Madeleine Delbrêl, poète, assistante sociale et mystique: Biographie
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À propos de ce livre électronique
Ce livre est le fruit de la recherche opiniâtre de deux hommes passionnés. Mettant en contact avec les écrits et avec de nombreux témoignages, il renouvelle en profondeur la connaissance que l’on avait de Madeleine Delbrêl. Son itinéraire, de l’athéisme à l’éblouissement de la foi et à l’engagement, se dessine avec netteté au fil d’un récit qui parcourt ses soixante années de vie, dont plus de la moitié à Ivry-sur-Seine, près de Paris, là où, dit-elle, se trouvait une population « incroyante et pauvre ».
Tour à tour poète, assistante sociale et mystique, femme de prière et d’action, Madeleine Delbrêl (1904-1964) offre à notre société sécularisée et à l’Église un beau visage, riche d’inspiration pour une vie chrétienne en dialogue avec l’athéisme et la misère sous toutes ses formes. Son procès en béatification est engagé et sa réputation de sainteté ne cesse de croître.
Cet ouvrage richement documenté est l'occasion de découvrir le parcours de vie incroyable de Madeleine Delbrêl.
EXTRAIT
« J’ai vécu aussi, et cela fut une chance, hors des cloisonnements sociaux : ma famille était faite de tout ; par voie de conséquence moi aussi. »
Ces phrases que Madeleine prononça dans sa dernière conférence à des étudiants parisiens, à quelques semaines de sa mort, demandent à être nuancées. Elle veut dire probablement que sa famille n’a jamais vécu une différenciation sociale très marquée et qu’elle était ouverte à des relations diverses. Mais elle n’était pas vraiment « faite de tout ». Sa mère, Lucile Junière, était issue d’une lignée de petite bourgeoisie de province. Ses grands-parents maternels tenaient à Mussidan, en Dordogne, une fabrique de cierges, de cires et de bougies qui fournissait entre autres le sanctuaire de Lourdes et qui prospérait, à cette époque où l’électricité était loin d’avoir pénétré dans tous les foyers. La fabrique employait une vingtaine d’ouvriers. Le développement du chemin de fer facilitait les ventes. Les Junière étaient solidement établis et bien considérés dans cette bourgade de Mussidan qui comptait alors 2 300 habitants.
À PROPOS DES AUTEURS
Le Père Bernard Pitaud est prêtre de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice. Il conduit des recherches dans les domaines du discernement, de l’accompagnement spirituel ainsi qu’au cœur des écrits de Madeleine Delbrêl.
Le Père Gilles François est le postulateur de la cause de béatification de Madeleine Delbrêl. Historien de formation et ancien président de l’Association des Amis de Madeleine Delbrêl, il est aussi prêtre dans le diocèse de Créteil.
En savoir plus sur Bernard Pitaud
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Avis sur Madeleine Delbrêl, poète, assistante sociale et mystique
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Aperçu du livre
Madeleine Delbrêl, poète, assistante sociale et mystique - Bernard Pitaud
Œuvres complètes de Madeleine Delbrêl
– Tome i, Éblouie par Dieu, Correspondance, volume 1 : 1910-1941, Nouvelle Cité 2004.
– Tome ii, S’unir au Christ en plein monde, Correspondance, volume 2 : 1942-1952, Nouvelle Cité 2004.
– Tome iii, Humour dans l’amour, méditations et fantaisies, Nouvelle Cité 2005.
– Tome iv, Le Moine et le Nagneau, Alcide et ses métamorphoses, Nouvelle Cité 2006.
– Tome v, Profession assistante sociale, écrits professionnels, volume 1, Nouvelle Cité 2007.
– Tome vi, Le Service social entre personne et société, écrits professionnels, volume 2, Nouvelle Cité 2007.
– Tome vii, La Sainteté des gens ordinaires, Textes missionnaires, volume 1, Nouvelle Cité 2009.
