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No-mad
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Livre électronique259 pages4 heures

No-mad

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À propos de ce livre électronique

Un hétéroclite groupe d’amis a rendez-vous à Milan pour l’anniversaire d’un prestigieux journal. Chacun d’eux vient de différents pays et circonstances et vont fêter ensemble l’évènement dans un cadre privilégié : la gallerie Vittorio Emanuele, qui a été fermée pour l’occasion.
Raconté en première personne par Léonardo Ruiz, psychologue et consultant d’entreprises espagnol, No-mad est un passage à travers quelques unes des inquiétudes du trépidant début de millénaire en cours. Léonardo est un cynique optimiste, habitué aux entourages multiculturels et au travail avec les névroses qui nichent dans le quotidien des corporations. En sa compagnie, le lecteur est submergé dans un nuage d’archétypes et appréciations tout au long d’une journée ludique, sophistiquée et décadente.
Le roman est un innocent jouet psychologique qui, par le biais de légers clins d’œil, nous propose une promenade fraîche et nonchalante par la mentalité de notre époque de transition digitale et intégration de cultures.

LangueFrançais
Date de sortie20 mars 2016
ISBN9781310226472
No-mad
Auteur

Pablo Reig Mendoza

Pablo R Mendoza es especialista de "Business Intelligence", emprendedor y nómada recalcitrante.

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    Aperçu du livre

    No-mad - Pablo Reig Mendoza

    Juan Mari Arzak, un chef cuisinier basque de très grande réputation, a dit une fois que, sans aucun doute, le meilleur plat du monde était le croque-madame fait avec beaucoup de tendresse. Ce qui à première vue peut paraître une boutade se convertit, lorsqu’on l’envisage sous un certain angle, en une grande vérité. Au cours de ma courte existence, j’ai connu quelques personnes étonnantes dont le hobby était de tester le même plat dans tous les restaurants du monde, ce qui leur donnait une connaissance profonde du sujet, à tel point qu’elles peuvent, encore aujourd’hui, corriger les pratiques culinaires de quelques grands chefs.

    Un couple, lui journaliste et elle psychologue, séparés aujourd’hui par ces tournants propres de la vie, m’a particulièrement frappé. Cela faisait dix ans qu’ils étudiaient la fameuse salade Waldorf. De manière étonnante, il était capable de préparer une version exquise de cette salade avec ses propres mains, chose de laquelle bien peu de wannabes gourmets peuvent se targuer. Ces derniers ont tout goûté mais sont incapables de faire une omelette, ne parlons pas d’un œuf au plat, puisque la bonne préparation de celui-ci requiert des connaissances minimales de thermodynamique.

    Une autre figure marquante de la Transition espagnole, journaliste également, et détenteur d’un savoir encyclopédique, teste depuis cette époque toutes les fabadas asturiennes qui sont en vente sur la face de la terre et je n’ose pas imaginer les contrariétés sur lesquelles a débouché un objectif aussi singulier, pas seulement pour la lourdeur proverbiale de ce plat régional, mais surtout parce que cet ami que j’admire a beaucoup voyagé et il y a de par le monde des cuisiniers qui mériteraient des coups de bâton.

    En ce début de millénaire si frénétique, l’émigrant occasionnel, et particulièrement celui des nouvelles générations, a pour habitude de tuer la saudade de la mère patrie en ouvrant quelque spécialité en boîte. Dans le cas de l’Espagne, c’est, sans aucune contestation possible, la fabada Litoral, tout un icône national, qui remporte la palme. Les Français ont une préférence pour le cassoulet et les magrébins pour le couscous. Je ne veux pas passer en revue maintenant tous les pays du monde, histoire de ne pas perdre le fil de mon argumentation, mais Dieu reconnaîtra les siens. Je me contenterai de dire que les Italiens les plus ternes ne se satisfont que des sauces, puisque l’Italie est un pays où les entrées sont délicieuses et les plats principaux exécrables, tandis que les peuples saxons n’ont pas encore fini de peaufiner leurs goûts ; « c’est que par ici, la Renaissance n’est pas passée » dirait un autre ami, établi depuis longtemps à Londres. Les saxons sont des lumières sur d’autres sujets, mais pas sur celui-ci.

