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Comment Marianne a perdu son âme: Petites chroniques (impertinentes) de la France au milieu du XXIème siècle
Comment Marianne a perdu son âme: Petites chroniques (impertinentes) de la France au milieu du XXIème siècle
Comment Marianne a perdu son âme: Petites chroniques (impertinentes) de la France au milieu du XXIème siècle
Livre électronique275 pages4 heures

Comment Marianne a perdu son âme: Petites chroniques (impertinentes) de la France au milieu du XXIème siècle

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À propos de ce livre électronique

Nous sommes en 2050 et la France est au bord de l'explosion : perte de contrôle de notre économie, multiplication des attentats terroristes, intensification des tensions intercommunautaires, recrudescence de la délinquance, éclatement des structures familiales, restriction des libertés individuelles, déliquescence du système éducatif... Les premières victimes de cette débâcle sont les personnes les plus vulnérables et en particulier les enfants.
Peut-on expliquer ce désastre avec humour ? En invitant le lecteur à voyager dans la France de demain, l'auteur démontre que la catastrophe annoncée prend sa source dans les errements politiques d'aujourd'hui.
LangueFrançais
Date de sortie24 avr. 2017
ISBN9782322099146
Comment Marianne a perdu son âme: Petites chroniques (impertinentes) de la France au milieu du XXIème siècle
Auteur

Ladija Sonardeil

Ladija Sonardeil est fonctionnaire d'État et travaille pour un grand ministère, ce qui lui permet de côtoyer les arcanes du pouvoir. Elle est l'auteur d'une dizaine d'ouvrages d'économie et de théorie des organisations mais elle s'intéresse également à la sociologie politique et à l'Histoire. Ancienne normalienne, diplômée en droit des affaires, agrégée de l'Université, elle n'a pourtant jamais pu oublier son sens de l'humour et adore osciller entre le burlesque et le débat d'idées.

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    Aperçu du livre

    Comment Marianne a perdu son âme - Ladija Sonardeil

    L’avenir est quelque chose qui se surmonte. On ne subit pas l’avenir, on le fait.

    Georges Bernanos La liberté pour quoi faire?

    À mes enfants chéris, en espérant que Marianne saura se ressaisir pour leur offrir un avenir meilleur...

    L.S.

    Table

    La France est à vendre

    Une si jolie petit ville

    L’anniversaire de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant

    Une famille modèle

    La refondation de l’école

    Vers une justice à visage humain

    Vous êtes ici chez vous

    Vive La liberté d’expression!

    La France est à vendre!

    Personne ne peut dominer le Monde parce qu’il a une armée, mais parce qu’il est le meilleur.

    Slawomir Mrozek Le porte Plume

    Une nation n’a de caractère que lorsqu’elle est libre.

    Germaine de Staël La littérature

    Le 20 septembre 2041, 15h30

    Jean-Paul Pastis : — Bienvenue à Vous, chers internautes, followers et fidèles auditeurs de notre grand duel du mercredi! Le débat de ce soir opposera les auteurs de deux succès littéraires de la rentrée, disponibles sur tablette ou Smartphone chez votre fournisseur habituel. À ma gauche, François-Marie Candide, auteur de « La France bradée », un premier essai que je qualifierai d’alarmiste, qui dénonce l’appropriation par des investisseurs étrangers de notre patrimoine national. À ma droite, le célèbre professeur Tartarin Pangloss, qu’il n’est pas nécessaire de présenter, mais dont je rappellerai le titre de son dernier livre : « La mondialisation heureuse ». Je voudrais tout d’abord donner la parole à François-Marie Candide, moins connu du grand public. Vous êtes journaliste, c’est bien cela?

    François-Marie Candide : — Oui, je termine mes études de journalisme et je m’intéresse effectivement aux modalités de contrôle et de gestion de notre patrimoine historique et économique, que j’estime gravement menacé par différents …

    Tartarin Panglosss : — Jeune homme, j’ai lu votre petit essai. Avant d’écrire des livres catastrophistes et d’affoler les populations, je pense que vous devriez prendre un peu plus de temps pour vous documenter et approfondir votre réflexion…

    JPP : — Pardonnez-moi, Professeur, mais pour la bonne marche de notre débat, il me semble préférable de laisser chaque invité s’exprimer librement sans être interrompu. Monsieur Candide, pourriez-vous nous expliquer ce qui vous a décidé à écrire votre livre?

