Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Ténèbre
Ténèbre
Ténèbre
Livre électronique303 pages4 heures

Ténèbre

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Entre une confrontation tendue avec les administrateurs de la Congrégation Maréchale, une surveillance constante, et une quête qui va les mener aux quatre coins du monde, les vacances scolaires des jeunes alchimistes s’annoncent mouvementées. D’autant plus que, suite à la réapparition brutale d’un terrible personnage, de grands troubles commencent à secouer la société exorcelique.

Tiraillé entre les questions sur sa véritable nature, la crainte qu’il inspire maintenant aux autres et son envie de soigner sa mère malade, Benjamin est sur le point de traverser de bien sombres moments…
LangueFrançais
Date de sortie30 avr. 2020
ISBN9782898081477
Ténèbre

Lié à Ténèbre

Titres dans cette série (2)

Voir plus

Livres électroniques liés

Fantasy pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Ténèbre

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Ténèbre - Geoffrey Claustriaux

    Jakoba.

    CHAPITRE 1

    LES ALCHIMIERS

    Les deux inspecteurs de la Brigade Exorcelique surgirent de part et d’autre de la grande porte d’entrée s’ouvrant sur le hall de Pherstone. On les reconnaissait facilement à leur uniforme noir et doré, par-dessus lequel ils portaient une sorte d’armure exosquelettique constituée de plaques de cuir reliées entre elles par des articulations métalliques. Un monocle couvrait leur œil droit. J’avais appris en cours de technologie alchimique que cet objet pouvait aussi bien faire office de télescope que de révélateur de phénomènes paranormaux.

    — Des alchimiers, chuchota Seneasael en se penchant vers moi. Que font-ils ici ?

    La cérémonie de fin d’année venait de prendre fin. En quelques minutes, le hall s’était vidé de sa foule d’élèves et de parents. Le professeur Lévyus Growl commençait à démonter l’estrade, aidé des enseignants monsieur Tonus et madame Rouvière. L’année scolaire était terminée, les vacances allaient enfin pouvoir commencer, pour le plus grand bonheur des étudiants de Pherstone, qui n’en pouvaient plus d’attendre. C’était l’unique sujet des conversations depuis des jours.

    Pour ma part, je traînais sur ma chaise, en compagnie de mes camarades Senesael Orbit et Ambrine Sweet, et des frères Vallen et Tomith Mithradir, sans trop savoir quoi penser du moment. L’excitation de la remise des diplômes était retombée. Je ressentais comme un pincement au cœur, mais je ne savais pas s’il était dû au fait que mes amis et moi allions être séparés durant deux mois, ou bien si Pherstone et les cours d’alchimie allaient me manquer. Sans doute un peu des deux. Peut-être aussi que cela n’avait aucun rapport avec mon statut d’exorceleur. Depuis que j’avais appris qu’une sephira sommeillait en moi, une terreur lancinante ne me quittait plus. À chaque instant, j’avais peur de perdre le contrôle, de laisser Guebhoura, le démon qui vivait en moi, me dominer, et que cela finisse en carnage, comme la nuit où j’avais, sans le vouloir, pris la vie de mon beau-père Fred Krieger et de ma demi-sœur Lucy.

    Je regardais Céleste s’éloigner, son petit frère Théos dans les bras ; elle était venue nous dire au revoir.

    — Mon père est d’accord pour que vous veniez me rendre visite à la maison, si vous en avez envie, avait-elle précisé.

    — C’est gentil à lui, avait répondu Senesael.

    — Envoyez-moi un courriel. Ça me fera plaisir de vous montrer où j’habite.

    — Qu’est-ce que tu vas faire pendant tes vacances ? avais-je demandé.

    Céleste avait haussé les épaules.

    — Étudier, accompagner mon père à des réceptions… m’ennuyer. Qu’est-ce que j’en sais ?

    — Et zouer avec moi ! avait gazouillé Théos, nous faisant éclater de rire.

    — Oui, tu as raison, et jouer avec toi, avait rectifié Céleste en caressant affectueusement les cheveux de son petit frère.

    C’était la première fois que je la voyais faire preuve d’une telle tendresse ; il s’agissait d’un spectacle tout à fait touchant. La terrible Céleste, si fière, si autoritaire, était donc capable de douceur. Je sais que cela peut paraître stupide, énoncé de cette façon, mais à force de la côtoyer, j’avais fini par oublier qu’elle restait humaine malgré tout.

