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Trilogie Dévoria
Trilogie Dévoria
Trilogie Dévoria
Livre électronique976 pages12 heures

Trilogie Dévoria

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À propos de ce livre électronique

Coffret Trilogie Dévoria
___

L’épée de la gloire

Ils l’avaient tous oubliée, mais elle est de retour…

* * *

Jeune lieutenant prodige, Nyrion a toujours ardemment défendu chaque recoin de Namphis face aux terribles créatures qui y rôdent. Loyal et courageux, il inspire la fierté de l’aristocratie.

Un beau jour, son dévouement s’effrite suite aux agissements suspects du seigneur à qui il obéit aveuglément depuis toujours. Sa vie est doublement ébranlée quand les éternelles frontières entourant Namphis disparaissent subitement, révélant trois nouvelles régions mystérieuses et inconnues.

Nyrion devra faire face à ces nouveaux mondes étranges, mais aussi à son propre souverain, qui n’est peut-être pas aussi bienveillant qu’il le croyait...
___

La clé des Mandanes

Ils l’avaient tous oubliée, mais elle est de retour…

* * *

Loungaro, un jeune Mandane qui vit au centre de galeries souterraines, se rebelle contre les siens quand il découvre la vérité sur l’univers extérieur qui les entoure. Il s’empare alors de la relique que son peuple cachait depuis déjà trop longtemps. S’ensuit pour lui une aventure qui changera le cours de son histoire.

Au travers de son périple dans un monde désormais sans frontières, le jeune Mandane rencontre des créatures qui lui partageront leur savoir ainsi que des ennemis voulant s’approprier son trésor. Ces derniers apprendront à connaître son animalité au péril de leur vie.
___

Le druide de la vallée

Ils l’avaient tous oubliée, mais elle est de retour…

* * *

Alors que tout semblait si tranquille dans la Vallée, les frontières magnétiques la séparant du continent tombent, grugeant la planète et menaçant d’anéantir toutes les espèces.

Le Druide de la Vallée, nouvellement adoubé, se retrouve responsable d’une population effrayée qui ne sait comment réagir face à un monde à la dérive. Sa courte expérience druidique pourrait malheureusement ne pas être suffisante lorsque viendra le temps de s’aventurer en territoires inconnus et d’affronter les dangers qu’ils comportent…
___
Trois romans – Trois quêtes – Un seul but

Une série à lire en entier… dans l’ordre désiré!
LangueFrançais
Date de sortie8 avr. 2020
ISBN9782898086526
Trilogie Dévoria
Auteur

Alexandre Charbonneau

Alexandre Charbonneau est un auteur passionné par la fantasy et le fantastique. Très lunatique lorsqu’il était jeune, son esprit vagabondait dans toutes sortes de mondes imaginaires. Il s’inspire des films, des jeux vidéo et des animes japonais. Il adore créer des scènes de combats et se concentrer sur l’action pour alimenter un rythme rapide. Il publie chez les Éditions AdA Rêves et cauchemars en 2018 puis Dévoria: L’épée de la gloire en 2020. Il publie ensuite la série dark fantasy Les mercenaires en 2021.

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    Aperçu du livre

    Trilogie Dévoria - Alexandre Charbonneau

    Copyright © 2020 Alexandre Charbonneau

    Copyright © 2020 Éditions AdA Inc.

    Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans le cas d’une critique littéraire.

    Éditeur : François Doucet

    Directeur de collection : L.P. Sicard

    Révision éditoriale : Myriam de Repentigny

    Révision linguistique : Ariane Millette

    Idée originale : Justin Lemire, Danny Rotondo et Alexandre Charbonneau

    Illustration et conception de la couverture : Mathieu C. Dandurand

    Conception de la carte : Justin Lemire, Alexandre Charbonneau et Danny Rotondo

    Illustration de la carte : Pascale Chassé

    Mise en pages : Sébastien Michaud

    ISBN papier : 978-2-89808-315-0

    ISBN PDF numérique : 978-2-89808-316-7

    ISBN ePub : 978-2-89808-317-4

    Première impression : 2020

    Dépôt légal : 2020

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives Canada

    Éditions AdA Inc.

    1385, boul. Lionel-Boulet

    Varennes (Québec) J3X 1P7, Canada

    www.ada-inc.com

    info@ada-inc.com

    Participation de la SODEC.

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.

    Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC.

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre : L’épée de la gloire / Alexandre Charbonneau.

    Noms : Charbonneau, Alexandre, 1986- auteur.

    Collections : Collection Panache.

    Description : Mention de collection : Dévoria | Panache

    Identifiants : Canadiana 20200072730 | ISBN 9782898083150

    Classification : LCC PS8605.H36584 E64 2020 | CDD jC843/.6—dc23

    PARTIE 1

    LE SOLDAT LOYAL

    Prologue

    5 jours avant la catastrophe

    —  N e va pas là. Si tu vas là, tu meurs.

    Nyrion espérait que sa phrase-choc, suivie de son regard dur, convainque son petit frère, mais le sourire de ce dernier ne fit que défaillir une demi-seconde.

    — Personne à Namphis n’a le droit d’y aller, Forun, rajouta-t-il. On ne l’appelle pas la caverne interdite pour rien…

    — Mais pourquoi c’est interdit ? demanda son cadet avec arrogance.

    Uromis s’approcha en arborant un air amusé. En sillonnant le sable de son pied, il lança, d’un ton infantile :

    — Oui, Nyrion, pourquoi le seigneur ne veut-il pas qu’on y entre ?

    Son interlocuteur soupira sous son casque de soldat, agacé par l’immaturité de son collègue lieutenant. Malgré leur éternelle amitié, il ne s’était jamais accoutumé à certaines de ses manies, comme sa constante raillerie envers la tradition.

    — Dans l’armée du seigneur, on ne pose pas de questions, on obéit, lâcha Nyrion.

    Après avoir prononcé ces mots, il cilla ; sa voix avait été plus ferme qu’il ne l’aurait voulu. Il cilla à nouveau en constatant la réaction d’Uromis : celui-ci affichait un air vaguement mélancolique.

    Brièvement distrait par le visage de son ami, il revint à lui en entendant des bruits de pas rapides. En fronçant les sourcils, il discerna son frère qui s’élançait vers la caverne.

    — Forun ! Je t’ai dit de ne pas y aller ! hurla Nyrion.

    Le lieutenant fila à la poursuite de son frère. Une violente bourrasque projeta du sable vers lui, troublant sa vision et ralentissant sa course un bref moment. L’inconfort passé, il reprit le mouvement. Les six soldats qui l’accompagnaient l’imitèrent, mais les vingt apprentis demeurèrent interdits, échangeant des regards perplexes. Leur indécision pouvait être perçue au loin dans le désert.

    — Il court sacrément vite ! constata Nyrion en grinçant des dents.

    Empoignant l’épée de cristal rangée dans son dos, il songea, entre deux halètements, à une manière de l’arrêter, mais c’était son frère, pas une créature de Namphis en fuite ; il ne pouvait pas lui projeter sa lame !

    — Arrête ! cria-t-il à nouveau.

    Trop tard. Forun entrait à la hâte dans la caverne.

    Nyrion y arriva quelques secondes plus tard et freina sa course tout juste devant l’entrée. Il glissa un œil prudent dans l’imposante obscurité du couloir rocheux, ne discerna rien. Les ténèbres semblaient surnaturelles ici, les rayons du soleil éclatant n’arrivant pas à percer cette noirceur oppressante.

    Tandis que ses soldats le rattrapaient, le visage du lieutenant se crispa d’angoisse. Il ne pouvait pas entrer là-dedans, ça serait une trahison envers le seigneur. Il avait l’impression de sentir la main de celui-ci se poser sur son épaule, comme pour lui rappeler son interdiction.

    — Forun ! Sors de là, par tous les dieux ! aboya-t-il.

    Une silhouette charbonneuse s’approcha doucement dans le noir. Tout le monde dégaina son épée, puis les muscles de leur corps se détendirent en constatant que c’était Forun.

    — Je t’avais dit de ne pas aller là ! tonna Nyrion en levant les bras. C’est très grave ! Quand donc vas-tu m’écouter ? Tu vas devenir un soldat après notre tournée de la région ; agis donc comme tel !

    Son frère balaya ses reproches du revers de la main et répliqua :

    — Oh, allez ! Ce n’est rien, enfin… Ça fait du bien de changer de décor un peu. L’éternel désert finit par ennuyer. Et puis, il n’y a rien de dangereux là-dedans ; juste une sorte de montagne rocheuse…

    — Une montagne rocheuse ? laissa échapper un soldat derrière eux tandis que les cadets rattrapaient le groupe avec Uromis.

