Le journal de l observateur: Les manuscrits complets
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Jean-Michel Martin
Jean-Michel Martin is Professor Emeritus with the Chemistry department at the Ecole Centrale de Lyon, France. Prof Martin has over 35 years’ experience in fundamental and applied tribology, with specializations in surface chemistry, tribochemistry and chemical nano-analysis. He has published 14 patents and over 340 papers.
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Le journal de l observateur - Jean-Michel Martin
Les manuscrits complets
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Le 18 juin 1928
À bord d'un hydravion Latham 47
De la marine nationale française.
Je me nomme Roald Amundsen et je suis un marin et explorateur polaire norvégien.
Après une tentative avortée le 8 septembre 1911 d’atteindre le pôle Sud, Bjaaland, Hanssen, Hassel, Wisting et moi-même prenons le départ le 19 octobre. Nous attelons quatre traîneaux et cinquante-deux chiens. Cette quantité nous assure une provision de viande fraîche au retour. Ouvrant une voie jusqu'alors inconnue, sur le glacier Axel Heiberg, nous arrivons sur le plateau polaire le 21 novembre après une ascension de quatre jours. Le 14 décembre à quinze heures nous atteignons le pôle Sud. Ainsi, notre expédition fut la première à accomplir cet exploit.
Voici ce que retiendra l’histoire.
Mais nous avons fait une découverte terrifiante. En ouvrant la voie sur le glacier Heiberg, nous sommes parvenus à un ancien camp de base déserté. Impossible de dire de quand il date, mais il est nécessairement du siècle passé. Nous avons trouvé le journal de l’homme qui est à l’origine de cette expédition et je vais vous en livrer certains passages dans les pages qui suivent. Je ne commenterai rien, n’analyserai rien, mais aujourd’hui, maintenant que je suis à la retraite et retiré des cercles de mes pairs, je brise le sceau du secret que notre groupe a mis sur cette terrifiante découverte.
Sachez que tout est vrai, car tous les aspects qui ont pu être vérifiés de ce journal ont été établis. Sur nous six, seuls trois autres en plus de moi-même sont en vie. Tous confirmeront à la lecture de ce récit les événements que j’y relate.
Puisse Dieu nous avoir en sa sainte garde.
Roald Amundsen
12 Octobre 1826
Le brick a touché terre au matin. Après cinquante-trois jours de navigation depuis notre départ de La Rochelle à bord du brick l’« Amandine », nous avons atteint le continent gelé. La plus grande partie des marins ne sont pas préparés à ce que nous allons affronter, c’est pourquoi ils ne nous accompagneront pas.
Le groupe ne se composera que de monsieur Vogue, naturaliste, quatre volontaires, issus du groupe de baleiniers originaires du Pays Basque, mes amis, monsieur Hudson, du Royale Collège de Londres et monsieur Van Dersen de l’académie de Dübendorf, qui a déjà participé à plusieurs explorations par le passé. Je prendrai en personne la tête de l’expédition, puisque je l’ai en partie financée et que je n’ai délégué à personne les préparatifs, m’en chargeant depuis des mois.
Nous partirons demain, dès l’aube, nous avons dix chiens en plus des quatre traineaux tirés par onze Malamutes vaillants par traineau. Les chiens sont d’ailleurs parfaitement prêts à affronter la lande glaciale et désolée. Au risque qu’ils perdent un peu de leur fougue, nous avons pris le parti de les laisser descendre du bateau dans la journée.
Durant la traversée, nous soupçonnions les Basques de nous mentir sur leurs origines. Ils ont été recrutés sur le port deux jours avant le lancement de l’expédition. Les doutes que nous avions s’étaient évanouis durant la traversée. À bord du brick, leur comportement fut exemplaire.
Nous sommes au début de la belle saison, alors que l’Europe plonge dans l’hiver, la terre du pôle Sud vit sa saison d’été. Ici, l’été est bien plus rude que le plus froid des hivers que j’ai connus.
13 Octobre 1826
Nous avons parcouru durant des heures la plaine glacée qui forme la frontière entre notre point d’ancrage et les montagnes givrées qui protègent de leurs flancs éternels le pôle que nous convoitons. Nous avons pris soin avec justesse des provisions que nous avons en quantités substantielles. Rien ne pousse et rien ne vit dans ces contrées infernales. Je touche du doigt l’impression que le dernier cercle de l’enfer a pu produire sur Dante.
Monsieur Vogue, le naturaliste, parait bien moins abattu que ce à quoi je m’attendais en découvrant l’absence de vie. Lorsque je l’ai interrogé sur le sujet, il m’a répondu que l’absence de vie était aussi intéressante que la présence de cette dernière.
La Croix du Sud a fait son apparition dans le ciel entre les pattes du Centaure.