    Elle rejoignit sa mère, tandis que son père, Hilarius Karli, ministre du département des Variations, discutait à grands renforts de gestes avec la directrice Hardigan. Fluffy les écoutait d’un air concerné. Je fis semblant de ne pas remarquer qu’ils me jetaient de temps à autre un regard en coin. Leur conversation tournait autour de moi, c’était une certitude. Un peu plus loin, un petit groupe d’adultes composé, entre autres, de la mère de Senesael et des parents d’Ambrine écoutait religieusement le professeur Storia, qui nous enseignait l’histoire de l’alchimie, discourir sur les bons résultats obtenus par leurs enfants. Je dois avouer que je m’étais fait une autre image de monsieur et madame Sweet : un peu plus guindés, moins « ordinaires ». J’avais trouvé cocasse qu’Ambrine les appelle par leur prénom. Bien sûr, je savais qu’ils n’étaient pas ses parents biologiques, qu’elle vivait dans cette famille d’accueil depuis qu’elle avait été abandonnée à la suite d’un événement dont elle ne voulait pas parler, mais tout de même… C’était singulier.

    Lorsque les deux inspecteurs de la Brigade Exorcelique firent leur apparition dans le hall, tout le monde tourna la tête pour les dévisager et les regarder s’approcher de moi à grandes enjambées. Leur exosquelette produisait de petits grincements, et je me souviens avoir pensé, vaguement amusé, qu’ils auraient besoin d’un bon graissage. À ce moment, je ne savais pas encore que j’allais au-devant de graves ennuis.

    — Benjamin Parson ? demanda le plus petit, mais aussi le plus âgé des deux.

    Cela se voyait à sa barbe et à ses cheveux gris, lesquels contrastaient avec sa peau d’ébène. Je me raidis sur ma chaise. Le ton sec et dénué de chaleur qu’il avait employé n’augurait rien de bon.

    — Euh… Oui, c’est moi, répondis-je, hésitant, comme si je n’étais plus certain de mon propre nom.

    — Je suis l’alchimier Skinner et voici l’alchimier Tenmaï. Nous avons ceci pour vous.

    Son collègue tira un feuillet de l’intérieur de son armure et ajouta :

    — Nous aimerions également parler à mademoiselle Ambrine Sweet et à monsieur Senesael Orbit.

    — Pardonnez-moi, messieurs, mais de quoi s’agit-il ?

    Je levai la tête vers Hardigan, qui avait délaissé le Ministre Karli pour se rapprocher de nous. Sa jupe blanche agrémentée de voiles flottait dans son sillage, surmontée de son éternel corset à bretelles noir et violet. Ses yeux maquillés disparaissaient derrière une paire de lunettes dorées, tandis que son rouge à lèvres vif ressortait sur sa peau diaphane. Mais ce qui attirait tout particulièrement le regard, c’était sa coiffe ornée d’engrenages clinquants.

    — Messieurs, vous êtes dans mon école, ici, continua-t-elle en se plantant devant les inspecteurs, mains sur les hanches. Je vous prierai donc de ne pas importuner mes élèves.

    — Madame Prenda Hardigan, je présume, fit l’alchimier Skinner.

    Il s’inclina pour la saluer, imité par l’alchimier Tenmaï, qui en profita pour sortir de son armure une tablette de quartz gris. À sa surface apparut un texte qu’on aurait dit manuscrit s’il avait été couché sur papier : une lettre dont l’en-tête portait le sceau de la Congrégation Maréchale.

    Hardigan s’en empara d’un geste brusque, puis commença à lire en fronçant les sourcils. Le temps s’arrêta dans le hall. Tout le monde restait figé, retenant son souffle, moi le premier. Seul Fluffy traversa la salle en trottinant pour nous rejoindre. Sa fourrure rose en faisait un élément immanquable dans le décor gris et ocre du hall. Ses deux yeux globuleux, qui surmontaient une bouche beaucoup trop large pour son visage rond, étaient rivés sur les alchimiers.

    — Je vois, fit Hardigan quand elle eut terminé de lire le courrier. Vous avez fait vite. Je ne vous attendais pas si tôt.

