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La Rebelle
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Livre électronique430 pages5 heures

La Rebelle

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À propos de ce livre électronique

Le rebelle le plus recherché cache un visage qu'il n'a jamais oublié.
Gagnant du Médaillon Holt

Recherché... pour crimes contre le roi.
En représailles à la brutalité des troupes anglaises, le rebelle irlandais Egan riposte, à la tête d'un groupe secret de révolutionnaires, et se forge une légende dans tout le pays.
Rejetée... par sa propre famille.
Jane Purefoy est une femme au passé chargé. Fille d'un magistrat anglais, elle a vu son amant irlandais mourir sur la potence. Aujourd'hui, la réputation de Jane est ruinée et elle a pratiquement cessé d'exister aux yeux de sa famille.
Désirée... avec une passion interdite.
Sir Nicholas Spencer se rend à Woodfield House pour faire la cour à la plus jeune des sœurs Purefoy lorsqu'il croise le chemin du tristement célèbre Egan. Ne se laissant pas intimider, Nicholas met le rebelle à terre et le démasque, pour découvrir le charmant visage de Jane. Envoûté par la fougueuse jeune fille, Nicholas décide de garder son secret tout en se lançant dans un plan de séduction risqué - qui plongera la famille de Jane dans le chaos, le pays dans la rébellion et son cœur dans les affres d'un amour qui ne pourra jamais être...

"L'histoire classique du rebelle déguisé n'a jamais été aussi amusante, excitante ou romantique."
- Susan Wiggs NYT Bestselling Author
LangueFrançais
ÉditeurBook Duo Creative
Date de sortie17 nov. 2025
ISBN9781970333220
La Rebelle
Auteur

May McGoldrick

Authors Nikoo and Jim McGoldrick (writing as May McGoldrick) weave emotionally satisfying tales of love and danger. Publishing under the names of May McGoldrick and Jan Coffey, these authors have written more than thirty novels and works of nonfiction for Penguin Random House, Mira, HarperCollins, Entangled, and Heinemann. Nikoo, an engineer, also conducts frequent workshops on writing and publishing and serves as a Resident Author. Jim holds a Ph.D. in Medieval and Renaissance literature and teaches English in northwestern Connecticut. They are the authors of Much ado about Highlanders, Taming the Highlander, and Tempest in the Highlands with SMP Swerve.

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    Aperçu du livre

    La Rebelle - May McGoldrick

    Chapitre Un

    Waterford, Irlande, septembre 1770

    À travers les champs pierreux, le feu se coulait comme une monstrueuse créature dévorant tout sur son passage. D'épais tourbillons de fumée s’élevaient, masquant les étoiles, les remplaçant par des gerbes d’étincelles et de brandons, qui rougeoyaient brièvement avant de s’éteindre dans le ciel nocturne.

    Des récoltes poussées sur ces terres ingrates, arrosées de la sueur de générations de paysans, patiemment labourées, amendées, ensemencées, en un instant il ne restait plus rien. Orge, pommes de terre, choux, froment, dévorés par les flammes, s'en allaient en cendres.

    Des troupes d’hommes armés de torches avaient surgi des crêtes surplombant le vallon. Avec fureur et méthode, ils ne laissaient derrière eux que terre brûlée. Bientôt, le toit de chaume d'un premier cottage s'enflamma dans un craquement sinistre. Des dizaines d'hommes, de femmes et d'enfants paniqués s’enfuirent en hurlant dans la nuit. Nul moyen pour eux de résister à un tel assaut. Aucun refuge sur Terre contre une telle folie.

    Un autre cottage, puis un autre encore s'embra­sèrent. De l'un d'eux surgit un bambin esseulé, paniqué, qui s’assit dans la poussière et plaqua ses mains contre ses yeux pour ne rien voir de l’en­fer qui l’entourait. Le cri déchirant d'une mère, emportée par d'autres contre son gré, s'éleva. Tous fuyaient vers un épaulement rocheux, à mi- hauteur de la colline, seul refuge possible contre les flammes.

    Les premiers villageois y parvenaient enfin quand un cavalier masqué, surgi de la nuit, fit halte auprès d’eux. Toute la rapidité de sa mon­ture n’avait pas été suffisante pour lui permettre d’arriver à temps. L’attaque avait été trop brutale. Elle était survenue sans prévenir, sans procédure légale, sans aucune justice. Et la même iniquité se répétait à travers toute l’Irlande.

