Uppercut: Anthologie
()
À propos de ce livre électronique
À PROPOS DES AUTEURS
Laurence Burger est avocate, spécialiste en arbitrage international. Elle a publié son premier roman, "Les Noyées du Rocher", en autopublication, avant de signer une trilogie aux éditions Slatkine, dont "Les Inconnus de Central Park" constitue le dernier volet. En parallèle, elle a commencé l’écriture d’une série consacrée au sport avec "APNEA", publié dans la collection "Uppercut", suivi d’"Atalante", toujours dans cette même collection.
Laure Mi Hyun Croset est une romancière suisse née à Séoul. Elle a publié, notamment, aux éditions BSN Press : un récit sur un toxicomane, "On ne dit pas « je » !" (2014), une novella épistolaire, "S’escrimer à l’aimer" (2017) et un microroman, "Pop- corn girl" (2019), sur les émois d’une adolescente aux USA, ainsi qu’un roman satirique, "Le beau monde", chez Albin Michel en 2018.
Marie-Christine Horn est une romancière connue pour ses romans policiers. Elle est l’auteure de plusieurs polars et romans noirs, dont "Le Cri du lièvre", l’une des premières expressions féministes du roman noir, "24 heures", "Dans l’étang de feu et de soufre" et plus récemment "Sans raison", une critique sociale. En 2009, elle remporte le prix des jeunes lecteurs de Nanterre pour "La Malédiction de la chanson à l’envers". En outre, elle a participé au roman-feuilleton "Léa", à une anthologie fantastique "Rýtingur Hotel", parus dans la collection HeYoKa. Ses derniers ouvrages sont, "Le Monde des Ørindis — Léa", qui fait partie de la saga fantasy éponyme et "Le nombre de fois où je suis morte", un recueil de nouvelles
Née à Morges en 1982, Lolvé Tillmanns grandit dans la campagne vaudoise. Spécialiste du secteur énergétique, elle travaille dans ce domaine pendant cinq ans. Elle démissionne pour se lancer tout entière dans la littérature en 2011. Elle a publié cinq romans : "33, rue des Grottes "(Éditions faim de siècle & Éditions Cousu Mouche), "Rosa", "Les Fils", Un amour parfait (Éditions Cousu Mouche) et "FIT" (Éditions BSN press).
En savoir plus sur Laurence Burger
Le cadavre du 25: Roman policier Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAtalante Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Lié à Uppercut
Livres électroniques liés
Maîtres – Nageurs – Sauveteurs Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationÇa tangue sur l'île Sainte-Marie... à Madagascar Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'enfant qui courait: Roman inspiré de faits réels Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationShadow Bloodlines: Shadow Bloodlines Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Meilleurs Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationBryan Perro présente... les légendes terrifiantes d'ici - Les sirènes du golfe Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationTEAM Natation, tome 3 - Les compétitions provinciales Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationÀ force d'espoir Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAprès la chute Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Peuple des lumières: Recueil de nouvelles pour comprendre nos sociétés Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Heures bleues: Chroniques de nage en eau froide Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSirènes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa tuile... et autres bricoles: Roman autobiographique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationJournal d'un aventurier de Koh Lanta: Il n'en restera qu'un Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa légende de Chim Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationIl venait de l'océan… Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationN'aie pas peur Petit Moi: Autobiographie Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationTEAM Natation, tome 2 - Les premières compétitions Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationÀ l'eau Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationQui je suis Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUn chemin sans retour: Port-Louis Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationVague scélérate: Un thriller d'espionnage sur l'île d'Ouessant Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationBouche à bouche Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa plume et la palme: Quelques apnées aventureuses autour du monde Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationPlongée Fondamentale - Comment bien débuter la plongée sous-marine: La Série Plongée, #1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationFatidique Instant Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUn Monde de Bonheur Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe plus important: Un roman drôle et cynique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLéonie Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationHorizons sur la mauvaise pente Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Anthologies pour vous
Odyssée - Prépas scientifiques 2017-2018 [Bonus: Livre Audio Gratuit Inclus] Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationNouvelles de Taiwan: Récits de voyage Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUne chambre à écrire: Une expérience d'écriture inédite Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAlice au Pays des Merveilles Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Avis sur Uppercut
0 notation0 avis
Aperçu du livre
Uppercut - Laurence Burger
APNEA
LAURENCE BURGER
Prologue
Sous un soleil éclatant, le bleu indigo de la mer Méditerranée scintille comme une rivière de diamants. L’homme se tient sur le dos, bras et jambes tendus, yeux clos. Il est vêtu d’une combinaison en Lycra, de couleur bronze, qui réduit le frottement de l’eau. Comme les règles de la compétition l’y obligent, il a annoncé la profondeur qu’il entendait atteindre. Avec son objectif de 150 mètres, il dépassera le record mondial de plongée en poids variable de 6 mètres. Il sait qu’il en est capable. Il y est déjà parvenu. Cette fois-ci, ce sera en compétition.
