Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

L'expropriation pour cause d'utilité publique
L'expropriation pour cause d'utilité publique
L'expropriation pour cause d'utilité publique
Livre électronique1 328 pages15 heures

L'expropriation pour cause d'utilité publique

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

L’administration est investie de missions multiples et variées, qu’elle a le devoir d’accomplir dans le respect de l’intérêt général. Pour ce faire, elle peut compter sur des moyens humains, matériels et financiers, tous indispensables à la réalisation de son action. Dans le cadre de l’action qu’elle mène, l’administration peut avoir besoin d’acquérir des biens qui, par hypothèse, sont la propriété de tiers. L’expropriation constitue, parmi d’autres, un instrument lui permettant d’atteindre ce résultat. Parce qu’il porte inévitablement atteinte au droit de propriété, l’instrument de droit public immobilier que constitue l’expropriation ne saurait être mis en oeuvre en toutes circonstances et sans condition. Qu’est-ce que l’expropriation ? Qui en sont les acteurs et quel est le rôle qui leur est assigné ? Que recouvre l’exigence d’utilité publique ? Quelle est la procédure à suivre pour exproprier ? Une indemnité est-elle due ? En toutes circonstances ? Par qui ? Pour qui ? Laquelle ? L’hypothèse de ce qu’il est convenu d’appeler la quasi-expropriation répond-t-elle à des mêmes exigences ? C’est à ces différentes questions que nombre des meilleurs spécialistes en la matière ont accepté de répondre, dans le cadre d’un colloque organisé par le Centre Montesquieu d’études de l’action publique, dont le présent ouvrage contient les actes.
LangueFrançais
ÉditeurBruylant
Date de sortie4 nov. 2013
ISBN9782802740858
L'expropriation pour cause d'utilité publique

Lié à L'expropriation pour cause d'utilité publique

Livres électroniques liés

Droit pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur L'expropriation pour cause d'utilité publique

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    L'expropriation pour cause d'utilité publique - Hélène Pauliat

    couverturepagetitre

    L’objectif du Centre Montesquieu d’études de l’action publique de l’Université catholique de Louvain est de procéder à l’analyse de l’action, de l’organisation et du contrôle des pouvoirs publics en Belgique, en Europe et dans le monde.

    En vue d’atteindre cet objectif, le Centre groupe tout à la fois des spécialistes des sciences politiques et administratives et des spécialistes des sciences juridiques et contentieuses.

    La collection du Centre Montesquieu d’études de l’action publique accueille les publications du Centre, qu’il s’agisse de monographies, d’actes de colloques ou de travaux de recherches doctorales entrepris par ses membres.

    Sous la direction de :

    David Renders, Professeur à l’Université catholique de Louvain où il enseigne notamment le droit et le contentieux administratifs, avocat au barreau de Bruxelles.

    © Groupe De Boeck s.a., 2013

    EAN : 978-2-8027-4085-8

    ISSN 2294-6039

    Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web :

    www.bruylant.be

    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour le Groupe De Boeck. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

    Éditions Bruylant

    Rue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles

    Tous droits réservés pour tous pays.

    Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

    Ouvrages publiés

    dans la même collection

    1. La Cour d’arbitrage. Actualité et perspectives, avec la collaboration de Robert Andersen, Francis Delpérée, Benoît Jadot, Yves Lejeune, Anne Rasson-Roland, Marie-Françoise Rigaux, Henri Simonart, François Tulkens et Jacques van Compernolle, avant-propos d’Etienne Gutt, Bruxelles, Bruylant, 1988.

    2. La Région de Bruxelles-Capitale, avec la collaboration de Robert Andersen, Grégoire Brouhns, Francis Delpérée, François Jongen, Marie-Françoise Rigaux, Henri Simonart et Marc Verdussen, avant-propos de Jean-Louis Thys, Bruxelles, Bruylant, 1989.

    3. Geneviève Cerexhe, Les compétences implicites et leur application en droit belge, préface de Francis Delpérée, Bruxelles, Bruylant, 1989.

    4. Francis Delpérée et Anne Rasson-Roland, Recueil d’études sur la Cour d’arbitrage. 1980-1990, Bruxelles, Bruylant, 1990.

    5. Françoise Leurquin-De Visscher, La dérogation en droit public, Bruxelles, Bruylant, 1991.

    6. Médias et service public, sous la direction de François Jongen, Bruxelles, Bruylant, 1992.

    7. La Constitution fédérale du 5 mai 1993, avec la collaboration de Robert Andersen, Godelieve Craenen, Xavier Delgrange, Francis Delpérée, Rusen Ergec, Francis Haumont, Jean Le Brun, Pierre Nihoul, Philippe Quertainmont, Marie-Françoise Rigaux, Karel Rimanque, Jean-Claude Scholsem, Henri Simonart, François Tulkens, Marc Uyttendaele, Paul Van Orshoven, Marc Verdussen, avant-propos de Francis Delpérée, Bruxelles, Bruylant, 1993.

    8. La Belgique fédérale, sous la direction de Francis Delpérée, avec la collaboration de Robert Andersen, Laurence Barnich, Valérie Bartholomée, Martin Bauwens, Karine Biver, Thierry Bosly, Diane Déom, Sébastien Depré, Francis Haumont, Damien Jans, François Jongen, Karl-Heinz Lambertz, Jean Le Brun, Yves Lejeune, Françoise Leurquin-De Visscher, Francine Mercier-Nélisse, Didier Nagant de Deuxchaisnes, Pierre Nihoul, Annick Noël, Etienne Orban, Anne Rasson-Roland, Bernadette Renauld, Henri Simonart, Thierry Stiévenard, Michel Struys, Marc Thewes, Patrick Thiel, Marc Verdussen et Albert Verhoeven, Bruxelles, Bruylant, 1994.

    9. Regards croisés sur la Cour d’arbitrage — 10 ans de jurisprudence constitutionnelle, sous la direction de Francis Delpérée, Anne Rasson-Roland et Marc Verdussen, avec la collaboration de Robert Andersen, Valérie Bartholomée, Christine Darville-Finet, Donatienne de Bruyn, Xavier Delgrange, Sébastien Depré, Rusen Ergec, Louis Favoreu, François Jongen, Guy Keutgen, Pierre Nihoul, Bernadette Renauld, David Renders, Jean-Claude Scholsem, Henri Simonart, François Tulkens, Jacques van Compernolle, Paul Van Orshoven et Jan Velaers, Bruxelles, Bruylant, 1995.

    10. Le Médiateur, avec la collaboration de Francis Delpérée, Gilles de Kerchove, Diane Déom, Sébastien Depré, François Glansdorff, Paul Lewalle, Didier Nagant de Deuxchaisnes, Thierry Stiévenard, Marc Uyttendaele, Jacques van Compernolle et Marc Verdussen, conclusions de Robert Andersen, Bruxelles, Bruylant, 1995.

    11. La responsabilité pénale des ministres fédéraux, communautaires et régionaux, sous la direction de Francis Delpérée et Marc Verdussen, avec la collaboration de André Alen, Louis Favoreu, Michel Franchimont, Alessandro Pizzorusso, Georges Vedel et Gustavo Zagrebelsky, avant-propos de Raymond Langendries, Bruxelles, Bruylant, 1997.

    12. La justice constitutionnelle en Europe centrale, sous la direction de Marc Verdussen, avec la collaboration de Mariana T. Karagiozova-Finkova, László Trócsányi, Leszek Lech Garlicki, Florin Bucur Vasilescu, Milan Cic, Stefan Ogurcák et Karel Klíma, préface de Robert Badinter, Bruxelles, Bruylant, Paris, L.G.D.J., 1997.

    13. La saisine du juge constitutionnel – Aspects de droit comparé, sous la direction de Francis Delpérée et Pierre Foucher, avec la collaboration de André Braën, Paul Martens, Gérard Niyungeko, Eric Oliva, Xavier Philippe, Anne Rasson-Roland et Marc Verdussen, Bruxelles, Bruylant, 1998.

    14. Le nouveau Conseil supérieur de l’audiovisuel, sous la direction de François Jongen, avec la collaboration de Robert Andersen, Denis Barrelet, Danielle Carneroli, Jean-François Dumont, Daniel Fesler, François Hurard, Evelyne Lentzen et Dirk Voorhoof, Bruxelles, Bruylant, 1998.

    15. Elisabeth Willemart, Les limites constitutionnelles du pouvoir fiscal, préface de Marc Verdussen, Bruxelles, Bruylant, 1999.

