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Georges Simenon et le monde sensible: De la perception à l'écriture
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Georges Simenon et le monde sensible: De la perception à l'écriture
Livre électronique242 pages3 heures

Georges Simenon et le monde sensible: De la perception à l'écriture

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À propos de ce livre électronique

L’auteur s’intéresse aux mécanismes de création littéraire chez le père de Maigret.

Depuis les années 1950, Georges Simenon est reconnu par la critique pour son don particulier à rendre les atmosphères et à créer des ambiances à l’aide des sensations. Cependant, le romancier ne se contente pas de la vue et de l’ouïe mais s’approprie aussi l’odorat, le goût et le tactile. Comme le commissaire Maigret, Simenon se compare volontiers à une « éponge », parce qu’il enregistre plus ou moins consciemment les sensations. Cette capacité à s’imprégner, puis à reproduire dans ses romans le monde sensible est probablement unique.
Aujourd’hui Georges Simenon est connu dans le monde entier, il reste cependant pour beaucoup de lecteurs le « père » de Maigret : cet essai souhaite montrer qu’il est avant tout un romancier qui a saisi avec justesse les angoisses de l’homme du vingtième siècle.

Cet ouvrage passionnant explore un volet méconnu et néanmoins prolifique de l'œuvre de Simenon.

EXTRAIT

Pour beaucoup de lecteurs, Georges Simenon est le romancier des canaux et des brumes du Nord, des atmosphères grises et pluvieuses, des notations exactes de l’univers quotidien. Tous ces clichés font partie de la « légende Simenon » et contribuent à entretenir le malentendu avec l’institution littéraire, même si depuis quelques années la position du romancier a sensiblement évolué. À vouloir « classer » Simenon dans les écrivains réalistes, le considérer comme le successeur de Balzac, on occulte ce qui fait la richesse du romancier : un mode de création original et un style faussement plat.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Universitaire, Bernard Alavoine a déjà publié Georges Simenon, parcours d’une œuvre et Les Enquêtes de Maigret : lecture des textes chez Encrage Édition, ainsi que de nombreux articles en France et à l’étranger sur cet auteur.
LangueFrançais
Date de sortie4 déc. 2017
ISBN9782360589449
Georges Simenon et le monde sensible: De la perception à l'écriture

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    Aperçu du livre

    Georges Simenon et le monde sensible - Bernard Alavoine

    Bibliothèque du Rocambole

    Les Papiers du Rocambole - 1

    collection dirigée par Alfu & Daniel Compère

    Bernard Alavoine

    Georges Simenon

    et le monde sensible

    2017

    AARP & Encrage édition

    © 2017

    ISBN 978-2-36058-944-9

    Introduction

    Georges Simenon est célèbre aujourd’hui pour avoir créé le personnage du commissaire Maigret : des centaines de millions de lecteurs dans le monde entier depuis le début des années 30, mais aussi un nombre incalculable de téléspectateurs qui ont suivi les enquêtes du commissaire sous toutes les latitudes. Georges Simenon est aussi l’auteur de 117 romans psychologiques dans lesquels Maigret n’intervient pas, appelés par l’auteur « romans durs » : c’est ce second volet de l’œuvre, moins connu, qui sera développé dans cette étude, sans pour autant occulter le personnage de Maigret. S’il existe effectivement deux productions de Simenon, qui tiennent avant tout à des considérations éditoriales et commerciales, l’œuvre est unique dans son écriture. Il n’y a pas deux styles comme il n’y a pas deux thématiques de Simenon : le lecteur attentif du romancier perçoit sans cesse des échos entre les deux séries. Ainsi, les thèmes de l’étrangeté, de l’incommunicabilité et de la culpabilité se retrouvent aussi bien dans les Maigret que dans les « romans durs » : Simenon écrit de ma même façon, quasi instinctive, et il est vain d’opposer ses deux productions.

    Dans cet essai, la première partie est consacrée à ce qui fait l’originalité de Simenon : avant d’écrire, le romancier a une capacité extraordinaire à absorber le monde sensible. Comme son personnage le commissaire Maigret, il se compare volontiers à une « éponge » parce qu’il enregistre plus ou moins consciemment les sensations. Cependant, il ne se contente pas des perceptions visuelles et auditives relativement utilisées par les écrivains, mais utilise aussi l’odorat, le goût et le tactile. Cette capacité à enregistrer puis reproduire dans ses romans le monde sensible est probablement unique. Depuis les années 1950, la critique a reconnu chez Simenon ce don pour rendre les atmosphères et créer des ambiances à l’aide de sensations visuelles à la fois précises et efficaces. Ainsi, a-t-on pu parler d’une écriture impressionniste en référence directe à la peinture. Il existe en effet des convergences troublantes avec des peintres de cette école dont certains furent d’ailleurs des amis de Simenon : thèmes d’inspiration et lieux, utilisation particulière des couleurs et enfin jeux avec la lumière.