    Quoi qu’il en soit, il se passe la même chose avec la fabada en boîte qu’avec les hamburgers des fast-food : la première cuillerée te conduit directement dans les bras de ta grand-mère dans le cas de la fabada et la première bouchée du premier beurk-mac venu t’amène à la cinquième avenue de New-York, même si tes pieds ne l’ont jamais foulée. Au fur et à mesure que tu continues à manger, la fabada se convertit peu à peu en une pâte au piment aigre et dégoûtante et le pain du sandwich américain commence à confesser son incontestable ressemblance avec le bristol, que ce soit par sa saveur ou par sa texture. Toute personne faisant autorité en matière de vie dissolue pourra se rendre compte de la similitude étonnante entre cet effet gustatif et le souvenir de ses amours fugaces.

    Chacun d’entre nous se voit proposé, en quantité variable, un certain nombre de plats qu’il teste au cours de sa vie, et, par conséquent, se forge une opinion sur ce que doit être, par exemple, l’archétype immortel du croque-madame. En ce qui me concerne, le meilleur est pour l’instant, et sans aucun doute, celui de la pâtisserie Casa da Guia de Cascais : du pain de campagne grillé, une noix de beurre chaud et un Océan Atlantique sans égal. C’est d’ailleurs le problème de la gastronomie comme art majeur : il est difficile, pour ne pas dire impossible, de reproduire deux fois la même sensation.

    Les œufs Bénédicte eux-mêmes te marquent de beaucoup de manières différentes selon l’état dans lequel tu te trouves, le lieu, la compagnie et l’environnement. Ainsi, l’on essaye de se rappeler les douces formes, le fin duvet et les regards du coin de l’oeil complices d’Ana, ce fameux matin à l’Hôtel du Louvre, pendant le déjeuner composé d’huîtres avec brioche et Billecart-Salmon… jamais je ne retrouve ce goût. Ca va même plus loin, depuis qu’Ana m’a largué avec un « va mourir » et que par la suite ses avocats m’ont communiqué les dates des visites à notre enfant pour les dix années suivantes, lors des rares rechutes « au nom du bon vieux temps » que nous avons eues, Ana non plus n’a plus le même goût, je suppose que c’est réciproque. Ce qui est sûr, c’est que jamais plus je n’ai accompagné les huîtres avec de la brioche.

    Ce que vous êtes en train de lire est-il un roman ? Je ne sais pas. D’une certaine manière, le fait d’écrire à la première personne m’implique, tout comme le fait que vous vous laissiez aller à lire ces lignes vous implique. Les mots ont un pouvoir hors du commun. Maintenant que l’hypnose n’est plus l’hypnose mais la PNL et que tout le monde paraît être docteur ès suggestion, force du langage corporel et autres animaux, bien peu d’entre nous nous sommes aperçus de la naissance de la suspicion a priori envers les relations sociales et professionnelles. J’explique : il suffit que tu hausses le sourcil pour que tes interlocuteurs se demandent si tu es en train de créer un point d’ancrage psychique pour leur implanter un virus mental. Ils ne savent pas que tu hausses le sourcil trois-cent-cinquante-quatre fois par jour parce que tu as un tic et que tu peux même hausser les deux sourcils. Absorbés dans leur réflexion sur comment se défendre de cette attaque souterraine, ils passent à côté de ce que tu voulais leur dire, même si ton message n’avait pas beaucoup d’importance.

    J’ai commencé ce texte en vous parlant du croque-madame pour la simple raison que nous sommes au début de la diatribe et qu’en ce qui me concerne j’en suis au début de ma journée, et dans tous les ménages dignes que je connais la journée commence par un petit déjeuner plus ou moins copieux. Par conséquent, pour que les « good vibes » puissent circuler librement je vous prie de bien vouloir vous relâcher : vous n’allez pas être hypnotisé si vous lisez ce texte jusqu’au bout, je ne possède pas dix cahiers sur la mythologie qui activeraient en vous une vive flamme culturelle provoquant que vous sortiez pour manifester afin d’exiger que votre gouvernement fasse quelque chose pour qu’absolument rien ne se produise. Mon ambition est que vous et mois faisions un bout de chemin ensemble et que ce soit amusant tant pour vous que pour moi, moi en écrivant, et vous en lisant. Sur ce, j’ai terminé mon petit déjeuner et je peux commencer la journée avec une bonne pêche, journée qui démarre dans un appartement que l’on m’a prêté, face à la Via Fatebenefratelli de Milan, et qui terminera sûrement avec quelques émotions.