    16. Le Conseil supérieur de la justice, sous la direction de Marc Verdussen, avec la collaboration de Henry-D. Bosly, Donatienne de Bruyn, Francis Delpérée, Benoît Frydman, Karine Gérard, Olgierd Kuty, Paul Martens, Christine Matray, Jean-Marie Piret, Marc Preumont, Marie-Françoise Rigaux, Denis Salas, Jacques van Compernolle, Pascal Vanderveeren et Tony Van Parys, Bruxelles, Bruylant, 1999.

    17. Justice constitutionnelle et subsidiarité, sous la direction de Francis Delpérée, avec la collaboration de Gérald-A. Beaudoin, Maria Luísa Duarte, Tonio Gas, Ferdinand Mélin-Soucramanien, Petros Pararas, Cesare Pinelli, Anne Rasson-Roland, Bernadette Renauld, Francisco Rubio Llorente, Epaminondas Spiliotopoulos et Albrecht Weber, Bruxelles, Bruylant, 2000.

    18. Droit administratif et subsidiarité, sous la direction de Robert Andersen et Diane Déom, avec la collaboration de Stefan Barriga, Mariano López Benítez, J. Sérvulo Correia, Winfried Kluth, Willem Konijnenbelt, Bruno Lombaert, Alain-Serge Mescheriakoff, Pierre Nihoul, Petros Pararas, Manuel Rebollo Puig, Eivind Smith, Epaminondas Spiliotopoulos, Marc Thewes, Luciano Vandelli et James Stewart Watson, Bruxelles, Bruylant, 2000.

    19. L’Europe de la subsidiarité, sous la direction de Marc Verdussen, avec la collaboration de Johan Callewaert, Olivier De Schutter, Leo Flynn, Michel Struys, Melchior Wathelet et Elisabeth Willemart, Bruxelles, Bruylant, 2000.

    20. Christine Horevoets et Pascal Boucquey, Les questions préjudicielles à la Cour d’arbitrage – Aspects théoriques et pratiques, Bruxelles, Bruylant, 2001.

    21. Dossier sur l’élection du bourgmestre, sous la direction de Francis Delpérée et Marc Joassart, avant-propos de François-Xavier de Donnéa, Bruxelles, Bruylant, 2002.

    22. Quelles réformes pour le Sénat ? Propositions de 16 constitutionnalistes, avant-propos de M. Armand De Decker, Bruxelles, Bruylant, 2002.

    23. Welke hervormingen voor de Senaat ? Voorstellen van 16 grondwetsspecialisten, voorwoord door de h. Armand De Decker, Bruxelles, Bruylant, 2002.

    24. Les lois spéciales et ordinaire du 13 juillet 2001 – La réforme de la Saint-Polycarpe, sous la direction de Francis Delpérée, avec la collaboration de Hugues Dumont, Xavier Delgrange, Anne-Emmanuelle Bourgaux, David Renders, Charles-Hubert Born, Nicolas Lagasse, Pascale Vandernacht, François Tulkens, Marc Uyttendaele, Elisabeth Willemart et Jérôme Sohier, Bruxelles, Bruylant, 2002.

    25. L’unité et la diversité de l’Europe – Les droits des minorités. Les exemples belge et hongrois, sous la direction de Francis Delpérée et László Trócsányi, avant-propos de Philippe Suinen, avec la collaboration de Marc Bossuyt, Árpád Gordos, Jean-Claude Scholsem, Nicolas Lagasse, János Bruhács, Géza Herczegh, Péter Paczolay, Karl-Heinz Lambertz et Marc Verdussen, Bruxelles, Bruylant, 2003.

    26. La procédure de révision de la Constitution, sous la direction de Francis Delpérée, avant-propos d’Herman De Croo, avec la collaboration de André Alen, Christian Behrendt, Xavier Delgrange, Sébastien Depré, Hugues Dumont, David Renders, Jean-Claude Scholsem, Henri Simonart, Marc Uyttendaele, Sébastien Van Drooghenbroeck, Jan Velaers et Marc Verdussen, Bruxelles, Bruylant, 2003.

    27. La Cour d’arbitrage, vingt ans après. Analyse des dernières réformes, sous la direction de Anne Rasson-Roland, David Renders et Marc Verdussen, préface de Francis Delpérée, Bruxelles, Bruylant, 2004.

    28. Le sport dopé par l’État. Vers un droit public du sport ?, sous la direction de Diane Déom, Marc Verdussen et Sébastien Depré, avec la collaboration de Stanislas Adam, Thomas Bombois, Francis Delpérée, Laurence Gallez, Benoît Gors, Pierre Nihoul, Geneviève Schamps, Henri Simonart, Marc Van Overstraeten et Thierry Zintz, Bruxelles, Bruylant, 2006.

    29. Les sanctions administratives, sous la direction de Robert Andersen, Diane Déom et David Renders, avec la collaboration de Olivier Bertin, Thomas Bombois, Henri Bosly, Jacques Bouvier, Philippe Bouvier, Georges-Albert Dal, Yves De Cordt, Francis Delpérée, Guy Durant, Steve Gilson, Patrick Goffaux, Frédéric Gosselin, Francis Haumont, Benoît Jadot, Marc Joassart, Fabienne Kéfer, Dominique Lagasse, Paul Lewalle, Bruno Lombaert, Jacques Malherbe, Jérôme Martens, Paul Martens, Cédric Molitor, Marc Nihoul, Pierre Nihoul, Michel Pâques, Gautier Pijcke, Florence Piret, Anne Rasson-Roland, Henri Simonart, François Stevenart Meeûs, Christophe Thiebaut, Anne Vagman, Sébastien Van Drooghenbroeck, Pierre-Paul Van Gehuchten, Elisabeth Willemart et Robert Wtterwulghe, Bruxelles, Bruylant, 2007.

    30. L’accès aux documents administratifs, sous la direction de David Renders, avec la collaboration de Thierry Afschrift, Robert Andersen, Pascale Blondiau, Thomas Bombois, Francis Delpérée, Diane Déom, David De Roy, Michel De Wolf, Luc Donnay, Ann-Lawrence. Durviaux, Fernand Flabat, Laurence Gallez, Benoît Gors, Simone Guffens, Damien Jans, Laure Levi, Paul Lewalle, Françoise Moline, Cédric Molitor, Michel Pâques, Géraldine Rosoux, Jacques Sambon, Frankie Schram, François Stevenart-Meeûs, Alain Strowel, Christophe Thiebaut, Nicolas Van Der Maren et Louis Vansnick, Bruxelles, Bruylant, 2008.

    31. L’arbitrage en droit public, sous la direction de David Renders, Pierre Delvolvé et Thierry Tanquerel, avec la collaboration de Thomas Bombois, Daniel Chabanol, Pierre Delvolvé, Ann Lawrence Durviaux, Damien Fisse, Marcel Fontaine, Christine Guy-Ecabert, Guy Keutgen, Michel Leroy, Eleanor McGregor, Benoît Maréchal, David Renders, Renaud Simar, Thierry Tanquerel et Jacques Van Compernolle, Bruxelles, Bruylant, Paris, L.G.D.J., 2009.

    Les subventions, sous la direction de David Renders, avec la collaboration de Sarah Ben Messaoud, Thomas Bombois, Philippe Bouvier, Julien De Beys, Francis Delpérée, Diane Déom, David De Roy, Laurence Gallez, Benoît Gors, Marc Joassart, Paul Lewalle, Jean-François Neven, Pierre Nihoul, Marc Oswald, Simon Palate, Gautier Pijcke, Philippe Quertainmont, Vincent Sépulchre, Christophe Thiebaut, Nicolas Van der Maren et Louis Vansnick, Bruxelles, Larcier, 2011.

    32. Philippe Bouvier, La naissance du Conseil d’État de Belgique : une histoire française ?, préface de David Renders, avant-propos de Jean-Marc Sauvé, Bruxelles, Bruylant, 2012.

    33. Actualités du droit de l’énergie – La transposition du « Troisième paquet énergie » européen, sous la direction de David Renders et Raphaël Born, avant-propos de Olivier Deleuze, avec la collaboration de Guy Block, Pascal Boucquey, Christine Declercq, Jean-Michel Hubert, Michaël Hunt, François Tulkens, Tom Vanden Borre, Damien Verhoeven et Elodie Wagnon, Bruxelles, Bruylant, 2013.

