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Possession: Les âmes enchaînées, #2
Possession: Les âmes enchaînées, #2
Possession: Les âmes enchaînées, #2
Livre électronique398 pages5 heuresLes âmes enchaînées

Possession: Les âmes enchaînées, #2

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À propos de ce livre électronique

Il vendrait son âme pour elle. D'ailleurs, il l'a déjà fait.

 

Après s'être rencontrés dans un château hanté, Jeanne et Louis coulent des jours heureux à Paris, loin des sortilèges du Berry. Mais ont-ils vraiment échappé à leur malédiction ?

 

Louis aime et désire Jeanne de toutes les fibres de son être. Depuis des siècles, d'une vie à l'autre, elle revient entre ses bras. Maintenant qu'ils ont apprivoisé leurs fantômes, il voudrait croire qu'elle est à lui pour toujours.

 

Jeanne n'apprécie pas que tout soit écrit d'avance et se rebelle contre son héritage. Mais quand un esprit malveillant cherche à la posséder, elle doit accepter son destin et affirmer ses droits sur son château sous peine de tout perdre.

 

Ce roman est le deuxième tome de la série Les âmes enchaînées (Attention, il a commencé son existence sous le titre La dame de Vauvey, Paris ♥ Berry t.2).

LangueFrançais
ÉditeurEleonore Marco
Date de sortie23 févr. 2021
ISBN9791096438723
Possession: Les âmes enchaînées, #2

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    Aperçu du livre

    Possession - Eleonore Marco

    1. Jeanne

    Je me réveille au moment où Louis s’introduit en moi et où je pousse un long soupir d’aise. Sa bouche trouve ma gorge et le baiser qui en résulte fait crépiter ma peau des orteils à la racine des cheveux. Je murmure d’une voix ensommeillée :

    — Donc c’était pas le rêve érotique du vendredi matin ?

    — Tu as passé une partie de la nuit à travailler, je me suis dit que tu ne serais pas d’humeur à être réveillée par BFM…

    Nouveau baiser dans le cou. Je me tortille sous l’excès de sensations qui me parcourt à nouveau, mais il me tient bien en place, épinglée contre le lit. Je signale :

    — Tu sais que ça pourrait être mal vu, ce que tu es en train de faire ? Rentrer comme ça chez une femme sans demander l’autorisation ?

    Son rire résonne à travers mon corps, à la fois bon enfant, profond et sexy. Il a encore du sommeil au coin de l’œil et les poils courts de sa barbe d’un jour brillent comme du mica dans la lumière du matin.

    — Tu n’es pas n’importe quelle femme. Et je ne suis pas chez toi, mais en toi.

    Ma vue se brouille un peu quand il marque son point en alliant le geste à la parole. Je me mords la lèvre. Je vais bientôt me mettre à chanter.

    — Et, poursuit-il, tu as donné ton accord explicite l’autre jour pour ce genre de réveil en douceur, alors, j’ai décidé de te prendre au mot. J’avais besoin d’un pèlerinage, d’un retour aux sources.

    — Un pèlerinage ? Pour un endroit que tu as visité hier soir, je trouve le terme un peu exagéré.

    — Ce n’est pas de ma faute, dit Louis. J’ai tendance à perdre mes repères loin de mes origines campagnardes. Ici, on ne voit pas venir les nuages, on ne peut pas observer les oiseaux. Être avec toi me permet de retrouver ma place.

    — Hm-hm. Ta place ?

    Il acquiesce.

    — Là.

    Il m’embrasse à pleine bouche, un baiser envahissant, mais trop court et qui me fait grogner quand il quitte mes lèvres pour mordiller mon sein.

    — Et là…

    Il attrape ma jambe droite sous ma cuisse et la replie vers mon menton, puis s’enfonce encore plus profondément en moi.

    — Et là.

    Un bruit non répertorié s’échappe de ma gorge, et l’instant suivant, nous perdons tous deux le fil de la réalité.