– Tome viii, Athéismes et évangélisation, Textes missionnaires, volume 2, Nouvelle Cité 2010.
– Tome ix, La Femme, le prêtre et Dieu, Textes missionnaires, volume 3, Nouvelle Cité 2011.
– Tome x, La Question des prêtres ouvriers, la leçon d’Ivry, Textes missionnaires, volume 4, Nouvelle Cité 2012.
Aux mêmes éditions
– Christine de Boismarmin, Madeleine Delbrêl, rues des villes chemins de Dieu (1904-1964), biographie de M. Delbrêl par l’une de ses premières compagnes, 1985, nouvelle édition 2004.
– Gilles François, Bernard Pitaud, Agnès Spycket, Madeleine Delbrêl connue et inconnue, le livre du centenaire, 2004.
– Gilles François, Bernard Pitaud, Genèse d’une spiritualité, 2008.
– Bernard Pitaud, Eucharistie et discernement chez Madeleine Delbrêl, 2010.
– Bernard Pitaud, Prier 15 jours avec Madeleine Delbrêl, 1998 1re édition, 2009 4e édition.
Sommaire
Œuvres complètes de Madeleine Delbrêl
Aux mêmes éditions
Sommaire
Préface
Introduction
Chapitre I
« Une famille faite de tout »
Chapitre II
Le chemin d’une artiste (1916-1928)
Une rencontre décisive
L’abbé Jacques Lorenzo
Chapitre III
« Ô Beauté, donne-moi ta charité » (1928-1935)
Les débuts d’une direction spirituelle
Les débuts de « la Charité »
Départ pour Ivry
Chapitre IV
Au coude-à-coude avec une population délaissée (1935-1945)
La tentation du communisme
Diplôme d’assistante sociale
Nous autres gens des rues
La guerre
Premiers contacts avec ce qui va devenir la Mission de France
Missionnaires sans bateaux
Chapitre V
Une compréhension renouvelée de la mission de l’Église dans le monde (1945-1953)
Un douzième an
Au service des personnes
De nouveaux écrits
Les implantations des Équipes évoluent
Dialogue avec Jacques Loew
L’affaire Miguel Grant
De nouveaux articles publiés
Un pèlerinage à Rome
Dimensions internationales
Retour à Rome, Mgr Veuillot et Pie XII
Chapitre VI
« La bonté devenue chrétienne est démesurée comme la Croix » (1953-1958)
Dialogues au cœur de l’Église
Deuils personnels et familiaux
Contestations dans la « Charité de Jésus »
La publication de Ville marxiste terre de mission
Les amis d’Ivry
L’Institut séculier Caritas Christi
Chapitre VII
Il me reste si peu de temps… Nouveaux horizons
Quatre événements d’Église
La guerre d’Algérie
Les amitiés polonaises
La vie ordinaire
Les voyages : Varsovie, Rome, Abidjan, Édimbourg
Ouverture du Concile
1964
Dans la même collection
Fin
Préface
Cette présentation de Madeleine Delbrêl est l’œuvre de deux prêtres : l’un, prêtre de Saint-Sulpice, le père Bernard Pitaud, est un interprète rigoureux des auteurs spirituels ; l’autre, le père Gilles François, est un prêtre diocésain du diocèse de Créteil, historien de formation et postulateur de la cause de Madeleine Delbrêl. L’un et l’autre prêchent de nombreuses retraites aux prêtres, religieuses et laïcs qui ressourcent leur vocation, leur ministère ou leur engagement dans la lecture de l’Évangile à travers les écrits et la vie de Madeleine Delbrêl et ce qu’elle appelle « la Charité ».