    — Une affaire de cette importance requiert célérité et efficacité, répliqua l’alchimier Skinner.

    Les regards convergèrent sur moi. Je me ratatinai sur mon siège. Tomith et Vallen Mithradir en profitèrent pour s’éclipser.

    — Puis-je savoir de quoi il s’agit ? demanda Fluffy en tendant les doigts vers la tablette. En tant que tuteur officiel, puis-je lire cet avis ?

    — Je vous en prie, monsieur Fluffy, répondit Hardigan. Lisez.

    Le démon bonbon parcourut la missive en quelques instants, puis me la donna, l’air contrarié. Mon cœur battait à tout rompre. J’avais la sensation qu’il cherchait à exploser les barreaux de ma cage thoracique, comme un oiseau lassé d’être emprisonné.

    À madame Hardigan,

    Directrice en fonction de l’école alchimique de Pherstone,

    Une série d’informations émanant de votre bureau nous sont parvenues selon lesquelles plusieurs de vos élèves (les dénommés Benjamin Parson, Ambrine Sweet et Senesael Orbit) seraient entrés en contact avec la criminelle en fuite Isabeth Debra Wilmore, aussi connue sous le surnom « Lady Fantôme », ainsi qu’avec Daniel Parson. Vous n’êtes pas sans savoir que cet individu, actuellement recherché par de nombreuses agences exorceliques, doit répondre devant la justice de plusieurs crimes commis sous l’identité de Monger Dooms.

    Compte tenu des antécédents de ces deux individus et du danger qu’ils représentent pour l’ensemble de la communauté exorcelique, l’Acte Exo-patriotique tel qu’établi par les représentants internationaux de la Congrégation Maréchale dans l’article 25.c des Tables de la Loi a été déclenché.

    Deux officiers de la Brigade Exorcelique, les alchimiers Mitch Skinner et Kei Tenmaï, ont été chargés d’escorter les élèves susmentionnés jusqu’au siège de la congrégation afin de procéder à une audience qui se tiendra le 24 juin prochain, à dix heures précises. Plus d’informations leur seront communiquées à leur arrivée.

    Je vous remercie d’avance de votre coopération et vous prie d’agréer, chère madame Hardigan, l’expression de mes salutations distinguées.

    Hanna Fuda, secrétaire de direction.

    Pour le compte de Paxter Rozens, Administrateur et Ministre Premier de la Congrégation Maréchale.

    Je lus la lettre une première fois, puis remontai jusqu’à l’en-tête flanquée du symbole de la congrégation pour la parcourir à nouveau de bout en bout. J’entendais à peine les conversations autour de moi ; Fluffy qui suppliait Hardigan pour m’accompagner ; Ambrine et Senesael qui protestaient ; les alchimiers qui réclamaient qu’on les suive sans faire d’histoires. Ma tête me semblait lourde, mon cerveau engourdi. La joie qui m’avait habité une heure plus tôt, pendant que je recevais mon certificat de réussite, n’était déjà plus qu’un vague souvenir. J’allais être interrogé par la Brigade Exorcelique comme un vulgaire criminel. Savaient-ils pour ma sephira ? Et pour l’offre de mon père ? Ma main à couper que oui. D’autant plus que les alchimiers semblaient être venus sur l’indication d’Hardigan. Je ne vous attendais pas si tôt… Émanant de votre bureau…

    Je me rappelai alors qu’elle m’avait fait part, quelques jours plus tôt, de son intention de prévenir la congrégation. Mais j’étais alité et d’autres choses occupaient mon esprit. Ce détail m’était sorti de la tête.

    Je levai les yeux vers la directrice. Les bras croisés, le visage fermé, elle m’observait. L’espace d’un instant, je crus percevoir une lueur d’inquiétude dans ses pupilles. Craignait-elle que la colère me fasse perdre les pédales ? Se tenait-elle prête à me maîtriser en cas de besoin ou s’inquiétait-elle simplement pour moi ?

    — Et Céleste Karli ? fit une voix. La congrégation ne l’interroge pas ?

    En une fraction de seconde, le visage impassible d’Hardigan devint rouge de colère. Elle se retourna sur le sinistre crétin qui avait osé poser une telle question.

    — Bouclez-la, Growl, gronda-t-elle. Le Ministre Karli ne tient pas à voir sa fille impliquée dans ce genre d’histoires, est-ce bien clair ?