    FMC : — Oui, c’est la vente de la Tour Eiffel, en septembre 2039, à la branche européenne d’un fonds d’investissement international, la « Foundation for a Universal Corporation of Kindness » (F.U.C.K. Europe). Je n’ignore pas les contraintes budgétaires de notre pays, mais il me semble qu’une ligne blanche a été franchie et que les difficultés conjoncturelles ne doivent pas conduire à brader les éléments les plus prestigieux de notre patrimoine.

    JPP : — Professeur Panglosss, vous ne partagez pas les inquiétudes de notre invité n’est-ce-pas?

    TP : — Absolument, l’affolement de notre jeune ami est le résultat d’une ignorance profonde de notre passé récent et plus ancien, d’un nationalisme mal placé, et d’un catastrophisme dont je soupçonne qu’il a pour objectif d’accroître artificiellement les ventes d’un petit essai sans grand intérêt. Certes, je peux comprendre la valeur de symbole de la Tour Eiffel. Mais il est erroné d’affirmer que la Tour a été bradée ; l’organisme gestionnaire de la Tour, Le « COmité Régional Représentatif des Organismes gérant des Monuments PUblics » ( C.O.R.R.O.M.P.U. ndlr) a tout simplement procédé à une augmentation de capital, et si le fonds d’investissement dont parle monsieur Candide détient désormais une participation majoritaire dans ce capital, il ne faut pas oublier que l’État reste actionnaire et dispose d’un droit de regard sur la gestion de la Tour. Enfin, l’intervention du fonds d’investissement, dont je me permets de rappeler qu’il associe des capitaux qataris, russes et chinois, a permis de financer les travaux indispensables sans lesquels la Tour n’existerait peut-être plus dans quelques années. Bref, il faut savoir vivre avec son temps et ne pas avoir une peur irraisonnée de la mondialisation : tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.

    FMC : — Pardonnez-moi, Professeur Panglosss, mais je doute de l’effectivité du pouvoir de contrôle de l’État sur la gestion de la Tour : dois-je vous rappeler que son premier étage va bientôt accueillir un complexe commercial, un karaoké géant, des restaurants russes et chinois, une mosquée et un temple bouddhiste? Dois-je vous rappeler que des bureaux très inesthétiques sont en cours de réalisation entre le deuxième et le troisième étage, trahissant l’œuvre de Gustave Eiffel, que des drapeaux qataris, russes et chinois flottent déjà sur toute la longueur de la Tour, et que le dernier étage, qui a été agrandi, abrite maintenant le siège social de F.U.C.K. Europe?

    TP : — Et alors? Il ne s’agit que d’un bel exemple de rationalisation de l’espace. Vous n’ignorez pas que Paris manque cruellement de terrains constructibles. Alors seulement trois étages occupés sur plus de 300 mètres de hauteur, cela s’appelle du gaspillage. Quant à la mémoire de l’œuvre de Gustave Eiffel, vous me faites bien rire : croyez vous que Gustave Eiffel avait prévu à l’origine que l’on installerait des antennes radio et télé au sommet du troisième étage? Or, je me permets de vous rappeler que ces antennes ont été installées il y a plus d’un siècle et que l’expérience a été encouragée par Gustave Eiffel lui-même. Quelque chose me dit d’ailleurs que les récentes évolutions de la Tour n’auraient pas déplu à ce grand visionnaire qu’il était. Et pour finir, vous ne trouvez pas que les petits commerces du premier étage étaient un peu vieillots et décalés par rapport aux attentes du public d’aujourd’hui? Non, vraiment je ne vois pas le problème. Les touristes chinois peuvent maintenant acquérir des petites Tours Eiffel « made in China », dans de beaux commerces climatisés... C’est quand même mieux que les revendeurs à la sauvette sénégalais du début du siècle au Champ-de-Mars, dont les courses poursuites quotidiennes avec les forces de l’ordre suscitaient l’incompréhension et parfois l’anxiété des touristes. Cela avait effectivement un côté ridicule vous ne trouvez pas?