14 Octobre 1826
Nous avons entamé notre progression vers le pôle après un contournement de près de deux kilomètres pour franchir les hauts rochers qui nous ont protégés du vent la nuit dernière.
Il n’est pas beaucoup d’hommes qui ont foulé cette terre de désolation, et encore moins qui en sont revenus. Je pense avoir découvert un passage qui nous mènera au pôle, via un glacier qui n’a toujours pas été nommé.
Un fort vent d’ouest s’est levé durant la journée, immobilisant notre convoi temporairement. Nous nous sommes établis à l’abri d’un à-pic de glace de la taille d’une grande maison. Ces tempêtes, très impressionnantes, sont rares durant la saison d’été, mais nous sommes arrivés bien tôt et les derniers vestiges de l’hiver polaire comme cette tempête sont courants.
J’ai parlé un moment avec un des Basques qui étaient dans le groupe de tête lorsque nous étions en route. Cet homme, d’une quarantaine d’années, au teint buriné et tanné par des années de mer, était un colosse. Il mesurait sans doute plus de deux mètres et semblait taillé pour affronter tout ce qui pourrait se mettre en travers de sa route. Son excellente condition physique en faisait un compagnon de choix. Monsieur Jacques, comme il s’est présenté, m’a dit avoir aperçu, au pied du glacier, une masse noire. Je note ici « masse noire », car lui, il parlait plutôt en termes de phare, sans lumière. Je ne doute pas de l’acuité de sa vision, et consignerais ici que le marin a entrevu, avant que le blizzard ne bouche l’horizon, un pic de roche sombre. Selon ses dires, nous nous dirigeons droit dessus, et demain, en reprenant la route, nous aurons rapidement une réponse.
15 octobre 1826
La tempête a perdu en intensité durant la matinée et nous avons pu reprendre notre ascension. Je me suis placé en tête de la caravane avec monsieur Jacques et nous ouvrions la marche lorsqu’il laissa échapper un chapelet de jurons en signe de surprise.
Je ne pus d’ailleurs pas contenir moi-même mon étonnement lorsque mon regard tomba sur ce qu’il désignait du doigt. À chaque mètre gagné, notre vision de l’improbable spectacle que le pôle nous offrait : deux immenses montagnes, bien trop à pic pour tenter une ascension, bordaient le glacier par lequel j’avais prévu de passer pour rejoindre le pôle tant convoité. Au sommet de ce glacier, une forme noire dominait toute la région. C’était bien trop droit pour être conçu par la nature. Monsieur Jacques avait évoqué un phare, et je comprends bien sa comparaison, mais au vu des quelques kilomètres qui nous séparaient de cette… chose, si c’était là un phare, c’était sans nul doute le plus grand que la terre n’ait jamais porté, bien plus grand que le légendaire phare d’Alexandrie.
Une nouvelle halte s’imposait alors que nous approchions de la mystérieuse structure que nous observions depuis plusieurs heures. Nous aurons atteint la construction demain dans la journée. Inutile de préciser que notre objectif premier, atteindre le pôle, n’est plus du tout le sujet de préoccupation de l’ensemble de l’équipage.
16 octobre 1826
Aux premières lueurs du jour, nous avons repris la route. Nos provisions s’amenuisent rapidement, et nous n’avions prévu que deux jours de rations supplémentaires, nous attendant à quelques aléas météorologiques. Je rédige ces lignes alors que mes collègues commencent l’étude de l’édifice étrange au pied duquel nous nous trouvons.
La glace qui le recouvre semble éternelle. Nous avons estimé sa hauteur, considérable, à plus de trente mètres. Seuls les palais somptueux et les cathédrales pourraient rivaliser avec cette étrange découverte. Nous avons demandé aux marins qui nous accompagnent de briser la glace qui protège ce qui semble être l’entrée de la tour. Messieurs Van Dersen et Hudson sont impatients de découvrir de quel matériau elle est composée. Pour l’instant, nous n’avons pu émettre que de vagues hypothèses, puisque nous l’avons observé uniquement à travers le prisme de la couche de glace qui le recouvre.
Selon monsieur Vogue, le naturaliste, certains historiens et naturalistes ont émis l’hypothèse que le continent glacé et désertique d’aujourd’hui jouissait autrefois d’un climat apte à abriter la vie. Se peut-il qu’une antique civilisation nous ait précédés ? Quels secrets sur notre histoire allons-nous découvrir dans cette tour noire ?
L’excavation progresse et nous avons pris le temps de tous nous réunir. La question de nos priorités était à l’ordre du jour. En effet, celles-ci avaient radicalement changé. Atteindre les premiers le pôle semblait désormais si futile que la décision fut unanime et sans appel.