    — Mais…

    — Je vous préviens, Growl, un mot de plus et je vous fais muter dans le cercle arctique ! L’académie Glice manque cruellement d’enseignants. Je suis sûre qu’elle serait ravie de vous accueillir !

    La perspective de passer les prochaines années de sa vie dans le grand froid polaire sembla rafraîchir les ardeurs du professeur Growl, qui tourna les talons, jugeant sans doute plus prudent, pour la suite de sa carrière, de prendre congé sans délai. Nous vîmes l’arrière de son crâne chauve disparaître séance tenant dans le grand escalier mobile de Pherstone.

    Pendant ce temps, le groupe des parents s’était rapproché de nous, et la mère de Senesael, une dame toute menue coiffée d’un chapeau à fleurs et de lunettes dorées, donnait de la voix.

    — C’est un scandale ! Comment osez-vous venir ici vous en prendre à des enfants sans défense !

    Je vis plusieurs personnes sourire. Il faut dire qu’entendre la mère de Senesael, le plus âgé de tous les élèves de Pherstone, parler « d’enfants sans défense » avait quelque chose de joyeusement ironique.

    — Madame, je vous en prie, tempéra l’alchimier Skinner. Nous avons des ordres.

    — Des ordres pour quoi faire ? cracha la petite dame, tandis que la honte poussait Senesael à se tasser sur sa chaise.

    — Madame Orbit, calmez-vous, intervint Hardigan. Je vous assure qu’il ne s’agit que d’une enquête de routine. Vous n’avez pas à vous inquiéter.

    C’est l’instant que mon cerveau, momentanément engourdi par le trouble, choisit pour se réveiller. Une audience qui se tiendra le 24 juin prochain, à dix heures précises. C’était dans trois jours ! Je n’aurais qu’un peu moins de soixante-douze heures pour m’y préparer ! Trop court. Beaucoup trop court… Je sentis un vent de panique m’envahir tandis que, du coin de l’œil, je vis le Ministre Karli retenir Céleste par l’épaule pour l’empêcher d’intervenir. Nul doute que mon amie devait bouillir intérieurement et qu’elle aurait clamé sa désapprobation si son père l’y avait autorisée.

    Ce fut Ambrine qui mit fin à ce moment de flottement, ainsi qu’aux murmures des conversations, en se levant d’un mouvement assuré.

    — Je vous suis, annonça-t-elle de son habituel ton glacial.

    — Moi aussi, renchérit Senesael sous le regard consterné de sa mère.

    — Mais, chouchou, tu…, commença-t-elle.

    — Par l’intégrité du Grand Flux, maman, tais-toi, s’il te plaît !

    La petite dame leva les bras au ciel, puis les laissa retomber lourdement contre ses flancs.

    — Alors ça, c’est un comble ! Même mon fils est contre moi ! pesta-t-elle avant de se renfrogner.

    — Tout le monde se calme, tempéra l’alchimier Skinner. Vous pouvez vous rasseoir. Nous ne sommes pas ici pour procéder à des arrestations, mais pour transmettre un message au nom du Ministre Premier. Je suis ravi que mademoiselle Sweet et monsieur Orbit fassent preuve de bonne volonté. J’espère qu’il en sera de même pour vous, monsieur Parson.

    Les regards convergèrent une fois de plus dans ma direction. J’aurais voulu disparaître dans un trou de souris. Mes amis avaient décidé de ne pas résister aux alchimiers. Logique. Pourquoi l’auraient-ils fait ? Ils n’avaient rien à se reprocher. Moi, en revanche… La somme des souffrances que j’avais causées sous ma forme sephiresque était considérable. J’avais tué ma sœur, mon beau-père, ainsi que trente autres personnes lors de l’incident du Clos des Cygnes ; mutilé Trent et Reyni Kanto ; ôté la vie d’un Garrudo ; et causé d’innombrables dégâts matériels. De quoi la Congrégation Maréchale était-elle au courant ?