    — Bon ! s’exclama ce dernier, interrompant du même coup la deuxième vague de blâmes de Nyrion. Gardons cet incident pour nous. Il n’y a pas eu de blessé, c’est l’essentiel. Continuons la marche de Namphis. Apprendre et explorer font partie de l’expérience que doivent acquérir tous les soldats. Allons maintenant vers le village de Mine.

    Son équipier fit la moue un moment, puis approuva de la tête. Le groupe reprit la route.

    Nyrion lança un dernier regard inquiet vers la caverne interdite, puis accéléra la cadence.

    Durant les deux premières heures de marche, Nyrion demeura taciturne, encore secoué par la dernière bêtise de Forun. Le vent agitait sa longue cape bleue tandis qu’il examinait son frère. Il était si différent de lui. La loyauté, la discipline et le dévouement versus l’insoumission, l’indifférence et l’immaturité… Parfois, il trouvait que son cadet ressemblait plus à Uromis qu’à lui-même.

    Il étudia ensuite son ami du regard. Sa cape commençait à être sacrément usée. Il faudrait qu’il songe à la remplacer. À moins qu’il devienne commandant ; il en aurait alors une nouvelle de couleur rouge. Aurait-il ce statut un jour ? Difficile à dire… Ses prouesses militaires étaient certes indiscutables, et ses hommes avaient un profond respect pour lui. Malheureusement, trop nombreux étaient ses traits de personnalité incompatibles avec le système… que ce soit son manque de sérieux, l’aura d’ironie qui semblait constamment accrochée à lui ou son irrévérence envers la hiérarchie.

    Pour Nyrion, c’était le contraire : il était quasiment inscrit dans les étoiles qu’il deviendrait commandant. Son père en était un très respecté qui venait de prendre sa retraite, et beaucoup s’attendaient à ce que le fils reprenne le flambeau. Loyal, déterminé, combatif : il avait toutes les qualités requises. Uromis ajoutait parfois « aveugle » dans les prérequis, blague que Nyrion n’avait jamais vraiment saisie. Son confrère lieutenant ne l’avait jamais encouragé à monter en grade. Les amis n’étaient-ils pas là pour nous rassurer quand le doute et l’angoisse traînaient à nos portes ? Pourtant, c’était à peine si Uromis ne les lui ouvrait pas !

    La voix de ce dernier le surprit et le fit revenir sur terre.

    — Alors, tout le monde ! Vous voyez, là-bas, au loin, c’est la tour abandonnée. Elle a vécu de bien nombreuses guerres… Et, de l’autre côté complètement, on peut vaguement apercevoir, derrière notre tour noire, celle de la commandante Niora.

    Les cadets suivaient le doigt d’Uromis de leur regard intrigué, parfois même passionné.

    — Plus loin après ça, il y a la mer, mais c’est très dangereux… Comme vous l’avez sûrement déjà tous entendu dans les histoires, le terrible Millavor, un monstre marin, y rôde parfois. Malheureusement pour nous, c’est l’un des deux seuls coins d’eau auxquels nous avons accès, le reste étant évidemment bloqué par nos frontières que nous aimons tant !

    Difficile de dire si son ton était sarcastique, cynique ou moqueur ; on aurait dit qu’il y avait un peu de tout.

    — Et, bien sûr, par ici…, murmura-t-il en pointant vivement une nouvelle direction, la titanesque tour de notre seigneur adoré !

    — Uromis ! Un peu de sérieux…, grommela Nyrion.

    — Bon, bon, désolé !

    Nyrion soupira en levant les yeux au ciel. C’était une étape cruciale pour tous les soldats ; l’heure n’était donc pas à l’humour de mauvais goût… Uromis en avait pourtant lui-même rappelé l’importance tout à l’heure.

    — Comment fait-on pour avoir des épées enchantées comme celles des commandants ? demanda Forun, d’un ton plus neutre, mais toujours teinté de son éternelle arrogance.

    — Eh bien, on devient commandant, pour commencer…, souffla Nyrion d’une voix moralisatrice. Et puis, on ne se moque pas sans cesse de la hiérarchie.

    — Il paraît que celle de la commandante Niora projette du froid mortel !

    — Son épée est aussi glaçante que son regard, confirma Uromis, le sourire en coin. Mais commence par devenir lieutenant ! Même si je sais que nos épées ne sont pas si impressionnantes, tu sais, ce n’est pas aussi facile que ça en a l’air.

    Il adressa un clin d’œil amical à Forun. Encore une fois, leur complicité fit tiquer Nyrion. Même si c’était graduel et subtil, sa propre relation avec son frère devenait de plus en plus froide. En fait, ils ne se parlaient presque plus. Aujourd’hui était une exception à cause de la marche de Namphis. Le jeune lieutenant avait d’ailleurs été le dernier à apprendre que son frère avait aisément gagné le concours Échéa, un événement au cours duquel les soldats cadets s’entraînaient à escalader à la hâte des montagnes et à grimper sur le dos de certaines créatures immenses, dans le but de déterminer lequel d’entre eux était le meilleur dans le domaine.

    — La tour abandonnée est également intéressante, souligna un autre cadet et ami de Forun.

    — Oui, j’aurais aimé qu’on y fasse un tour, rumina Forun. À moins que ce soit interdit aussi ?

    Son regard goguenard dardait son grand frère.

    — Les gens racontent qu’elle est hantée, commenta Uromis d’un ton exagérément théâtral.

    — Les gens devraient cesser de raconter autant et agir à la place. Il faut être plus à l’affût que jamais. Les créatures se multiplient considérablement à Namphis et…

    — Parlant de créatures…, le coupa Uromis d’un ton sérieux.

    Nyrion et les autres suivirent son regard troublé. Au loin, on discernait le village de Mine.

    Celui-ci était en train de se faire attaquer par un Graagos, le monstre le plus dangereux du désert.

    JOURNAL DE DIINBAD

    Demain, je commence en tant que soldat.

    Voilà, ça y est. C’est arrivé. Demain, je quitte le village de Mine pour m’installer à la tour noire.

    Je ressens une certaine forme de peur, mais surtout de l’excitation. Enfin, je vais pouvoir faire quelque chose de concret de mes deux bras. Je vais pouvoir défendre les autres. Défendre Namphis des monstres, avec mes futurs frères soldats.

    Hier, le lieutenant Nyrion est venu nous voir, les autres cadets et moi. Il nous a souhaité d’avance la bienvenue dans l’armée de Namphis. Je l’avais déjà vu à quelques reprises, mais c’était la première fois qu’il me parlait. Il m’a semblé être une personne bienveillante et déterminée. Je n’aurai certainement pas de honte à suivre les ordres d’une telle personne. On dit qu’il est le lieutenant le plus fort du désert. Certains croient même qu’il pourrait être aussi puissant qu’un commandant. Apparemment, son épée peut temporairement accentuer sa force de manière impressionnante. Un jour, j’en aurai peut-être une aussi fantastique, mais une chose à la fois.

    C’est le père de Nyrion qui est commandant de la tour noire. On dit qu’il est proche de la retraite.

    Mon père, quant à lui, dit que si je m’entraîne fort, je pourrai monter en grade rapidement. Il me répète sans cesse qu’il est fier de moi. Il aurait bien tenté de rentrer dans l’armée, lui aussi, mais il s’est fait attaquer par une créature qui lui a gravement blessé la jambe. Il en est devenu handicapé, boitant comme un vieillard. Ce n’est pas grave ; il voit en moi une sorte de deuxième chance dans le monde militaire.

    Ma mère, elle, est toujours inquiète, comme d’habitude. Encore plus maintenant que je pars demain. Les choses se concrétisent. Pour la rassurer quand le sujet des créatures de Namphis a été abordé à l’heure du souper, je lui ai dit que je serai justement plus en sécurité avec tout un bataillon de soldats entraînés pour tuer ces créatures. Ça a semblé fonctionner jusqu’à aujourd’hui. Je suis sûr qu’au fond, elle est quand même heureuse pour moi.

    Très bientôt, tout commencera. Ma carrière de soldat !