    JPP : — Je crois Messieurs qu’il sera difficile de trouver un terrain d’entente sur ce point, mais je ne voudrais pas que notre débat se limite à la seule question de la Tour Eiffel. Monsieur Candide, vous évoquez également dans votre livre le contrôle par des investisseurs étrangers des palaces et autres hôtels de luxe. Pouvez-vous nous en dire un peu plus?

    FMP : — En effet ; les palaces constituent un symbole du luxe et du savoir-vivre à la française, tout comme les casinos d’ailleurs. Leur intérêt touristique est évident. Il est extrêmement dommage qu’ils aient été vendus l’un après l’autre à des investisseurs étrangers.

    Le phénomène n’est d’ailleurs pas nouveau. Je suis né en 2016. Savez-vous qu’en 2016, la quasi-intégralité des palaces français avaient déjà été rachetés par des investisseurs étrangers, principalement qataris? Quelques exemples : entre 2000 et 2016, ces investisseurs venus du désert se sont offert dans notre capitale l’hôtel Raffles (ex Royal Monceau ), l’hôtel Concorde-Lafayette, l’hôtel du Louvre, plus l’hôtel Lambert sur l’île Saint-Louis, sans oublier l’hôtel d’Évreux, place Vendôme. Et ce n’est pas tout : dans le même temps, à Cannes, l’hôtel Gray Albion, l’hôtel Majestic, le Carlton et le célèbre Martinez, sans oublier le casino Barrière « Croisette » et le casino Barrière « Les Princes » passaient sous contrôle d’investisseurs qataris, tout comme Le Palais de la Méditerranée à Nice.

    Depuis, d’autres palaces ont été repris par des investisseurs asiatiques, moyen-orientaux, russes ou même américains et suisses. Il faut sauver les derniers grands hôtels encore français comme l’hôtel Fouquet’s sur les Champs Elysées. Et le combat ne se limite pas aux hôtels de luxe ou aux casinos. En 2015, la multinationale chinoise Jinjiang International a acquis Louvre Hôtels Group pour 1,5 milliard d’euros, marquant le début de l’offensive chinoise sur l’hôtellerie économique. Pour les auditeurs qui l’ignorent, Louvre Hôtels Group, c’est notamment les hôtels « Campanille », les hôtels « Kyriad » et les hôtels « Première Classe », entre autres. Les Chinois ont également régulièrement augmenté leurs participations dans le groupe Accor (Sofitel, Novotel, Pullman, Mercure, Ibis…) et ne cachent pas leur intention d’en prendre le contrôle. Même chose pour le groupe Pierre&Vacances-CenterParcs. En fait, au-delà de l’immobilier de prestige, c’est tout l’immobilier de rapport qui est aujourd’hui menacé.

    TP : — Mais menacé de quoi au juste? Chaque fois que des investisseurs étrangers ont repris un palace ou une chaîne hôtelière, d’importants travaux de rénovation ont été réalisés. Les grands hôtels ont ainsi pu retrouver leur lustre et reconquérir une clientèle qui avait tendance à les délaisser. Quant à l’immobilier de prestige que vous évoquez, il ne me parait pas anormal que certains immeubles soient achetés par des investisseurs étrangers. Il y a là des effets de mode, mais c’est aussi ça, le prestige de la France auquel vous semblez tant tenir. Et puis vous le savez, les Français ont plaisir à accueillir des stars qui, de plus, font à l’étranger la promotion de notre beau pays.