    Sommaire

    PRÉFACE

    L’expropriation pour cause d’utilité publique

    INTRODUCTION

    DROIT DE PROPRIÉTÉ, ACTEURS ET CAUSE DE L’EXPROPRIATION

    Les limites du droit de propriété et l’expropriation

    Les acteurs de l’expropriation

    La cause d’utilité publique

    PROCÉDURES ET INDEMNITÉS

    Les procédures d’expropriation

    La procédure ordinaire : la règle devenue exception confirmée

    Les procédures d’expropriation d’urgence, en particulier la procédure d’extrême urgence

    Les indemnités d’expropriation

    Les indemnités d’expropriation

    L’indemnité et la quasi-expropriation

    CONCLUSIONS

    L’expropriation : un parcours parsemé d’emprunts au droit commun mais affecté de l’inexplicable exception procédurale

    PRÉFACE

    L’expropriation pour cause d’utilité publique

    PAR

    HÉLÈNE PAULIAT

    PROFESSEUR DE DROIT PUBLIC (OMIJ – LIMOGES)

    DOYEN HONORAIRE DE LA FACULTÉ DE DROIT ET DES SCIENCES ÉCONOMIQUES

    DE L’UNIVERSITÉ DE LIMOGES

    Pourquoi parler une nouvelle fois de l’expropriation pour cause d’utilité publique ? Telle est la question que tout lecteur non averti aurait pu se poser à la lecture du programme de la journée d’études organisée par le Centre Montesquieu d’études de l’action publique, tant cet instrument paraît connu, utilisé, critiqué sans aucun doute, mais aussi probablement inévitable ou indispensable. Cette « noble vieille dame », pour reprendre l’expression de Diane Déom, aurait-elle encore des secrets à dévoiler ? Ne sait-on pas déjà tout d’elle, de sa capacité à mettre la main sur les biens dont l’acquisition paraît indispensable à la réalisation d’un grand projet, de sa propension à se jouer des procédures les plus contraignantes pour en diminuer les exigences, de sa tendance à tout prendre en compte pour diminuer le montant de l’indemnité due ?

    La journée d’études nous prouve, ô combien !, le contraire. Nous sommes tellement habitués à cette vieille dame, à sa fréquentation, que nous finissons par ne plus la regarder en face. Les fondements mêmes de la privation forcée de propriété nous échappent, car à trop s’appesantir sur les détails, on en oublie les principes. Et cet ouvrage nous donne une vraie leçon de droit, en nous invitant à revenir sur les principes généraux, sur les notions fondamentales d’une théorie vieille de plus d’un siècle et demi, et l’auteur de ces quelques lignes ne peut que sincèrement remercier David Renders de lui avoir donné ainsi l’occasion, à travers ces différentes contributions, de revenir sur un droit qu’elle a fréquenté jadis… ; mais justement, ce retour aux sources, en quelques sorte, n’est pas qu’une quête introspective sur l’évolution d’une théorie en Belgique. Bien loin d’être cantonné à une analyse exégétique de textes ou de jurisprudences, ce colloque souligne les éléments qui font la mutation actuelle de l’expropriation pour cause d’utilité publique ; l’ouvrage met en effet en évidence un renouvellement de la théorie du fait de l’influence européenne (I) ; il insiste également sur la nécessité de renforcer toutes les garanties des propriétaires (II), invitant alors à l’élaboration de textes plus adaptés à une procédure dont la puissance publique ne peut, sans doute, se passer, tant les besoins de la société se diversifient et tant les attentes des citoyens se multiplient.

    I. – Une influence européenne croissante

    Il serait banal de rappeler que la plupart des pays européens connaissent l’expropriation pour cause d’utilité publique. Mais l’ouvrage a l’immense mérite de revisiter les concepts à l’aune de l’évolution du droit européen des droits de l’homme et, partant, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

    Le droit de propriété est-il un droit de l’homme, s’interrogent Frédéric Krenc et Bernadette Renauld, pour répondre de manière positive, mais nuancée. Mais il est vrai, et c’est l’une des premières évolutions notables, qu’il subit des restrictions et des amputations, largement admises tant par le droit belge que par le droit européen. Comme le soulignent ces deux auteurs, le droit de propriété est l’un des rares droits pour lesquels les normes juridiques censées garantir son intégrité prévoient en même temps sa remise en cause. Toute personne peut être privée de ce droit, dès lors qu’un certain nombre de conditions sont respectées. Et la comparaison avec le droit européen réside clairement dans les facilités accordées à la puissance publique pour effectuer cette privation ; reconstruisant la normativité de l’article 1er du Protocole no 1 de la Convention européenne, la Cour européenne a dégagé trois normes distinctes en matière de propriété et de droit au respect des biens. Mais cette reconstruction repose en réalité sur une différence fondamentale, la distinction entre l’atteinte au droit et la privation du bien. Toute la théorie européenne de la propriété réside dans cette frontière entre les atteintes portées au droit, qui ne peuvent s’analyser en des privations, et qui sont donc largement tolérées par le juge, et les privations qui se traduisent par une dépossession effective du bien au détriment du propriétaire. Cet antagonisme a ainsi permis au juge constitutionnel français de réécrire les dispositions constitutionnelles protectrices du droit de propriété, en adoptant une lecture particulièrement audacieuse, mais « européaniste » des articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Ce critère de dépossession, fortement mis en valeur par F. Krenc et B. Renauld, implique une conception théorique extensive de l’expropriation, qui peut alors être « cachée » ou « de fait », mais une réalité pratique restrictive ; le juge européen conclut rarement à une dépossession effective. Et les juridictions belges suivent cette évolution ; les auteurs soulignent ainsi les « emprunts » opérés par la Cour constitutionnelle de Belgique à la jurisprudence européenne. Le raisonnement qu’elle mène, la technique de contrôle utilisée par les juridictions, sont largement inspirés de ceux dont se sert la Cour européenne des droits de l’homme.

    Il est alors vrai que l’évolution du droit de propriété est surtout l’histoire de ses limitations. Mais fort heureusement, les emprunts réalisés par les juridictions belges au droit européen sont aussi positifs. Après la présentation générale du contrôle opéré par les juges (F. Krenc et B. Renauld), Michel Pâques, Luc Donnay et Cécile Vercheval décryptent le contrôle juridictionnel mis en œuvre en droit belge, inspiré du raisonnement européen, en abordant la cause de l’expropriation. Pour que la privation de propriété soit possible, il faut, selon les critères européens, une loi, ce terme pouvant recouvrir plusieurs sens et réalités. Il revêt une importance particulière dans un État fédéral comme la Belgique : qui a la possibilité d’agir, qui peut habiliter l’exécutif à intervenir dans la procédure, la théorie de l’usage public ne remet-elle pas en cause l’exigence d’une loi pour fonder l’expropriation ? Telles sont les questions qu’abordent spécifiquement, dans leur contribution sur les acteurs de l’expropriation, David Renders, Sarah Ben Messaoud et Sarah Ganty, questions qui revêtent une dimension particulière au regard du critère requis pour justifier de la légalité d’une ingérence publique dans l’exercice d’un droit reconnu. Au-delà de cette exigence, l’expropriation est conditionnée à la démonstration d’une utilité publique, mais elle ne peut être justifiée que si elle est nécessaire. L’un des intérêts de l’ouvrage réside dans cette analyse du raisonnement du juge qui, en se réappropriant la grille de lecture classique du juge européen, parvient, d’une certaine manière, à la dépasser, allant plus loin que le juge français par exemple. La caractérisation de l’utilité publique résulte d’une succession de jugements de valeur : il existe des faits, un besoin s’exprime, le juge va opérer un contrôle complet sur l’opération concrète de qualification d’un besoin exprimé comme une cause d’utilité publique ; il faut ensuite apprécier les faits qui justifient l’intérêt d’acquérir le bien. Les différents contrôles effectués conduisent donc le juge à apprécier l’adéquation, la nécessité, puis la proportionnalité de l’opération. Or, le contrôle de nécessité, contrairement à celui de proportionnalité, est largement absent du raisonnement européen, qui laisse en ce domaine, selon la formule jurisprudentielle consacrée, une large marge d’appréciation aux États. On le conçoit : l’expropriation est une technique permettant à la puissance publique de mener à bien des politiques publiques ; mais le contrôle juridictionnel présenté souligne à quel point le juge a pour office d’arbitrer des intérêts et de rappeler des valeurs. En comparaison, la France reste bien timide, malgré un contrôle du bilan coûts-avantages présenté comme un modèle… Le juge belge, par le contrôle de nécessité, peut apprécier le choix de la parcelle expropriée ou l’instrument juridique choisi ; l’expropriation était-elle nécessaire, était-ce l’outil le plus adapté ? En se posant ainsi la question de savoir si le droit de propriété aurait pu subir une atteinte moins radicale par un autre instrument juridique, le juge ouvre la voie à une protection renforcée du droit.

    Si l’influence européenne se fait sentir, ce n’est pas le seul élément valorisé par la journée d’études, qui a le grand mérite de souligner que le droit de propriété doit aussi être protégé, en matière d’expropriation, par les autres mécanismes traditionnels du droit administratif.

