot avait participé à la chevauchée du duc de Lancastre, puis il était devenu brigand à son propre compte, installé au fort du Roc de Bordes, près de Saint-Léonard. C’était un grand et musculeux gaillard, très dangereux, qui avait mis ses hommes à la disposition de Perrot, comprenant tout l’intérêt d’une pareille opération. Il avait été conclu entre les deux hommes que le Béarnais s’installerait dans le château haut et Marchès dans le château bas. D’autres cavaliers les suivaient ; derrière, c’étaient les charrettes des femmes, des enfants criards, et des vivres. Il y avait encore quelques montures de réserve, deux bœufs et quelques vaches. Un grand déménagement, en quelque sorte, après bien des meurtres, des pillages et des vicissitudes. Ceux qui avaient escaladé la muraille arrière descendaient prudemment à la rencontre de leur chef en allumant de nombreuses torches : la grande lumière servirait peut-être à découvrir quelque sentinelle oubliée. Aucun des routiers n’avait été tué dans l’attaque surprise, ni même blessé. L’un d’eux poussait en souriant le prêtre attaché au service de la chapelle, tiré de son sommeil. C’était un petit homme gras à la soutane grise et au regard plein d’inquiétude. En le voyant mené à la pointe d’une épée, Perrot jeta simplement :
— Laissons-le vif, il célébrera nos messes !
Châlucet était finalement gardé par une petite garnison et l’on ne découvrit que quelques domestiques – hommes et femmes – chargés des cuisines et de tâches subalternes. Mais plus personne pour faire obstacle à l’investissement de la forteresse. Les habitants du village furent regroupés dans l’une des caves que l’on vida, comme les autres, de ses réserves. Seuls quatre d’entre eux furent affectés au roulage des barriques jusqu’au château haut. Chevaliers et artisans furent enfermés : ils ne devaient pas donner l’alerte avant que les brigands soient installés et que la herse soit à nouveau abaissée. Un messager fut envoyé par Perrot vers son compère, Geoffroy Tête-Noire, qui avait pris la forteresse de Ventadour par surprise : à eux deux, ils allaient pouvoir rançonner tout le pays limousin et au-delà !
Lorsque le petit jour inonda la colline, les remparts et la forteresse, la place était investie par les hommes de Perrot le Béarnais et d’Aymerigot Marchès, gardée par des hommes vigilants en armes. Le petit pont de pierre sur la Briance, lui-même, était contrôlé par quatre sentinelles lourdement armées. On apporta un peu de soupe aux prisonniers de la cave qu’il n’était pas encore temps de libérer. Les cris des noirs choucas