    La rage au cœur, le cavalier regarda le village flamber au creux du vallon. Demain, les mêmes hommes sans âme qui avaient mis le feu met­traient à bas les derniers murs noircis. Dans une semaine, ils creuseraient des fossés et plante­raient des haies pour enclore des pâturages. Au printemps suivant, il n’y aurait plus que du bétail pour se nourrir de cette terre, condamnant les vil­lageois à errer le long des routes d’une campagne radicalement remodelée.

    Une mère en larmes s’accrocha aux jambes du cavalier, qui, après l’avoir écoutée, se lança au galop en direction des cottages incendiés. Un ins­tant plus tard, il plongeait au cœur de l’enfer. Les pleurs de l’enfant le guidèrent jusqu’à lui. À l’ins­tant où il mit pied à terre, une bâtisse s’écroula à grand bruit, couvrant ses cris.

    La main en visière pour protéger ses yeux, le cavalier se hâta d'aller prendre dans ses bras l'enfant tétanisé. Derrière le rideau de flammes et de fumée, il apercevait déjà les silhouettes des maraudeurs qui approchaient. Sans attendre d’être rejoint, il courut jusqu'à son cheval, sur lequel il fit asseoir le bambin avant de se remettre en selle.

    Sur la colline, la mère anxieuse attendait son retour. Sur son visage noirci, les larmes avaient tracé deux sillons plus clairs. Submergée par l’émotion, elle serra fort entre ses bras l’enfant qu’il lui tendit, partagée entre le rire et les pleurs. Avant de s'éloigner, le cavalier eut le temps de l’entendre s'écrier:

    — Dieu te bénisse, Egan !

    Chapitre Deux

    Londres, décembre 1770

    La neige recouvrait d’un voile blanc les majes­tueux platanes et les allées de Berkeley Square. Enveloppés de luxueuses capes de laine et de man­teaux de fourrure, les invités leur jetaient à peine un regard avant de s’engouffrer dans leurs ber­lines, au sortir des salons accueillants de lady et de lord Stanmore.

    Bientôt, il n’y eut plus qu’une voiture à patien­ter devant le luxueux hôtel particulier. Nicolas Spencer, récupérant les gants et le chapeau que lui tendait un valet dans le hall, se tourna vers ses amis pour un ultime adieu.

    — ​Passer Noël tout seul à Londres ! s’indigna Rebecca. Vous n'y pensez pas, Nicolas... S’il vous plaît, acceptez notre invitation et passer les fêtes avec nous à Solgrave.

    Sans cesser de sourire à son amie, Nicolas secoua la tête fermement.

    — ​Pour rien au monde je ne voudrais m’im­miscer dans votre premier Noël en famille... Ces fêtes à Solgrave sont pour vous et pour vous seuls.

    Rebecca le rejoignit et prit affectueusement ses mains entre les siennes.

    Vous faites un peu partie de la famille... insista-t-elle. Durant toutes ces années que Jamey et moi avons passées à Philadelphie, combien nous aurions été solitaires sans l’hospitalité de nos amis ¹ !

    S’inclinant vers elle, Nicolas porta la main de la jeune femme à ses lèvres.

    — ​Votre gentillesse me touche, Rebecca. Et vous savez combien je répugne à vous refuser quoi que ce soit. Mais j’ai déjà passé trop de Noëls en com­pagnie de cette brute qui a su vous séduire. Je me suis aussi laissé dire que vous avez une nouvelle réjouissante à partager avec James...

    Une charmante rougeur colora les joues de Rebecca. Rejoignant sa femme, Stanmore lui enlaça affectueusement la taille.

    — ​Désolé, mon amour, s’excusa-t-il, je suis plus habile à préserver les secrets d’État qu’à taire notre bonheur.

    Leurs regards se mêlèrent, et leurs visages empreints d'une même expression d'adoration rayonnèrent de joie. Un peu gêné de voir ses amis glisser une nouvelle fois dans ce monde qui n’appartenait qu’à eux, Nicolas détourna le regard. Seul un fou, songea-t-il, pouvait se mettre à envier ce qu'il avait passé sa vie à éviter comme la peste...