    Mon corps a toujours été fan de Louis, dès la première seconde, avec parfois des réponses si excessives qu’elles en deviennent embarrassantes. Il a fallu un peu plus de temps à mon esprit pour se rendre à l’évidence et l’adopter définitivement. Voilà près de quatre mois que je l’ai arraché à son Berry natal, à la malédiction qui l’empêchait d’en sortir, et à la vilaine sorcière qui le voulait pour elle toute seule. Il a emménagé chez moi et a investi ma vie jusque dans ses moindres recoins. Ce printemps a été le plus heureux de toute mon existence.

    Je reviens à moi trois quarts d’heure plus tard quand BFM se met en route malgré tout. Je suis entortillée dans le drap, je ne peux pas me dégager tant que Louis ne se lève pas. Il ne semble pas avoir l’intention de bouger. Il me considère en souriant, recoiffe une mèche de cheveux derrière mon oreille.

    — Voilà, toute prête pour aller travailler.

    — Je ne crois pas que ce soit une bonne idée d’y aller comme ça, je dis.

    Il me regarde de haut en bas avec tant d’appétit que je me sens rougir.

    — Pourquoi pas ? Ça ferait craquer n’importe qui.

    J’entreprends de le pousser pour le faire rouler et me dégager, mais ne réussis qu’à atterrir au-dessus de lui, toujours aussi emberlificotée dans les draps chauds et moites. Il émet un profond soupir de satisfaction. Je proteste à contrecœur :

    — Il faut que j’y aille. J’ai des équipes à fouetter.

    — Quel dommage, râle-t-il en me laissant partir vers la salle de bain. Tu vas te laver ? Je peux venir avec toi ?

    Je ris.

    — Il vaut mieux pas. J’ai ma réunion mensuelle avec mon boss, je ne peux pas arriver avec deux heures de retard, le menton cramoisi et un sourire béat qui court d’une oreille à l’autre. Désolée.

    — Je peux aussi limiter les brûlures de barbe à certaines zones couvertes de ton corps, offre-t-il, constructif.

    — N’essaye pas de négocier.

    Après une douche, je m’équipe de vêtements de circonstance, sombres, agressifs, structurés — ma panoplie de businesswoman. Mais sous la veste austère, je glisse une fine chemise d’un rose printanier.

    Puis je le retrouve dans la cuisine. Ma pièce préférée de l’appartement. Elle donne sur la rue animée du vingtième arrondissement, avec une exposition plein sud qui fait chanter les bocaux de verre disposés sur les étagères. Ça sent bon le café.

    — Et toi ? je demande à Louis en nous servant deux tasses. Quel est ton programme aujourd’hui ?

    — RAS. Probablement passer une nouvelle commande de café. Tu n’imagines pas les quantités monstrueuses de stimulants que les startuppers peuvent consommer. Et je ne parle même pas du sucre.

    À son arrivée à Paris, Louis a repris contact avec son amie d’enfance, Barbara. Elle lui a dégoté un job dans une pépinière. À mon avis, il est employé largement en dessous de ses capacités, mais il a prétendu jusqu’ici être satisfait de ce sas d’entrée dans la vie normale. Il dit qu’il est content de travailler au contact de jeunes entrepreneurs dont il apprécie l’énergie. Ce n’est pas moi qui vais lui reprocher ce virage à 180°, car l’activité de médium qu’il pratiquait jusqu’ici m’a toujours laissée un peu perplexe. J’avais peur qu’il n’éprouve quelque difficulté à exercer sa liberté retrouvée. Ce matin, cependant, je crois percevoir une pointe de doute dans sa réponse.

    — Tu commences à t’ennuyer ?

    — Pas vraiment, dit-il. C’est très agréable de se laisser vivre… j’attends toujours une idée lumineuse pour décider ce que je vais faire de mon existence.

    — Bah, dis-je, il n’y a pas d’urgence.

    Après tout, on ne relève pas comme cela d’une malédiction multiséculaire. Et de toute façon, mon travail, même s’il n’est pas excessivement glamour, pourvoit amplement pour nous deux.