Ce livre peut s’interpréter au premier abord comme une biographie, qui serait une reprise de celle publiée par une de ses fidèles compagnes, Christine de Boismarmin. En fait, les auteurs ont voulu, à travers une relecture de la vie de Madeleine, depuis ses origines familiales jusqu’à sa mort, en passant par les longues années vécues à Ivry-sur-Seine à la maison du 11 rue Raspail, nous faire découvrir trois figures complémentaires de Madeleine comme poète, assistante sociale et mystique. Nous pourrions ajouter une autre figure, celle du missionnaire. Car, dans la vie de Madeleine, écrire, vivre le service social, vivre du Christ et le rayonner auprès de ses frères et sœurs en humanité ne font qu’un, il n’y a pas d’opposition entre ces différentes figures, car la source est unique : Jésus-Christ.
Selon le cardinal Veuillot qui a accompagné Madeleine dans ses recherches, « le secret de la vie de Madeleine c’est une union à Jésus-Christ telle qu’elle lui permettait toutes les audaces et toutes les libertés. C’est pourquoi sa charité sut se faire concrète et efficace pour tous les hommes » (La Joie de croire, p. 5).
Christine de Boismarmin, une des fidèles du « groupe de la Charité », le nom de leur fraternité, témoigne de ce qu’elle a perçu de l’attitude de Madeleine : « De toute évidence, nous trouvons là le secret de Madeleine. Cette incessante interrogation sur ce qu’est aimer, l’intuition que l’on n’aime jamais assez » (Rues des villes chemins de Dieu, p. 181).
Au moment où s’écrit cette préface, l’Église accueille l’exhortation apostolique du pape François : La Joie de l’Évangile. La concordance de visée missionnaire entre Madeleine Delbrêl et le Pape est assez étonnante.
Madeleine et ses sœurs ont entendu l’appel du Seigneur à sortir de Paris pour aller habiter à Ivry-sur-Seine au milieu des plus pauvres, au sein d’une cité ouvrière populaire.
Le pape François invite toute l’Église à la suite du Christ à sortir, à aller aux périphéries pour rencontrer les plus pauvres : « Nous sommes tous invités à accepter cet appel : sortir de son propre confort et avoir le courage de rejoindre toutes les périphéries qui ont besoin de la lumière de l’Évangile » (n° 20).
En cherchant à définir avec ses sœurs ce que serait leur vie fraternelle, en s’insérant dans le milieu social d’Ivry, ville marxiste, elle disait :
Si Jésus rencontrait aujourd’hui le Bon Samaritain, il ne parlerait pas de vin et d’huile comme pansement et ne conduirait pas le blessé à l’hôtellerie mais à l’hôpital (Éblouie par Dieu, p. 190).
Comment ne pas entendre comme en écho la voix du pape François qui invite toute l’Église à une conversion pastorale et missionnaire, à être au service des blessés de la vie, pour ressembler à un hôpital de campagne :
« Je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités. […] Si quelque chose doit […] inquiéter notre conscience, c’est que tant de nos frères vivent sans la force, la lumière et la consolation de l’amitié de Jésus-Christ » (La Joie de l’Évangile, n° 49).
Pour le pape François, « toute l’évangélisation est fondée sur la Parole de Dieu écoutée, méditée, vécue, célébrée et témoignée. La Sainte Écriture est source de l’évangélisation. […] L’Église n’évangélise pas si elle ne se laisse pas continuellement évangéliser » (La Joie de l’Évangile, n° 174).
Selon les auteurs de l’ouvrage, pour Madeleine Delbrêl « la mission commence dans le missionnaire lui-même qui doit se laisser évangéliser par la Parole, se laisser convertir, s’il veut annoncer l’Évangile aux autres non seulement par ses lèvres mais par sa vie ». Elle dit sa conviction :
La parole de Dieu on ne l’emporte pas en soi au bout du monde, dans une mallette : on la porte en soi, on l’emporte en soi. […] On ne peut pas être missionnaire sans avoir fait en soi cet accueil franc, large, cordial à la parole de Dieu, à l’Évangile. […] Et quand nous sommes ainsi habités par elle, nous devenons aptes à être missionnaires (La Sainteté des gens ordinaires, p. 89).