    Chapitre un

    5 jours avant la catastrophe

    Confortablement assis sur sa chaise, Karman exhala un soupir d’aise, puis arbora un sourire ravi. Cela faisait du bien d’être en congé. Lorsque l’on était soldat, on focalisait tellement sur les batailles constantes qu’on en oubliait les petites choses de la vie. Son regard tomba sur les habitants qui semblaient heureux, la plupart arborant des mines fières et réjouies. C’était pour ça qu’il se battait. Pour qu’ils conservent ces expressions, à tout prix. Ce n’était pas toujours chose facile avec les terribles créatures qui ratissaient la région…

    Entre deux bouchées de pain chaud, il examina sa sœur d’armes, assise de l’autre côté de la table. La petite blonde embellissait chaque jour. Pas étonnant que Nyrion fût amoureux d’elle. Il rigola intérieurement en pensant au jeune lieutenant qui croyait son béguin encore secret tandis que celui-ci animait les conversations dans la tour noire depuis un bail.

    Remarquant que Karman la contemplait, Émeraude afficha un sourire mi-incertain, mi-amusé. Elle lança :

    — C’est drôle comme on ne te reconnaît plus sans ta pile d’armures !

    — Oui, je me sens plus léger !

    Éclat de rire général, sauf de la part d’Aurandre, qui conservait son éternelle expression rembrunie.

    — C’était une sacrée expédition que tu as faite à Rhadi, remarqua Émeraude. On n’a cessé de me raconter tes prouesses. Tu dois être fier de toi !

    — La fierté est une armure de verre, dit Karman en se massant le menton.

    La soldate blonde roula des yeux avec un sourire découragé. Lui et ses phrases philosophiques !

    Assise à sa droite, Valéria étudiait le colosse, l’expression à la fois amusée et impressionnée. Chaque fois qu’elle visitait le coin et qu’elle voyait Karman, elle était toujours frappée par sa masse de muscles. Elle lança :

    — Même si tu es le seul de nous quatre sans cuirasse, tu demeures le plus imposant physiquement… et de loin !

    Karman éleva une main modeste.

    — De toute façon, les créatures de Namphis ne font pas la différence. Ils sautent sur le premier qui apparaît dans leur champ de vision. C’est gentil, en tout cas, d’être passée me voir au village.

    — Pas de quoi ! répondit la rouquine, imitée par Émeraude.

    Aurandre, lui, hocha vaguement la tête en ébauchant une moue désabusée, ce qui voulait dire « de rien » dans son langage d’asocial marginal.

    Émeraude tourna la tête vers Valéria.

    — Alors, sœurette, comment ça se passe au Nord ? Rien de nouveau ?

    La rousse détacha son regard des muscles de Karman et croisa celui de sa sœur.

    — Non, enfin… à part l’accroissement du nombre de créatures, mais ça, c’est partout pareil. Le commandant Urion est toujours égal à lui-même : calme et pragmatique. Les connards du conseil de la ville de Rakas sont toujours égaux à eux-mêmes aussi !

    Karman et Émeraude s’esclaffèrent, mais pas Aurandre, qui demeura morne et renfermé. Le contraste était étrange ; on aurait dit la Faucheuse à une fête d’anniversaire.

    — Je passais aussi par là, car j’étais en route pour la tour abandonnée, poursuivit Valéria avec une mine soudainement plus sérieuse. Le commandant m’a demandé d’aller l’inspecter. De plus en plus nombreux sont les gens sous le choc qui tiennent des discours comme quoi l’endroit serait dangereux et terrifiant. Il y a même des soldats parmi ces personnes. On ne pouvait pas ignorer cela plus longtemps, malgré les diverses invasions de bêtes partout à Namphis, qui monopolisent notre énergie.

    Un petit sourire condescendant retroussa les lèvres d’Aurandre, qui souffla :

    — Tu es sûre qu’ils ne jouent pas la comédie ? Ça semble être une mode, dernièrement : les soldats qui disent que c’est hanté et qui demandent un congé pour se remettre. Une bande de lâches…

    — Je ne sais pas. Je ne crois pas qu’ils jouent la comédie, mais je vais aller voir pour en être certaine.

    Émeraude joignit les mains sous son menton, songeuse.

    — Hum… Ceux d’en haut doivent vraiment commencer à prendre ça au sérieux s’ils envoient une lieutenante.

    Aurandre leva les yeux au ciel.

    — On devrait se concentrer sur les créatures du désert au lieu de perdre notre temps avec ces bêtises !

    Il ressentit une bouffée de colère, mais se dégonfla rapidement en constatant que personne n’y répondait. Émeraude ébaucha un vague sourire de compassion. La hargne d’Aurandre n’avait pas diminué d’une once depuis que des monstres de Namphis avaient massacré sa famille, il y avait de cela trois ans. Depuis, tout ce qui l’intéressait, c’était d’en tuer le plus possible. La voilà bien loin, l’époque où ses priorités étaient de protéger le peuple et de faire la fierté de l’armée. Jadis une personne enjouée, il n’était plus, aujourd’hui, que l’ombre de lui-même, un désir de vengeance ambulant.

    Ponctué par la paisible et joyeuse musique qui résonnait dans le village, le silence qui s’était installé après la saute d’humeur d’Aurandre était non seulement malaisant, mais aussi un brin bizarre.

    — Tu as peut-être raison, ce pourrait être de la comédie, approuva Émeraude de sa douce voix. Moi, j’ai entendu dire à la tour noire que des soldats s’amusaient à foncer sur la frontière pour se faire repousser par son énergie répulsive. Ils trouvent ça marrant, apparemment !

    En effet, il y avait, tout autour de Namphis, un mur de force magique. Celui-ci était infranchissable, indestructible, et repoussait brutalement tout ce qui s’en approchait de trop près. En raison de la translucidité du mur, ce qu’il y avait au-delà demeurait un mystère pour tous.

    La soldate blonde esquissa une moue ; elle pensait calmer Aurandre en étant d’accord avec lui, mais sa dernière remarque la fit grincer des dents. Un énième soupir plus tard, celui-ci marmonna :

    — Et après, certains disent que le seigneur est trop sévère ! Peut-être ne l’est-il pas assez…

    — Parlant d’indiscipline, il paraît que Forun fait la marche, aujourd’hui ? crut se souvenir Karman. C’est Nyrion lui-même qui s’occupe de le guider, non ? Ça doit être amusant. Je me demande s’il va faire un bon soldat !

    — Oui, Uromis est avec lui aussi, précisa Émeraude. Je pense que Forun sera un bon atout, suffit de le laisser vieillir un peu !

    — Forun fait la marche de Namphis… Le temps passe trop vite, murmura Valéria, le sourire en coin, en traçant des lignes dans le sable du bout de son épée.

    Le quatuor suspendit sa conversation en fronçant synchroniquement les sourcils ; une ombre volante passait au-dessus d’eux, de plus en plus imposante et accompagnée d’une vibration agressante.

    Ils fixèrent le ciel : quelque chose d’énorme, se situant à une cinquantaine de mètres de hauteur, chutait rapidement.

    — C’est…, bafouilla Émeraude d’une voix étranglée.

    L’énorme bête s’écrasa contre une maison, faisant éclater cette dernière en mille morceaux. L’assourdissant bruit de destruction résonna partout dans le village. Les cris terrifiés des villageois s’élevèrent par ailleurs tandis que le monstre se relevait.

    — Un Graagos ! s’écria Valéria en dégainant son arme, aussitôt imitée par ses trois équipiers.

    Les quatre soldats s’élancèrent vers la créature reptilienne qui, maintenant complètement redressée, fixait les alentours d’un œil vif et sadiquement intéressé. De violents spasmes secouèrent sa gorge, puis il ouvrit grand sa gueule et dégurgita plusieurs dizaines de Krenzs.

    Ces derniers étaient des créatures reptiliennes bipèdes de la taille d’un homme adulte. Elles avaient la peau jaune rugueuse et un visage squelettique. Très agressives, elles utilisaient leur vitesse et leurs griffes acérées pour s’attaquer aux habitants de Namphis, parfois sous les ordres d’un Graagos. En effet, depuis une vingtaine d’années, ceux-ci avaient développé une nouvelle stratégie d’attaque que ne pouvait pas encore contrer efficacement l’armée de Namphis : avaler un groupe de Krenzs, sauter par-dessus les murailles et les défenses, puis régurgiter la meute en plein cœur d’une ville ou d’un village.

    À peine tombés au sol, les Krenzs se relevèrent en chargeant vers les villageois, leur bondissant dessus pour les mordre et les défigurer.

    — Il n’y a pas assez de gardes dans le village pour affronter un Graagos ! s’exclama Karman en courant vers une famille qui se faisait attaquer par un Krenz, agrippant ce dernier, puis le projetant par-derrière.

    Dos à dos, les deux sœurs en affrontèrent une bonne dizaine. Chaque fois qu’elle prenait son élan, la blonde émettait un rugissement imposant, ce qui contrastait avec son visage doux. L’épée fine de Valéria s’illumina en jaune un bref moment et, aussitôt, sa vitesse quadrupla ; elle tua trois Krenzs en une seconde. Malheureusement, le pouvoir de son épée s’estompa rapidement.