    En parlant de quoi, il est temps pour moi de laisser la cuisine ensoleillée pour prendre le chemin des tours de la Défense, où je suis actuellement en mission chez un grand client industriel.

    — Tu ne penses pas filer sans m’embrasser ? dit Louis en m’arrêtant par la lanière de ma sacoche d’ordinateur.

    Je souris.

    — Hé, c’est un baiser ou une fouille au corps ?

    Je proteste, parce que c’est le seul rempart qui protège encore ma volonté flageolante. J’ai autant envie de me pendre que de discuter avec mon patron, mais le devoir m’appelle.

    — N’oublie pas notre rendez-vous de ce soir, glisse Louis.

    Je n’avais pas oublié. Comme nous n’avons jamais eu de premier rendez-vous officiel, nous avons décidé de nous jouer le grand jeu aujourd’hui. Nous avons l'intention de nous faire la cour.

    Cela peut certes sembler un peu bizarre après plusieurs mois de vie commune, cependant notre relation n’a rien d’ordinaire. Nous avons emménagé ensemble au bout de deux jours, mais en réalité, nous nous connaissons littéralement depuis des siècles.

    L’hiver dernier, Louis et moi avons découvert que nous étions les bénéficiaires (ou les victimes, selon le point de vue) d’un phénomène surnaturel étrange. Non seulement nous nous réincarnions depuis des générations pour jouer entre les vieilles pierres de mon château de famille un drame à répétition, qui se terminait généralement par une séparation et par le suicide de Louis. Mais en plus, nous avions apparemment la manie de semer derrière nous les souvenirs et les fantômes de nos vies précédentes, pour qu’ils reviennent nous hanter par la suite, dans nos rêves, et si affinités, dans les couloirs.

    Pour moi, tout ça s’est avéré difficile à avaler. Un peu moins pour Louis, qui croyait déjà aux fantômes et au paranormal au point d’en avoir fait son gagne-pain (no comment, économiquement c’est absurde, je sais). J’ai eu du mal à le croire et ne me suis laissée convaincre que lorsque j’ai croisé mon propre spectre dans un escalier.

    Notre premier rendez-vous, c’était une chasse aux fantômes.

    Lors de notre deuxième nuit ensemble, nous avons été séquestrés par une sorcière psychopathe et j’ai été obligée d’abandonner Louis au fond d’une oubliette médiévale. Le lendemain, j’ai bien fait un strip-tease complet pour le séduire, au coin du feu s’il vous plaît dans le château ancestral, mais la soirée s’est plutôt mal terminée : il s’est fait tirer dessus à coup de fusil et y serait passé s’il n’avait été sauvé in extremis par… hum, par mon fantôme en quelque sorte.

    D’après mes standards, c’est un début légèrement atypique pour une relation amoureuse. Depuis que nous avons vaincu cette malédiction, que nous sommes parisiens et que nous menons une vie de trentenaires ordinaires, nous aspirons à donner à notre histoire un démarrage un peu plus paisible. Nous sommes donc convenus de nous retrouver pour un dîner en amoureux tout ce qu’il y a de plus banal.

    Tout est allé si vite. Je sais que je ne pourrais pas, même si je le voulais, me passer de Louis Destel. Nous avons mis la charrue avant les bœufs. Est-ce qu’il est mon meilleur ami, mon confident, mon alter ego ? Oui. Est-ce que me réveiller dans ses bras tous les matins est mon rêve le plus fou ? Définitivement. Allons-nous pour autant passer toute notre vie ensemble ? C’est encore un peu tôt pour le dire.

    2. Jeanne

    Je dois passer la journée avec les équipes que j’ai laissées en mission chez un gros client de La Défense.

    Le travail n’est pas un sujet d’état d’âme pour moi, plutôt un synonyme d’indépendance. J’ai décroché mon premier job de serveuse le lendemain de mes dix-huit ans dans un bar du canal Saint Martin. A l’époque je voulais échapper à des vacances mouvementées dans ma famille berrichonne, et depuis, je n’ai pas arrêté d’aller de l’avant. Même si ce n’est pas moi qui résoudrai les problèmes de paix dans le monde ou du futur énergétique de l’humanité, j’ai toujours réussi à tirer de mes différents postes un certain sentiment d’accomplissement.