    Mais alors que les atmosphères de certains romans de Simenon sont associées à la grisaille et à la pluie, une étude statistique de l’emploi des couleurs dans ses romans nous apporte des résultats surprenants : ainsi, la couleur rouge revient dans l’œuvre romanesque avec une fréquence inattendue. Or Simenon aime le rouge et l’affirme volontiers, notamment dans un entretien qu’il nous avait accordé en 1979. Les objets, banals à l’origine, en se teintant de rouge peuvent alors devenir signifiants. Il existe ainsi une symbolique du rouge, notamment quand cette couleur s’applique au vêtement féminin. Les souvenirs colorés de la petite enfance liégeoise abondent dans l’œuvre autobiographique et romanesque : le rouge a ainsi une fonction révélatrice grâce à ses qualités esthétiques, puis une fonction symbolique dominée par un contenu affectif.

    Un des premiers « romans durs » allie précisément un matériau autobiographique et un accident du destin plus ou moins imaginé par Simenon : La Maison du canal est l’un des grands romans retenus par Jacques Dubois et Benoît Denis dans leur sélection pour l’édition de la Pléiade. Ce roman mérite qu’on s’y attarde, notamment parce qu’il est placé sous le signe de l’eau, cet élément cher aux impressionnistes et aux peintres en général. Sous toutes ses formes, l’élément liquide est en quelque sorte inséparable de la construction dramatique du roman. La pluie qui tombe serrée et l’eau qui stagne sur le sol agissent sur les habitants de Neroeteren et principalement sur Edmée qui découvre sa sexualité dans cette nature sauvage imprégnée d’eau. Dans La Maison du canal, l’écriture simenonienne épouse tous les éléments, communie avec le monde sensible et crée un climat poétique.

    Georges Simenon n’est pas un théoricien du roman, mais conscient de l’importance des sensations sur son écriture, il a donné quelques pistes à ses exégètes. Dans les interviews, dès 1945, le romancier évoque l’importance du vocabulaire et surtout de ce qu’il appelle « les mots-matière ». Ces derniers sont d’usage courant, mais dotés de qualités quasi universelles : il en résulte que la matière doit être appréhendée à travers plusieurs sens. Au moyen de quelques exemples pris aussi bien dans la série des Maigret que dans les « romans durs », nous avons tenté de retrouver ces « mots-matière » qui non seulement permettent de créer la fameuse atmosphère simenonienne, mais participent à la tension dramatique. On entrevoit ainsi le mécanisme de la création littéraire : une perception initiale multisensorielle de la matière, puis une mémorisation souvent inconsciente, ensuite une réminiscence à la suite d’une sollicitation et enfin la création littéraire proprement dite. Grâce à cette écriture originale fondée sur une approche du monde sensible et une forme simplifiée à l’extrême, Simenon peut toucher un lectorat varié : en ce sens les « mots-matière » deviennent un langage universel.

    De tous les sens, le goût n’est probablement pas le plus employé par les romanciers à quelques exceptions près. Dès lors, il semble intéressant de s’interroger sur la place qu’occupent les sensations gustatives chez deux auteurs aussi différents par leur époque et leur culture que Proust et Simenon. Chez ces deux romanciers, on mange beaucoup et plutôt bien, et surtout ces derniers ont suscité chacun un livre de cuisine : Proust, la cuisine retrouvée d’Anne Borel, Jean-Bernard Naudin et Alain Sanderens 1 et Le Cahier de recettes de Madame Maigret de Courtine 2. Au-delà des différences, nous avons cherché ce qui rapproche les deux romanciers : tout d’abord il y a cette faculté du gustatif de favoriser la réminiscence, avec bien sûr la fameuse référence à la petite madeleine de Combray. Le phénomène proustien, nous le retrouvons chez Simenon avec un texte peu connu de 1922, Le Compotier tiède, qui est un adieu poétique du jeune homme à sa mère. Mais si de Proust à Simenon, l’aliment a une fonction de réminiscence, il est porteur aussi de représentations symboliques dans chaque œuvre. Ainsi, le sexe et la nourriture sont placés sur le signe de l’abondance et unis sous le même registre favorable. Une série d’oppositions portant sur la consistance de l’aliment, sur ces plats simples ou composés, sur les nourritures féminines ou masculines permettent de mieux comprendre le rôle de la nourriture chez Simenon. L’aliment longuement apprêté, mijoté et déployé savamment dans l’espace ne vit que peu de temps avant son anéantissement. Mais paradoxalement, l’éphémère de la matière a laissé la place à des sensations qui vont, elles, perdurer.