    II. – La nécessité de renforcer les garanties du propriétaire

    David Renders, Sarah Ben Messaoud et Sarah Ganty rappellent que l’expropriation est avant tout un instrument destiné à exercer les compétences matérielles dévolues à chaque collectivité. La première protection du propriétaire réside donc dans le respect des compétences de chaque autorité. Même si un tel rappel est évident, il prend tout son sens lorsqu’il s’agit d’identifier les pouvoirs expropriants, et ils sont particulièrement nombreux ! Mais les auteurs insistent également sur des garanties classiques que le propriétaire trouve dans les principes de tout État de droit. L’exproprié doit bénéficier des garanties juridiques inhérentes à toute procédure contraignante. Ainsi l’arrêté d’expropriation doit-il être motivé, ce qui impose à l’autorité publique une évaluation des choix, des interrogations sur l’utilité du recours à cette procédure. Il va de soi que cet arrêté étant un acte administratif individuel, il doit faire l’objet d’une mesure de publicité, d’une notification, éventuellement d’une publication. Le devoir d’information est essentiel, et son absence peut, à un stade ou à un autre de la procédure, conduire à une annulation. Un recours en annulation devant le Conseil d’État est ainsi possible, tant que la phase judiciaire de l’expropriation n’a pas été introduite. Et Michel Pâques, Luc Donnay et Cécile Vercheval, en donnant une approche pratique de la cause de l’expropriation, ont insisté sur le nombre de contestations liées à la motivation de l’acte, qui apparaît non seulement comme une contrainte faite à la puissance publique d’expliquer ses choix, mais aussi comme une garantie essentielle pour que l’exproprié soit en mesure de comprendre le recours à l’expropriation, et éventuellement de le contester.

    Mais la difficulté ne réside probablement pas là. Michel Kaiser a pointé du doigt l’essentiel de la problématique : la règle générale est devenue exception. En clair, la procédure normale, celle de la loi du 17 avril 1835, est devenue l’exception, laissant ainsi la place à la procédure d’extrême urgence, devenue la règle, qu’ont fort bien décrite Bernard Pâques et Christophe Thiebaut, la procédure d’urgence étant tombée en désuétude. Comment alors sauvegarder les droits du propriétaire face au « rythme infernal » imposé par la procédure d’extrême urgence ? Cette évolution conduit à un « dangereux renversement de perspective », auquel les juges n’ont, semble-t-il, pas su faire face. Leur contrôle devrait, dans un tel contexte, se focaliser sur la justification de l’extrême urgence, ce qui n’est pas le cas, au contraire, les juges manifestant une compréhension très discutable de cette notion. L’on peut alors, et à juste titre, s’interroger sur le point de savoir si cette inversion de la règle et de l’exception conduit réellement à respecter les garanties fondamentales du procès équitable. On pourra objecter que ces éléments ne sont pas déterminants lorsqu’il s’agit de la privation du droit de propriété, droit essentiellement économique ; il n’en reste pas moins que la protection générale de ce droit ne peut résider uniquement dans une contrepartie économique, en dehors de toute possibilité pour l’exproprié de se faire entendre dans des conditions décentes, dans un délai raisonnable…

    La garantie majeure réside, bien entendu, dans l’obligation pour l’expropriant ou le bénéficiaire de l’expropriation d’indemniser l’exproprié. Garantie absente du Protocole no 1 de la Convention européenne, mais que le juge a réintroduite au fil des décisions, mais garantie constitutionnelle clairement affirmée en Belgique. L’indemnisation ne s’impose qu’en cas de dépossession et non de simple atteinte au droit, principe désormais constant aussi bien dans la jurisprudence belge que dans la jurisprudence française, sauf cas particuliers. Eric Causin, pour ce qui concerne l’indemnité d’expropriation, et Dominique Lagasse, pour la quasi-expropriation, ont bien relevé la complexité des éléments à prendre en compte et la difficulté de concevoir une indemnité juste et préalable. Il est cependant intéressant de constater que, dans 95 % des cas, comme l’ont rappelé plusieurs auteurs, la phase judiciaire de l’expropriation ne débute pas, les négociations préalables permettant de conclure les modalités de la dépossession. L’autre garantie importante réside dans le droit de rétrocession du bien, dans l’hypothèse où il n’a pas été utilisé dans le but d’utilité publique défini lors de la procédure… mais, dans combien de cas ce droit peut-il être réellement mis en œuvre ?

    Une préface a cela de frustrant qu’elle ne peut qu’effleurer les sujets traités dans un ouvrage dont la richesse est exemplaire. Ce volume nous incite en effet à une réflexion d’ampleur sur les évolutions du droit public en Europe, et à une analyse comparée des mécanismes juridiques, des notions, de leur approche. L’expropriation pour cause d’utilité publique traitée ici n’est, en définitive, qu’un prétexte à s’interroger sur les grandes évolutions des outils mis à la disposition de la puissance publique pour réaliser ses projets. L’utilité publique a tout envahi, comme l’intérêt général affirme sa présence dans toute activité ; mais la banalisation de ces notions entraîne parfois une certaine démission du juge face à l’ampleur de politiques publiques à mettre en œuvre qui le dépassent. Non, la puissance publique ne peut pas tout faire au simple motif que l’utilité publique peut le justifier ; non, la puissance publique ne peut transformer la règle en exception, avec la bénédiction des juges, sous prétexte que tout projet d’ampleur est urgent et qu’il ne peut souffrir aucun retard. Le rôle de la doctrine, entendue largement, est de rappeler les principes juridiques fondamentaux, et de dénoncer les décisions juridictionnelles qui encouragent des ingérences injustifiées de la puissance publique dans le chef des particuliers. Il est impératif de disposer de textes clairs, accessibles, qui posent un principe et des exceptions, qui organisent des procédures qui permettent aux citoyens d’apporter la contradiction, dans un délai acceptable… Une autre manière d’affirmer que, dans un État de droit, le principe doit rester le respect des droits des citoyens, et l’exception, leur remise en cause.

    Introduction

    Introduction

    PAR

    DIANE DÉOM

    CONSEILLER D’ÉTAT
    PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN

    L’expropriation pour cause d’utilité publique est une noble vieille dame. Connue depuis des siècles, elle illustre avec une particulière acuité la notion de puissance publique. Ne permet-elle pas à l’autorité de couper court, unilatéralement, à ce droit de propriété immobilière qui constitue un pilier du système juridique lié au Code Napoléon ? N’est-elle pas une des quelques institutions du droit administratif à trouver sa place dans la Constitution, et qui plus est dans une disposition dont seul le numéro a été modifié depuis 1831 ? N’offre-t-elle pas aux chercheurs le rare plaisir de trouver peut-être, dans de vieux livres de doctrine, quelque vérité qui a survécu aux orages du changement ?

    Vieille dame fantasque, il faut le dire. Car elle se singularise dans la cohorte des procédés d’action de l’administration. Normalement, la puissance publique se caractérise en droit administratif par un pouvoir de décision unilatéral de l’autorité, dûment accompagné du privilège du préalable. La prérogative de l’expropriation requiert au contraire le concours du pouvoir judiciaire puisqu’elle est subordonnée à un contrôle juridictionnel systématique et préalable de légalité. Il faut y voir, sans doute, un hommage au droit de propriété.

    Vieille dame avenante, en général. Car, si elle manifeste la puissance publique, c’est sous la forme adoucie d’une intervention qui s’assortit d’une indemnité. La jurisprudence et l’actualité dans certains pays montrent combien l’expropriation peut être une arme brutale lorsqu’elle n’est pas assortie de garanties suffisantes à cet égard. Mais, lorsque ces garanties sont assurées, il est parfois doux de se laisser exproprier… au point que le législateur permet dans certains cas de le solliciter. Ce sort est en effet plus enviable que de subir une servitude légale d’utilité publique, cousine plus revêche de l’expropriation, qui ne répare pas toujours, et jamais complètement, les dommages qu’elle cause.

    Vieille dame robuste, enfin. Contrairement à d’autres prérogatives de la puissance publique, elle se porte à merveille et demeure un outil privilégié de l’action publique. Partenariats, contractualisation, privatisations, « soft law », rien de tout cela n’altère la vitalité du procédé qui, seul, procure le moyen ultime de mener à bien de grandes infrastructures ou des projets immobiliers ciblés. Là où le partenaire privé peut apporter financement et expertise, le partenaire public, lui, garde l’atout de la maîtrise foncière. Et la tentation d’en user au-delà des limites d’une utilité publique strictement entendue.

    Les travaux de cette journée d’études nous permettront de revisiter les thèmes, classiques mais toujours renouvelés, du droit de l’expropriation. Les limites du droit de propriété, les auteurs de l’expropriation, ses causes, les procédures, l’indemnité, seront successivement analysés par les éminents orateurs que vous connaissez.