    Il achevait d'enfiler ses gants et de mettre son chapeau quand ils reprirent conscience de sa pré­sence.

    — ​Viens quand tu veux, reprit Stanmore. Après Noël, si cela peut apaiser tes scrupules... Tu sais combien on aime te voir à Solgrave. Dieu seul sait pourquoi, d'ailleurs! Sérieusement, Nick... Je crois que James serait heureux de pouvoir te raconter son premier trimestre à Eton. Quant à Mrs Trent et à Daniel, je suis sûr que ce vieux majordome et cette brave gouvernante feront grise mine si tu n'es pas là pour les taquiner un peu...

    De guerre lasse, Nicolas hocha la tête.

    — ​C’est d'accord, promit-il. Du moins, si ma mère ne met pas à exécution sa menace de quitter Bruxelles pour me rendre visite avec ma sœur. Au ton de sa dernière lettre, je devine que Frances lui donne du fil à retordre. Au point qu’elle envisage de la laisser en Angleterre pour qu'elle puisse y finir ses études...

    — ​Eh bien, s’exclama Rebecca, voilà de réjouis­santes nouvelles !

    — ​Cela dépend pour qui, répondit-il avec une grimace. Je m'imagine mal devoir m’occuper d’une gamine de seize ans qui pérore sans rime ni raison en s’imaginant posséder plus de sagesse et de maturité qu’un adulte...

    Un sourire amusé au coin des lèvres, Stanmore entraîna Rebecca par la taille pour suivre leur invité sur le perron.

    — ​Chaque âge a sa saison, dit-il. Et chacune d’elle est nécessaire à la vie... Mariage et enfants nous obligent à moins nous soucier de nous-mêmes pour nous focaliser sur ceux que nous aimons. Comme David Garrick le déclamait l’autre soir sur scène à Drury Lane: «Voici l'hiver de notre déplaisir changé en glorieux été... »

    En temps ordinaire, sans doute Nicolas aurait-il lâché quelque commentaire bien senti sur la folie d’un roi bossu et assassin. Mais en voyant ses amis, serrés l’un contre l’autre, échanger un regard com­plice, les mots moururent d’eux-mêmes sur ses lèvres. Tout célibataire heureux et insouciant qu’il se vantait d'être, de quel droit aurait-il pu dénigrer ce qui leur tenait le plus à cœur ?

    Pour masquer son trouble, Nicolas se pencha et déposa un baiser sur la joue de Rebecca, avant de se retourner pour descendre les marches. Dans la rue, portée par un vent glacial, la neige tombait à gros flocons. Ajustant d’une main son chapeau sur sa tête, il adressa de l’autre un dernier salut à ses hôtes et les regarda refermer leur porte sur leur tranquille confort domestique.

    — Rentrez sans moi, Jack ! lança-t-il au cocher. Un peu de marche me fera le plus grand bien.

    Immobile au bord du trottoir tandis que la voi­ture s'éloignait, Nicolas réprima un frisson et remonta le col de son manteau. D'un pas assourdi par l’épaisse couche de neige qui couvrait les trot­toirs, il longea les rangées d’élégantes façades autour de Berkeley Square. Bien des fenêtres étaient encore éclairées en dépit de l’heure tardive. Pour ceux qui pouvaient se le permettre, se dit- il non sans une certaine amertume, avait débuté la saison des réjouissances et des retrouvailles familiales. Stanmore, désormais, faisait partie de ceux-là.

    Les changements qui avaient fait de son ami un homme marié et un heureux père de famille étaient stupéfiants. Il y avait six mois à peine, c'était encore un homme aigri, hanté par la trahi­son de sa première épouse. Emmenant leur fils nouveau-né dans les colonies alors que son mari se battait au Québec, celle-ci était morte durant la traversée, confiant l’enfant à Rebecca. Lancer son homme de loi à la recherche de James dix années après le drame avait non seulement permis à Stan- more de faire la paix avec son passé, mais aussi de retrouver un fils et de gagner l’amour d’une femme qui le rendait chaque jour plus heureux.

    Perdu dans ses souvenirs, Nicolas fut surpris de se retrouver soudain en vue de sa maison de Leicester Square. La tempête de neige commençait à faiblir. Sachant qu’il ne trouverait pas le som­meil, il décida de pousser sa promenade nocturne jusqu'à St. James Park.