    Le dernier chapitre de cette première partie rassemble cet univers de sensations dans un roman autobiographique de Simenon : Pedigree. Ce gros volume à forme hybride est surtout considéré comme la « matrice » de l’œuvre romanesque. Bon nombre de personnages, de situations sont en effet inspirés de souvenirs liégeois du romancier : drames familiaux, déviances, crises, morts violentes, autant d’événements liés au poids du destin. Cependant, l’intérêt de Pedigree réside aussi et surtout dans l’univers des sensations qui ne néglige aucune source de perception. Dans Pedigree, on savoure ces décors impressionnistes où les objets changent de forme selon la lumière qui semble « vibrer ». Ailleurs, ce sont les bruits et les odeurs qui complètent l’évocation ou ces souvenirs gustatifs de la cuisine maternelle qui vont revenir dans les romans de Simenon. Enfin, la place plus modeste des sensations tactiles ne doit pas faire oublier leur rôle essentiel : chaleur bienfaisante du feu ou picotement du soleil printanier sont particulièrement récurrents dans l’œuvre. Cette matière sensible absorbée pendant l’enfance et l’adolescence fournira les éléments de la fiction romanesque, mais surtout contribuera à forger un style.

    La seconde partie du volume est sous-titrée « de la perception à l’écriture » et envisage d’une manière non exhaustive certains aspects originaux de la création simenonienne. Si les souvenirs sensoriels sont essentiels dans l’écriture, quelques points stylistiques et thématiques seront ainsi abordés successivement afin de monter l’originalité et la complexité d’une œuvre parfois boudée par la critique universitaire. En premier lieu, c’est la question du point de vue et de la voix qui retiendra notre attention. Aussi bien dans la série des Maigret que dans les « romans durs », Simenon a toujours voulu s’identifier à ses personnages, à les accompagner jusqu’au bout de leur destin. Si dans la série policière c’est le point de vue de Maigret qui domine largement, on observe tout de même une multiplication des focalisations qui brouille l’information : cela fait partie du jeu de lecture d’un roman policier. Dans les « romans durs », Simenon procède de la même façon que dans la série policière : cette fois, c’est la victime ou le coupable qui est le personnage focal. Cependant, au-delà de la distinction entre les deux volets de la fiction simenonienne, on observe des pratiques plus ambiguës, notamment dans les récits à la première personne ou dans des œuvres atypiques comme Les Mémoires de Maigret. Si on dépasse le dédoublement classique entre l’auteur et son personnage, on appréciera la complexité d’une écriture fondée sur les jeux multiples sur le point de vue et la voix.

    Autre élément autobiographique important, le voyage procure au romancier des souvenirs multisensoriels qui sont à l’origine de nombreux romans. Après les souvenirs d’enfance, les voyages entrepris dans son activité de reporter constituent une source d’inspiration notable, mais produisent des œuvres très différentes : la fiction pourra en effet être inspirée directement du récit de voyage avec l’exemple du Coup de lune qui a valu d’ailleurs un procès à Simenon. Ensuite, on trouvera des romans qui se détachent plus librement de la source d’inspiration comme 45° à l’ombre. Enfin, le lecteur sera confronté à des œuvres plus ambiguës voire plus complexes, avec ces récits de voyages qui ne s’avouent pas, comme La Mauvaise Etoile. Simenon brouille à nouveau les pistes, mais inaugure une écriture du voyage qui est une négation de l’exotisme. Evitant les pièges du pittoresque, il ne fait rien d’autre que de s’imprégner et de se laisser mener, pour ensuite filtrer la matière sensitive et ne garder que l’essentiel.