    Aurandre jeta une série de vifs coups d’œil aux alentours et décida de foncer vers un grand entrepôt qui se faisait ravager par une dizaine de Krenzs. Aucun soldat ni villageois n’y était ; les créatures s’acharnaient plutôt sur la nourriture.

    — Je vais tous vous tuer ! vociféra-t-il, le regard flambant de haine.

    — Aurandre ! Ne t’éloigne pas trop ! cria Karman avant de se faire assiéger par trois Krenzs qui lui bondirent dessus tandis que la famille restée derrière demeurait figée de terreur.

    Le soldat ne tint pas compte de l’imposante voix de Karman, qui s’était fait entendre partout dans le village malgré le chaos.

    Il transperça le dos d’un Krenz qui était concentré sur un tonneau. En synchronie et avec une vivacité déroutante, les autres se retournèrent et se précipitèrent vers lui. Le soldat agita son épée dans tous les sens, mais les créatures, habituées à affronter ces lames, reculaient puis s’avançaient à répétition, les crocs acérés tendus, attendant une ouverture. L’un d’eux, plus audacieux que les autres, bondit soudainement sur le soldat. Ce dernier n’eut pas le temps d’aligner sa lame ; il chuta sur le dos avec le monstre agrippé à lui.

    — Va-t’en ! Dégage ! hurla-t-il tandis qu’il se faisait mordre par deux, puis quatre Krenzs.

    Se mêlant à la haine, un vague désespoir scintillait dans ses iris tandis qu’il sentait la mort venir. Il ouït un rapide élan au-dessus de sa tête et leva les yeux au moment où une épée de cristal lancée se plantait dans l’un des Krenzs au-dessus de lui. Puis, une silhouette bondit sur la créature et, tout en descendant du monstre qu’elle venait de tuer, reprit son arme et se mit à la faire tournoyer au visage des autres bêtes.

    Accompagné d’Uromis, qui l’avait rejoint à l’entrepôt, Nyrion acheva le dernier Krenz, puis observa le Graagos ravager deux autres maisons au loin. Celui-ci semblait encore plus violent et au comportement plus chaotique que tous ceux qu’il avait croisés dans le passé.

    — Un Graagos ici, à Mine ? s’étonna Uromis en haletant.

    — Soldats ! Tous avec moi sur le Graagos ! ordonna Nyrion en sortant précipitamment de l’entrepôt. Les cadets, protégez les villageois contre les autres Krenzs ! ajouta-t-il en fonçant aussitôt vers le centre du bourg.

    Les rugissements effroyables du monstre éclatèrent et retentirent partout dans le village, paralysant les jambes de quelques soldats l’instant d’une seconde. C’était comme si le monstre les défiait de s’approcher.

    En courant, Nyrion balaya les alentours d’un rapide coup d’œil : Valéria et Émeraude s’en sortaient bien, Aurandre se relevait péniblement et Karman avait réussi à briser le cou des Krenzs qui s’attaquaient à une famille. Beaucoup de morts et de blessés partout. Le chaos arrachait des cris hystériques aux bouches et la panique totale marquait les expressions.

    Premier arrivé devant le Graagos, Nyrion évita d’une culbute l’énorme patte griffue, se releva, puis continua à charger sans presque aucune décélération. Il frappa une patte arrière avec son épée, mais la peau était trop solide pour être percée. Il concentra son esprit sur sa lame un instant afin qu’elle devienne rouge, posa sa main contre la patte et, soudainement habité d’une force surhumaine, la poussa. Le Graagos s’enfargea, mais se redressa aussitôt, tourna sur lui-même rapidement et donna un coup de sa queue dentée au lieutenant. Le choc brutal le projeta en l’air.

    — Nyrion ! hurla Karman en courant vers lui.

    Ce dernier fit un grand saut vers son ami et l’attrapa, l’empêchant du même coup d’aller se fracasser la tête contre le mur d’une maison éventrée.

    Nyrion fut étourdi pendant un moment. Lorsqu’il recouvrit la vision, il aperçut des débris partout. Et son ami, couvert de sang.

    — Karman ! Ça… ça va aller ?

    Ce dernier, mal en point, mais coriace, fit signe que oui. Il ne pouvait pas se relever.

    — Vas-y ! s’exclama-t-il péniblement.

    Le jeune lieutenant sortit à la hâte de ce qui restait de la bâtisse et constata que ses soldats et Uromis encerclaient le Graagos. Pour leur part, les Krenzs semblaient tous avoir été vaincus.

    Tandis que la confiance détendait légèrement ses traits, il vit quelque chose qui les fit plutôt se crisper : son frère cadet était en train de foncer vers le Graagos !

    — Forun ! Va-t’en de là ! s’écria-t-il en agitant la main.

    Sans l’écouter, le jeune homme bondit et s’agrippa à la jambe de l’immense créature, sauta de plus en plus haut sur les membres du monstre, puis s’élança juste devant la tête de ce dernier. Alors qu’il préparait un élan puissant de son épée, l’œil alerte de la bête se riva vers lui. Le Graagos ouvrit grand la gueule.

    Toujours en courant, tandis qu’il observait la scène, l’esprit alarmé de Nyrion devint déphasé, déconnecté de tout, l’espace de quelques secondes. C’était une très mauvaise posture !

    Il va mourir.

    Plus près du Graagos, Valéria s’approcha en tendant son épée qui s’illumina en jaune. Soudain, elle se déplaça si rapidement qu’on discernait à peine sa course. Elle effectua plusieurs bonds sur le Graagos, sauta encore et se plaça juste devant Forun — après que le monstre eut évité son coup maladroit en reculant et en chargeant avec sa gueule grande ouverte. Bien qu’il fût brièvement désorienté en voyant Valéria, lui qui visait plutôt Forun, il claqua ses terrifiantes dents sur le bras et l’épaule de la lieutenante. Néanmoins, les épées projetées vers lui ne firent que renforcer son incompréhension, le faisant lâcher la femme, qui chuta au sol près du jeune soldat.

    En voyant la scène, Émeraude demeura interdite, la bouche mi-ouverte.

    Nyrion et Uromis échangèrent un regard entendu et sautèrent en même temps sur le Graagos tandis que les soldats au sol attiraient son attention. Alors que le monstre colossal rugissait de rage, un dernier Krenz sortit de sa gueule, s’agrippa avec ses griffes après une brève chute et se rua vers les deux lieutenants qui couraient sur le dos de la géante créature. Uromis lui trancha la tête, mais ne vit pas à temps l’élan de la queue du Graagos qui le projeta sur le toit d’une maison. Nyrion évita le deuxième coup de queue, fonça vers la tête de la bête et perça son crâne avec son épée, encore et encore, jusqu’à ce que son immense ennemi s’écroule.

    Chapitre deux

    5 jours avant la catastrophe

    Jamais l’infirmerie de Mine n’avait été si remplie. Nyrion, Uromis et Émeraude se tenaient devant les lits de Karman, d’Aurandre, de Valéria et de Forun. Ce dernier s’en était plutôt bien sorti après un face-à-face avec un Graagos, grâce à Valéria qui avait pris le coup à sa place.

    — Ne jamais négliger ta garde au profit de l’offensive, Aurandre, souffla Nyrion d’un ton déçu. Il me semble te l’avoir répété plusieurs fois. Un soldat mort ne sert à rien.

    — Désolé, Lieutenant…, fit Aurandre en se levant de son lit.

    Au moins, ses blessures n’étaient pas si graves. Cela n’amoindrissait pas la déception de Nyrion, qu’il transforma en colère dirigée contre son frère.

    — Et toi, à quoi as-tu pensé ? Seuls les soldats expérimentés maîtrisent les manœuvres pour tuer les Graagos ! J’avais ordonné que les soldats cadets protègent les villageois !

    — Et si les villageois en question étaient dans la gueule du Graagos ? Comment devrait-on les protéger ?

    — Forun…

    Son petit frère roula des yeux, n’arrivant pas à camoufler sa gêne sous son masque d’arrogance.

    — Bon, bon… Pardon…, lâcha-t-il d’un ton languissant.

    — On a eu de la chance avec celui-là, mais très nombreux sont les soldats qui sont tombés face à ces monstres…

    — Je suis contente que tu t’en sois sortie…, susurra Émeraude à sa sœur avec tristesse.

    L’abattement de celle-ci fit s’envoler la colère de Nyrion, telle une feuille balayée d’un coup de vent. Il jeta à nouveau un œil sur les blessures graves au bras et à l’épaule de Valéria, puis esquissa une moue désolée.