    Le quartier d’affaires fourmille d’activité. Arrivée à la tour qui héberge les locaux de mon client, je prends mon badge à l’entrée avant de gagner les batteries d’ascenseurs en traînant les pieds. Je suis un peu claustrophobe et les cercueils métalliques suspendus à des câbles ne sont pas vraiment mon truc. Quand j’ai le temps, je monte à pied les onze étages qui me séparent encore des départements informatiques, mais ce matin, je suis un peu en retard. Bah.

    Le miroir me renvoie l’image d’une jeune femme énergique, et qui, à presque 32 ans, n’a enfin plus l’air d’une gamine. Dans la surface réfléchissante, mes yeux noirs lancent des étincelles. Depuis la mort de mes grands-parents, qui m’ont légué leur château de Vauvey, et depuis les événements de cet hiver, le cours de ma vie s’est infléchi. Cependant, de retour à Paris, j’ai encore un peu de mal à appréhender ce qui a changé exactement.

    Déjà les portes de la cabine s’ouvrent à nouveau derrière moi. Le court moment d’introspection est terminé. Arrivée à l’étage des informaticiens, je salue mon équipe, regroupée dans le coin d’un plateau ouvert. Les blagues du matin fusent en même temps que les conseils techniques. Je ferme les yeux sur un pool de paris sportifs et m’intéresse plutôt à une compétition en cours sur le nombre de bugs abattus en une semaine. Certains des nouveaux développeurs sont impressionnants de talent. J’apprécie mon équipe et cette ambiance de vestiaire et de franche camaraderie, ludique et compétente.

    — Il paraît que la direction du groupe va mettre des consultants en stratégie sur le nouveau chantier de la sécurité informatique, dit Damien, un junior recruté récemment qui a oublié d’être bête. Un de mes copains chez Mac vient faire une présentation au PDG cet après-midi.

    Je fais la grimace. L’arrivée de consultants de haut vol n’augure généralement rien de bon pour la masse laborieuse des petits prestataires modestes que nous sommes.

    — Il faut le dire à Corentin ! s’exclame Jasper, entérinant par ce cri du cœur sa réputation de lèche-bottes.

    Corentin est mon patron et l’un des associés fondateurs du cabinet de conseil et de services informatiques qui m’emploie.

    — On pourrait peut-être essayer de leur couper l’herbe sous le pied, spécule Stéphane, pensif.

    Je lui souris. J’aime bien ce type et je suis d’accord avec lui. Notre mission, normalement, porte sur certaines formes de cryptage liées à la logistique de ce groupe industriel global. En nous donnant un peu de mal, nous pourrions investir au moins un petit morceau des problématiques de sécurité. Nous pourrions nous aussi formuler une solution. Ce serait nous aventurer un peu hors de notre zone de confort, mais qui ne tente rien n’a rien.

    Je demande à Stéphane de mettre de côté ce qu’il est en train de faire et de commencer à réfléchir à cette opportunité. Nous convenons de nous retrouver pour en parler dès que je sortirai de mon point hebdomadaire avec Corentin.

    Ensuite, je prends possession de la salle de réunion et commence à déballer tout le nécessaire : ordinateur portable, vidéoprojecteur, câblages divers. J’installe les gobelets et le thermos de café apporté moins par égard pour le boss que pour mon propre organisme en manque de sommeil. J’évite de penser aux raisons particulières de ce manque de sommeil, parce que ce ne serait pas très professionnel.

    Quand Corentin entre dans la salle, je suis en train de siroter une tasse brûlante en peaufinant les réglages du projecteur et en me disant que je vais attaquer mon travail de la journée s’il me fait poireauter une minute de plus. Il n’est pas très en retard, et après tout c’est lui qui me paye, mais j’ai horreur des voleurs de temps et ne me prive pas de le faire savoir.

    — Où est John ? m’enquiers-je en guettant dans le couloir la silhouette dégingandée de notre comptable.