    FMC : — Hélas, les investissements étrangers ne se limitent pas aux achats de quelques personnalités médiatiques. Je vous évoquais tout à l’heure l’année 2016. Savez-vous qu’en 2016, le Qatar détenait déjà 35000 m2 sur les Champs-Elysées, et en particulier tout l’immeuble d’un ancien Virgin Megastore? À la même date, et toujours à Paris, le Qatar était déjà propriétaire de l’immeuble du Figaro, boulevard Haussmann, de l’immeuble du Printemps, sur les Grands boulevards, du Centre de conférences international de l’avenue Kléber, qui est depuis devenu l’hôtel Péninsula ; j’en oublie évidemment. Et le Qatar est loin d’être le seul investisseur étranger. En 2015, le groupe Morgan Stanley s’était déjà offert cinq immeubles à Paris et à la Défense, pour la coquette somme d’1,2 milliard d’euros. Déjà, à cette époque, la plupart des appartements de l’île Saint Louis appartenaient à des propriétaires étrangers. Il s’agissait du début d’un processus dangereux qui nous conduit à brader notre patrimoine.

    J’ajouterai qu’un important catalyseur est venu accélérer cette dynamique : l’État a depuis 50 ans vendu une grande part du patrimoine immobilier historique qu’il détenait. En 2015, l’État possédait encore 4% des 43180 monuments historiques protégés. Les communes en possédaient 40%, le reste appartenant à des investisseurs privés. Mais les différents gouvernements, pour des raisons financières, ont bradé plusieurs monuments historiques de prestige. Et les propriétaires privés, eux aussi à court d’argent, ont été contraints de vendre. C’est ainsi que dans les années 2020, les célèbres Cheverny, Chenonceau, Ussé, Villandry ou encore le Clos-Lucé – dernière demeure de Léonard de Vinci – ont été acquis par des propriétaires arabes, russes ou chinois, sans que le gouvernement ne cherche à s’y opposer.

    TP : — Tout cela ne nous empêche pas de vivre il me semble. Cela nous rapporte des capitaux et crée de l’activité dans notre beau pays, qui en a bien besoin.

    FMC : — Certes, mais les investissements étrangers, de plus en plus nombreux dans l’immobilier de luxe, ont eu notamment pour effet mécanique d’augmenter le prix du mètre carré. Dans certaines agglomérations, les jeunes ménages en quête d’un logement ne peuvent plus suivre et sont obligés de quitter la ville qui les a vus naître. C’est le cas à Menton, Saint-Jean-de-Luz, Biarritz ou Ajaccio par exemple, comme dans pratiquement tous les centres-villes des grandes agglomérations. Les conséquences de cette hausse artificielle des prix de l’immobilier sur le pouvoir d’achat sont dramatiques. Dans les secteurs touristiques, ce sont également des acquéreurs étrangers qui possèdent les plus belles villas, notamment sur la Côte d’Azur. Seul le littoral corse a résisté à cette évolution grâce à l’activisme de la population locale qui a eu recours, il est vrai à des méthodes quelque peu explosives… Et enfin, on parle trop peu des acquisitions étrangères dans le secteur de l’immobilier dormant…

    JPP : — Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est l’immobilier dormant?

    FMC : — Oui, il s’agit de tout bien immobilier situé à l’écart des villes et des grands axes, en des lieux tranquilles et isolés. L’immobilier dormant comprend essentiellement des terres et des forêts, des étangs, de vieilles maisons, de vieilles fermes ou châteaux qui semblent à l’abandon, bref des biens peu demandés qui ne figurent pas sur le marché traditionnel de l’immobilier. Trois grands holdings internationaux, l’un au Luxembourg, l’autre à Singapour, le dernier dans l’Illinois, ont créé des sociétés immobilières dont la mission est de racheter en masse ce type de biens, souvent sous-évalués et peu recherchés par la clientèle française. Mais progressivement, ce sont des pans entiers du territoire qui passent sous contrôle étranger.

    JPP : — François-Marie Candide, vous évoquez également dans votre livre le cas des exploitations viticoles. Seraient-elles, d’après vous, réellement menacées?

