Les Soliloques du Pauvre: Recueil de poèmes populaires
Par Jehan Rictus
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À propos de ce livre électronique
Gabriel Randon, alias Jehan Rictus, côtoya pendant un certain temps les vagabonds et les sans-abris de Paris. De ce vécu lui est venue l’inspiration des Soliloques du Pauvre. Ce recueil, composé de poèmes rédigés dans le parler populaire du début du XXe siècle, a été publié pour la première fois en 1895. Ses poèmes, témoins du vécu de son temps, dénotent au sein d’une poésie actuelle qui n’a d’autre sujet qu’elle-même. Si les Éditions du Petit Pavé ont décidé de rééditer ce recueil, c’est à la fois pour permettre à celui que les « braves gens » appellent « le Pauvre » de faire à nouveau entendre sa voix, mais c’est également dans l’espoir de voir renaître, un jour, une poésie populaire.
L’en faut, des Pauvr’s, c’est nécessaire, Afin qu’tout un chacun s’exerce, Car si y gn’aurait pus d’misère Ça pourrait ben ruiner l’Commerce. Ben, j’vas vous dir’ mon sentiment : C’est un peu trop d’hypocrisie, Et plaindr’ les Pauvr’s, assurément Ça rapport’ pus qu’la Poésie : Je l’prouv’, c’est du pain assuré ; Et quant aux Pauvr’s, y n’ont qu’à s’taire. L’jour où gn’ en aurait pus su’ Terre, Bien des gens s’raient dans la Purée ! (Les Soliloques du Pauvre, « L’hiver »).
Un ouvrage agrémenté d'illustrations d'origine et d'une correspondance inédite de l'auteur !
EXTRAIT
Merd' ! V'là l'Hiver et ses dur'tés,
V'là l' moment de n' pus s' mettre à poils :
V'là qu' ceuss' qui tienn'nt la queue d' la poêle
Dans l' Midi vont s' carapater !
V'là l' temps ousque jusqu'en Hanovre
Et d' Gibraltar au cap Gris-Nez,
Les Borgeois, l' soir, vont plaind' les Pauvres
Au coin du feu... après dîner !
Et v'là l' temps ousque dans la Presse,
Entre un ou deux lanc'ments d' putains,
On va r'découvrir la Détresse,
La Purée et les Purotains !
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jehan-Rictus, de son vrai nom Gabriel Randon, est né à Boulogne-sur-Mer le 23 septembre 1867 et mort à Paris le 6 novembre 1933.
Poète français, il est célèbre pour ses oeuvres composées en langue populaire parisienne.
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Aperçu du livre
Les Soliloques du Pauvre - Jehan Rictus
L'HIVER
Merd' ! V'là l'Hiver et ses dur'tés,
V'là 1' moment de n' pus s' mettre à poils :
V'là qu' ceuss' qui tienn'nt la queue d' la poêle
Dans 1' Midi vont s' carapater !
V'là l' temps ousque jusqu'en Hanovre
Et d' Gibraltar au cap Gris-Nez,
Les Borgeois, l' soir, vont plaind' les Pauvres
Au coin du feu... après dîner !
Et v'là l' temps ousque dans la Presse,
Entre un ou deux lanc'ments d' putains,
On va r'découvrir la Détresse,
La Purée et les Purotains !
Les jornaux, mêm' ceuss' qu'a d' la guigne,
A côté d'artiqu's festoyants
Vont êt' pleins d'appels larmoyants,
Pleins d' sanglots... à trois sous la ligne !
Merd', v'là l'Hiver, l'Emp'reur de Chine
S' fait flauper par les Japonais !
Merd' ! v'là l'Hiver ! Maam' Sév'rine
Va rouvrir tous ses robinets !
C' qui va s'en évader des larmes !
C' qui va en couler d' la piquié !
Plaind' les Pauvr's c'est comm' vendr' ses charmes
C'est un vrai commerce, un méquier !
Ah ! c'est qu'on est pas muff en France,
On n' s'occup' que des malheureux ;
Et dzimm et boum ! la Bienfaisance
Bat 1' tambour su' les Ventres creux !
L'Hiver, les murs sont pleins d'affiches
Pour Fêt's et Bals de charité,
Car pour nous s'courir, eul' mond' riche
Faut qu'y gambille à not' santé !
Sûr que c'est grâce à la Misère
Qu'on rigol' pendant la saison ;
Dam' ! Faut qu'y viv'nt les rastaqoères
Et faut ben qu'y r'dor'nt leurs blasons !
Et faut ben qu'ceux d' la Politique
Y s' gagn't eun' popularité !
Or, pour ça, l' moyen l' pus pratique
C'est d' chialer su' la Pauvreté.
Moi, je m' dirai : « Quiens, gn'a du bon ! »
L' jour où j' verrai les Socialisses
Avec leurs z'amis Royalisses
Tomber d'faim dans 1' Palais-Bourbon.