    — Il ne vient pas aujourd’hui, répond mon patron. On ne fait pas le status report, j’ai un autre sujet à aborder avec toi. Tu m’enverras ta présentation, ça ira très bien.

    Je ronchonne un peu parce que je me suis donné le mal de préparer notre discussion et que c’est une des autres raisons pour lesquelles j’ai aussi peu dormi. Je voulais aborder le sujet de la formation interne des équipes qui travaillent ici. Pour rester compétents et surtout employables, certains de mes développeurs auraient tout intérêt à se familiariser dès maintenant avec quelques technologies moins vieillottes que celles de notre client.

    Corentin prend place en face de moi et attaque en me regardant dans les yeux. C’est un entrepreneur en série qui se veut réglo et accessible, une attitude louable, mais parfois mise en échec par sa très grosse tête.

    — Je voulais commencer par te féliciter pour le bon travail effectué sur tes différents projets, dit-il.

    Argh. Nous voilà partis pour un tête-à-tête de type entretien annuel, dont j’ai beaucoup de mal à supporter le ton lénifiant. Il va falloir que je rue un peu dans les brancards et que je prenne le contrôle de la discussion si je ne veux pas finir engloutie sous une tonne de blabla, perdre le fil et me faire enfumer.

    — Je sais, dis-je. Transformer les jobs arides et déplaisants en oasis luxuriantes est mon superpouvoir.

    Il sourit. Ce n’est pas ce qu’il a voulu dire, bien sûr. Il a voulu dire que j’étais un bon petit soldat, un pompier courageux qui sauve les missions impossibles. Je me suis peut-être montrée un peu agressive, mais c’est juste pour rester éveillée alors qu’il poursuit, à nouveau dans le sens du poil :

    — Le cabinet va investir de plus en plus sur les gens comme toi pour se développer.

    Je ne suis plus un perdreau de l’année. J’ai des ambitions et j’aime bien les promotions, mais je n’ai plus l’âge d’accepter n’importe quel susucre. Je n’en reviens pas qu’il me serve encore ce discours. Je devrais me taire et le laisser déballer tous ses messages, mais la patience n’est pas vraiment mon fort.

    — Allez, Corentin, tu sais que tu n’es pas obligé d’aller chercher midi à quatorze heures avec moi. Qu’est-ce qui se passe ?

    Je vois bien, à sa mine contrariée, qu’il n’apprécie pas mon approche directe, mais je ne suis pas sa baby-sitter et de toute façon, c’est mon sens de l’efficacité qui lui fait gagner de l’argent. Ça fait combien de temps que je travaille pour lui ? Quatre, cinq ans ? Il pourrait quand même faire un effort pour s’habituer, adapter son style de communication à son auditoire.

    — Je suis venu te proposer une promotion, énonce-t-il enfin.

    — Excellent, il était temps. Tu peux m’en dire plus ?

    Nouveau coup d’œil exaspéré. Je lui fais mon sourire patient et bienveillant (oui, j’en ai un) tout en me demandant si je ne préférerais pas qu’il sorte de ses gonds de temps en temps, qu’il m’envoie bouler franchement au lieu de s’enfermer dans cette hostilité polie. Ce serait sûrement meilleur pour notre relation de travail.

    — On voudrait t’intégrer dans une nouvelle task force stratégique, dit-il.

    Je ne retiens pas mon souffle pour autant. Je suis trop habituée au jargon pour ne pas me méfier un peu du mot « task force » qui désigne quand même souvent les unités spéciales auxquelles on confie des missions suicide, les bonnes poires qui finissent par sauter. Il se laisse aller contre son dossier en poussant un grand soupir et finit par lâcher le morceau.

    — Macquart et Spadone quittent le cabinet. Ils embarquent tous les clients banquiers et une partie de leurs équipes, et évidemment, ils ne partent pas avec les bras cassés. On va devoir développer un nouveau pôle services financiers quasiment de zéro, on ne peut pas se passer de ce marché. Évidemment, la bataille juridique est engagée avec les transfuges, mais ça coûte cher, et ils sont partis avec une généreuse portion de notre chiffre d’affaires.