    En guise de mise en bouche, et sans vouloir empiéter sur la suite des travaux, je vous suggère trois angles d’approche pour esquisser plus finement la silhouette de la vieille dame qui nous occupe aujourd’hui.

    A. – L’expropriation, un paradigme du droit au respect des biens

    Dans sa lointaine jeunesse, l’expropriation a pu passer pour unique en son genre. Certes, la définition même du droit de propriété a toujours comporté la réserve d’une utilisation conforme aux lois et règlements, mais cette précision semblait mineure, allant de soi, et presque anecdotique pour le juriste inattentif¹. Elle renvoyait, du reste, aussi bien aux prescriptions du droit civil – les jours et les vues, les servitudes de passage, l’organisation des droits réels démembrés – qu’aux réglementations administratives au premier rang desquelles on citait la police communale. L’expropriation était bien le seul mode sur lequel les pouvoirs publics pouvaient porter à la propriété immobilière une atteinte réellement significative.

    Peu à peu, les besoins de la régulation de l’utilisation du sol et de l’espace ont engendré les développements que l’on connaît en droit immobilier public. Dans l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, la réglementation de l’usage des biens apparaît en parallèle à l’expropriation, comme une sorte de contrepoint. Les limites entre les deux procédés peuvent sembler stables, claires, évidentes : réglementer n’est pas acquérir, et limiter la propriété n’est pas l’éteindre. Mais bien peu de choses aujourd’hui restent longtemps stables, claires ou évidentes… la théorie de la quasi-expropriation est venue ébranler les certitudes. Passé un certain seuil d’intensité ou de durée, les restrictions apportées à l’exercice du droit de propriété ne doivent-elles pas être assimilées à une privation de facto, ou à une privation partielle ? Ainsi, d’un procédé bien défini, encadré par une procédure stricte, l’expropriation devient un concept à l’aune duquel on peut mesurer des dispositifs qui ne s’en réclament nullement : celui de la privation unilatérale de propriété. Le régime traditionnel de l’expropriation devient le signe du respect dû à la propriété immobilière.

    Si elle ne s’est pas pleinement imposée en droit positif², pareille construction a cependant acquis droit de cité, sur fond des principes d’égalité devant les charges publiques et de proportionnalité, dont elle est, en somme, une variante : il s’agit de sanctionner des limitations de la propriété qui dépassent le seuil d’une juste proportionnalité, au point d’entrer dans la sphère des charges obligatoirement assorties d’une indemnisation. Avec ou sans référence explicite à l’expropriation, ce raisonnement s’impose aujourd’hui, notamment dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.

    L’histoire ne s’arrête pas là. Car les biens meubles et les biens incorporels, les créances en particulier, sont visés par ces principes généraux ; la Cour de cassation en a fait une application remarquable, à propos des conséquences d’une mesure d’instruction judiciaire ayant affecté des biens mobiliers³. Ces biens méritent aussi la protection de l’article 1er du Premier Protocole additionnel. Une importante jurisprudence européenne précise progressivement les exigences que cette disposition impose aux États en toutes matières. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, « la notion de bien évoquée à la première partie de l’article 1er du Protocole no 1 a une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens corporels et qui est indépendante des qualifications formelles du droit interne : certains autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des droits patrimoniaux et donc des biens aux fins de cette disposition. Dans chaque affaire, il importe d’examiner si les circonstances, considérées dans leur ensemble, ont rendu le requérant titulaire d’un intérêt substantiel protégé par l’article 1 du Protocole no 1. Par ailleurs, la notion de biens ne se limite pas aux biens actuels et peut également recouvrir des valeurs patrimoniales, y compris des créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une espérance légitime et raisonnable d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété »⁴.

    Pour ne prendre qu’un exemple, citons cette affaire dans laquelle plusieurs dizaines de requérants, agents administratifs de l’enseignement en Italie, saisirent la Cour à propos d’une loi interprétative de 2005 qui les privait de la prise en compte, après leur transfert vers le Ministère de l’Éducation nationale, d’une ancienneté pécuniaire acquise auprès des pouvoirs locaux qui les occupaient précédemment. La Cour y constate une violation de l’article 6 de la Convention, le législateur ayant réglé rétroactivement une question que les juridictions avaient tranchée en faveur des requérants, sans que la légitimité et la proportionnalité d’une telle ingérence ne soient établies. Elle considère que les requérants bénéficiaient, avant l’intervention de la loi litigieuse, d’un intérêt patrimonial qui constituait, sinon une créance à l’égard de la partie adverse, du moins une « espérance légitime » de pouvoir obtenir le paiement des sommes litigieuses, de sorte que cet intérêt pouvait être considéré comme un « bien » au sens de la première phrase de l’article 1 du Protocole nº 1. La Cour examine ensuite la compatibilité de l’ingérence de l’État dans le droit au respect de ce bien, estimant devoir rechercher si celle-ci poursuivait un but légitime, à savoir s’il existait une « cause d’utilité publique », au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1. Elle conclut en faveur des requérants, sur lesquels la loi critiquée a, à son estime, fait peser une « charge anormale et exorbitante », de sorte que l’atteinte portée à leurs biens a revêtu un caractère disproportionné, rompant le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et la sauvegarde des droits fondamentaux des individus⁵.

    Nous voilà dans les arcanes du droit de la fonction publique en période de crise budgétaire, bien loin de l’expropriation… Pourtant, il est question d’utilité publique, de légalité, de privation d’un bien. Et le même raisonnement se décline en maints domaines du droit fiscal, social, judiciaire et même pénal.

    Son statut classique situe l’expropriation dans le domaine du droit immobilier – le bien immeuble, siège essentiel de la richesse jusqu’au XIXe siècle, devait recevoir une protection spéciale. Mais les temps changent, et la richesse aujourd’hui est multiforme. Le modèle de l’expropriation se voit ainsi inscrit au cœur d’un contexte si large qu’il en donne le tournis⁶.

    B. – L’expropriation, un transfert de propriété singulier

    L’expropriation est-elle une paraphrase unilatérale de la vente d’immeubles, une cousine en quelque sorte ? Cousine, sans doute, mais non sœur jumelle.

    Les effets de l’expropriation peuvent s’analyser, prima facie, comme ceux d’une vente d’immeubles. Même si l’indemnité n’est pas un prix – elle vient compenser dans le patrimoine de l’exproprié la perte causée par l’expropriation et les dommages causés par celle-ci –, le jugement fixant les indemnités provisionnelles opère bien un transfert de propriété auquel, à défaut de principe contraire, on attachera les conséquences que définit le droit civil, par exemple le transfert des risques.

    L’expropriation opère toutefois avec un effet de « purge » étranger à la vente amiable : les droits réels ou personnels relatifs au bien exproprié sont éteints par le jugement provisionnel, qui transfère à l’expropriant un bien quitte et libre de toutes charges. Le pouvoir expropriant doit en effet avoir les mains libres pour la réalisation du projet qui justifie l’expropriation⁷. Car, bien sûr, l’expropriation est une décision unilatérale qui doit être fondée sur une cause d’utilité publique. Non seulement l’origine du transfert de propriété réside dans un acte unilatéral plutôt que dans un accord des volontés, mais surtout, la décision d’acquisition est liée à un dessein particulier, qui la justifie et en constitue le fondement constitutionnel. L’expropriation ne se limite donc pas à un transfert de propriété, elle concrétise une intention du pouvoir expropriant sur le bien. Intention si étroitement liée à l’expropriation que son abandon justifiera, le cas échéant, la rétrocession du bien.

    Ces constats simples permettent d’évoquer des problématiques qui le sont beaucoup moins : le développement du droit immobilier public soulève des questions nouvelles quant à la nature et aux effets de l’expropriation.

    Un premier volet de la question porte sur la nature de la décision d’expropriation au regard des diverses normes régissant le statut administratif du bien. On sait qu’en principe, l’expropriation échoue devant la domanialité publique, qui protège l’affectation actuelle du bien au point d’impliquer son inaliénabilité – ce sont donc d’autres ressorts du droit administratif qui devront être mis en œuvre pour organiser les transferts d’un pouvoir public à l’autre –. On connaît également la problématique du droit de l’aménagement du territoire : l’arrêté d’expropriation doit être conforme aux plans applicables au bien exproprié, ou, plus exactement, la cause d’utilité publique invoquée à l’appui de l’expropriation doit être conciliable avec leurs prescriptions⁸. Plus largement, il est logique qu’un arrêté d’expropriation ne puisse servir un projet qui ferait fi des règles régissant le bien exproprié, par exemple si celui-ci fait l’objet d’un arrêté de classement ou s’il est soumis au régime Natura 2000. Dans la mesure où un arrêté d’expropriation exprime un choix d’affectation pour le bien qu’il vise – et éventuellement pour un ensemble de biens – on pourrait aussi se demander comment il faut le qualifier au regard des dispositions qui organisent l’évaluation des incidences sur l’environnement au stade des plans et projets⁹. Face à ces problématiques, il semble indispensable que l’objectif de l’expropriation, la cause d’utilité publique dont elle doit s’assortir, soit exprimée de manière suffisamment formalisée, et peut-être devrait-elle être mentionnée dans l’acte lui-même plutôt que simplement exposée en son préambule au titre de la motivation formelle.