Il n’entend pas l’intense brouhaha des équipes autour de lui, sur les pontons flottants assemblés en carré pour former une piscine de mise à l’eau au centre de laquelle pend le câble. Celui qu’il va suivre vers les abysses. Les arbitres l’observent tandis que les plongeurs de sécurité se mettent à l’eau. Un médecin se tient à proximité. Prêt à intervenir.
Seule sa respiration importe. Inspire. Expire. Au fur et à mesure, son souffle et son rythme cardiaque ralentissent. 120, 100. Un Zodiac arrive pour déposer de nouveaux concurrents. 80. Il est complètement imperméable à cette agitation. 60, 40. Ça y est. D’un geste mécanique, il mouille son visage et ajuste le bord de sa capuche sur son front. S’assure que le pince-nez est bien en place. C’est plus un rituel qu’une nécessité. Il prend une grande inspiration, se retourne, libère la gueuse et bascule, la tête la première, tiré par le poids qui l’entraîne le long du câble.
Ses palmes d’apnéiste disparaissent, cette large nageoire de caoutchouc qui ressemble à la queue d’une baleine. Il glisse le long du fil d’Ariane qui pointe vers les profondeurs. Corps et membres tendus, il fonce comme une flèche vers les abysses. Déjà, la résistance des 5 premiers mètres s’estompe. Sa vitesse augmente. La pression appuie sur sa poitrine et son ventre, les creusant sans répit. Tout son sang s’est maintenant déplacé dans ses organes vitaux. L’azote, inexorablement, le colonise. Il passe, sans l’apercevoir, à côté d’un plongeur de sécurité, qui se tient à côté du câble à 40 mètres de fond. Maintenant, l’eau ne le soutient plus, et il coule, emporté dans les profondeurs par les poids combinés de son corps et de la gueuse que sa main gauche enserre avec force. Il ne voit ni le deuxième ni le troisième plongeur de sécurité. Il est insensible au froid, concentré à retenir sa respiration malgré la douleur dans son thorax. En dépit de tous les exercices auxquels il se soumet, elle reste là, cette oppression, comme si un bulldozer s’était arrêté sur sa poitrine. Mais il l’a apprivoisée. Dans le noir, dans le silence, elle est maintenant devenue sa compagne, celle qui n’a de cesse de le tirailler jusqu’à ce qu’il remonte à la surface.
Les ténèbres continuent de l’engloutir. Il ne voit plus rien. Mais il a confiance. Lorsqu’il verra la plaquette indiquant 150 mètres, il s’arrêtera, comme hier à l’entraînement.
Soudain, elle apparaît. Elle est là, petit rectangle encore flou dans le bleu. Est-ce normal ? La marque lui paraît un tout petit peu plus lointaine qu’hier. Mais qu’importe. Il lâche la gueuse. Il allonge les doigts. Il l’attrape. Il l’a. Il peut songer à remonter.
Avec souplesse, il commence une ondulation. De sa palme, il envoie une impulsion qui se répercute sur tout son corps. Un mouvement volé aux dauphins, ces frères des apnéistes. Au fur et à mesure qu’il remonte, l’infernale pression sur ses poumons s’estompe peu à peu. Elle est remplacée par une brûlure insoutenable. Tout son corps, tout son être lui ordonne d’ouvrir la bouche, de respirer, malgré l’immensité bleue qui l’entoure. Il résiste. Ce serait l’erreur fatale, la noyade assurée, la mort subite. Pour libérer l’air en expansion dans ses poumons, il laisse s’échap-per par instants un léger filet de bulles.
100 mètres, 70 mètres, 50 mètres. Bientôt, il n’aura presque plus besoin de bouger, la pression seule le portera à la surface.