    FMC : — Absolument. Permettez-moi un rapide retour en arrière : pendant des siècles, les principaux vignobles français ont appartenu à de grandes familles qui les exploitaient de père en fils, les rares ventes se réalisant entre propriétaires terriens initiés. La ruée des investisseurs chinois vers les vignobles français a débuté en 2008 avec l’acquisition d’un premier château bordelais, Latour-Laguens, par un géant du trading, « Longhaï », basé à Qingdao. Dans la période qui suivit, plusieurs dizaines de domaines sont passés chaque année sous pavillon chinois. Lors de cette première phase d’acquisitions, les transactions se limitaient à quelques dizaines de millions d’euros, loin du prix des grands crus classés. Certains acquéreurs étaient d’ailleurs de réels passionnés de la vigne, soucieux de préserver les vignobles qu’ils avaient acquis. On peut par exemple citer le Château Lezongars, un domaine de l’appellation Cadillac Côtes-de-Bordeaux, repris par un milliardaire chinois du nom de Niu Gang, cela ne s’invente pas… Il s’agit d’un château chargé d’histoire, construit sous Napoléon Ier par un célèbre négociant de Bordeaux, Pierre Ladurandie.

    Mais on pourrait également évoquer Château Renon, autre AOC Cadillac, qui a été en 2014 le centième château racheté par des investisseurs chinois, après Château Laulan Ducos, dans le nord du Médoc, Château La Rivière en AOC Fronsac, ou encore le Château du Grand Mouëys à Capian, à l’est de Cadillac et le prestigieux Château Lascombes, un Margaux Deuxième cru, classé en 1855. Mais tous les investisseurs ne sont pas, hélas, des amateurs éclairés d’œnologie : il faut savoir que pour les riches chinois, acheter un château français, c’est un signe de réussite sociale. L’actrice chinoise Zhao Wei s’est ainsi offert le Château Monlot. Un milliardaire de Hong Kong a racheté le Château Mylord à Grézillac, dans l’Entre-Deux-Mers…

    La liste est encore bien longue, d’autant que certains châteaux semblent avoir été acquis avec des fonds publics chinois! Depuis 2010, plus d’un domaine de Bordeaux sur deux mis en vente est racheté par un investisseur chinois.

    JPP : — Mais il ne s’agit que de vignobles de second plan. Nos crus les plus prestigieux sont tout de même protégés il me semble?

    FMC : — Hélas non : à partir de 2012, les investisseurs chinois ont jeté leur dévolu sur les domaines classés les plus prestigieux, dont la valeur atteint plusieurs centaines de millions d’euros. Le premier grand cru classé Saint-Emilion à passer sous contrôle chinois fut le château Bellefond-Belcier, acheté par monsieur Wang, un industriel spécialisé dans l’extraction de minerais. En 2013, un investisseur de Macao, Xiangzhong Yang acquiert la prestigieuse marque de cognac « Maison Menuet », médaille d’or à l’Exposition universelle de Paris en 1900. Depuis, les acquisitions de prestige se sont multipliées. Les vignobles bourguignons sont d’ailleurs également concernés : après la vente du prestigieux château de Gevrey-Chambertin à un investisseur chinois en 2012, pour huit millions d’euros, deux autres pépites sont passées sous contrôle étranger : en 2014, le château de Pommard a été racheté par un patron de la Silicon Valley, Michael Baum, et en 2016, un autre américain, Stanley Kroenke, également propriétaire du club de football d’Arsenal, s’est offert le domaine Bonneau du Martray, dont les vignes s’étendent sur la fameuse colline de Corton près de Beaune. Mais les Chinois restent les premiers investisseurs car ils jouent sur un triple tableau : premièrement, il s’agit de répondre à l’évolution des goûts des consommateurs chinois, de plus en plus nombreux à apprécier le vin de qualité. En second lieu, l’acquisition de domaines français constitue une parade face à la répression de la contrefaçon…

    JPP : — Mais rassurez-moi : il est matériellement impossible de réaliser des contrefaçons de grands vins n’est-ce pas?