    En aval de l’expropriation, on s’interrogera sur l’étendue de ses effets au regard du statut administratif du bien. L’effet de « purge » des charges qui l’affectent ne s’étend assurément pas aux servitudes résultant des règles de police administrative : le bien exproprié reste notamment soumis aux dispositions urbanistiques qui le régissent, aux contraintes résultant de la législation sur la conservation de la nature, à un éventuel arrêté de classement, etc. La question peut également se poser à propos du sort des permis délivrés avant l’expropriation, et des conditions dont ils sont assortis : ainsi, les contraintes imposées à un exploitant par un permis d’environnement, mais aussi les charges de dépollution ou de remise en état qui peuvent l’assortir. De prime abord, il semble que l’expropriation doive être analysée à cet égard comme toute autre cession immobilière, au regard de chacune des législations en cause ; elle entrerait par exemple, en matière de permis d’environnement, dans le champ d’application des dispositions qui visent le changement d’exploitant. Les interférences entre le droit de l’expropriation et les dispositions des décrets relatifs à la pollution des sols mériteraient, elles aussi, l’attention : une expropriation – qui serait menée, par hypothèse, à d’autres fins que l’assainissement lui-même – constitue-t-elle une cession donnant lieu aux obligations prévues par ces législations¹⁰ ? La notion de bien « quitte et libre » mérite sans doute quelques nuances au regard de telles questions.

    Certes, à l’heure actuelle, l’expropriation se déroule rarement isolément : elle s’inscrit le plus souvent dans des projets publics complexes dont les autres éléments sont étroitement et précisément régis par le droit de l’aménagement du territoire et le droit de l’environnement. On est frappé, cependant, par le décalage entre la simplicité un peu archaïque du droit de l’expropriation et l’ampleur des encadrements du droit immobilier public au cœur desquels elle s’inscrit.

    C. – L’expropriation, une déclinaison spéciale du contentieux administratif

    L’intervention du juge en matière d’expropriation illustre diverses questions fondamentales du contentieux administratif¹¹.

    Elle met tout d’abord en exergue la délimitation du contrôle juridictionnel, tant sur les notions d’utilité publique et d’extrême urgence, qu’à l’égard de l’exigence constitutionnelle d’un cas prévu par la loi.

    Le contrôle de l’extrême urgence offre un exemple saisissant de l’ampleur des marges d’interprétation du langage juridique : s’il fallait apprécier ce concept à l’aune du sens usuel des mots, bien peu de procédures d’expropriation échapperaient, sans doute, à la censure du juge – l’extrême urgence n’évoque-t-elle pas dans le langage courant un péril imminent, une nécessité impérieuse, une priorité flagrante – ? Reconnu dans son principe, le contrôle juridictionnel de cette notion demeure modéré dans son étendue, et il tient compte de la pratique bien établie qui confère à la procédure dite d’extrême urgence un caractère usuel. Le juge est placé devant le dilemme de maltraiter quelque peu le texte de la loi, ou de méconnaître des impératifs d’intérêt public. Un jour, quand un législateur – fédéral ou régional – s’attaquera à la réforme de la matière, on peut espérer qu’à défaut de vouloir réserver pareille procédure à des situations réellement hors du commun, il abandonne cette appellation. Dans un registre voisin, faut-il rappeler que la jurisprudence majoritaire se satisfait de la tradition qui, traitant assez légèrement la lettre de la Constitution, assimile l’usage public à un cas d’expropriation prévu par la loi¹² ?

    Quant au contrôle de l’utilité publique, comme, en d’autres contextes, celui de l’intérêt général, il appelle le juge à côtoyer le contrôle d’opportunité. On sait qu’en droit français, le juge s’est avancé dans l’exercice du bilan coût-avantages auquel la jurisprudence belge est réticente. Pour classique qu’elle soit, cette question n’en demeure pas moins essentielle. Aujourd’hui plus que jamais, l’expropriation peut être mise au service de nécessités collectives potentiellement contradictoires, le paradigme le plus courant étant le développement d’une activité économique au prix de la protection d’intérêts écologiques, ou vice-versa. Elle peut aussi intervenir dans des projets soutenus par des intérêts privés. Le célèbre arrêt Liebin et Baudry¹³ n’illustre-t-il pas combien, il y a quelques décennies, le juge administratif se montrait réticent quant aux mérites d’une opération qui, aujourd’hui, apparaîtrait peut-être comme un banal partenariat public-privé ? Que ce soit au niveau du juge administratif ou, en cas d’intervention législative, du juge constitutionnel, le concept d’utilité publique invite le juge à définir son rôle dans des arbitrages de valeurs.

    Le contentieux de l’expropriation orchestre par ailleurs la problématique de la répartition des compétences entre le Conseil d’État et les cours et tribunaux. Aujourd’hui résolue d’une manière qui semble relativement efficace en pratique, la question n’interpelle pas moins sur un plan intellectuel. Le Conseil d’État est compétent pour connaître des recours introduits par les expropriés eux-mêmes ou les « tiers intéressés »¹⁴ à l’encontre des arrêtés d’expropriation, mais le passage à la phase judiciaire coupe court à sa compétence, les juges se succédant ainsi dans un étrange ballet. Quant aux recours de tiers, ils demeurent dans l’escarcelle de la juridiction administrative, quitte à créer le risque de conflits – mais il en existe d’autres exemples –. Cette construction a permis, au passage, de clarifier définitivement la portée du contrôle du juge judiciaire et de l’identifier comme un contrôle de légalité de même ampleur que celui qui prévaut au contentieux objectif.

    Enfin, on constatera que le rôle du juge judiciaire dans le contentieux de l’expropriation va bien au-delà du contrôle de légalité, puisqu’il intervient pour la détermination de l’indemnité. Il participe ainsi, non au règlement d’un litige ou à la connaissance d’un recours, mais à la réalisation même de l’acte administratif dont il arrête un des éléments constitutifs¹⁵. L’administration y est demanderesse, et non défenderesse. S’il statue bien sur un droit subjectif (le droit à l’indemnité d’expropriation), le juge le fait à la demande de l’autorité et pour concourir à sa mission, faisant en quelque sorte œuvre à la fois d’administrateur et de juge. Ce modèle a essaimé dans certains domaines connexes, comme par exemple en ce qui concerne le droit de gestion publique des logements inoccupés dans le Code wallon du Logement¹⁶, alors que le même procédé peut être conçu comme une prérogative de police administrative assortie de recours juridictionnels¹⁷. On peut penser que la construction du canevas procédural de l’expropriation a ainsi remarquablement anticipé un mouvement de fond qui se manifeste dans certains segments du contentieux administratif, notamment en matière sociale et dans le domaine des amendes administratives. Le juge n’est-il pas, de plus en plus, invité à exercer un pouvoir de pleine juridiction, habilité à réformer les actes administratifs, encouragé à franchir la ligne de la traditionnelle séparation des fonctions ?

    Notre bonne vieille expropriation est donc entourée de remous. Son environnement juridique est devenu bien plus vaste, bien plus complexe, bien plus problématique qu’on ne pouvait l’imaginer. Mais elle n’a pas tellement changé : loin de l’ébranler, les mouvements du droit contemporain la confortent et lui donnent, sinon un air de jeunesse, du moins une figure de précurseur. Autant de constats qui rendent particulièrement opportun l’effort d’analyse que concrétise le présent ouvrage.

    1. Et seulement pour celui-là, car dès le XIXe s., l’ampleur des « restrictions » résultant, par exemple, du droit minier ou du RGPT, était mise en exergue.

    2. La jurisprudence de la Cour de cassation reste attachée à la distinction duale entre expropriation et privation de propriété. Voy. not. Cass, C.04.0582.N, 4 décembre 2008, et C.08.0261.F, 8 mars 2010.