    Tu m’étonnes. Nos deux plus gros clients étaient des banques. Tout ça ne sent pas bon du tout. Je suis bien contente d’être à l’abri dans le secteur industriel, dans une DSI qui nous apprécie.

    Je hoche la tête et relance :

    — Donc cette task force stratégique.

    — On va avoir besoin de commerciaux, on est en train de recruter en externe un spécialiste du secteur, mais il nous faudra aussi des personnes qui ont assez de bouteille et d’esprit d’entreprise pour reconstruire rapidement, par tous les moyens nécessaires, ce que nous avons perdu. Encore une fois, le cabinet ne peut pas se passer du secteur financier.

    — OK, dis-je. Pas de problème. Tu peux compter sur ma participation, justement, j’ai un peu de temps maintenant que tout roule ici.

    Le nouveau projet est intéressant, et je commençais à m’embêter un peu.

    — En fait, dit Corentin, ce sera un job à plein temps. Tu ne pourras pas rester ici. Et à vrai dire, le coup bas de Macquart et Spadone va nous obliger à nous restructurer au cours des prochains mois. On va désinvestir certaines technologies, certains secteurs ou niches fonctionnelles moins stratégiques, redéployer les meilleurs éléments sur des projets d’avenir.

    Mon estomac se noue. Je sens que nous arrivons au véritable cœur de la conversation. Je me doutais bien que cette « promotion » risquait de ne pas vraiment en être une.

    — Qu’est-ce que tu entends par là ? Mes équipes ne sont pas concernées, j’espère ?

    Il se met à jouer avec son stylo, une monstruosité plaquée or.

    — Les technologies et les thématiques de ce projet ne sont pas les plus porteuses, tu es au courant, dit-il.

    Je lui réponds assez sèchement :

    — Je suis très au courant et d’ailleurs, c’est le sujet que j’avais prévu d’aborder avec toi ce matin. Nous avons une super équipe ici, avec des ingénieurs pleins de potentiel qui savent travailler ensemble. Tu serais étonné. Le seul problème, ce sont les technologies, qui ne nous mèneront effectivement nulle part.

    Corentin hoche la tête.

    — Elles mènent tellement nulle part qu’on a prévu de fermer l’unité, dit-il.

    Je crois hélas très bien comprendre ce qu’il est en train de me dire, à sa façon oblique, mais je me force à jouer les naïves. Je veux une confirmation claire.

    — Super, dis-je, je peux annoncer à mes gars qu’ils vont changer de sujet, alors ? Ça va leur faire du bien.

    Corentin fait non de la tête.

    — Jeanne, la raison pour laquelle on t’a trouvé cette place dans la task force, c’est parce que les équipes ici vont être dissoutes.

    Nous y voilà.

    — C’est parfaitement stupide, dis-je.

    — Ce n’est pas à toi d’en juger, répond-il d’un air pincé. C’est encore ma boîte, pour autant que je sache, et j’ai l’intention de la sauver.

    Le voir enfin montrer ses dents ne m’est pas d’un très grand réconfort.

    — Je ne sais pas si tu lis les évaluations que je t’envoie, dis-je, mais on tient vraiment une excellente équipe. Tu as bien vu les résultats que j’ai obtenus avec eux ici ? Ce n’était pas gagné d’avance, mais on a réussi à convaincre, à se former sur le tas. Et ce matin, j’ai même entendu parler d’une opportunité pour étendre le périmètre de notre intervention.

    Nouveau mouvement de tête dubitatif.

    — Au moment où l’on a intégré Newlogtech, c’était une excellente opération de recaser ces équipes ici, et tu as fait un excellent travail. Le DSI est très content, le client nous recommandera ailleurs, mais maintenant que la mission est quasiment terminée, je ne vois aucune raison de continuer dans cette voie.