Dans le diocèse de Créteil, nous avons réfléchi entre tous les acteurs pastoraux – prêtres, diacres, religieux et religieuses, laïcs en mission ecclésiale – sur la nouvelle évangélisation : être disciple pour être apôtre. Madeleine Delbrêl, dans son pèlerinage à Rome, le 5 mai 1952, en pleine crise sur les prêtres ouvriers a demandé « que la grâce d’apostolat qui a été donnée à la France ne soit pas perdue par nous mais que nous la maintenions dans l’unité ».
Le pape François, lui, parle de disciples-missionnaires : « Tout chrétien est missionnaire dans la mesure où il a rencontré l’amour de Dieu en Jésus-Christ ; nous ne disons plus que nous sommes disciples
et missionnaires
, mais toujours que nous sommes disciples-missionnaires
» (n° 120).
Nous vivons un temps de discernement en vue d’un synode diocésain, car selon le pape François, « Dieu dote la totalité des fidèles d’un instinct de la foi – le sensus fidei – qui les aide à discerner ce qui vient réellement de Dieu » (n° 119) et il exhorte « chaque Église particulière à entrer dans un processus résolu de discernement, de purification et de réforme » (n° 30).
Le but de ce synode dont Madeleine Delbrêl sera le témoin, la figure spirituelle, est que chaque chrétien découvre qu’il est appelé à être missionnaire, les « missionnaires sans bateaux », ceux qui prennent le métro, marchent dans les rues, appelés à être le Christ pour leurs frères incroyants. C’est bien dans ce sens que mon prédécesseur, Mgr François Frétellière, avait, en 1988, décidé d’introduire la cause en béatification de Madeleine Delbrêl auprès du Pape.
Michel Santier évêque de Créteil
Introduction
Cette biographie est le fruit de nombreuses années d’exploration d’archives diverses, dont celles du 11 rue Raspail à Ivry-sur-Seine, où vécut Madeleine Delbrêl, et où sont rassemblés de très nombreux documents, en particulier l’ensemble de ses écrits, la plupart du temps sous forme autographe. Le travail effectué par les compagnes de Madeleine, surtout Christine de Boismarmin, Hélène Spitzer et Guitemie Galmiche, par le père Jean Guéguen, et poursuivi par Cécile Moncontié, balise aujourd’hui avec efficacité les recherches.
Le volume présenté ici aux lecteurs pour le cinquantenaire du décès de Madeleine a été préparé de longue date par des monographies, toujours travaillées dans une étroite collaboration entre les deux auteurs. Trois de ces monographies, soit thématiques, soit portant sur des événements ou sur des relations suivies, ont déjà été publiées (Madeleine Delbrêl connue et inconnue, Nouvelle Cité 2004 ; Madeleine Delbrêl, Genèse d’une spiritualité¸ id. 2008 ; Eucharistie et discernement chez Madeleine Delbrêl, id. 2010). D’autres restent encore dans les ordinateurs ; parmi elles : la relation de Madeleine avec le cardinal Veuillot, avec le père Gaston Fessard, avec son amie Louise Salonne. Si elles sont un jour publiées, elles permettront aux lecteurs d’éclairer davantage et d’approfondir tel ou tel aspect de la vie et de la pensée de Madeleine. Tout ce travail a été stimulé par la rédaction de la future Positio pour la cause en béatification introduite à Rome depuis plusieurs années.
En 1985, Christine de Boismarmin avait déjà publié une biographie de Madeleine : Madeleine Delbrêl, rues des villes chemins de Dieu, aux mêmes éditions Nouvelle Cité. Cet ouvrage a jusqu’ici été considéré comme la biographie de référence. En effet, son auteur connaissait intimement Madeleine Delbrêl ; elle avait été sa confidente, en particulier dans des moments difficiles, et elle lui avait succédé, au décès de celle-ci, dans la responsabilité des Équipes (le groupe s’appela d’abord « la Charité » puis, progressivement, on parla plutôt d’Équipes).