17 Octobre 1826
Nos provisions tiendront encore trois jours.
Monsieur Van Dersen est impatient de toucher enfin du doigt la pierre noire qui a servi à bâtir cet édifice. Pour l’instant, il hésite dans ses suppositions entre l’obsidienne et le jais. Une seule chose l’intrigue au plus haut point, c’est la quantité de ces deux matériaux très rares qui a été utilisée pour bâtir la tour.
Alors que les pioches brisent la glace, couche après couche, nous pouvons distinguer une entrée à cette tour. Nous sommes tous très impatients de découvrir enfin l’intérieur du bâtiment.
18 Octobre 1826
J’ai renvoyé un homme, un des marins Basques, jusqu’au navire avec un traineau. Il a pour mission d’expliquer au capitaine de l’« Amandine » qu’il nous faut plus de provisions et de temps. Notre découverte pourrait avoir des implications que nous ne mesurons pas à l’heure actuelle.
Le brave homme avait pris la route au matin tandis que nous atteignons enfin les murailles de la tour. L’épaisse couche de glace qui protégeait la muraille a cédé sous les innombrables coups de pioche de nos compagnons. L’entrée de la bâtisse gigantesque et à l’ombre menaçante nous sera interdite encore jusqu’à demain.
Ce n’est qu’un détail pour notre ami Van Dersen qui n’a de cesse de changer d’avis et de perdre le contrôle de ses nerfs en étudiant la pierre dont est fait l’édifice. Il l’a, depuis que nous l’avons mise au jour, observée, grattée, tapée, chauffée, frottée, taillée sans jamais comprendre de quelle matière il s’agissait. Il avait collecté et étiqueté de nombreux échantillons pour une étude approfondie lorsque nous serions de retour. L’intérieur de l’édifice était rempli d’une glace sans doute aussi ancienne que l’humanité. J’ai demandé à tout le monde de rassembler du combustible et des torches aux pieds de la glace afin de la faire fondre durant la nuit demain matin, nous pourrons sans doute possible enfin pénétrer le mystérieux édifice.
Ici s’achève le journal duquel je suis entré en possession lors de notre expédition. Ces pages étaient conservées dans les débris et lambeaux du campement que nous avions découvert. Nous avons donné une sépulture chrétienne aux infortunés de cette expédition. Nous l’avons fait aussi bien que possible, car nous découvrions les morceaux de ces pauvres bougres sous chaque pierre et chaque morceau de tente ou vestiges que nous fouillons. Quelque fut le mal qui reposait dans l’édifice prêt duquel nous les avions découvert, celui-ci c’était visiblement rendormis pour une nuit sans fin dans ce tombeau plus froid que le dernier cercle de l’enfer.
Puisse certaines choses restées à jamais cachées aux yeux des hommes.
Le 18 juin 1928
Roald Amundsen
Aujourd’hui…
Jour 01 après les événements
Nous connaissons tous, un jour ou l’autre de notre vie, la perte d’un être cher, quelqu’un qui vous manque, et du jour au lendemain, les journées sont plus ternes, le soleil brille moins fort… Nous connaissons tout ça, un jour ou l’autre.
Aujourd’hui, l’humanité entière, partout sur la planète, connaît cela.
Et encore ce n’est pas vraiment le cas, je connais ce sentiment de perte, voire d’amputation, je l’ai connu après la mort d’un père, parti trop jeune. Aujourd’hui c’est différent, trop de morts, trop de victimes partout. Je sais que ma mère est morte, ma fille certainement, mais je souffre moins que le jour où j’ai perdu mon père. A priori, la psyché ne peut encaisser une si grande et si soudaine souffrance, et notre esprit ou notre organisme l’atténue.
Enfin c’est ce que je pense.
Je commence ce journal pour les générations futures. Sachez ce que nous avons vécu, comment nous avons vécu et, si nous arrivons à reprendre les choses en mains, comment nous l’avons fait.
Les chrétiens, les bouddhistes, les juifs et les musulmans, tous se sont trompés lourdement. Il y a quelques milliers d’années nos ancêtres ont dû connaître ces « dieux », le problème c’est que l’humanité les a oubliés. Dans l’ancienne citée de Nyr peut être les priait-on ?
Le fait est qu’il y a quelques heures, aux informations, on nous parlait de tremblements de terre sans précédent à six points différents du globe. Après les tsunamis et Fukushima, ce type de catastrophes retient beaucoup l’attention des médias et fait l’objet d’un suivi rigoureux.
C’est grâce aux drones des différentes chaines d’infos que nous les avons vus émerger, au coup par coup, ils se suivaient. Le premier à sortir était à l’épicentre du tremblement de terre qui a frappé la capitale britannique. Un trou s’est formé sous la Tamise et le fleuve londonien s’est déversé dedans, puis de la vapeur en est sortie, par colonnes immenses.