    — Oui, mais j’en ai pour plusieurs semaines, répondit la rouquine d’une voix fatiguée et dolente. Encore heureuse que nos armures faites de peau de Graagos soient d’une extrême dureté. Ironiquement, ce sont eux qui m’ont blessée et sauvée en même temps.

    Forun glissa un œil furtif vers elle, la honte scintillant dans ses iris. Il se retourna ensuite vers la fenêtre et son regard se perdit dans le désert.

    Karman, étendu dans le lit d’à côté, conservait sa bonne humeur malgré la blessure à son dos et le chaos sanglant auquel il venait d’assister durant une de ses rares journées de vacances.

    — On a aussi tendance à oublier que ces armures diminuent grandement l’effet de la chaleur, rajouta Karman. Elles sont assurément très pratiques. J’avais presque envie de garder la mienne aujourd’hui ! J’aurais peut-être dû. Qui court après la chance attrape souvent la malchance…

    Tout en s’étirant le bras, Uromis souligna, un sourire en coin :

    — Tu ne courais pas après la chance ! Pas besoin de mettre une armure à Mine ; les créatures n’attaquent jamais là. La tour du seigneur est proche et les troupes sont trop nombreuses autour. Ce qui est arrivé aujourd’hui est une première…

    Nyrion se caressa le menton du pouce, l’esprit songeur. Il lança :

    — Ça veut dire que des soldats ont été vaincus aux alentours. Je vais envoyer des patrouilles. En tout cas, merci, Karman, d’être venu à ma rescousse et désolé pour ton dos, qui est une nouvelle fois blessé…

    — À vieille plaie, nouvelle blessure. Je n’ai plus vingt ans, mais je suis convaincu que je vais me rétablir en un rien de temps !

    L’éternel optimisme du soldat vétéran fut accueilli par un sourire général. Puis, Nyrion fit signe à Uromis qu’il voulait lui parler dehors.

    — Je peux venir avec vous ? demanda Aurandre. J’aimerais bien prendre l’air, un peu…

    Les deux lieutenants échangèrent un regard indécis, puis Nyrion approuva de la tête.

    Aurandre sortit presque sans difficulté jusqu’à l’extérieur, boitant à peine. Nyrion salua intérieurement sa ténacité, puis soupira en se disant que c’était sans doute son éternelle colère qui lui servait de béquille.

    Le trio se dirigea vers l’extrémité nord du village, qui était tout près. Puis, Nyrion lança :

    — Bon… Voilà un moment que les créatures de Namphis se montrent plus chaotiques que jamais. Cette dernière attaque va convaincre les derniers sceptiques. Je vais aller à la tour du seigneur et le rencontrer pour lui demander ce qu’on doit faire.

    Sa décision fut accueillie par une expression de malaise sur le visage d’Uromis, tandis que l’étonnement se peignait sur celui d’Aurandre, qui s’exclama :

    — Waouh ! Vous allez voir le seigneur ? Et lui parler ? Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour être à votre place ! Vous allez me dire ce qu’il vous a dit, hein, Lieutenant ? Il va faire bouger les choses, on va renforcer les rangs, se débarrasser de ces sales créatures pourries, et…

    — Tu es sûr que tu veux le rencontrer ? fit Uromis en interrompant le soldat. Pourquoi ne pas aller à la tour noire et communiquer avec lui par miroir, comme d’habitude ?

    Il y avait en effet à Namphis une vingtaine de miroirs magiques qui permettaient de communiquer à distance, renvoyant l’image de l’interlocuteur et faisant résonner ses paroles au-delà de la glace.

    — Non…, répondit Nyrion. Avec la gravité de la situation, j’ai besoin de le voir en personne, de voir son expression, son assurance… d’entendre de vive voix comment il veut que l’on gère tout ce chaos. Et j’aimerais que tu viennes avec moi.

    Uromis grimaça à nouveau. Son confrère insista :

    — C’est tout près. On va le voir, on fait notre rapport sur Mine, on prend ses ordres et on retourne à la tour noire.

    Un court silence, ponctué par quelques expressions emballées d’Aurandre qui résonnaient en arrière-plan sous forme d’écho, s’installa tandis qu’Uromis réfléchissait, la moue incertaine.

    — Bon, bon, d’accord, finit-il par lâcher.

    L’enthousiasme d’Aurandre se dissipa d’un coup et les lieutenants comprirent pourquoi en suivant son regard : le soldat observait un Autra. Il s’agissait là d’une créature extrêmement agile. Bipède, munie d’un bec et d’un long cou, elle demeurait heureusement pacifique.

    — Un Autra sauvage…, murmura Uromis. C’est bien la seule bête paisible dans ce maudit désert.

    Nyrion fit une moue approbatrice en haussant brièvement les sourcils. Puis, en s’étirant les bras, il dit :

    — Il paraît qu’il y a de plus en plus de personnes capables de les dresser. Pratique, pour le déplacement. Les marchands aiment les utiliser. C’est moins cher que d’engager des gardes du corps, et les Autras sont plus rapides que la plupart des créatures.

    — Oui, mais les soldats ne peuvent pas les utiliser, grommela Uromis. La tradition est trop importante pour le seigneur : on se déplace à pied, toujours !

    Il s’avança.

    — Hé, regardez ça, poursuivit-il en arborant un sourire.

    Son épée s’illumina en brun et il la tendit devant l’Autra. Presque immédiatement, celui-ci devint hypnotisé, suivant la lame du regard comme si c’était un aimant.

    — Dommage que je n’arrive pas à enchanter les Graagos ! Ça serait utile, et…

    Il fut interrompu par un élan à sa droite. C’était Aurandre qui tranchait la tête de la bête d’un puissant coup d’épée.

    Uromis sursauta, tandis que Nyrion éleva la voix :

    — Que fais-tu, Aurandre ? Pas la peine de tuer ces créatures, elles ne sont pas agressives et la plupart ont même peur des hommes.

    — Sauf votre respect, Lieutenant, je préfère ne pas prendre de risque. Toutes les créatures de Namphis sont dangereuses et méritent la mort. Et je la leur apporterai, dès mon rétablissement.

    — Bonne idée, Soldat. Allez donc vous rétablir en vous reposant, tonna Uromis, mécontent.

    Voir ce dernier si sérieux pour une rare fois intimida et troubla Aurandre, qui salua aussitôt ses supérieurs et retourna à l’infirmerie.

    Nyrion roula des yeux en se massant la nuque. Uromis nota un air plus préoccupé que d’habitude chez son ami et dit :

    — Mets-toi un peu à sa place. Tous ses proches ont été tués. Sa colère lui donne un but et lui permet de ne pas perdre l’esprit.

    — C’est un malheur atroce, mais un jour, il lui faudra tourner la page avant de mettre des équipiers en danger. Comme le seigneur le dit, soyez guidés par votre force et votre loyauté, et non pas par votre peur ou votre colère. Tu l’as vu, tout à l’heure ? Il s’est attaqué à dix Krenzs sans aide !

    — Je t’ai déjà dit d’arrêter de citer le seigneur en ma présence… Il n’est pas sur le terrain comme nous ; qu’il garde ses conseils !

    — Uromis…

    — Parlant de lui, on part tout de suite ? Plus vite on y va, plus vite ce sera terminé.

    Nyrion l’observa en silence, mal à l’aise qu’on manque de respect à un être aussi important que le seigneur Nazmal. Puis, la détermination façonna ses traits. Il leva les yeux et étudia l’imposante tour du seigneur au loin.

    — D’accord. On y va.

    Après plusieurs heures de marche, le duo approchait de la tour du seigneur Nazmal. En chemin, ils avaient croisé plusieurs patrouilles militaires et quelques serpents des sables qui, en apercevant ces dernières, s’étaient enfuis.

    Uromis mentionna qu’il était dommage d’avoir interrompu la marche des cadets, ce à quoi Nyrion répliqua qu’il y avait d’autres priorités en ce moment. Et puis, les jeunes soldats s’étaient bien débrouillés dans leur tâche de défendre les villageois contre les Krenzs — à l’exception de sa tête folle de frère…

    La grande tour s’élevait devant eux, de plus en plus imposante tandis qu’ils s’en approchaient. Dominatrices, des dents pierreuses couronnaient son sommet qui fendait le ciel. Son immensité dominait le désert, reflétant, tel un mirage éclatant, tout le triomphe de l’armée et du seigneur.