Son texte était donc bien informé et elle avait tout naturellement trouvé le ton juste pour parler de son amie. Cependant, Christine de Boismarmin, si elle avait avec beaucoup de justesse compris et retraduit l’esprit de Madeleine et les grandes étapes de sa vie, n’avait pu travailler tous les documents dont elle disposait, ni consulter d’autres archives qui apportent des renseignements précieux, et permettent souvent de poser un regard neuf et beaucoup plus élaboré sur les écrits de Madeleine et son itinéraire spirituel.
D’autre part, cette première publication était encore très proche des faits ; de nombreuses personnes dont il était ou dont il aurait pu être question étaient encore vivantes à cette époque, et Christine de Boismarmin était tenue à une grande discrétion. Plus de trente ans après, cette discrétion reste de mise dans certains cas, mais nous avons beaucoup plus de liberté pour ouvrir certains dossiers.
C’est pour ces diverses raisons que nous avons voulu mettre à la disposition de tous ceux qui aiment Madeleine, ou qui apprendront à l’aimer, cette biographie qui apporte beaucoup d’éléments nouveaux pour la connaissance de celle qu’on peut légitimement considérer comme un des maîtres spirituels du xxe siècle.
Nous avons voulu ce texte à la fois engagé et rigoureux. Engagé, parce que les deux auteurs aiment Madeleine Delbrêl et qu’ils ont consacré une bonne part de leur vie à essayer de la faire connaître en diffusant sa pensée spirituelle. C’est pourquoi il prend clairement l’allure d’un itinéraire spirituel. Rigoureux parce que nous n’avons rien avancé qui ne soit étayé par un document d’archives ou un témoignage sûr ; en font foi les nombreuses notes de bas de page.
Nous espérons aussi ne pas avoir surinterprété les textes, mais les avoir expliqués en fonction d’autres textes ou d’un contexte vérifié. Bien sûr, nous avons conscience du caractère délicat de notre « posture », comme on dit aujourd’hui. Aussi recevrons-nous volontiers les remarques et critiques qui pourraient nous être faites ; nous essaierons d’en tenir compte pour une éventuelle réédition.
En plus de l’ouvrage de Christine de Boismarmin, il faut également signaler le petit livre du père Jean Guéguen, ami de Madeleine, qui a beaucoup contribué à la diffusion de sa pensée et à la conservation de ses textes (en particulier de sa correspondance) ; ce livre, publié aux éditions DDB, en 1995, dans la collection « Petites Vies », a décrit avec justesse le contexte de la ville d’Ivry à l’époque de Madeleine et les grandes lignes de son itinéraire.
Nous tenons à souligner que cet ouvrage n’aurait jamais pu voir le jour sans le travail effectué par Cécile Moncontié, notre archiviste, et son équipe. Indispensable pour la publication des Œuvres Complètes, ce travail nous a également été très utile pour la rédaction de la biographie, grâce à la précision des renseignements qu’il nous a fournis. Nous remercions également tous ceux qui, de près ou de loin, ont participé à cette rédaction, en particulier les relecteurs, tant pour la fluidité du français que pour les fautes d’orthographe.
Enfin, nous remercions de leur fidélité les éditions Nouvelle Cité qui assurent depuis 2004 la publication des Œuvres complètes, et qui, vingt-neuf ans après la première édition de l’ouvrage de Christine de Boismarmin, ont accepté d’éditer cette nouvelle biographie, après plusieurs autres ouvrages, cités dans cet avertissement.