    3. Cass., C.06.0415.N, 24 juin 2010.

    4. Arrêt Depalle.c. France, no 34044/02, du 29 mars 2010, nos 62 et 63.

    5. Arrêt Agrati et consorts c. Italie, nos 43549/08, 6107/09 et 5087/09, du 7 juin 2011.

    6. Voy., pour des contributions récentes et générales à ce propos, A. ALEN et W. VERRIJDT, « Recente evoluties inzake de bescherming van het eigendomsrecht in de rechtspraak van het Grondwettelijk Hof », in : J. GHYSELS, R. PALMANS, D. LINDEMANS et M. BOES (éd.), Vijftig jaar bescherming van het eigendomsrecht. Liber Amicorum Martin Denys, Antwerpen-Cambridge, Intersentia, 2012, pp. 2 à 26 ; E. CAUSIN, Droit des victimes d’expropriation et d’autres privations de propriété, Limal, Anthemis, 2011, pp. 11 à 69 ; M. PÂQUES, « Propriété, privations et servitudes de droit public, quels biens, quel équilibre, quelles compensations ? », in P. LECOCQ et P. LEWALLE, Contrainte, limitation et atteinte à la propriété, Bruxelles, Larcier, CUP, 2005.

    7. Il est d’ailleurs admis que l’expropriation a un caractère réel, au point qu’elle peut être opposable au véritable propriétaire alors qu’elle a été diligentée contre le propriétaire apparent : Cass., C.02.0191.F, 24 octobre 2003.

    8. M. PÂQUES, « L’incidence des plans d’aménagement du territoire sur la légalité des expropriations et la valeur des biens expropriés », R.C.J.B., 1999, pp. 246-290.

    9. Voy., en droit wallon, l’article D 6, 13°, du Code de l’environnement. La Cour de Justice s’est prononcée à ce sujet, mais au regard des dispositions qui concernaient l’évaluation des incidences au stade des permis : C.J.C.E., aff. 287/98, du 19 septembre 2000.

    10. Sur ce que l’obligation d’assainissement incombe au pouvoir expropriant, sans que les frais puissent être déduits de l’indemnité, voy. Cass., C.11.03692.N, 28 juin 2012.

    11. Ces différentes questions font l’objet d’une doctrine abondante. Voy., pour une vue générale récente, P. LEWALLE, « L’expropriation pour cause d’utilité publique », in : P. LECOCQ et P. LEWALLE Contrainte, limitation et atteinte à la propriété, op. cit.

    12. En faveur d’une évolution de la jurisprudence sur ce point, voy. D. RENDERS, « Nul ne peut être privé de sa propriété que dans les cas établis par un acte législatif », J.J.P., 2006, pp. 161-165.

    13. C.E., no 16.159, du 11 décembre 1973.

    14. Au sens des lois sur la procédure d’expropriation.

    15. Certes, le passage devant le juge de paix suppose l’absence d’accord entre les parties, mais un tel accord débouche le cas échéant sur une cession amiable et non sur une expropriation proprement dite. Celle-ci implique par nature l’intervention du juge.

    16. Art. 83.

    17. Art. 19 à 21 du Code bruxellois du Logement.

    Droit de propriété,

    acteurs et cause de l’expropriation

    Les limites du droit de propriété

    et l’expropriation

    PAR

    FRÉDÉRIC KRENC

    MAÎTRE DE CONFÉRENCES INVITÉ À L’UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN

    ASSISTANT AUX FACULTÉS UNIVERSITAIRES SAINT-LOUIS

    AVOCAT AU BARREAU DE BRUXELLES

    ET

    BERNADETTE RENAULD

    MAÎTRE DE CONFÉRENCES À L’UCL-MONS

    RÉFÉRENDAIRE À LA COUR CONSTITUTIONNELLE

    Introduction

    « Le droit de propriété est-il un droit de l’homme ? »¹.

    La question formulée de manière aussi fondamentale par Guy Haarscher peut a priori surprendre et sembler iconoclaste. En effet, le droit de propriété n’est-il pas élevé, par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, au rang des « droit naturels et imprescriptibles de l’homme » (art. 2) ? Ne constitue-t-il pas un droit « inviolable et sacré » (art. 17) ? Le Code civil n’a-t-il pas vanté son caractère absolu aux termes de son article 544 ?

    Il n’empêche que la réflexion de Guy Haarscher n’est point isolée². Le droit de propriété a été, et demeure, âprement discuté. Dans ses fondements, dans sa nature, dans ses fonctions.

    C’est que « parmi les droits fondamentaux ou considérés comme tels, le droit de propriété ne semble pas en être tout à fait un comme les autres »³. Le professeur Sudre reconnait volontiers que « son caractère même de droit de l’homme prête à discussion selon que l’on considère, ou non, que la propriété privée est essentielle à l’existence de l’individu »⁴. « Le droit de propriété semble en effet, du moins en tant que droit de l’individu, de la personne, moins évident que d’autres droits »⁵. Pour d’aucuns, « on peut raisonnablement douter que le droit de propriété constitue de nos jours, à supposer qu’il ait été un jour, un droit fondamental »⁶.

    Au-delà de ces discussions portant sur la question de savoir si le droit de propriété peut être qualifié de « fondamental » ou de « droit de l’homme », force est de constater que la nature du droit de propriété est aussi éminemment controversée. Est-ce un droit civil ? S’agit-il plutôt d’un droit économique ? Ou faut-il considérer, avec Bruno Lombaert, que le droit de propriété constitue également un « droit social ou public »⁷ ? Ces controverses sont intarissables, et nous n’entendons évidemment pas les alimenter dans les lignes qui suivent.

    Ce que nous pouvons, en toute hypothèse, relever à titre liminaire, c’est que le droit de propriété subit des immixtions, des amputations sans cesse croissantes au nom de l’intérêt général ou de l’utilité publique. Le dogme libéral d’une propriété privée absolue a progressivement cédé le pas à une conception nettement plus relative, articulée autour des exigences de l’intérêt collectif et de finalités sociales. Cette affirmation procède du truisme. Elle appelle néanmoins une réflexion sur la protection conférée aujourd’hui au droit de propriété et sur les limites qui peuvent lui être apportées, à l’heure où beaucoup constatent sa désacralisation voire sa « désagrégation »⁸.

    À cette fin, nous nous tournerons tout d’abord vers la Constitution et vers le droit européen des droits de l’homme pour y examiner la place réservée au droit de propriété (I). S’inscrivant dans le cadre d’un colloque et d’un ouvrage portant sur l’expropriation pour cause d’utilité publique, notre propos se concentrera sur cette forme particulière – et radicale – de limitation du droit de propriété. Nous tenterons d’en cerner les contours (II), avant d’en examiner les conditions de validité au regard des exigences constitutionnelles et européennes (III).

    I. – La consécration du droit de propriété

    Même si « nombreux sont les dénonciateurs de l’aporie fondamentale de la propriété, posée comme le support nécessaire de la citoyenneté, mais dont la majorité des citoyens sont exclus »⁹, le droit de propriété constitue bel et bien un droit fondamental si l’on en croit la plupart des instruments nationaux et internationaux censés les recenser.

    On sait que le droit de propriété dispose d’une assise constitutionnelle (A). On n’ignore pas davantage qu’il bénéficie d’un ancrage conventionnel (B). Il convient, dans une logique de complémentarité, d’appréhender ces garanties comme un « ensemble indissociable » (C), ces deux dispositions devant être conjuguées en vue d’assurer la protection la plus adéquate possible du droit de propriété.

    A. – La consécration constitutionnelle

    Le droit de propriété est, tout d’abord, consacré par la Constitution belge. Il appartient sans conteste à la première génération des droits garantis aux Belges par le pouvoir issu de la Révolution de 1830. Droit individualiste, évidemment lié aux intérêts d’une certaine classe bourgeoise¹⁰, tel qu’il est reconnu par la Constitution dès sa rédaction d’origine, le droit de propriété revêt quelque chose de sacré. Si le Constituant belge n’est pas allé jusqu’à l’affirmer en ces termes, le Constituant français de 1791 n’avait pas hésité à proclamer que « la propriété est inviolable et sacrée », ajoutant que « nul ne peut en être privé, que lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. » Les textes fondamentaux français ultérieurs tenaient le même langage. Le lien de filiation de l’article 16 de la Constitution – qui proclame que « nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité » – avec ces textes est évident¹¹. Ainsi que le remarque J.-J. Thonissen, « le Congrès n’avait donc qu’à donner une sanction nouvelle aux dispositions existantes. C’est ce qu’il a fait en adoptant l’article [16] de la Constitution »¹².