Car tout 1' monde parl' de Pauvreté
D'eun' magnèr' magnifique et ample,
Vrai de vrai y a d' quoi en roter,
Mais personn' veut prêcher d'exemple
Ainsi : r'gardez les Empoyés
(Ceux d' l'Assistance évidemment)
Qui n'assistent qu'aux enterr'ments
Des Pauvr's qui paient pas leur loyer !
Et pis contemplons les Artisses,
Peint's, poèt's ou écrivains,
Car ceuss qui font des sujets trisses
Nag'nt dans la gloire et les bons vins !
Pour euss les Pauvr's, c'est eun' bath chose,
Un filon, eun' mine à boulots ;
Ça s' met en dram's, en vers, en prose,
Et ça fait fair' de chouett's tableaux !
Oui, j'ai r'marqué, mais j'ai p'têt' tort,
Qu' les ceuss qui s' font « nos interprètes »
En geignant su' not' triste sort
S'arr'tir'nt tous après fortun' faite !
Ainsi, t'nez, en littérature
Nous avons not' Victor Hugo
Qui a tiré des mendigots
D' quoi caser sa progéniture !
Oh ! c'lui-là, vrai, à lui l' pompon !
Quand j' pens' que, malgré ses meillons,
Y s' fit balader les rognons
Du bois d'Boulogne au Panthéon
Dans l' corbillard des « Misérables »
Enguirlandé d' Beni-Bouff'-Tout
Et d' vieux birb's à barb's vénérables...
J'ai idée qu'y s'a foutu d' nous
Et gn'y a pas qu' lui : t'nez Jean Rich'pin
En plaignant les « Gueux » fit fortune.
F'ra rien chaud quand j' bouffrai d' son pain
Ou qu'y m'laiss'ra l'taper d'eun' thune.
Ben pis Mirbeau et pis Zola
Y z'ont « plaint les Pauves » dans des livres,
Aussi, c' que ça les aide à vivre
De l'une à l'aute Saint-Nicolas !
Même qu'Émile avait eun' bedaine
A décourager les cochons
Et qu' lui, son ventre et ses nichons
N' passaient pus par l'av'nue Trudaine.
Alorss, honteux, qu'a fait Zola ?
Pour continuer à plaind' not' sort
Y s'a changé en hareng-saur
Et déguisé en échalas¹.
Ben en peinture, gn'y a z'un troupeau
De peintr's qui gagn'nt la forte somme
A nous peind' pus tocs que nous sommes :
Les poux aussi viv'nt de not' peau !
Allez ! tout c' monde' là s' fait pas d' bile,
C'est des bons typ's, des rigolos,
Qui pinc'nt eun' lyre à crocodiles
Faite ed' nos trip's et d' nos boïaux !
L'en faut, des Pauvr's, c'est nécessaire,
Afin qu' tout un chacun s'exerce,
Car si y gn' aurait pus d' misère
Ça pourrait ben ruiner l' Commerce.
Ben, j' vas vous dir' mon sentiment :
C'est un peu trop d'hypocrisie,
Et plaindr' les Pauvr's, assurément
Ça rapport' pus qu' la Poésie :
Je l' prouv', c'est du pain assuré ;
Et quant aux Pauvr's, y n'ont qu'à s'taire.
L' jour où gn'en aurait pus su' Terre,
Bien des gens s'raient dans la Purée !
Mais Jésus mêm' l'a promulgué,
Paraît qu'y aura toujours d' la dèche
Et paraît qu'y a quèt' chos' qu' empêche
Qu'un jour la Vie a soye pus gaie.
Soit ! — Mais, moi, j'vas sortir d' mon antre
Avec le Coeur et l'Estomac
Pleins d' soupirs... et d' fumée d' tabac.
(Gn'a pas d' quoi fair' la dans' du ventre !)
J'en ai ma claqu', moi, à la fin,
Des « P'tits Carnets » et des chroniques
Qu'on r'trouv' dans les poch's ironiques
Des gas qui s' laiss'nt mourir de faim !
J'en ai soupé de n' pas briffer
Et d'êt' de ceuss' assez... pantoufles
Pour infuser dans la mistoufle
Quand... gn'a des moyens d' s'arrbiffer.
Gn'a trop longtemps que j' me balade
La nuit, le jour, sans toit, sans rien ;
(L'excès mèm' de ma marmelade
A fait s' trotter mon Ang' gardien !)
(Oh ! il a bien fait d' me plaquer :
Toujours d' la faim, du froid, d' la fange,
Toujours dehors, gn'a d' quoi claquer ;
Faut pas y en vouloir à c't' Ange !)
Eh donc ! tout seul, j' lèv' mon drapeau ;
Va falloir tâcher d'êt' sincère
En disant l' vrai coup d' la Misère,
Au moins, j'aurai payé d' ma peau !
Et souffrant pis qu' les malheureux
Parc' que pus sensible et nerveux
Je peux pas m' faire à supporter
Mes douleurs et ma Pauvreté.
Au lieu de plaind'