    Cela fait quelques semaines que Jérôme organise une soirée pour le journal qu’il dirige, il s’agit d’une soirée thématique et bénéficiant d’un budget solide. Comme c’est l’anniversaire de la fondation de cet illustre quotidien, a été loué pour quelques heures le fantastique carrefour de la galerie Vittorio Emanuele et l’on fera venir pour chaque section du journal une sommité mondiale experte du sujet, et celle-ci prononcera un petit discours. Fermer un espace public pour une fête privée n’est pas évident, c’est pourquoi Jérôme – que j’appellerai dorénavant Jéjé, puisque c’est sous ce nom qu’il est connu par ses amis – a eu la bonne idée de demander à la mairie une autorisation pour tourner un film. Je dois dire que Jéjé a une facilité admirable pour duper les gens avec gentillesse, il est belge, mais il pourrait être le lointain neveu de Toto ; il se trouve en Italie comme un poisson dans l’eau. Non seulement il les a convaincu que le tournage est pour une superproduction des studios Paramount, mais encore il a réussi à ne pas avoir à payer de taxe sous condition que la fille d’une amie du premier ministre joue pendant quelques minutes dans le film. Tangentopoli.

    Jéjé et moi nous sommes connus quand nous étions jeunes et pauvres, ces deux conditions étant l’unique manière de profiter du continent européen sans être ni millionnaire, ni touriste, ni retraité. Nous nous sommes rencontrés dans un sombre bureau à Bonn où nous faisions du télémarketing pour plusieurs multinationales. A l’époque non plus, il n’était pas facile de pénétrer dans l’intimité des familles pour y éduquer les femmes au foyer et le téléphone portable était un luxe que peu de personnes pouvaient se permettre. En y pensant bien, les femmes au foyer existaient encore et les prêts immobiliers de plus de dix ans étaient une impossibilité métaphysique.

    Je n’ai pas l’intention de vous avouer mon âge, mais si cela peut vous être utile, circulaient encore en Allemagne les durs et lourds Mark allemands, je me demande encore pourquoi ils ne les avaient pas faits carrés. Bref, nous nous trouvâmes des atomes crochus et notre amitié dure encore aujourd’hui, je pense que c’est dû à l’intermittence de la relation, qui permet d’avoir le temps de se manquer l’un à l’autre et d’avoir des choses croustillantes à raconter quand nous nous revoyons. Nous étions pauvres comme Job à l’époque. Nos maigres épargnes étaient destinées à la boisson, ce qui ne nous empêchait pas de faire bombance avec des risotto à base de soupe de champignons en sachet ou des pâtes à la bratwurst râpée, sans parler des soirées choucroute végétarienne. Lui clamait déjà par monts et par vaux sa vocation journalistique et, pour ma part, je commençais à flirter avec la psychologie d’entreprise.

    Avant Bonn, Jéjé avait initié sa carrière à Rome comme assistant d’un animal politique, l’un de ceux qui ne gagneraient jamais une élection mais qui sont les premiers à parler de légalisation des drogues en se donnant en exemple et en se faisant arrêter pour avoir vendu à la criée de la marijuana sur la Piazza di Spagna. Il y a toujours quelque chose à apprendre des autres et, de tout ce que Jéjé avait appris auprès de ce monsieur si digne d’éloges, le commentaire suivant est resté gravé dans ma mémoire : « La fonction publique a comme unique raison d’être la création de problèmes dans le but de vendre des solutions. » Je me rappelais cette perle il y a peu quand, dans la file d’attente d’un ministère, j’entendis un fonctionnaire russe répondre au récit d’un cas épineux : « On a su le déguiser ? » Ce n’est pas la fonctionnaire, c’est la fonction.

    Pour en revenir à nos moutons, nous nous sommes rencontrés à Paris il y a environ un mois, lui était en train de régler les derniers détails d’un reportage sur les derniers conflits estudiantins et pour ma part, je devais animer quelques séminaires de réorientation assertive pour une boîte de films américaine. Nous nous sommes donnés rendez-vous vers cinq heures de l’après-midi au Trappiste, histoire de déguster un peu de malt d’abbaye. Cela faisait à peu près un an que nous nous étions croisés. Il apparut à l’heure dite, comme toujours. C’est-à-dire qu’il apparut à cinq heures et demie puisque, selon lui, une demi-heure de retard était l’équilibre parfait entre l’heure de retard des femmes qui se font désirer et la bien connue ponctualité britannique. Pour tout ceux qui n’ont jamais attendu de train dans les îles anglaises, je confirme que je n’ai jamais ni vu, ni entendu parler d’un retard inférieur à quinze minutes dans l’aire du Grand Londres.

    –Léonardito ! Comment ça va, mon petit père ? – pendant qu’il agitait son manteau afin d’en enlever l’eau, on voyait qu’il était vraiment content. Dehors, il pleuvait de cette pluie si désagréable qui tombe en avril dans cette ville.