    Depuis André Gide et ses commentaires publiés dans Les Cahiers du Nord, les romans de Simenon ont été perçus d’une façon un peu différente par la critique. C’est en comparant La Veuve Couderc à L’Etranger d’Albert Camus que l’auteur des Nourritures terrestres a offert à Simenon une certaine légitimation : l’étrangeté fondée sur l’incommunicabilité, l’incompréhension ou la solitude sont en effet des thèmes récurrents dans son œuvre. Nombre de romans écrits après La Veuve Couderc développent cette thématique, notamment Lettre à mon juge, La Neige était sale ou Le Petit homme d’Arkhangelsk. Solitude, crise, lucidité, étrangeté : même si l’ordre des motifs n’est pas toujours constant, la thématique de Camus et celle de Simenon présentent de réelles analogies. Avec le thème de la culpabilité, nous trouvons aussi un trait commun entre la série des Maigret et les « romans durs » : dans les deux cas, un monde d’étrangers — au sens camusien du terme — peuple les œuvres de Simenon, reflet probable des inquiétudes des hommes du vingtième siècle.

    Dans toute son œuvre, Simenon s’est préoccupé avant tout de ses personnages et de son héros : l’homme face à son destin, susceptible ou non d’être un « client » de la justice. La souffrance ou la douleur du héros est aussi un motif récurrent dans les romans, policiers ou non. Bien souvent souffrance physique et détresse morale vont de pair : c’est le cas de René Maugras dans Les Anneaux de Bicêtre. Nous retrouvons dans ce roman très élaboré de Simenon une focalisation interne qui permet d’avoir accès à la sensation de vide d’un héros qui sort du coma. L’art de Simenon est ici de traduire l’approche sensorielle originale de l’homme qui revient à la vie et le désarroi qui résulte de cet état. De l’autre côté du miroir, Maigret se préoccupe de la souffrance de ses semblables. Par empathie, il va tenter de comprendre le criminel, et la révélation de cette souffrance devient une sorte de thérapie. Maigret est souvent considéré comme un médecin de l’âme alors que sa première vocation — contrariée par la mort de son père — était précisément d’exercer la médecine. Avec la complicité du docteur Pardon, qui est un peu son double ou du moins son complément, le commissaire tente souvent d’intervenir sur la souffrance humaine. Thérapeute amateur, autodidacte qui avale les traités de médecine, Maigret dépasse parfois son rôle d’enquêteur.

    Pour terminer ce rapide parcours thématique, nous aborderons des considérations plus générales. Dans La Neige était sale, une phrase de Simenon nous rapproche à nouveau de Camus : « Voilà, conclut-il. Le métier d’homme est difficile. » (III, ch. 4). En effet, le lecteur de La Peste aura retenu que Camus emploie à plusieurs reprises cette expression à propos du docteur Rieux : « A qui, parmi cette foule terrorisée et décimée, avait-on laissé le loisir d’exercer son métier d’homme ? » 3 Le difficile métier d’homme, Simenon l’appréhende dès ses premiers romans à travers ces personnages de jeunes gens impatients de vivre leur vie : adolescent qui veut échapper à la médiocrité ou à la monotonie, le héros manifeste une angoisse qui le pousse à la déviance. L’homme adulte n’échappe pas à ce mal être, surtout s’il rencontre des difficultés dans sa vie de couple, sa famille ou son milieu de travail. Dans Lettre à mon juge, le héros pris entre une mère abusive et une épouse autoritaire, ne parviendra pas à s’affranchir de cette vie aliénante. Si le métier d’homme est difficile, on perçoit parfois un espoir dans la crise. La fuite, l’errance ou l’alcoolisme sont alors des étapes qui permettent tout de même une issue : l’avocat alcoolique des Inconnus dans la maison ou le père d’un enfant assassin de L’Horloger d’Everton réussiront à dépasser leurs difficultés existentielles. La crise a alors une vertu positive et elle est porteuse d’espoir. Néanmoins, le héros simenonien reste un homme fragile et angoissé que le romancier peint avec justesse.

    Plus d’un quart de siècle après sa disparition, il est tentant de dresser un bilan de cette œuvre immense et inclassable. Les rapports que Simenon entretient avec ses éditeurs, le public et les autres composantes du milieu littéraire sont en effet ambigus. Les trois carrières de Simenon, dans le roman populaire sous différents pseudonymes, dans le genre policier avec le succès des Maigret et enfin dans le roman psychologique, ont contribué à brouiller son image auprès des institutions. En guise de conclusion, nous avons tenté de retracer le parcours original de Simenon depuis les années 1920 jusqu’à sa disparition et surtout les étapes de sa consécration, tant par les lecteurs que par les différentes instances de légitimation. Aujourd’hui, la place de Simenon dans la littérature de son temps reste cependant atypique : même si son entrée dans la prestigieuse collection de la Pléiade est un fait symbolique, certaines instances comme les académies, l’école ou l’université restent encore prudentes.