Chapitre I
« Une famille faite de tout »
« J’ai vécu aussi, et cela fut une chance, hors des cloisonnements sociaux : ma famille était faite de tout ; par voie de conséquence moi aussi ¹. »
Ces phrases que Madeleine prononça dans sa dernière conférence à des étudiants parisiens, à quelques semaines de sa mort, demandent à être nuancées. Elle veut dire probablement que sa famille n’a jamais vécu une différenciation sociale très marquée et qu’elle était ouverte à des relations diverses. Mais elle n’était pas vraiment « faite de tout ». Sa mère, Lucile Junière, était issue d’une lignée de petite bourgeoisie de province. Ses grands-parents maternels tenaient à Mussidan, en Dordogne, une fabrique de cierges, de cires et de bougies qui fournissait entre autres le sanctuaire de Lourdes et qui prospérait, à cette époque où l’électricité était loin d’avoir pénétré dans tous les foyers. La fabrique employait une vingtaine d’ouvriers. Le développement du chemin de fer facilitait les ventes. Les Junière étaient solidement établis et bien considérés dans cette bourgade de Mussidan qui comptait alors 2 300 habitants.
La situation de la famille de son père, Jules Delbrêl, était beaucoup plus complexe. Les Delbrêl émergeaient d’un long processus de déclin, commencé avec les difficultés psychologiques éprouvées par l’arrière-grand-père de Madeleine ; celles-ci avaient provoqué son internement dans un asile psychiatrique ². Cette famille de propriétaires avait chuté dans l’échelle sociale à la suite de cet événement ; le grand-père et le père de Madeleine remontaient lentement la pente, grâce au travail apporté dans la région par l’extension du chemin de fer. Il n’est pas impossible que l’attrait de Jules Delbrêl pour la fréquentation des milieux bourgeois et cultivés que l’on retrouve comme une constante dans son itinéraire puise son origine dans le désir plus ou moins conscient de regagner un statut que sa famille avait perdu.
Les problèmes de santé psychique survenus à l’arrière-grand-père de Madeleine restèrent pour elle une préoccupation. D’autant plus que son père manifesta lui aussi vers la cinquantaine un certain déséquilibre qui devait entraîner la séparation de ses parents. Nous reviendrons sur ce point en temps voulu. Mais nous pouvons relever au moins deux moments dans la vie de Madeleine où se fait jour une inquiétude de cet ordre pour elle-même.
En décembre 1934, alors qu’elle a commencé sa vie missionnaire à Ivry depuis plus d’un an, elle s’interroge sur le bien-fondé de l’orientation qu’elle a prise et demande à l’abbé Lorenzo de la rassurer : Ne suis-je pas une détraquée ³ ? Curieuse question qui indique une fragilité, un doute sur elle-même.
Et en décembre 1956, alors qu’elle est accablée de soucis et de fatigue et qu’elle perd contact avec la réalité pendant quelques heures, c’est cette inquiétude qui remonte et qui lui fait prendre la décision d’abandonner la responsabilité du groupe, décision que ses compagnes les plus proches vont heureusement l’empêcher d’exécuter. En fait l’incident n’était, au dire des psychiatres, que le symptôme d’un excès de fatigue. Mais cette hantise l’a peut-être tourmentée davantage qu’on pourrait le croire.
La réalité est beaucoup moins inquiétante. Madeleine fut une enfant, puis une jeune fille équilibrée. Elle fut très aimée par ses parents ; les dissensions qui atteignirent le couple se manifestèrent à une époque où sa maturation psychique était, sinon achevée, du moins déjà largement effectuée. Elle en souffrit, bien sûr, mais pas au point que le conflit ouvre une faille dans sa personnalité. Sinon, elle n’aurait jamais été capable de vivre avec un tel équilibre les multiples tensions auxquelles elle eut à faire face durant toute sa vie.