    Depuis son retour des colonies une décennie auparavant, Nicolas Spencer avait fait de son mieux pour se garder de toute complication dans l’existence. Il redoutait de se lier, d'être déçu et de décevoir, de souffrir autant que de faire souffrir. En tant que soldat, il avait vu suffisamment de morts et de blessés, de familles en deuil laissées derrière eux par ses camarades morts au combat. La vie était trop fragile, avait-il décidé, pour se ris­quer à développer des liens durables.

    Il lui était d’autant plus facile de s’en tenir à une telle ligne de conduite qu’il ne manquait pas de femmes jolies et insouciantes attirées par sa répu­tation pour rejoindre son lit. Dans cet échange de k plaisir, nul n’avait à souffrir dès lors que les règles étaient claires - pas d’attachement, pas d’exclusi­vité, pas de serments.

    Il affichait la même désinvolture envers sa for­tune. S'il savait la gérer, elle n’était pour lui qu’un moyen de profiter d’une vie confortable, agrémen­tée par une petite passion pour la boxe et le jeu, ainsi que par une philanthropie discrète mais effi­cace. Peu lui importait que les bonnes âmes du tout Londres déplorent son style de vie. Bien loin de la combattre, il cultivait sa réputation d'homme à femmes qui s’adonnait à tous les plaisirs de l’existence, au mépris de sa place dans la société et de ses responsabilités.

    Dans ces conditions, d’où pouvait lui venir cette mélancolie vague mais persistante qui lui gâchait la vie ces derniers temps ?

    Il s’engagea dans l’une des allées bordées d’arbres du parc.

    Les prostituées et leurs clients, qui même à cette heure tardive fréquentaient habituellement St. James Park, avaient migré vers d’autres lieux plus abrités, chassés par la neige et le vent. Délaissant l'allée pavée, Nicolas s’engagea sur la pelouse, s’amusant à faire craquer sous ses bottes la pellicule de neige verglacée.

    Même s’il lui était difficile de trouver une cause à son malaise, il commençait à comprendre que le bonheur tout neuf de son ami Stanmore n'y était pas étranger. Pourquoi, au cours des six mois écoulés, n’avait-il pu s'empêcher de passer de plus en plus de temps en compagnie de Samuel et de Rebecca ?

    Bien sûr, le fait qu’il les aimait tous deux tendre­ment était une raison suffisante. Mais force lui était de constater que même leur amitié ne suffisait plus à chasser ses idées noires. Bien au contraire, elle ne faisait que souligner combien sa vie paraissait vide de sens en comparaison de la leur.

    Il luttait encore pour ne pas se l’avouer, mais le désir de fonder une famille semblait s’être niché en lui. La certitude qu’il ne serait pas le premier célibataire endurci à se ranger ne l’aidait pas à se consoler. Nicolas Spencer n’était pas encore prêt à rendre les armes. Il était heureux d'être ce qu’il était. Ou du moins, il tentait encore de s’en per­suader...

    — Un p’tit sou pour moi et ma sœur, milord...

    Brutalement tiré de ses pensées, Nicolas sur­sauta. D'un bouquet d'arbres, il vit émerger comme une apparition un garçon dépenaillé tendant vers lui son maigre bras nu.

    — Juste un p'tit sou ! répéta-t-il d'une voix gei­gnarde.

    Les pieds enrubannés en guise de souliers de chiffons crasseux, le petit mendiant approcha pré­cautionneusement. Même à distance, Nicolas l’en­tendait claquer des dents. Il lui arrivait à peine à la taille, et dans la pénombre la pâleur cadavérique de son visage faisait peine à voir.

    — C'est ta sœur qui est couchée là?

    Du regard, il désigna le corps roulé en boule, jambes et bras nus, le visage masqué par un flot de cheveux noirs, qui gisait à même le sol sous le cou- , vert des arbres.

    S’enhardissant, le garçon tira sur sa manche.

    — Un p’tit sou, milord...

    Il chancela sur ses jambes, et Nicolas le retint juste à temps pour l’empêcher de tomber. Dans sa main, son bras paraissait aussi fragile qu'une branche prête à se briser.