    FMC : — Savez-vous qu’il circule plus de bouteilles de Château Lafite-Rothschild en Chine qu’il ne s’en est jamais produit en France? En achetant un domaine, les investisseurs chinois acquièrent du prestige, un savoir-faire, mais aussi une marque : ils peuvent ainsi commercialiser en toute légalité dans leur pays des vins produits en Chine et portant le nom d’un prestigieux château français. De plus, et ce troisième point n’est pas le moins important, les acquéreurs chinois de domaines viticoles réalisent un placement sécurisé de capitaux hors de leur pays.

    Aujourd’hui, les investissements spéculatifs dans le bordelais mais aussi en Bourgogne – Château Gevrey-Chambertin, Vosne-Romanée et Nuits-Saint-Georges, rachetés en 2012 – ou en Champagne, sont contrôlés par deux grands groupes chinois concurrents : le groupe Ghonzaï qui a créé une immense chaîne de boutiques à travers la Chine pour commercialiser ses vins ainsi que de gigantesques entrepôts à température idoine.

    Ce groupe a également créé sur la colline de Lushan un palais des vins, reproduction à l’identique du château de Versailles avec ses bâtiments et jardins à la française, qui abrite un gigantesque centre commercial en sous-sol dédié au vin.

    Son principal concurrent, un groupe diversifié dirigé par le magnat Qu-Mou-Yé, a commencé son activité viticole en acquérant le Château Chenu-Lafitte en 2011, puis de nombreux domaines prestigieux principalement dans le bordelais. Outre la création d’un festival du vin, très populaire en Chine, ce passionné a lui aussi construit une réplique d’un château, bordelais cette fois-ci, entouré d’un vaste domaine résidentiel. Le groupe propose des cours d’œnologie, ainsi que la visite d’un temple du vin, qui expose au public toutes les phases de la chaîne de production, depuis les vendanges jusqu’à la mise en bouteille…

    TP : — Jeune homme, vous reconnaissez vous-même dans ce petit cours que les investisseurs chinois ont permis de mettre en valeur notre production nationale et de promouvoir à travers le vin, la qualité et le romantisme des produits français… J’ajouterai que les Chinois constituent le fer de lance de l’innovation dans le secteur viticole. Il parait que les vins rouges au jasmin ou les rosés à la menthe connaissent aujourd’hui un certain succès…

    FMC : — Oui, mais les investissements asiatiques ont également contribué à ruiner de nombreuses exploitations françaises, incapables de lutter contre cette nouvelle concurrence. De plus, les acquisitions chinoises ont entraîné un fort accroissement du prix des domaines, qui deviennent inaccessibles pour de jeunes exploitants désireux de se lancer. D’autre part, l’image des vins français est durablement ternie par ces évolutions, d’autant plus que les contrefaçons n’ont pas cessé, bien au contraire, ce qui jette un discrédit évident et durable sur toute la production viticole française. Quant aux investissements purement spéculatifs, ils contribuent à déstabiliser le marché, ce qui est économiquement préjudiciable, et rend les prix des produits très sensibles aux évolutions des modes de consommation ou aux priorités des investisseurs. Et ce phénomène ne concerne pas que les exploitations viticoles. Les Chinois, depuis une trentaine d’années, pratiquent une politique d’acquisition systématique de terres agricoles, facilitée par la crise du secteur, dont les conséquences à moyen terme sont pour le moins inquiétantes. Les responsables départementaux des Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), en charge de la gestion du foncier agricole n’ont pas jugé utile de réagir face au bradage de milliers d’hectares de terres berrichonnes, charentaises ou sarthoises…

    JPP : — Et comment expliquez-vous cette passivité?

    FMC : — C’est pour moi incompréhensible. À titre de comparaison, lorsque les Chinois ont voulu racheter en 2016 l’entreprise australienne S.Kidman and C° – qui détient des terres agricoles couvrant 1% du territoire – le gouvernement australien a bloqué le processus, jugé « contraire aux intérêts nationaux ». Il est vrai que ces terres représentaient une surface équivalente à celle de l’Irlande… Mais chaque fois que cela est possible, les Chinois acquièrent des terres en Afrique, en Russie, en Europe de l’Est et même aux États-Unis!

    TP : — Et à chaque fois, les Chinois paient les terres au prix

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