    Les lieutenants burent un peu d’eau à la grande oasis qui avoisinait la tour, puis se dirigèrent vers l’entrée. Quelques soldats à la carrure massive et au regard sévère leur demandèrent leur identité et la raison de leur visite. Dès que les mots « Mine » et « attaque » se firent entendre, ils arborèrent une expression surprise.

    — Le seigneur est en réunion avec les quatre commandants, dit le plus grand des trois soldats. Ils sont censés terminer bientôt et… Ah ! les voilà !

    Uromis et Nyrion tournèrent un regard étonné vers l’entrée de la tour. Les énormes portes métalliques s’ouvrirent et plusieurs individus apparurent, marchant d’un pas serein et assuré.

    La première était la commandante Niora. Ses très longs cheveux noirs étaient balayés par le vent. Son regard demeurait concomitamment froid et imperturbable. Sa longue épée de glace était rangée dans son dos. Nombreuses étaient les histoires de monstres terrassés par celle-ci.

    Le deuxième était le commandant Izzil. C’était le seul militaire de tout Namphis qui portait une armure sombre. On racontait qu’avec seulement deux autres hommes, il avait réussi à tuer un Graagos noir — une race particulièrement rare et réputée pour être bien plus intelligente que les autres. Sous le capuchon d’Izzil se révélaient une barbe bien faite, un air arrogant et un sourire vicieux.

    Le troisième était le commandant Nerane. À l’instar de l’aura flamboyante projetée par sa lame, il semblait y avoir un brasier qui scintillait dans ses iris. Une confiance absolue et une passion dévorante enveloppaient cet homme imposant.

    Le quatrième était le commandant Urion, le frère de Nyrion. Dans son regard, une certaine condescendance se mêlait à une assurance inébranlable. Son épée était d’une luminosité blanchâtre. En voyant son frère, il haussa légèrement un sourcil, puis tourna les yeux vers la cinquième et dernière personne qui sortit de la tour : le seigneur en personne.

    Son apparition fit écarquiller les yeux des deux lieutenants un bref moment. Sous ses cheveux noirs comme la nuit, ses yeux assurés tombèrent sur les deux nouveaux venus, et son sourire féroce s’élargit.

    — Tiens, tiens… Lieutenant Nyrion et Lieutenant Uromis, dit-il de sa voix à la fois sombre et enjôleuse.

    Les quatre commandants qui l’entouraient demeuraient silencieux, touchés par une parfaite confiance, mais aussi par un respect total envers le seigneur. Une étrange et auguste énergie enveloppait ce dernier, comme si même l’air autour lui appartenait.

    Un silence bizarre s’implanta, puis le souverain de Namphis s’avança doucement vers les deux hommes en les étudiant. Nyrion fut surpris qu’il se souvienne de leurs noms ; lui-même ne l’avait pas vu depuis trois ans, lors de la cérémonie où il avait accédé au rang de lieutenant. Étonnant aussi qu’il se souvienne d’Uromis, qui s’était montré discret comme une tombe chaque fois qu’il s’était trouvé en présence du seigneur. Mémoire parfaite ou intérêt envers eux ?

    — Que me vaut l’honneur de votre visite ? demanda-t-il enfin.

    — Mes excuses si l’on vous a dérangé, Monseigneur, fit Nyrion d’un ton un brin obséquieux.

    — Non, nous avions terminé, dit-il en esquissant un geste vague de la main.

    — Nous avons cru bon de faire notre rapport en personne : Mine a été attaqué un peu plus tôt par un Graagos. Nous l’avons vaincu, mais les pertes et les dégâts sont importants.

    Une vague surprise troubla l’expression quiète du seigneur.

    — Hum… Mine. Pourtant, les patrouilles sont nombreuses autour. Manque de vigilance ou d’efficacité…

    — J’ai envoyé des hommes à la recherche d’éventuels cadavres de gardes, Monseigneur. Il n’est pas aisé de vaincre un Graagos ; ce n’est pas impossible que celui-ci ait ravagé la patrouille avant de venir.

    Le seigneur se rembrunit un moment et retint un soupir.

    — Les soldats se doivent de protéger les villes et les villages, Lieutenant. Il ne faut pas faillir, jamais. Il faut maintenir cette image de protection absolue. Les gens en ont besoin. Survivre n’est pas suffisant. Il faut que le peuple soit en paix, car avec la paix vient l’ordre.

    Nyrion approuva de la tête, puis remarqua d’un coup d’œil aléatoire que le commandant Izzil n’avait pas d’épée. Curieux…

    Nazmal jeta un regard pesant à Uromis, qui semblait plus mal à l’aise que jamais.

    — Et ni la paix ni la survivance ne règnent ces temps-ci…

    Il darda un regard d’une noirceur abyssale sur les deux hommes. Les membres de ces derniers se mirent à trembler, comme pris de soudains spasmes. Puis, le seigneur arbora un sourire cordial à nouveau.

    — Nous étions justement en réunion pour parler de stratégies face à ces attaques qui se multiplient de jour en jour ! Il semblerait que les créatures de Namphis soient plus nerveuses et furieuses que jamais, comme si elles sentaient quelque chose venir…

    Une voix s’éleva alors.

    — Pardon, Monseigneur…, murmura timidement un autre homme, invisible dans l’angle intérieur de la tour.

    — Oui ? répondit Nazmal.

    — Il semblerait que Millavor ait une nouvelle fois attaqué le port de Rhadi.

    Il s’agissait là d’un village au sud.

    — Ils attendent vos directives par le miroir, poursuivit-il.

    — Encore ? Millavor… En voilà un autre qui accentue ses agressions…

    Millavor, un monstre aquatique légendaire s’apparentant à une pieuvre géante, rôdait régulièrement au sud de Namphis. Étant donné qu’il s’agissait d’une des rares zones d’accès à l’eau — en raison des frontières magiques —, les militaires avaient toujours défendu la région. Or, jamais le poulpe menaçant n’avait été vaincu, et ce, depuis plusieurs centaines d’années. Le mieux que pouvait faire l’armée était de le repousser temporairement et de reconstruire le port de manière continue.

    — Messieurs, accordez-moi un instant, laissa tomber Nazmal.

    Un silence inconfortable s’installa tandis que le seigneur entrait dans la tour. Nyrion finit par saluer son frère.

    — Urion…, dit-il machinalement.

    — Nyrion…, répondit le commandant d’un ton neutre, croisant vaguement son regard.

    Étonnamment, malgré leur succès militaire, qui aurait pu être un point commun à l’origine d’une complicité fraternelle, ils n’avaient jamais été très chaleureux l’un envers l’autre. Ils ne se voyaient que très rarement, Urion étant le commandant protégeant le nord de Namphis et Nyrion, l’un des lieutenants de la tour du Sud. Toutefois, même enfant, Urion avait toujours été le plus solitaire des solitaires.

    Nyrion étudia les commandants ; il était bien rare qu’il les voie de si près. D’une certaine façon, ils étaient tous des modèles pour lui. Leurs imposantes capes rouges flottaient au vent. Niora, les bras croisés, fixait l’horizon d’un air impassible et glacial. Nerane, le commandant à l’épée de feu, était adossé au mur de la tour. Son éternel regard mi-alerte, mi-passionné était un brin déroutant ; on aurait dit qu’il était à tout moment prêt pour une bataille, et qu’en plus, il l’attendait avec avidité. Izzil était toujours là aussi, dévisageant les lieutenants en esquissant un sourire vicieux.

    — Les deux braves lieutenants qui accourent pour prévenir leur seigneur ! Voilà une loyauté des plus impressionnantes, souligna-t-il en haussant un sourcil narquois.

    Réputé pour être aussi agréable qu’un pic de cactus, Izzil affichait une arrogance sans bornes qui renvoyait parfois l’idée qu’il n’était peut-être qu’un grand parleur, petit faiseur. Cependant, il fallait se méfier de ce renard sournois. Il était devenu commandant très jeune, après la victoire contre le Graagos noir. Ses attaques avaient la réputation d’être aussi vives que celles d’un serpent venimeux.

    — Les lieutenants baissent bien peu le regard, malgré la proximité des commandants intimidants…, poursuivit-il.

    — Ils ne sont pas tous intimidants, dit Uromis en hoquetant un rire cynique.

    Izzil lui répondit par un sourire sombre et amusé.

    Après un instant de silence, le seigneur refit son apparition.

    — Bon… La situation est préoccupante. Le port est complètement dévasté. Du jamais-vu depuis des décennies.

    Il dit cela sans cependant paraître soucieux, affichant toujours une confiance indéfectible.

    — Lieutenant Nyrion, vous avez aisément vaincu ce Graagos à Mine et je vous en félicite.