    Sans hésiter, Nicolas ôta son manteau et le posa sur les épaules du gamin, notant au passage l’odeur d’alcool qui émanait de lui.

    — Ta sœur et toi, dit-il en s’accroupissant pour se mettre à sa hauteur, vous allez me suivre dans une maison .que je connais, où l’on recueille les enfants comme vous.

    Engoncé dans le manteau trop grand, le garçon recula d’un pas, fixant sur lui des yeux agrandis par la peur.

    — Tu n’as rien à craindre, le tranquillisa-t-il. Aucun mal ne sera fait ni à toi ni à ta sœur. Tu as ma parole...

    Le gamin hocha la tête d'un air soupçonneux. Nicolas en profita pour se porter au secours de la fillette. Bien plus menue que son frère, elle n’avait elle aussi pour tout vêtement que de vieilles hardes qui la couvraient à peine. Il écarta de son visage la masse de ses cheveux et retint son souffle. Dans son sommeil, la pauvre petite avait la beauté et l’innocence d'un ange.

    Doucement, Nicolas caressa sa joue pâle et la découvrit mortellement froide sous ses doigts. Comprenant que le temps lui était compté, il la souleva dans ses bras et se tourna vers le frère pour lui ordonner de le suivre. Mais profitant de ce qu'il avait le dos tourné, le gamin avait préféré déguerpir.

    Renonçant à le poursuivre, Nicolas se hâta vers les grilles du parc. Le sort du petit paquet de chair et d’os mollement abandonné dans ses bras l’inquiétait , bien plus que celui du garçon. Dans un refuge d'Angel Court, non loin de King Street, il connaissait deux bonnes âmes qui prendraient soin de la petite fille pendant qu'il rechercherait son frère.

    La perte de son manteau n’était pas ce qui le sou­ciait le plus. Ce pauvre hère aurait pu le conserver sans problème s’il n'y avait eu au fond des poches de quoi soûler un homme pendant quinze jours. Pour un gamin des rues habitué aux consolations du gin et de la bière, une telle aubaine équivalait à un arrêt de mort.

    La fillette ne pesait pas plus lourd qu’un cha­ton. L’odeur de gin et de crasse qui émanait d’elle dormait à Nicolas la nausée et lui brisait le cœur. L’alcoolisme touchait toutes les classes sociales et constituait un véritable fléau en Angleterre. Mais alors que les riches étaient capables de s'y adon­ner sans que leurs familles aient trop à en souf­frir, les pauvres transmettaient de très bonne heure à leurs enfants cette malédiction.

    Malgré l’heure avancée, un visage apparut à la fenêtre dès que Nicolas eut cogné à la porte du refuge d’Angel Court. Le visage souriant de la vieille femme qui vint lui ouvrir s'assombrit aussi­tôt qu’elle vit ce qu'il lui amenait.

    — Je l’ai trouvée dans le parc, expliqua-t-il en pénétrant dans le vestibule. Elle a dû boire jusqu’à l'inconscience... Le froid n’a pas dû arranger les choses. Faites vite, Sadie !

    La vieille femme s’empressa d'ouvrir une porte menant à une vaste pièce. Une douzaine de petits lits s'alignaient contre les murs, baignés d’une lueur chaude par un feu de cheminée. Tirés du sommeil, quelques enfants émergèrent de leurs couvertures. L’air grave, ils regardèrent Nicolas déposer avec précaution son fardeau sur l’un des derniers lits disponibles.

    Laissant la maîtresse de maison prendre soin de l’enfant, Nicolas recula d’un pas, perdu dans ses pensées. Sans être un expert en la matière, il esti­mait que la fillette ne devait pas avoir plus de cinq ans. Inlassablement, ses yeux revenaient se fixer sur son visage angélique, sur ses mains minuscules crispées sur la couverture, sur ses pieds noirs de saleté émergeant des haillons.

    Déjà, il échafaudait des plans pour sauver la gamine de sa destinée de misère. Dès qu’elle irait mieux, il pourrait l'emmener à Solgrave. Stanmore n’y trouverait rien à redire, et Rebecca l’accueille­rait avec joie. Elle pourrait aller à l’école au village voisin de Knebworth, profiter du grand air, oublier la faim, la rue, l'alcool, et devenir l’enfant qu’elle n ' avait jamais été...

