Les Cahiers de Science & Vie

Comment l’alpinisme moderne a vu le jour sous l’Ancien Régime

n petit pas pour l’homme, mais un pas de géant pour les Chamoniards, les Savoyards et, plus largement, les montagnards. Que, le 8 août 1786, sur le coup de 18 h 23, deux bipèdes armés de leur seul courage ou presque aient été les premiers à fouler le sommet de la plus haute montagne d’Europe, aient savouré en exclusivité le panorama sublime qui s’offrait à eux et signé sans le savoir l’acte de naissance de l’alpinisme moderne, n’est pas un mince exploit. C’est que trois ans avant la Révolution, altitude, dans les vallées alpines, rime toujours avec inquiétude, et le froid qui règne « là-haut », avec effroi. Le mont Blanc, qui écrase de sa superbe les fourmis humaines, reste perçu par beaucoup d’habitants du cru comme un lieu surnaturel, interdit, dangereux, une boursoufflure inhospitalière peuplée de créatures maléfiques et interdisant d’y passer même une nuit. D’où les qualificatifs et les surnoms dépréciatifs (« horrible », « affreux », « Mont Maudit », « Mont Mallet ») accolés depuis des lustres à cet énorme monolithe aussi glacial que glaçant. Certes, le poète florentin Pétrarque, en escaladant le mont Ventoux en avril 1336, a fait quelque peu changer l’attitude de l’Occident chrétien envers la montagne. À l’aube de la Renaissance, Antoine de Ville a gravi le mont Aiguille, siècle, le botaniste zurichois Conrad Gesner, l’un des premiers savants à s’intéresser à la flore et aux minéraux alpins, a réalisé l’ascension du mont Pilate. Léonard de Vinci, pour sa part, a probablement gravi l’un des contreforts du mont Rose, dépassant les 2 500 mètres, et une littérature de voyage alpestre a commencé d’envahir les librairies. L’attrait de la montagne comme objet de curiosité, d’étude et de conquête se renforce nettement au milieu du XVIII siècle. « Grand Tour » des jeunes gens de bonne famille aidant, la vallée de Chamonix sort enfin du , pointe l’historien Philippe Joutard dans . Reste que le sommet de la « taupinière », tout en suscitant la fascination, semble toujours un inaccessible où l’air doit être irrespirable. Rares sont ceux qui éprouvent la tentation de défier le colosse à la tête éternellement perruquée de blanc et perchée à presque cinq kilomètres de hauteur.

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