Elle-même rendit à ses parents leur amour avec beaucoup de tendresse et de délicatesse. Les rares lettres à sa mère qui nous ont été conservées témoignent d’une exceptionnelle qualité de relation et d’une confiance émouvante. Et son attitude envers son père au cours de sa longue maladie témoigne d’une présence attentive et aimante, malgré les rebuffades dont elle pouvait parfois être l’objet. À son arrivée à Paris, Jules Delbrêl n’était pas peu fier de cette toute jeune fille à l’intelligence très vive : il l’emmenait avec lui dans le salon parisien du Docteur Armaingaud où l’on parlait littérature et philosophie et il suivait de près ses premiers essais poétiques, par lesquels elle imitait son propre exemple. En effet, Jules Delbrêl se targuait d’être poète à ses heures.
La phrase de Madeleine : Ma famille était faite de tout, était donc une expression à l’emporte-pièce indiquant la capacité d’adaptation de son milieu familial, son aptitude à nouer des relations avec des personnes de diverses extractions sociales. Les Delbrêl vivaient très simplement, tout en donnant à leur fille unique une éducation bourgeoise et en lui permettant de fréquenter des milieux d’artistes et d’intellectuels.
Mais il serait excessif de dire, comme on l’a fait parfois, que la mère de Madeleine appartenait à la bourgeoisie et son père au monde ouvrier. Ce n’est pas parce que le grand-père de Madeleine avait été chaudronnier dans les ateliers des chemins de fer Paris-Orléans qu’il était de famille ouvrière. C’était le fils d’un propriétaire déclassé dont le but était de gravir rapidement les barreaux de l’échelle sociale, descendus brutalement à la génération précédente.
Il ne faut pas oublier que Jules Delbrêl, le père de Madeleine, qui était doué certainement d’une grande intelligence et d’un savoir-faire efficace, monta dans la hiérarchie professionnelle avec une grande rapidité. Cette ascension fut sans doute aussi facilitée par la guerre et le manque de personnel disponible : de simple homme d’équipe, il devint sous-chef de gare puis contrôleur d’exploitation et enfin chef de gare ; il occupa dans ce type de fonction plusieurs postes importants : Châteauroux et Montluçon, et il termina sa carrière comme chef des gares parisiennes de la ligne de Sceaux, à Denfert-Rochereau. Ce poste était plutôt honorifique, car sa santé commençait déjà à se dégrader, mais il montre justement que Jules Delbrêl jouissait d’une réelle considération, signe de sa réussite professionnelle et sociale.
Il faut avouer que Madeleine elle-même a quelque peu semé la confusion en parlant, dans un article de la revue Esprit publié en juillet-août 1951, de son grand-père qui tapait seize heures durant sur des chaudrons et mangeait de l’eau de vaisselle ⁴. Trait d’esprit un peu rapide ; Madeleine ignorait peut-être que le métier de chaudronnier ne consistait pas à « taper sur des chaudrons » ; et d’autre part, si le chaudronnier était vraiment chaudronnier, l’épouse du chaudronnier, elle, était sage-femme (métier qu’elle avait appris après la mort de son deuxième fils à l’âge de 3 ans), et les revenus de la famille devaient être suffisants.
Et même s’ils avaient changé plusieurs fois de domicile dans la ville de Périgueux qu’ils habitaient, ils n’avaient jamais résidé dans un quartier proprement ouvrier. Madeleine elle-même n’était pas dupe, car elle reconnaissait que, malgré sa longue présence à Ivry, son écoute des gens, sa participation à la vie de cette commune, elle ne serait jamais, comme elle disait, naturalisée en prolétariat, car elle n’appartenait pas au monde des prolétaires.
Quand on parle de la famille de Madeleine, il ne faut pas oublier Clémentine Laforêt. Jeune fille de Mussidan engagée à 25 ans au service des Delbrêl, elle restera auprès de la mère de Madeleine jusqu’à la mort de celle-ci, en 1955. Mentine, comme on disait familièrement, avait fini par faire partie de la famille ; au point que Lucile regrettera plus tard, dans une lettre à sa fille, de ne pas pouvoir lui parler en dehors de la présence de Mentine qui se tenait là, tout naturellement, et ne s’éclipsait pas, empêchant ainsi les relations entre la fille et la mère de s’exprimer dans leur intimité, alors que Madeleine, très prise, ne pouvait guère consacrer beaucoup de temps à celle qu’elle appelait familièrement « ma Miou aimée ».