    –Ca va super bien, Jéjé ! Content de te retrouver dans ce trou, plus chauve et plus gros. J’aime constater que tu n’as toujours pas le temps de t’occuper de toi-même. Je t’ai vu arriver en voiture et je t’ai demandé une Lambic, juste comme tu aimes. Allez, assieds-toi et raconte-moi les dernières nouvelles!

    Il se passa instinctivement la main sur la mèche blonde et malingre qui décorait toujours son front, comme pour s’assurer de sa présence. Il s’assit très bruyamment et passa son doigt sur mes verres de lunettes en guise de représailles. Je posai les lunettes sur la table sans plus de cérémonial et nous éclatâmes de rire. Son rire est très particulier, entre la plainte du furet en rut et le cri de victoire de la dinde qui réussit à survivre à Noël. Un rire contagieux et exubérant qui ne passe jamais inaperçu et qui, par le passé, nous couta plus d’une bagarre de taverne mal fréquentée.

    –Léo, Léo, Léo, petit père, toi, c’est sûr que tu n’es pas chauve, qu’un éclair te fende en deux, mais tu n’es pas franchement plus maigre que la dernière fois ! Je suis surexcité bien comme il faut : en France être étudiant et manifester sont deux choses qui vont toujours de pair et, cette fois-ci, ils ont brûlé quinze voitures au Bois de Boulogne.

    –Quinze voitures ! Les gamins ne se rendent donc pas compte du désarroi que ça va provoquer aux propriétaires, qui sont des contribuables comme les autres ? Même si en fin de compte c’est l’assurance qui paye, ça me paraît complètement déplacé. En Espagne, on s’en est toujours pris au mobilier urbain, avec une préférence marquée pour les containers…

    –Non, mon cher ibère, l’assurance ne paye plus dans ces cas-là… tout au moins en région parisienne, depuis qu’un cabinet d’avocats a fait appel pour qualifier les manifs comme étant des actes de terrorisme et qu’un autre cabinet, du même propriétaire il me semble, a ajouté au recours un dossier détaillé sur le fait que les manifs étudiantes doivent être considérées comme des catastrophes naturelles, vu que les universités appartiennent à l’écosystème urbain. Le sujet est débattu en cour d’assises depuis quelques trois ans pour un décès qui n’a rien à voir avec les voitures brûlées. Les propriétaires de voiture l’ont bien dans l’os.

    –Je ne vais même pas chercher à savoir si tu te fous de ma gueule o si tu es sérieux, vieille canaille! Comment va Silvia ? Cette femme mérite trois fois le paradis pour te supporter depuis si longtemps.

    Jéjé but une bonne rasade et sortit son petit sachet de Drum, qu’il avait commencé à acheter à Bonn pour arrêter de fumer, avec l’argument que le tabac à rouler le répugnait, et qu’il n’a pas lâché depuis. Je commandai une autre tournée pendant qu’il me répondait.

    –Silvia mérite réellement d’aller au paradis, et moi je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour qu’elle gagne le droit d’y aller, histoire que quelqu’un puisse intercéder en ma faveur là-haut. Tu ne connais pas la dernière ? Elle veut se marier. Le problème c’est que je l’aime comme je n’avais jamais aimé personne auparavant, et si nous ne vivions pas en Italie je ne me poserais pas beaucoup de problèmes, mais sa famille me fait peur: ils sont trop catholiques.

    –Trop catholiques ? Alors ça, tu vas devoir t’expliquer ! Surtout que tu es le fils d’un administrateur du patrimoine des maristes, avec les avantages que cela implique – je l’interrompis –. De plus, comment arrives-tu à mesurer l’excès de catholicisme, judaïsme, bouddhisme, etc. ? – Il fit entendre son rire sonore une fois de plus et ouvrit solennellement ses yeux clairs et vitreux.

    –Tu te rappelles de la grossesse nerveuse de sa sœur, grossesse de laquelle ils m’accusèrent injustement d’être le responsable ? Et bien, bien des années plus tard, face au peloton d’exécution, pardon, face à la famille au complet lors d’un dîner à Rome, ils m’ont tendu un piège philosophique en me rappelant l’incident et j’ai bien cru ne jamais pouvoir m’en sortir. On est trop catholique quand on utilise la morale comme arme chauffée à blanc contre son prochain. Dieu est amour et point final, le reste pour chacun. Mais nous parlions de Silvia, je ne saurais pas vivre sans elle et d’ailleurs tu la verras à Milan, comme ça vous pourrez parler de doctrines et, au passage, tu mettras en pratique ton italien. Demande qu’on nous apporte quelque chose de salé et raconte-moi ce qui t’amène à Paris. Comploteur!