    — J’avais une équipe avec moi, Monseigneur.

    — La modestie est parfois à double tranchant, Lieutenant, mais j’apprécie votre humilité. Celui qui a jadis terrassé le Graagos noir n’a pas été aussi humble.

    Il jeta un regard machinal derrière Nyrion et Izzil afficha un sourire discret.

    — Le Sud demeure vaste et la commandante Niora ne peut être partout à la fois. Avec Millavor qui réapparaît, hum… Votre père a pris sa retraite, et la tour noire aurait bien besoin d’un nouveau commandant. Qu’en pensez-vous ?

    Nyrion gloussa et approuva du menton.

    — Je suis bien d’accord avec vous, Monseigneur.

    — Beaucoup se disent satisfaits que vous ayez suivi les traces de votre père en empruntant un parcours militaire qui est déjà des plus prometteurs. Cependant, les commandants sont les combattants les plus puissants de tout Namphis. Leur pouvoir n’est pas seulement respecté, il est craint.

    Nazmal se caressa le menton de l’index, puis ajouta :

    — Pour que vous en deveniez un, vous devriez être capable de croiser le fer avec l’un d’eux.

    Sa phrase fut accueillie par un regard mi-angoissé, mi-déterminé. Uromis pinça les lèvres.

    — Faisons le test à l’instant ! Faites un duel avec l’un des commandants ; ils sont là, profitons de leur présence ! Tenez, Commandante Niora.

    La jeune femme leva vaguement ses yeux glacés vers son supérieur.

    — Vous affronterez le lieutenant Nyrion. Éloignez-vous à une vingtaine de mètres de la tour. Veillez à retenir votre lame ; ne portez pas de coup fatal. Nous jugerons de qui aura gagné. Par exemple, si un combattant tombe sur le sol et est trop épuisé pour se relever immédiatement…

    Nyrion affronta Niora du regard. Autant était-il intimidé, autant se sentait-il excité de pouvoir faire ses preuves de manière si improvisée. La tour noire était gérée par plusieurs lieutenants — même si, officieusement, c’était lui qui la dirigeait. Ses soldats méritaient un commandant pour les mener avec honneur, afin qu’ils en soient fiers et qu’ils aient l’impression d’être égaux aux gardes des autres tours.

    — Si vous gagnez contre Niora, nous effectuerons le rituel pour enchanter votre épée de manière à ce qu’elle soit aussi forte que celle de tous les commandants.

    Niora s’éloigna de l’entrée de la tour d’un pas lent et assuré, apparemment déjà prête pour le duel. Nyrion hoqueta encore et l’imita. « Retenez votre lame » ? « Ne portez pas de coup fatal » ? Il se demandait si cette femme, qui était couramment surnommée le « cœur de glace » dans tout Namphis, accorderait une quelconque importance à ces consignes.

    Face à elle, à une dizaine de mètres, Nyrion jeta un coup d’œil furtif vers le groupe et constata qu’Uromis semblait angoissé sous son pénétrable masque d’assurance. Son frère Urion, lui, était toujours aussi calme, mais toutefois plus concentré.

    Nyrion se perdit ensuite dans le regard bleu électrique de Niora. Il fut hypnotisé un instant par celui-ci, ce néant cristallin aussi lugubre qu’oppressant… Ce dernier s’apparentait à un vide glacial pouvant éclater à tout moment sous la forme d’une tempête déchaînée.

    — Vous pouvez commencer ! claironna le seigneur Nazmal en ramenant Nyrion sur terre.

    Aussitôt, le lieutenant secoua la tête, quelque peu désorienté par sa distraction temporaire, puis chargea brutalement. Il voulut créer un effet de surprise par son élan abrupt, mais Niora demeura de marbre. Toujours d’un calme pratiquement funeste, elle recula doucement tandis que le lieutenant fonçait vers elle.

    Elle n’a pas encore dégainé son arme, songea Nyrion en redoublant de vitesse. Où porter le premier coup ? À la jambe, au ventre, au visage ?

    Dès qu’il fut tout près, à la vitesse de l’éclair, Niora dégaina sa longue épée et envoya un élan horizontal. Nyrion para, mais la célérité et la force de son adversaire le déroutèrent un bref instant.

    Il recula de quelques pas avant de foncer une fois de plus. Les nouveaux échanges retentirent sous forme d’échos éclatants, puis Niora recula promptement, s’élança et sauta en tendant son épée vers le haut. Nyrion, étonné par ce mouvement si risqué, frappa vers le bas pour toucher ses jambes, mais à sa grande surprise, la commandante détourna le coup d’un élan instantané avant de ramener sa lame vers le haut, touchant Nyrion au visage.

    Tandis que son ami tombait sur un genou, Uromis angoissait au loin. Il attendait l’annonce de la fin du duel, fixant les commandants qui demeuraient impassibles. Le seigneur, lui, semblait amusé et même en proie à une fascination malsaine.

    Nyrion se releva, puis recula avec pénibilité, sonné par le coup. Il essuya le sang qui coulait sur son visage, troublé non pas par celui-ci, mais par la force de son adversaire, qui s’apparentait presque à celle de nombreuses créatures qu’il avait affrontées à ce jour.

    Je n’ai même pas le temps de réfléchir tellement ses mouvements sont rapides en plus d’être très vigoureux. Je dois me fier à mes instincts.

    Il s’avança à nouveau.

    — Tu devrais abandonner, jeune lieutenant…

    La voix glacée et caressante qu’il entendit pour la première fois le perturba légèrement. Il freina la marche.

    — Ne vois pas de honte au renoncement. J’ai affronté plus de créatures que tu ne pourrais imaginer. Tous périssent par ma lame. Tu ne pourras pas gagner contre moi. Jamais. C’est la vérité, triste, froide, dure… mais l’accepter permet de rester en vie. Les monstres chargent sans peur, et succombent.

    Elle pencha la tête sur le côté.

    — Feras-tu donc comme eux ?

    Elle s’avança et Nyrion recula d’un pas.

    — On ne m’a pas enseigné à retenir mes coups ; j’attaque pour tuer.

    Elle prit un élan et frappa. Nyrion para. Heurtées, les deux lames se serrèrent, tentant de prendre le dessus sur l’autre. Le lieutenant grinça des dents. Quant à Niora, elle demeurait inexpressive. Sa lame devint bleue ; une aura l’enveloppa, elle se transforma en une glace qui se répandit sur l’épée de Nyrion.

    Surpris, l’homme retira son épée et s’enfuit dans la direction opposée. Un bloc de glace recouvrait son arme ; elle était inutile dans cet état ! Toujours en course, il tourna la tête et vit Niora qui s’avançait doucement vers lui. Il fonça vers un rocher et frappa son arme dessus de toutes ses forces. La glace se brisa.

    Il s’élança vers Niora. Cette dernière releva le menton, vaguement surprise par l’audace de son adversaire, et redressa sa lame.

    Le lieutenant se concentra sur son épée, qui devint rouge un bref moment. Il frappa en direction de Niora, qui para avec difficulté, reculant d’un pas. Les deux autres coups furent encore plus brutaux ; le bruit des lames résonna partout autour. Le quatrième repoussa la commandante, qui tomba sur le derrière.

    Nyrion figea. Il était si surpris de son propre succès que son expression s’apparentait à celle d’un apprenti qui aurait fait une bêtise devant son maître.

    Près de la tour, Uromis afficha une mine rassurée : peut-être son ami pouvait-il gagner, après tout ! Izzil, à côté, arbora un sourire amusé, puis murmura :

    — Elle n’a pas l’air contente…

    La commandante se releva. Dans son regard éternellement impassible scintillait une vague irritation. Nyrion s’avança d’un pas, puis recula de deux pas en voyant toute l’imposante luminosité bleutée qui se dégageait de l’épée adverse. On aurait dit une brume de froid magique…

    Si les yeux distants et peu empreints d’émotion de Niora ne se détachaient pas de ceux de Nyrion, le nuage glacial se dissocia de la lame et s’élança vers lui.

    Le jeune homme s’enfuit à toute vitesse. Tout en le pourchassant, l’énergie du froid faisait résonner un étrange bruit réverbérant. Elle était presque aussi rapide que lui !

    Il jeta un vif regard sur Niora, remarquant au passage qu’elle avait rangé son épée et gardait désormais les bras croisés. Son esprit semblait, à lui seul, suffire pour contrôler cette magie.

    Il sauta par-dessus un cactus ; l’énergie de glace transforma celui-ci en glaçon tandis qu’il poursuivait sa course.