    Et, surtout, quelles solutions s’offraient à moi pour échapper à cette audience ? Prendre la fuite ? Pour aller où ? Hardigan n’avait mis qu’une poignée d’heures à me retrouver lors de ma fugue, quelques mois plus tôt, après que mon altercation avec les jumeaux Kanto les eut laissé à moitié morts. Avec la Brigade Exorcelique aux trousses, je parviendrais à peine à quitter l’enceinte de l’école. Je pouvais aussi laisser Guebhoura prendre possession de mon corps et faire le sale boulot à ma place, mais c’était trop dangereux. Mes amis risquaient d’être blessés, mutilés, voire pire encore. Et puis, ces deux alchimiers ne faisaient que leur devoir, ils ne méritaient pas que je m’en prenne à eux. Non, en définitive, je n’avais pas d’autre choix que d’obtempérer et je le leur fis comprendre d’un signe affirmatif de la tête.

    La bouche de l’alchimier Skinner s’étira en un large sourire satisfait.

    — Benjamin est sous ma responsabilité, embraya Fluffy, c’est pourquoi je vous accompagnerai.

    — Dans ce cas, je viens également, renchérit madame Orbit.

    — Très bien, soupira l’alchimier Skinner, comprenant qu’il n’aurait pas le dernier mot. Mais aucun de vous n’aura le droit d’intervenir durant l’audience, sauf demande explicite du jury, nous sommes d’accord ?

    — C’est entendu.

    — Parfait. Et vous, monsieur et madame Sweet, désirez-vous escorter Ambrine ?

    Les deux époux se mirent d’accord d’un regard sur la façon dont il convenait d’agir, puis l’homme se tourna vers sa fille adoptive :

    — Veux-tu que nous venions avec toi ?

    — C’est inutile, merci. Je peux me débrouiller seule.

    — Comme tu voudras, se contenta de répondre monsieur Sweet.

    À mon grand étonnement, la discussion en resta là.

    Le couple Sweet emboita le pas au Ministre Karli, qui quittait Pherstone avec Céleste et sa famille, et tous s’éclipsèrent par la grande porte, ne laissant dans le hall que les alchimiers, Hardigan, Fluffy, Senesael, sa mère, Ambrine, et moi.

    — Que faisons-nous maintenant, messieurs ? demanda Fluffy. Avez-vous reçu l’ordre de nous garder en détention jusqu’à l’heure du départ ou pouvons-nous rentrer chez nous ?

    — Toi, le démon, tu la fermes ! s’emporta brusquement l’alchimier Tenmaï. Qui t’a autorisé à t’adresser à nous de cette façon ?

    L’alchimier Skinner devait avoir l’habitude de ce genre de débordement, car il ne fit montre d’aucune surprise et se contenta d’apposer la main sur la poitrine de son équipier. L’espace d’un instant, je me demandai s’il manipulait ses sentiments pour le calmer.

    — Tout doux, Kei. Je suis certain que monsieur ne voulait pas nous manquer de respect, n’est-ce pas ?

    — En aucune façon, se défendit Fluffy. Je m’inquiétais simplement du bien-être de Benjamin.

    — Tu vois ? Aucune raison de t’énerver. Veuillez pardonner mon collègue, il est un peu sur les nerfs ces temps-ci. Pour répondre à votre question, monsieur Fluffy, vous pouvez tous rentrer chez vous. Nous vous attendrons dans trois jours à huit heures précises à la station des globes d’Innsbergue. Aucun retard ne sera toléré.

    — Il n’y en aura pas, soyez rassurés.

    — Je l’espère pour vous. Dans le cas contraire, un mandat d’arrêt international serait lancé à l’encontre de Benjamin. Vous comprenez aisément que ce n’est pas dans son intérêt.

    — Un mandat d’arrêt international ? m’étranglai-je. Contre… moi ?

    — Ne t’en fais pas, me rassura Fluffy. Cela n’arrivera pas.

    Je n’en étais guère convaincu, mais je fis mine de le croire afin que nous puissions prendre congé des alchimiers et regagner notre maison de la rue des Embruns.

    Sur le chemin du retour, je ne manquai pas de bombarder le démon bonbon de questions.

    — Qu’est-ce qu’ils me veulent ? Tu crois qu’ils sont au courant pour ma sephira ?

    Je marchais d’un pas rapide, mon ami pelucheux perché sur mon épaule.

    — Difficile à dire, répondit ce dernier. Le mandat d’arrêt international qu’ils ont menacé de lancer est d’ordinaire réservé aux criminels de haut rang. Or, sauf erreur de ma part, tu n’en es pas un. À moins que tu ne me caches un lourd secret ? ajouta-t-il avec un clin d’œil malicieux qui me détendit un peu.