    Newlogtech est la branche basse d’un groupe que nous avons absorbé il y a deux ans, essentiellement pour ses fichiers clients et ses logiciels propriétaires. Newlogtech arrivait avec le deal, mais n’était clairement pas le fleuron de l’entreprise. À ce moment-là, j’ai pensé que Corentin et ses actionnaires allaient s’en séparer, mais finalement, après un audit, ils ont préféré en tirer un maximum de cash flow avant de la solder pour de bon.

    — Alors ça y est ? Vous avez fini de siphonner Newlogtech et maintenant vous jetez le bébé avec l’eau du bain sans même un coup d’œil à ce qu’il est devenu ? C’est vraiment pathétique.

    — Je sais très bien ce que vaut cet actif.

    — Ce n’est pas un actif, mais une équipe, Corentin. On parle de gens, qui ont des vies, des familles, des prêts à rembourser…

    — Je sais, dit-il, c’est dur, mais c’est la loi du business.

    — Alors, justement, parlons business si tu veux bien. Si tu savais vraiment ce que vaut cet actif, tu ne parlerais pas de virer l’équipe en bloc. C’est moi qui te le dis. Explique-moi pourquoi tu gardes les bras cassés laissés par Macquart et Spadone et pas mes ingénieurs superintelligents.

    — Je n’ai pas de comptes à te rendre. Tu prends la promo, ou pas ? Il y aura des compensations financières, et ce sera vraiment intéressant et stratégique. Beaucoup plus que continuer à baby-sitter une collection dépareillée d’ingénieurs quadras plus ou moins finis.

    Il me fait sa proposition financière, qui dit bien à quel point il a envie de me garder.

    Il veut me garder et mettre mon équipe à la poubelle.

    J’ai envie de lui envoyer sa « promo » en travers de la figure. Il est en train de s’asseoir sur tous mes efforts des deux dernières années et il me demande de le remercier parce qu’il me repêche. Je sais que j’ai besoin d’argent et que j’ai envie de progresser dans ma carrière, mais ça ne me paraît pas la route à suivre. Si j’étais entrepreneur, ce n’est pas la décision que je prendrais.

    Mais je ne suis pas entrepreneur, et c’est bien là tout le fond de la question. J’ai besoin de la sécurité de ce poste.

    J’en ai besoin ?

    — Laisse-moi réfléchir un jour ou deux, dis-je, avec un sourire qui doit lui faire croire que je vais accepter, mais que je suis trop fière pour lui dire oui tout de suite.

    S’il n’y avait pas Vauvey, cette inconnue financière et affective majeure dans ma vie, je lui ferais savoir exactement ce que je pense de sa proposition.

    3. Jeanne

    Quand je retrouve Alex pour manger notre poids en sushi, je fulmine tellement que j’en tremble. Une discussion rapide avec Stéphane a confirmé que nous pourrions élargir notre intervention chez notre client… à condition d’être encore là demain. L’aveuglement de Corentin me met hors de moi.

    Heureusement, Alex est la copine idéale pour casser du sucre sur le dos de mon patron. Comme moi, elle exècre la langue de bois et les arnaques. Elle est journaliste, reporter de choc pour un journal qui est très loin de l’apprécier à sa juste valeur.

    — Qu’est-ce que tu vas faire ? demande-t-elle quand j’ai fini de lui raconter mon entretien avec Corentin. Tu as tellement bossé pour mettre en place cette équipe, je suis sûre qu’il y a dans Paris plusieurs millions de mères qui se montrent moins attentives avec leurs propres enfants.

    Je demande un thé vert glacé avant de lui répondre :

    — Je ne sais pas. Si j’accepte cette fausse promotion sans défendre mon équipe, je ne pourrai plus me regarder dans une glace. Je suis sûre que Corentin va se débrouiller pour que ce soit à moi de les virer. Il dira que c’est une leçon de business. Quel abruti.

    — Alors, dit Alex, tu sais ce qui te reste à faire. Tu as créé de la valeur, mais ton boss est trop stupide pour la monétiser. Tu vas être obligée de le faire toi-même.

    Tout est très simple quand elle résume les choses comme ça. Effectivement, le mieux serait de

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