    S'avisant du regard de détresse que lui lançait Sadie depuis le lit, Nicolas s’approcha, le cœur serré, et se pencha.

    — La pauvre petite a déjà rejoint son créateur, lui chuchota-t-elle à l’oreille. Désolée, sir.

    Nicolas hocha mécaniquement la tête, fit un pas en arrière, puis un autre, et se retrouva dehors sans savoir comment. Insouciant du vent glacial qui soufflait autour de lui, il marcha au hasard dans les rues de Londres. Ces rues si dures aux pauvres anges qui avaient la malchance d’y naître. Ces rues qui avaient pris la vie d’une innocente, et qui en prendraient bien d'autres avant la fin de l'hiver.

    Un sentiment de rage impuissante ne le quittait plus. Qu’avait-il fait pour remédier à une aussi insupportable injustice? Il s’était débarrassé de quelques centaines de livres dont il ne savait que faire, avait créé quelques abris, de quoi offrir à quelques enfants durant quelque temps un toit, un lit, et trois repas par jour.

    Mais, à part se donner bonne conscience, à quoi pouvaient servir tous ces insignifiants actes de charité si ces enfants n'avaient d'autre choix au sortir des refuges que de finir ivres morts, ou violés, ou assassinés sur le trottoir? Il devait y avoir - il fallait qu’il y eût ! - plus et mieux à faire.

    Nicolas eut la vision d’un manoir, dans la cam­pagne, où tous ces damnés de la rue pourraient vivre et grandir en paix. Une école où ils pour­raient apprendre à s'occuper d’eux-mêmes, et acquérir un métier pour subvenir à leurs besoins. Bien plus que de ses aumônes, les enfants aban­donnés dans les rues de Londres avaient besoin d’un foyer.

    Après avoir longtemps marché, Nicolas se retrouva comme par enchantement à son point de départ. Même obscurcies, les fenêtres de l'hôtel particulier de ses amis semblaient irradier d'un bonheur tout simple et sans défaut. Alors, il com­prit soudain ce qui depuis des semaines le laissait sans repos. Nicolas Spencer se sentait vieillir et redoutait d'avoir à finir seul son existence.

    Curieusement, oser enfin se l’avouer ne lui fut pas aussi pénible qu'il l’avait redouté. Il se débat­tait depuis tellement longtemps pour échapper au vide glacial qui l’oppressait qu’avoir à y faire face constituait presque un soulagement.

    Le visage pâle aux yeux clos de l'enfant morte s’imposa à sa mémoire. De lâcheté en renonce­ment, comprit-il, il avait laissé sa vie devenir un vaste gâchis, alors qu’il avait tellement mieux à faire...

    Pour commencer, un certain nombre de chan­gements s’imposaient. Pour mener à bien ce pro­jet d’offrir un refuge permanent aux âmes perdues qui hantaient les rues de Londres, il lui fallait d’abord changer de vie.

    Une telle vie requerrait la présence à ses côtés d’une femme compatissante qui l'aiderait à réali­ser son rêve. Cette prise de conscience tempéra le soulagement qu’il ressentait. Où diable sur cette Terre était-il supposé trouver une telle perle ?

    Chapitre Trois

    Cork, Irlande, septembre 1771

    En peintre amateur qu'elle était à ses heures, Alexandra Spencer contemplait le paysage qui défilait derrière les vitres du coche. Le damier de champs fraîchement moissonnés que la voiture avait traversé au nord de la ville de Cork avait peu à peu cédé du terrain à un arrière-pays plus sau­vage et plus rocailleux.

    L’attelage filait d’un pas tranquille le long d’une route étonnamment bonne qui épousait les méandres d’une rivière. De temps à autre on apercevait un hameau de quelques masures plus ou moins rudimentaires. La nature était belle, mais la vie semblait rude dans ce pays. De rares et élégants manoirs entourés de prairies émaillées de chevaux n’en paraissaient que plus luxueux.

    Interrompue dans sa contemplation par les frondaisons d'une forêt touffue qui se refermaient sur eux, Alexandra reporta son attention sur ses compagnons de voyage. Sa fille Frances discou­rait avec toute l'exubérance propre à ses seize ans. Lady Spencer dut attendre qu'elle reprenne son souffle pour protester :

    — Que faisais-tu à discuter avec ces marins? Combien de fois devrai-je te dire qu’une jeune fille bien élevée n'engage pas la conversation avec...