Et pourtant, aujourd’hui, il ressent le besoin de continuer à nager afin de remonter au plus vite à l’air libre. Comment se fait-il que lui, pourtant si entraîné, se sente soudain si faible, en manque d’oxygène ? D’habitude, il n’a plus besoin de faire d’efforts dans ces derniers mètres. L’eau l’amène en douceur jusqu’à la surface. Quel est ce sentiment de panique qui soudain le prend ? Cette impression de perdre le contrôle ? Pourtant, ces derniers temps, il croit avoir repris tous les aspects de sa vie en main. Ce n’est plus comme avant. Maintenant, il ne se laisse plus aller à commettre une erreur. Pourquoi, aujourd’hui, a-t-il l’impression qu’il n’y arrivera pas ? Il se met à onduler plus fort, mais cela n’a pour seul effet que d’augmenter son inconfort, ses muscles brûlant davantage le précieux oxygène. Soudain, il devient pleinement conscient de son environnement. La fraîcheur de l’eau, la lumière qui filtre en rayons changeants, le picotement du sel sur son visage. Mais qu’elle est loin, la surface ! La fournaise dans sa poitrine devient insupportable. Dans un éclair, tout s’arrête. Son corps, comme une machine grippée, cesse de fonctionner. Un rideau noir tombe devant ses yeux. Sa mâchoire, que sa volonté ne tient plus fermée, s’ouvre.
Il ne sent pas les plongeurs de secours le tirer frénétiquement hors de l’eau, il ne sent pas les premiers soins qui lui sont administrés. Les jets d’écume soulevés par l’hélicoptère ne le dérangent pas. On transporte son corps inerte sur une civière. On espère que l’hôpital le plus proche ne sera pas trop loin.
I
Kalamàta
Loin des foules de touristes vêtus du dernier maillot en vogue et affublés de couvre-chefs siglés qui prennent d’assaut les Cyclades, sur une plage presque déserte du Péloponnèse, je vérifie mon matériel de plongée quand j’entends une voix derrière moi :
— C’est ici la compétition d’apnée ?
Je me retourne. Petite nymphe, couettes blondes, mi-nois bronzé. Fort accent anglais qui teinte les quelques mots de grec baragouinés à la hâte. Je lui réponds dans sa langue en lui indiquant les bateaux amarrés bord à bord, au loin. Elle met sa main au-dessus de ses yeux pour se protéger du soleil, observe l’installation en silence puis se tourne vers moi, main tendue. Elle enlève ses lunettes de soleil et dévoile des yeux couleurs piscine, en amande.
— Lynne. Tu crois qu’ils cherchent des gens comme moi ?
Je la regarde, un peu surpris. Elle corrige immédiatement.
— Je suis infirmière. Pardon. J’ai oublié de le préciser.
Elle ponctue sa phrase d’un rire aux notes cristallines.
— Jean-François. Je suis médecin et chef des plongeurs de sécurité. Et, oui, on cherche des gens comme toi.
Son visage se fend d’un grand sourire.
— Génial ! Où est-ce que je peux déposer ma candidature ?
Un frisson de ravissement parcourt mon échine. J’aime déjà son naturel. J’attrape mes palmes et mon gilet et les jette dans un Zodiac échoué sur la plage. Je le pousse à l’eau, invite Lynne à y prendre place. Nous discutons en naviguant. Elle est australienne, adore l’Europe, y cherche du travail. Mais déjà nous atteignons la plate-forme où se trouve la compétition.
Dès que nous arrivons à côté du ponton gonflable, elle bondit dessus. J’amarre l’embarcation et la rejoins auprès des organisateurs. Lynne n’a besoin de moi ni pour faire les présentations ni pour se faire embaucher. Dix minutes plus tard, elle fait partie de l’équipe.
Les épreuves régionales d’apnée battent leur plein. Des apnéistes de toutes nationalités européennes s’opposent dans les trois disciplines reines : apnée en immersion libre, en poids constant et en poids variable. Alors que, dans la première et dans la deuxième variante, le plongeur descend par sa seule force physique, dans la troisième, il tient une gueuse qui l’entraîne vers le fond avant de remonter en nageant. L’apnée no limit, quant à elle, voit l’athlète descendre grâce à un poids à une profondeur de son choix puis remonter grâce à un parachute. Le record dans cette dernière discipline est de 253 mètres sous la surface de la mer. Nombreux sont ceux qui ne sont pas revenus.