    Enfin, il nous a semblé utile d’ajouter à cet essai l’entretien que Georges Simenon nous a accordé en août 1979, chez lui, à Lausanne. Le romancier souscrit à bon nombre d’observations sur sa création romanesque et notamment sur l’importance du monde sensible dans toute son œuvre. Même s’il convient d’être prudent avec les déclarations d’un écrivain, les réponses que Simenon donne sont précieuses : elles permettent de confirmer des hypothèses de lecture par exemple à propos de la création de l’atmosphère, du poids du destin sur les personnages ou encore de l’originalité d’un style qui a séduit des centaines de millions de lecteurs dans le monde entier.

    1 Anne Borel, Jean-Bernard Naudin & Alain Senderens, Proust, la cuisine retrouvée, Le Chêne, 1996.

    2 Courtine, La Cahier de recettes de Madame Maigret, Robert Laffont, 1974.

    3 Albert Camus, La Peste, Gallimard, coll. Folio, p. 176.

    Première partie

    Georges Simenon et le monde sensible

    Chapitre 1

    Georges Simenon, romancier impressionniste ?

    Pour beaucoup de lecteurs, Georges Simenon est le romancier des canaux et des brumes du Nord, des atmosphères grises et pluvieuses, des notations exactes de l’univers quotidien. Tous ces clichés font partie de la « légende Simenon » et contribuent à entretenir le malentendu avec l’institution littéraire, même si depuis quelques années la position du romancier a sensiblement évolué. A vouloir « classer » Simenon dans les écrivains réalistes, le considérer comme le successeur de Balzac, on occulte ce qui fait la richesse du romancier   : un mode de création original et un style faussement plat.

    Les critiques ont cherché à mettre au jour le procédé et depuis les recherches déjà anciennes du professeur Debray-Ritzen notamment, on connaît mieux à présent le rôle des sensations dans la création des romans de Georges Simenon. L’une des clés pour comprendre l’efficacité et le charme de la description simenonienne est peut-être la comparaison avec la peinture. Autre pionnier de la critique de l’œuvre de Simenon, Bernard de Fallois écrivait déjà en 1961 :

    « Personne ne fait mieux comprendre que Simenon combien la tâche du romancier s’apparente à celle du peintre… » 4

    En poursuivant son analyse, Bernard de Fallois remarque certes le réalisme minutieux et « l’amour des notations exactes » qui apparentent Simenon aux peintres flamands, mais accorde une place prépondérante à une autre école, l’impressionnisme :

    « Par son goût de refaire indéfiniment le même tableau, sous des éclairages différents, comme les divers ciels parisiens de L’Enterrement de Monsieur Bouvet. Mais aussi par la recherche des nuances plus subtiles, obtenues par touches juxtaposées. Il bouge tout le temps : l’ensemble vit… » 5

    L’impressionnisme de Simenon qui peut surprendre en première analyse, n’est probablement pas étranger à la création de la fameuse « atmosphère » de ses romans. Impressionnisme de Simenon ? Disons-le tout de suite, il ne s’agit pas d’une appartenance à une école ou à un courant littéraire. Tout au plus peut-on parler d’influence : mais celle-ci s’exerce fréquemment au fil des romans de Simenon. Sans chercher à faire un parallèle — qui serait forcément un peu artificiel — avec l’impressionnisme pictural, on observe cependant des convergences assez troublantes… Interrogé sur ce point en 1979, Simenon apporte les précisions suivantes :

    « Lorsque j’avais 10 à 12 ans, j’ai commencé à visiter les expositions de peinture, et c’était encore l’impressionnisme, et même le pointillisme. Cela me passionnait énormément. Tous mes amis, lorsque j’avais 16 ans, étaient élèves des Beaux-Arts, ils étaient plus âgés que moi. Alors, lorsque nous discutions, c’est de peinture que nous discutions ! Maintenant, je reste encore sous l’influence des Renoir, des Monet et de toute l’époque impressionniste et post-impressionniste. Je considère que je fais de l’impressionnisme en roman, enfin, dans les descriptions… » 6

    Cet aveu confirme l’analyse de Bernard de Fallois ou encore celle d’André Parinaud qui s’entretenait avec Simenon en 1955, et exprime à la fois la conviction et les intentions du romancier quant à son mode

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