    — ​Mais j'étais avec Nicolas! se récria-t-elle. Cette traversée entre Bristol et Cork était d’un tel ennui ! Quand j'ai su que les matelots organisaient un combat de boxe dans l'entrepont, je n'ai fait que le suivre pour ne pas perdre une miette du spectacle...

    — ​Nicolas Edward!

    En butte au regard chargé d'incompréhension de son fils, Alexandra mit un frein à son indigna­tion. Avec une différence d'âge de dix-huit ans entre ses deux enfants, comment aurait-elle pu attendre de l’aîné un peu plus de sens des respon­sabilités fraternelles ?

    Lorsque Frances était petite, Nicolas étudiait déjà à Oxford. Quelques années plus tard, quand elle avait entamé ses études, son frère participait au péril de sa vie à la prise de Québec. Peu après son retour, lord Spencer était mort, léguant à son aîné sa fortune et son titre. C’était alors qu’Alexandra avait jugé préférable de regagner le foyer de ses ancêtres à Bruxelles.

    En laissant le champ libre à son fils, elle avait espéré le voir fonder sa propre famille. Avec une belle constance, Nicolas s’était acharné à la déce­voir. Cette séparation n'avait servi qu’à les éloi­gner l’un de l'autre d’une façon telle qu’il était à présent illusoire pour elle d’espérer exercer le moindre contrôle sur sa vie.

    Frances avait repris son monologue. Il y était question d’une certaine pierre d'un château irlan­dais qu’il suffisait d’embrasser pour - selon les marins qui s’étaient confiés à elle - acquérir le don d'éloquence.

    — ​Ma petite Fanny, intervint Nicolas avec onc­tuosité, je ne pense pas qu'aucune pierre, si magique soit-elle, puisse te donner plus d’éloquence que tu n’en as déjà. Dans ce domaine comme en bien d’autres, tu es parfaite !

    Frances étouffa sous sa main un petit rire ravi.

    — ​Tu devrais garder tes mots doux pour ta chère Clara, rétorqua-t-elle, et ne pas les servir en pure perte à ta sœur.

    — ​Ma chère Clara? répéta Nicolas dans un grand rire.

    Après avoir obtenu d’un regard l’autorisation de sa mère, la jeune fille précisa sa pensée.

    — ​Bien sûr, pourquoi le taire? Ne sommes-nous pas en route pour séjourner deux semaines à Woodfield House, à l’invitation de sir Thomas Purefoy, le père de Clara? N'as-tu pas toi-même servi de cavalier à sa charmante fille par trois fois à Londres, au printemps dernier ?

    Nicolas se renfonça dans son siège et se rem­brunit.

    — ​N’insiste pas, Fanny... Je peux sentir le nœud se resserrer autour de mon cou sans avoir besoin de ton aide ou de celle de notre mère bien-aimée.

    Mal à l’aise, il passa un doigt dans son col de chemise pour lui donner un peu de jeu et reprit:

    — ​Puisqu’il faut vous le préciser, nous entre­prenons ce voyage uniquement à votre bénéfice. Mère a perdu tout contact avec la bonne société londonienne. Quant à toi, fréquenter d'autres cercles que l’aréopage de capricieuses dans lequel tu baignes à l'école ne pourra que te faire le plus grand bien.

    Feignant la plus extrême indignation, Frances lui donna une tape sur le genou.

    — Menteur! s’exclama-t-elle. Tu plaisantes, j'imagine...

    Nicolas haussa les épaules et croisa les bras.

    — Fort bien, reprit-il, je me rends. Il est vrai que nous sommes ici pour mon agrément. Vous connaissez mon amour des chevaux. Or, il se trouve |que sir Thomas possède l'une des plus belles écu­ries du pays.

    À son tour, Frances se réfugia à l'extrémité de la banquette et se mit à bouder.

    — Nicolas, s'indigna-t-elle, si tu continues de mentir comme tu le fais tu ruines la belle opinion que je me faisais de mon frère adoré. Pour ta peine, je ne t’adresserai plus la parole durant tout le voyage !