    Adoptant l’article 16, le Constituant n’a point abrogé les dispositions du Code civil préexistantes concernant le droit de propriété, ni explicitement, ni implicitement. Singulièrement, il y a lieu d’avoir égard aux articles 537 et 544 du Code civil, qui garantissent aux particuliers la libre disposition des biens qui leur appartiennent et aux propriétaires le droit de jouir et de disposer de leurs biens de la manière la plus absolue, à la condition de ne pas en faire un usage prohibé par les lois et par les règlements en vigueur. Classiquement, il en est déduit qu’alors que la privation de la propriété immobilière, sous forme d’expropriation, doit répondre aux exigences constitutionnelles, la propriété au sens large peut, pour le surplus, être atteinte dans son usage sans qu’il y ait lieu de parler à ce sujet d’expropriation¹³. En d’autres termes, tel qu’il est appréhendé dès 1830 par le Constituant, le droit du propriétaire est appelé à souffrir de limitations légales ou réglementaires considérées comme justifiées. Seule la privation totale de propriété semble revêtir une importance suffisante pour motiver l’inscription dans la Constitution de garanties au profit des titulaires du droit.

    B. – La consécration conventionnelle

    Si la Constitution belge consacra, dès l’origine, le droit de propriété, sa proclamation à l’échelon international et européen fut nettement plus laborieuse.

    Au niveau international tout d’abord, force est de constater que le droit de propriété est totalement absent des deux Pactes onusiens de 1966¹⁴, et ce bien que la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 énonce en son article 17 que « toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété » et que « nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété ».

    Du côté du Conseil de l’Europe, la consécration du droit de propriété fut lente et pour le moins timide à l’origine. Ainsi, le droit de propriété ne figure pas dans le texte originel de la Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950, faute de consensus suffisant entre les différents États parties. Il fut proclamé « dans la douleur »¹⁵ deux années plus tard, au moyen d’un Protocole additionnel¹⁶ dont l’article 1er se lit comme suit :

    « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

    Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes »¹⁷.

    Force est de constater qu’il ne s’agit pas là d’une consécration franche du droit de propriété. D’une part, le droit, tel qu’il est ainsi libellé, est loin d’être absolu. Il peut être assorti de deux limites : la privation de propriété et la réglementation de l’usage des biens, cette dernière étant envisagée en des termes pour le moins larges. D’autre part, l’article 1er du Premier Protocole ne consacre pas explicitement le « droit de propriété » mais un « droit au respect de ses biens ». Il faudra attendre 1979 et l’arrêt Marckx pour que la Cour européenne des droits de l’homme confirme qu’« en reconnaissant à chacun le droit au respect de ses biens, l’article 1er [du Premier Protocole] garantit en substance le droit de propriété »¹⁸.

    En réalité, et ainsi que la Cour ne cesse de le répéter depuis son fameux arrêt Sporrong et Lönnroth c. Suède¹⁹, cet article 1er du Premier Protocole renferme « trois normes distinctes » : « la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général »²⁰.

    Cet arrêt Sporrong et Lönnroth a posé les premiers jalons d’interprétation de l’article 1er du Premier Protocole additionnel. Depuis lors, la Cour pratique une lecture ouverte, dynamique et partant extensive de cette disposition en vue d’en garantir la pleine effectivité²¹. En particulier, la Cour procède à une interprétation large du champ d’application de cet article 1er, conférant une portée autonome à la notion de « bien »²². Loin de concerner la seule propriété immobilière, la Cour considère que cet article trouve à s’appliquer non seulement aux biens corporels, mais aussi aux biens incorporels, tels des créances²³, des actions ou parts d’une société²⁴, des droits de propriété intellectuelle²⁵, une clientèle²⁶ ou encore des droits à des prestations de sécurité sociale²⁷ ²⁸ .

    On le voit : si l’article 1er du Premier Protocole tend à protéger la propriété privée, il vise plus largement à encadrer les atteintes portées aux intérêts économiques des individus²⁹, ainsi qu’à leurs acquis sociaux.

    C. – Un « ensemble indissociable »

    La protection constitutionnelle est indissociable de la protection conventionnelle. Loin d’être concurrentes, ces protections sont, en réalité, complémentaires.

    Acteur majeur du « dialogue des juges », la Cour constitutionnelle promeut cette lecture conjointe. Elle considère que l’article 1er du Premier Protocole a une « portée analogue à celle de l’article 16 de la Constitution », les garanties offertes par l’article 1er du Premier Protocole additionnel « [formant] un ensemble indissociable avec celles qui sont inscrites dans [l’article 16 de la Constitution] », de sorte que la Cour constitutionnelle « en tient compte lors de son contrôle »³⁰. L’on ne compte plus, en effet, les emprunts faits par la Cour constitutionnelle à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme³¹. L’assise conventionnelle vient ainsi « se greffer »³² sur l’assise constitutionnelle du droit de propriété.

    De son côté, la Cour européenne des droits de l’homme souligne l’importance du prescrit constitutionnel. Elle enseigne que les normes sur lesquelles se fonde une mesure privative de propriété doivent, avant tout, être conformes à la Constitution³³. À cet égard, on rappellera que conformément à la logique subsidiaire présidant à la Convention européenne des droits de l’homme (art. 53), le texte constitutionnel sera privilégié à l’article 1er du Premier Protocole additionnel là où le premier se montre plus exigeant et plus protecteur du droit de propriété que le second.

    Toutefois, si la Constitution apparaît plus exigeante lorsqu’il s’agit d’une expropriation au sens strict (celle-ci doit être prévue par une loi sensu stricto et l’indemnité doit être préalable, deux conditions ne figurant pas comme telles dans l’article 1er du Premier Protocole), le champ d’application de la protection conventionnelle se révèle, quant à lui, bien plus large.

    En effet, le Constituant ne s’est préoccupé que de la seule privation de la propriété, ignorant les nombreuses atteintes qui peuvent être portées à la propriété sans pour autant entraîner une privation, alors que l’article 1er du Premier Protocole envisage, outre l’hypothèse de la privation de propriété, la possibilité de réglementer l’usage des biens emportant limitation des droits de leur propriétaire.

    L’article 1er du Premier Protocole permet ainsi de combler les « lacunes » du champ d’application de l’article 16 de la Constitution en offrant aux juges la possibilité de « soumettre à un contrôle de proportionnalité toutes les atteintes constatées au droit de propriété »³⁴, qu’il s’agisse d’expropriations au sens strict ou de limitations dans la jouissance du droit, la distinction entre ces deux formes d’atteintes n’étant pas toujours évidente³⁵.

    En outre, la lecture combinée, lors du contrôle exercé par le juge, de l’article 1er du Premier Protocole et de l’article 16 de la Constitution permet également de dépasser la limitation de la protection à la seule propriété immobilière, laquelle semble avoir principalement, sinon exclusivement, retenu l’attention du Constituant belge³⁶, pour permettre le déploiement d’un contrôle de proportionnalité des atteintes à d’autres types de biens faisant l’objet du droit de propriété ; l’on vient de voir, à cet égard, que l’article 1er du Premier Protocole ne protège pas que les seuls immeubles, tant s’en faut.

    II. – Les contours de l’expropriation

    Définie comme « l’acte juridique posé par un pouvoir public en vue de priver une personne de sa propriété sans son consentement, voire contre son gré »³⁷, l’expropriation constitue une « privation de propriété » au sens de l’article 16 de la Constitution et de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention.

    Il convient de cerner les contours de cette mesure, tels qu’ils sont, tout d’abord, dessinés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (A) et, ensuite, affinés en droit interne (B). Il s’agit de voir en quoi l’expropriation se distingue des autres limites du droit de propriété.

    A. – Les enseignements du droit européen des droits de l’homme

    Ainsi qu’il l’a été souligné ci-avant, l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention contient trois normes et identifie formellement deux types de limites au droit de propriété : la privation de propriété, d’une part, et la réglementation de l’usage des biens, d’autre part.

    La privation de propriété suppose le transfert du titre de propriété, sa suppression totale ou encore la dépossession de facto entraînant la paralysie complète des prérogatives de la propriété (usus, fructus et abusus)³⁸. Cette forme radicale d’ingérence dans le droit de propriété s’analyse à l’aune de la seconde phrase du premier alinéa de l’article 1er du Premier Protocole (soit la « deuxième norme »).

    Lorsqu’une mesure affecte l’usage qu’un individu peut faire de son bien sans pour autant entraîner un transfert de propriété ou la disparition de tous les attributs du droit de propriété, il s’agit, en principe, d’une mesure emportant « réglementation de l’usage du bien »³⁹. Pareilles mesures sont examinées à la lumière du second alinéa de l’article 1er du Premier Protocole (la « troisième norme »).

    À ces deux catégories s’ajoute une troisième catégorie qui a été élaborée de manière prétorienne. Cette catégorie est dite « subsidiaire » ou « résiduelle ». L’on pourrait également la

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1