    –Moi je sors d’un séminaire sur la réorientation assertive, avenue Montaigne. Les middle-managers sont coriaces, un peu plus et j’arrive plus tard que toi à cause de la séance de questions qui s’est éternisée. – nouvel éclat de rire spécial Jéjé.

    –Réorientation assertive ? Qu’est-ce que vous allez nous chercher, mon petit père ? Le fil à couper le beurre ou le string à couper le souffle?

    –Nous sommes comme ton cabinet d’avocats, nous avons une équipe de coaching qui enseigne l’assertivité dans les grandes entreprises et moi, je fais partie de l’équipe de SWAT qui la désapprend. Ainsi nous arrivons à faire que l’équilibre mental des départements soit parfait, tu sais bien que le turnover dans les entreprises multinationales s’accélère et crée des déséquilibres.

    – Je te dédierai un article spécial dans la revue hebdomadaire avant la fin de l’année, mon petit père. Mais sérieusement : vos tarifs sont ceux qu’ils sont simplement à cause de ce que tu es en train de me raconter ?

    J’ai toujours beaucoup de mal à expliquer à un profane la nature de mon travail. Il se trouve que généralement, c’est un profane qui doit signer les budgets, et du coup, je vis dans un conflit permanent entre cette difficulté personnelle et mes objectifs de chiffre d’affaires. Par chance, cela fait déjà quelques années que ce sont d’autres qui finalisent la vente et je me limite à faire mes discours éclectiques entre deux voyages. Cela ne m’empêche pas de devoir justifier mes services de temps en temps et j’ai mon argumentaire assez bien en place.

    –Ce n’est pas si simple, gros nigaud ! Ta profession a encore une composante créative et cela te sert à guérir ta névrose, malgré le fait que vous autres vivez de la publicité et de faire de la politique plus que de la vente de journaux. Ton cynisme mis à part, moi qui te connais, je sais bien que tu as le souci de maintenir une ligne éditoriale qui apporte un peu d’air frais à vos lecteurs, et donc en fin de compte tu me ressembles un peu par ta fonction de soupape, même si pour le reste tu es différent. Dans la majorité des professions ce n’est vraiment pas le cas, et il faut se rappeler que, bien que la base du business soit les sacrosaints chiffres, ce sont des êtres humains qui vont aux réunions et qui font tourner l’entreprise au jour le jour, et leurs bonnes performances ont également un impact sur le bilan comptable de la société. Dans un contexte de réduction budgétaire globale, mon travail consiste à maintenir le moral des troupes à un niveau acceptable et à optimiser l’huilage psychosocial des groupes et des individus. Cela ne me convertit pas en une Marlène Dietrich rendant visite aux marins, ni en Docteur Cagliari, ni en Charlie Rivel, mais j’essaye tout de même que mes interlocuteurs apprennent à être Houdini et à renforcer leur santé mentale sans impacter négativement l’entreprise ou ses collègues. Tu as compris maintenant, cimetière à moules-frites ?

    –Tu me rappelles effectivement pas mal mes cabinets d’avocats avec ta description, et on ne peut pas dire qu’ils aillent mal non plus ! Une raison de plus pour que tu aies cet espace afin que tu puisses expliquer ton marché à mes lecteurs. Dans le temps on se moquait aussi devant l’œuf de Christophe Colomb et les dents de Brel. Fruits de mer ou steak tartare, mon cher ibère?

    Et ainsi, entre le furet et la dinde, nous terminâmes les bières et nous fûmes à critiquer la viande toujours délicieuse de La Maison de l’Aubrac et ses rouges d’origine contrôlée. La nuit dura longtemps dans le Folies Pigalle, c’était une session VA assez bien équilibrée dont nous rendit compte Martine, la femme de Philippe, tandis que nous dinions et Jéjé me passait les détails de l’organisation de la fête à Milan.

    « Cher ami,

    Pour le vingtième anniversaire du Giornale del Mondo, nous avons le plaisir de vous inviter au tournage de la fête qui aura lieu à la Galerie Vittorio Emanuele, accès Duomo, le 29 mai à partir de 22h30 et jusqu’à ce que le corps des Carabiniers nous vire à coups de pied dans l’arrière-train.

    Pour l’occasion plusieurs personnalités nous gratifieront d’un bref discours, pour lequel nous leur avons demandé qu’ils nous développent une nouvelle imaginaire sans qu’aucun d’entre eux ne s’étende plus de quinze minutes. Ceux qui veulent s’ennuyer peuvent bien venir à notre rédaction n’importe quel jour après la fermeture, mais la fête a été

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