Cette vapeur a créé un véritable mur empêchant de voir tout ce qui se passait au-delà. Ensuite les bruits terribles et les cris des gens pris dans la tourmente ont suivi. Là j’ai compris, comme le reste de la planète, qu’il ne s’agissait en rien d’un tremblement de terre commun. Deux coups secs ont à nouveau secoué le sol, puis, au troisième choc, le gouffre béant a doublé, engloutissant plusieurs rues sur les bords de la Tamise.
Puis il a bondi.
En un instant et avec plus d’agilité qu’un chat, il a couru à travers la ville, dévastant ce qui en restait sur son passage, emportant même la Tour de Londres. Il était si rapide sur les images que le drone n’arrivait pas à le suivre. Tout ce que distinguaient les téléspectateurs, comme moi, c’était une vague ombre noire, colossale et massive. Pendant un court instant, j’ai pensé à ces documentaires animaliers qu’il m’arrivait de voir la nuit, sur le câble, lorsque les reporters traquent pour quelques images floues un animal trop prudent.
Il dévastait tout sur son passage, jusqu’à disparaitre dans la poussière. Au même moment, les médias indiens étaient eux aussi sur le pied de guerre. Dans la province de Kadapa, dans la région d’Andhra Pradesh, à l’est de l’Inde, les autorités semblaient confrontées à un phénomène analogue, la ville de Kadapa était « attaquée par Shiva », leur déesse de la destruction.
J’ai éteint la télévision.
Ça va bien deux minutes les blagues d’Hollywood. Cette fois j’y ai cru, pendant un instant, je l’avoue, mais ils ont vraiment abusé en détournant la présentation de la chaine info française. J’ai repensé à ce qu’avaient ressenti les ricains lorsqu’Orson Welles avait lancé à la radio « la guerre des mondes » en leur laissant croire que c’était un reportage comme les autres, une information au lieu d’une émission. C’était un génie, et depuis 1938, personne n’avait aussi bien fait les choses que lui.
Mais quelque chose en moi me poussait à rallumer la télévision, comme si, une fois la surprise et la crédulité exorcisées, je pouvais enfin profiter pleinement de ce divertissement.
J’ai décidé de zapper, les images que j’avais vues n’étaient pas bonnes mais ça m’a donné envie de regarder quels films passaient en ce moment. Je suis alors tombé sur l’image, sans son, d’un journaliste qui avait l’air paniqué, en train de brailler dans son micro, avec, en fond, de la fumée et des flammes. En quelques secondes, mon attention a été attirée par le bandeau déroulant. Le journaliste de terrain parlait en direct de Rome et le bandeau déroulant au fond de l’écran disait : « Plusieurs pays touchés par les tremblements de terre. L’Italie, l’Inde, la Grande Bretagne, l’Australie et l’Argentine seraient touchées par de terribles tremblements de terre dans des zones peuplées à forte densité. Certains évènements se seraient produits au plus près de l’épicentre. Certains témoins font part de choses émergeant des gouffres ouverts par ces tremblements de terre. Aucune confirmation officielle n’a été émise par les pays concernés, mais l’Inde parle d’un état de guerre totale dans la province d’Andhra Pradesh. »
Je me suis lentement assis. Quelle que soit la chaine que je regardais, peu importe sa nationalité, les images étaient les mêmes. Il semblerait que Johannesburg soit également touchée.
Le phénomène était planétaire.
En quelques minutes, les zones autour des différents épicentres avaient été rasées, plus âme qui vive. Et ces choses, celles qui étaient sorties des gouffres, se déplaçaient trop vite pour les différentes armées de terre. Certains pays avaient envoyé des avions de chasse pour les suivre. Celle de Londres avait mis moins d’une demi-heure pour franchir la Manche et les chasseurs britanniques avaient dû faire demi-tour.
Puis plus rien.
Blackout total sur toutes les chaines et à la radio. Les téléphones ont cessé de fonctionner. Dans certaines émissions sur l’astronomie et l’astrophysique, les scientifiques expliquent que cela peut arriver en cas de fortes éruptions solaires. Mais, avec les évènements surréalistes de la journée, c’était peut-être trop pour moi, et je tombais au sol en une masse inanimée de cent quinze kilos de viande.
Je me suis sûrement cogné la tête. Lorsque je me suis enfin éveillé, c’était dans un fracas assourdissant. Le sang coagulé collait au sol mes cheveux longs que j’ai eu tant de mal à faire pousser. Je ne savais pas ce que je m’attendais à voir en allant sur ma terrasse mais, étant au rez-de-chaussée, je ne distinguais bien entendu rien de fou. Il y avait juste ce bruit, terrible comme un battement de