    — Non. Bien sûr que non. C’est Hardigan qui les a prévenus, ajoutai-je.

    — Cela ne fait aucun doute. Tu te souviens ? Je t’avais dit qu’elle était une femme ambitieuse, qui vise depuis toujours le poste d’Administratrice de la Congrégation Maréchale. Elle tient ici une occasion en or de faire parler d’elle. Imagine un peu : le retour de Monger Dooms, qui a envoyé la terrible Lady Fantôme pour s’emparer de son fils infecté par une sephira. Et c’est elle, Prenda Hardigan, directrice de Pherstone, qui l’en a empêché. Elle ne pouvait décemment pas laisser passer l’occasion d’en informer les ministres de la congrégation.

    — Je vois. Elle compte m’utiliser pour avoir une promotion.

    — En effet. Mais cela ne veut pas dire qu’elle va te laisser tomber. Au contraire, elle a tout intérêt à te garder sous la main. Dans notre situation, c’est plutôt une chance.

    Je soupirai, las de toutes ces manigances. Ma première année en tant qu’exorceleur venait à peine de se terminer que, déjà, d’autres ennuis pointaient le bout de leur nez. Une fois de plus, je me surpris à regretter le temps où je n’étais qu’un simple collégien.

    Mon calvaire ne faisait pourtant que commencer. Avec le recul, mes petits atermoiements me paraissent bien ridicules en comparaison du terrible événement qui se préparait dans l’ombre. Un rebondissement qui allait profondément et durablement transformer la société exorcelique.

    CHAPITRE 2

    SONGE

    Je dormis très mal cette nuit-là, mais pas pour les raisons que vous croyez. En effet, les inquiétudes liées à mon interrogatoire s’évanouirent dès l’instant où Michy vint se rouler en boule contre mon flanc et posa son museau sur ma poitrine. En revanche, à peine endormi, je fus assailli par une série de songes étranges. Ou plutôt de cauchemars. Je rêvai que je me trouvais à nouveau aux abords du passage en étoile. Mon père me demandait de le suivre dans le Monde des Ténèbres. Tous mes amis étaient présents et m’encourageaient à l’accompagner. Ils disaient que la communauté exorcelique était devenue arrogante, aveugle à ses défauts, qu’elle méritait de disparaître. Céleste hurla : « Mon père va réduire tous les démons en esclavage, regarde ! » Là, elle se transforma en un Hilarius Karli qui fouettait Maleketh, entravé à ses pieds. Ce dernier suppliait pour sa vie : « Pitié, monsieur… Je serai sage désormais. Je promets d’être un bon démon et de vous donner toute mon énergie. Oui, monsieur. » Cette scène révoltante me souleva le cœur. Je voulus protester, mais une petite mélodie provenant d’une boîte à musique me fit tourner la tête. Le rêve se transforma… Je me retrouvai dans un environnement entièrement noir. Seule une petite zone éclairée par une improbable lumière divine laissait voir un sapin de Noël autour duquel valsaient des personnages en habits d’hôpital. Je reconnus les blouses de Saint-Supplice. La boîte à musique était posée sur une table. Ma mère était assise à côté. Je remarquai alors que la petite ballerine, qui dansait au rythme de la musique, affichait les traits de ma sœur disparue. Ma mère ne la quittait pas des yeux. Lady Fantôme était là, elle aussi, mais elle n’avait plus rien de la femme au visage arraché que j’avais rencontrée. Au contraire, elle était presque belle et elle caressait les cheveux de ma mère avec tendresse en lui murmurant des paroles réconfortantes. Puis la porte de la pièce s’ouvrit brutalement et un homme balafré entra. Sans un mot, il désigna ma mère à ses sbires, vêtus comme des alchimiers, qui s’en emparèrent. J’entendis l’un d’eux murmurer : « Elle nous sera utile pour maîtriser la bête. »

    La colère me fit ouvrir les yeux. J’étais de retour dans ma chambre. Michy me léchait la joue pour m’apaiser. J’avais dû m’agiter, car mes draps et mes couvertures avaient glissé au pied du lit. Une sueur glacée collait mon pyjama à ma peau.

    — Tout va

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1