Quand les époux Delbrêl se séparèrent, Mentine n’hésita pas, elle demeura auprès de Madame Delbrêl. Il est évident que Jules Delbrêl, dans le délire qui l’habitait parfois, associait les deux femmes dans la même réprobation. Mentine le lui rendait bien ; elle avait choisi son camp.
Lucile Delbrêl et Madeleine, de leur côté, demeuraient dans une grande discrétion. Jamais, dans sa correspondance ou dans les échos qui nous sont parvenus de ses propos et de ses attitudes, on ne voit Madeleine critiquer son père. Mentine, au contraire, se laissait gagner par une certaine partialité et il faut en tenir compte dans l’interprétation qu’elle fit plus tard des événements auxquels elle avait été mêlée.
Naturellement, elle faisait preuve d’une grande admiration pour Madeleine. On la mesure surtout dans les souvenirs de ses séjours à Ivry après le décès de celle-ci en 1964, et dans la correspondance qu’elle entretint alors avec le père Jacques Loew ; ces échanges montrent d’ailleurs que Mentine était loin d’être une illettrée. Elle écrivait avec une certaine aisance ; en tout cas, elle parle de sa « petite » avec une véritable dévotion. Quand elle est à Ivry, elle « la retrouve partout ». Et quand elle envoie une carte postale de Mussidan, c’est le Mussidan de Madeleine, « son Mussidan », « qui est aussi le mien » ajoute-t-elle.
C’est à Mussidan que cette femme, totalement dévouée à la famille Delbrêl, termina ses jours ; Madeleine lui avait fait allouer une rente sur l’héritage familial, et elle put retourner dans son pays. Elle l’avait quitté pour Bordeaux en 1907 pour entrer, un an ou deux plus tard, au service de la famille de Madeleine.
Reprenons maintenant de façon plus linéaire le fil des événements.
Madeleine est née le 24 octobre 1904 à Mussidan, en Dordogne, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Périgueux. L’origine de la famille Delbreil (devenue Delbrêl) semble se situer à Moissac, où les archives municipales gardent le souvenir d’un conventionnel, Pierre Delbrêl, député de Moissac sous la Révolution de 1789, qui vota la mort du Roi et s’illustra ensuite comme commissaire des guerres dans les batailles de la jeune République Française.
On trouve également la trace d’un avocat, décédé en 1846. Le père de Madeleine, Hippolyte Delbrêl, fit modifier son prénom en 1900 pour prendre celui de Jules (Hippolyte était le prénom de son grand-père interné et, manifestement, il ne se sentait pas à l’aise dans l’ombre de son ancêtre). Il était l’aîné d’une famille de trois enfants dont les deux autres moururent en bas âge. Il arrêta ses études au lycée impérial de Périgueux peu après le décès de sa petite sœur, qui s’appelait Madeleine, en octobre 1884.
Mais nous le retrouvons au service militaire l’année suivante, probablement engagé pour trois ans avec à la clé, en 1891, le grade de sous-lieutenant de réserve. Les archives de l’Armée précisent qu’il est alors « à la charge de sa mère qui a une certaine fortune ». Pourquoi se déclare-t-il comme étudiant au recensement de 1891 ? Peut-être ce besoin récurrent de se hausser toujours un peu au-dessus de son état présent ? A-t-il vraiment tenté un moment de reprendre des études ? Nous ne savons pas.
En tout cas, c’est bien à cette époque qu’il commence sa carrière aux chemins de fer Paris-Orléans, suivant ainsi les traces de son père. Il est d’abord homme d’équipe à Redon, en Bretagne, puis employé à la gare de Mussidan en 1897-1898, où il rencontre celle qui deviendra sa femme. Sa promotion est