    En se dirigeant cette fois vers un gros rocher, Nyrion rengaina son épée et, haletant de plus en plus, il toucha sa lame qui devint rouge, puis éleva aisément son énorme projectile improvisé. Il le lança violemment vers Niora, qui se trouvait alors à une vingtaine de mètres. Cette dernière haussa les sourcils de surprise, puis sauta sur le côté pour éviter le rocher.

    Cette manœuvre fit perdre du temps de course à Nyrion. L’énergie menaçante était maintenant tout près derrière lui. Elle s’illumina encore plus, redoubla de vitesse et de taille, puis entoura le lieutenant, tel un tourbillon frénétique. Il était pris au piège !

    Son regard affolé se perdit dans la tempête de glace. Des visages bleuissants et des bras griffus et gelés se formaient un peu partout dans l’ouragan.

    — Ça suffit ! lança une voix imposante.

    Le seigneur.

    Aussitôt, toute l’énergie glaçante se dissipa. Le premier visage que Nyrion vit fut celui de la commandante. Elle semblait un brin affolée, telle une enfant qu’un père sévère aurait rappelée à l’ordre en lui tonnant qu’elle était allée trop loin. Tandis que les dernières parcelles de magie bleues s’évanouissaient, elle se revêtit à nouveau de son expression impassible et retourna vers le groupe.

    — Duel intéressant ! Mais ne risquons pas de blessures quand les ennemis s’accroissent autour.

    Nyrion se redressa et, après avoir brièvement examiné son être pour voir si tout y était encore, se dirigea également vers les autres près de l’entrée de la tour.

    Pinçant les lèvres, il réalisa qu’il avait échoué. Le duel avait été tout sauf un défi pour Niora. Alors qu’il soupira en levant ses yeux déçus au ciel, il entendit :

    — C’était bien, Lieutenant. Vous vous débrouillez au combat. Je garderai cela en tête lorsque je nommerai un nouveau commandant de la tour noire dans un futur proche.

    Nyrion ravala sa salive, puis hocha la tête d’un air déférent.

    — Je vais avoir besoin de vous deux au nord de Namphis. Les attaques s’accentuent grandement là-bas, et ils ont besoin de défense supplémentaire. Le commandant Urion se concentre surtout sur le nord-ouest du territoire.

    Le lieutenant et son frère échangèrent un regard.

    — Lieutenant Nyrion, demain à la première heure, vous prendrez une troupe et irez protéger la ville de Rakas. Lieutenant Uromis, vous ferez de même avec le village à proximité, Rin.

    — Oui, Monseigneur, répondirent les deux lieutenants pratiquement en chœur.

    — Les attaques de créatures deviennent de plus en plus féroces et incontrôlables. Même les villages les mieux protégés se font assiéger. Je compte sur vous, au Nord, car à ce rythme, Namphis telle que nous la connaissons pourrait cesser d’être.

    JOURNAL DE DIINBAD

    Salut, Journal.

    Voilà quelques jours que je suis installé dans la tour noire. C’est mon nouveau monde, et je m’y habitue vite.

    Les cadets sont logés au sommet de la tour. Les soldats vétérans, eux, sont en bas. On m’a dit que c’était stratégique : s’il y a une urgence et qu’on a besoin de renforts ailleurs, on veut que les soldats les plus expérimentés y soient plus vite.

    J’aime bien mes équipiers, sauf Goono, qui est un vrai emmerdeur. Il se prend pour un autre et croit qu’il est meilleur que tout le monde. Meilleur au combat, meilleur en connaissances militaires, meilleur en intelligence… Les autres disent que c’est le fils d’un lieutenant connu, un dénommé Kronor. On raconte que son épée est capable de créer une sphère qui le rend invisible. Ma mère me taperait sur la tête pour cette blague de mauvais goût… mais je n’ai jamais vu cela !

    Aujourd’hui, j’ai tué mon premier Krenz. On était six, en brève patrouille autour de la tour noire. Les ordres étaient de ne pas jouer aux héros et de se sauver pour trouver des renforts si jamais le danger était trop grand. Ils ont bien dû insister mille fois là-dessus.

    On est tombés sur un Krenz solitaire. Des vétérans nous ont dit que la plupart du temps, ils se tenaient en groupe, mais que de temps en temps, certains tentaient leur chance en solo.

    À six, nous avons aisément réussi à le vaincre. Je me rappelle chaque mouvement, chaque élan, chaque attaque. C’est moi qui lui ai donné le coup de grâce ! Je suis vraiment content de moi. À quand les Graagos ? Amenez-moi toutes les créatures de Namphis ! Mon équipe et moi, nous les vaincrons toutes !

    Chapitre trois

    5 jours avant la catastrophe

    Durant le chemin de retour, Nyrion demeura sur les nerfs, la fatigue l’emportant cependant un brin sur l’agitation.

    — Ouf ! Cette journée était la goutte qui a fait déborder le vase… On dirait que je suis constamment fatigué, ces temps-ci, moralement et physiquement, avoua-t-il à son ami.

    — C’est normal : tu ne prends jamais de pause ! Prends donc congé, prochainement. Tu sais, même les plus grands sont obligés de se reposer, de temps en temps. En tout cas, tu pourras toujours compter sur moi. Ne l’oublie pas. On a parfois tendance à penser qu’on est seul contre ses démons.

    Nyrion cilla et lui répondit d’un sourire ému.

    Le duo retrouva le village de Mine. Les soldats y étaient maintenant beaucoup plus nombreux. En plus de patrouiller et de défendre le territoire, une bonne partie d’entre eux aidaient les villageois à reconstruire les lieux. La lumière de l’entraide chassait la noirceur du désespoir face à tout ce chaos.

    Nyrion sourcilla en apercevant un homme à l’aspect particulier non loin. Des loques brunâtres déchirées lui servaient de vêtements, recouvrant sa carcasse qu’il traînait péniblement. Même les clochards devaient le plaindre. Il leur ressemblait, mais avait quelque chose d’étrangement différent, telle une aura invisible qu’on ressentait à peine. Ses yeux étaient recouverts d’un vieux bandeau gris.

    — Drôle d’allure…

    — C’est un Oublié. Tu ne les connais pas ?

    — Un quoi ?

    — Il y en a plusieurs partout à Namphis. Ça m’étonne que tu n’en aies jamais entendu parler ! Ils ont tous la même apparence, les mêmes vêtements, ainsi que la même démarche de vieillard au dos courbé, peu importe leur âge. Ils sont également tous aveugles. On les appelle les Oubliés parce qu’ils ont toujours été là, mais on ne sait ni qui ils sont, ni ce qu’ils font. Font-ils partie d’un culte ? On ne le sait pas. Ils font des enfants qui deviennent aussi aveugles. Ils errent, quémandent, survivent, attendent… attendent quoi, on ne sait pas.

    Nyrion battit des paupières en se massant le front.

    — Bizarre, lâcha-t-il enfin.

    — Oui ! L’opinion de l’armée à leur égard a varié au fil du temps. Méfiance, malaise… et, depuis un moment, indifférence.

    Les lieutenants finirent par arriver à la tour noire. L’étrangeté de la journée faisait encore hausser les sourcils de Nyrion : la banale marche des cadets s’était soldée par une invasion de Graagos à Mine suivie d’un duel avec nulle autre que la commandante Niora.

    Uromis le salua en précisant qu’il allait faire un rapport à ses troupes avant d’aller dormir. Quelques bonsoirs de soldats s’échangèrent tandis qu’il longeait les corridors et escaliers sombres. Puis, Nyrion arriva à sa chambre, là où une surprise l’attendait : son père.

    Le sourire engageant de celui-ci multiplia ses dizaines de rides. Ses épaules solides et ses bras musculeux s’étirèrent vers son fils pour lui faire une accolade, puis il lissa sa moustache grisonnante.

    — Quelle belle surprise ! Comment allez-vous, Père ? s’exclama Nyrion, ragaillardi par cette inattendue, mais non moins agréable visite.

    — Fiston, ça va très bien ! La retraite ne me convient pas toujours — parfois, je trouve qu’il manque d’action —, mais je m’y fais.

    Son père avait apporté du vin. Malgré l’heure tardive, Nyrion était content de le voir. Si, avec son frère aîné, la relation avait toujours été froide et flegmatique, avec son père, c’était l’inverse.

    Ils discutèrent de stratégie militaire, de monstres terrassés, d’anecdotes concernant les soldats. Nyrion lui parla de sa journée : du toujours aussi turbulent et indomptable Forun, du duel, du Graagos, puis du départ du lendemain pour Rakas.

    — Sacré Forun ! s’esclaffa le vieil homme. Je suis sûr qu’un jour, il fera un bon élément.

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