    Voyant un sourire ravi s'épanouir sur le visage de son fils à cette nouvelle, Alexandra se pencha pour lui glisser en aparté :

    — Arrange-toi pour faire la paix avec elle. Si ta sœur ne te parle plus, c'est sur moi que se repor­tera son attention, et je préfère dans ce cas des­cendre à la première halte pour rebrousser chemin vers Londres.

    Durant un instant beaucoup trop long au goût de sa mère, Nicolas parut soupeser les avantages d’une telle solution. Mais, lorsqu’il se tourna fina­lement vers Frances, lady Spencer comprit au ton de sa voix qu'il ne plaisantait plus.

    — Étant donné que j'ai deux fois son âge, expli­qua-t-il à sa sœur, j’ai pris garde de ne créer aucun malentendu quant à mes intentions vis-à-vis de Clara.

    — Tu n’as pas deux fois son âge ! corrigea-t-elle avec fougue. Clara Purefoy a eu dix-huit ans l’hi­ver dernier, et tu en as trente-quatre.

    — ​Dix-huit ans... répéta son frère d’un air dédaigneux. Je vois mal quel intérêt un homme peut J trouver à une gamine à peine pubère.

    Lady Spencer fronça les sourcils.

    — ​D'après les rumeurs qui sont parvenues jusqu’à mes oreilles à Bruxelles, intervint-elle, la beauté des femmes et leur disponibilité t'intéressent bien plus que leur âge. ’

    — ​Franchement, Nick, renchérit Frances, Clara Purefoy possède tout ce que tu peux désirer chez une femme.

    — ​Et en tant que fille unique, reprit Alexandra, / sa dot n’a rien de négligeable. Non pas que tu en aies besoin, mais avec le style de vie qui est le tien, rien ne saurait être de trop...

    Connaissant son fils, lady Spencer reporta son attention sur le paysage de collines qu’ils traver­saient et se tut. À trop vouloir plaider sa cause, elle ne ferait que le braquer.

    — ​Quoi qu’il en soit, ne put-elle s'empêcher de conclure, je trouve extrêmement encourageant que ses parents se montrent si empressés de nous recevoir.

    Frances poussa un soupir à fendre l’âme.

    — ​Maman, protesta-t-elle, tout titre est bon à prendre, et je connais peu de parents qui rechigne­raient à marier leur fille à un baron, fût-il affligé d’une réputation aussi déplorable que celle de Nick.

    — ​Tais-toi donc ! s’emporta Alexandra. C’est la riche personnalité de ton frère qui a séduit les Purefoy. Son éducation... son savoir-vivre... sa carrière de soldat... sa respectabilité...

    Sa fille étouffa sous sa main un petit rire caus­tique et conclut :

    — ​... avant l’âge de vingt ans.

    Lady Spencer fusilla Frances du regard.

    — ​Frances Marie, dit-elle d'un air pincé, tu ferais bien de surveiller ta langue !

    Lissant du plat de la main des plis imaginaires sur sa robe, elle se tourna vers son fils qui avait suivi, accablé, leur échange.

    — ​Où en étais-je? demanda-t-elle en lui sou­riant.

    — ​Vous veniez d'exprimer votre souhait de descendre à la prochaine halte, maugréa Nicolas. Afin que vous puissiez regagner Londres toutes les deux.

    Le vieil évêque et son secrétaire virent avec effroi les rebelles battre les flancs des chevaux. Privée de cocher, leur voiture se mit à descendre à un train d’enfer la route au bord de laquelle ils avaient été attaqués. Les serviteurs qui les accompa­gnaient dans leur voyage, sommés par les Blouses blanches de déguerpir, s’étaient déjà égayés dans la nature sans demander leur reste.

    — Vous ne vous en tirerez pas ainsi! lança l’évêque d'une voix vibrante de colère. Vos masques ne vous protégeront plus quand vous vous balan­cerez au bout d’une corde et qu'il vous faudra affronter le jugement de Dieu !

    Dans un silence impressionnant, vingt hommes à pied cernaient les ecclésiastiques. Cinq autres à cheval suivaient la scène derrière eux. Le secré­taire, jeune homme corpulent aux joues rubi­condes, profita d’une brèche dans

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