La compétition se déroule sur une semaine. Les athlètes des différentes disciplines s’élancent les uns après les autres. Les records tombent et sont remplacés par d’autres, encore plus insensés. Mon job consiste à m’assurer que les apnéistes soient en bonne santé et respectent les paramètres de sécurité. Tâche compliquée. La plupart des concurrents me voient comme un emmerdeur qui veut les empêcher de descendre.
Lynne, dont la constante bonne humeur et le dynamisme séduisent chacun, devient vite mon bras droit. Mon soutien, même, quand je m’engueule avec ces cinglés. Elle les raisonne lorsqu’ils semblent à deux doigts de m’étriper car je leur interdis de replonger une seconde fois sans respecter un intervalle de surface suffisamment long. Professionnelle, elle traite tous les plongeurs avec sérieux, n’hésitant pas à tenir tête à ceux que l’ambition pousse à prendre des risques démesurés.
Elle semble apprécier ma présence. Est-ce le fait que je parle bien l’anglais au milieu de tous ces Européens du Sud et de l’Est dont l’accent rend le discours incompréhensible ? Souvent, elle vient discuter avec moi.
À la fin de la journée, nous prenons un léger dîner à la terrasse d’un café sur la plage. Nous discutons de tout. Elle me raconte son enfance dans le bush, la séparation de ses parents, son départ avec sa mère pour Sydney. Ses mains qui se mettent à trembler, de façon incontrôlable, tout le temps. La découverte de la mer ; sa guérison. La fascination qui en naît. Tous les sports marins qu’elle commence à pratiquer avec passion. Surf, voile, plongée.
Mon histoire à moi n’est pas très différente. L’eau toujours. Les profondeurs. Cette attirance inconsciente qui se traduit par un besoin d’être toujours proche, ou même entouré, de l’élément liquide. Et l’apnée, cette discipline magnifique et gracieuse où l’être humain s’y meut en totale harmonie.
Nous rions, aussi. Son humour me séduit. Ses gags potaches auxquels elle rit à gorge déployée. Nous buvons de l’ouzo avec des olives dont elle me défie de cracher le noyau plus loin qu’elle. Nos jeux sont ceux d’enfants, mais j’espère que, comme moi, elle sait qu’ils ne sont pas complètement innocents. Quand elle n’est pas à mes côtés, je me sens vide. Sur les pontons, lorsqu’elle vaque à ses occupations, je l’épie un peu. Cette pointe qui me pique lorsque je la vois plaisanter avec d’autres hommes, je ne veux pas m’avouer que c’est de la jalousie. Et pourtant, je reste coi. Quarante-cinq ans, un diplôme de médecin et pléthore d’autres certificats, mais, dans ce domaine, je reste l’adolescent boutonneux qui n’ose jamais faire le premier pas.
Nous arrivons à l’avant-dernier jour de la compétition. Nous avons bossé toute la journée côte à côte. Je ne peux imaginer que demain, je quitterai cette île sans savoir quand je reverrai Lynne. Il faut que je trouve le courage de lui révéler mes sentiments.
Nous sommes dans notre petit café habituel. Nous finissons nos desserts. Est-ce dû au léger zéphyr qui s’est levé, au doux clapotis des vagues sur la grève ? Tout tend à la sérénité. Après avoir discuté à bâtons rompus, nous sommes maintenant silencieux. Je sais que c’est le moment propice. Il faut que me lance. Je rassemble tout mon courage. Tempête sous un crâne…
J’avance ma main vers la sienne. Lynne semble ne rien remarquer, absorbée par l’immensité sombre de la mer sur laquelle se reflète la lune. Plus que quelques millimètres. Mes doigts vont enfin toucher les siens.
Soudain, je sens deux mains puissantes se poser sur mes épaules. Je sursaute. J’entends un rire tonitruant. Je lève la tête et aperçois une mèche de cheveux blonds. Il n’y a pas de doute. Je le reconnaîtrais entre mille.
Arnaud. Champion du monde en titre d’apnée en poids variable. Une légende. La gloire de l’équipe de France. Mais aussi un vantard de premier ordre assorti d’un affreux coureur de jupons. Fils d’un des plus gros sponsors du team français. Et un fou de la pire espèce ! Un taré qui n’a de cesse de repousser les limites, sans égard pour les conséquences. Il se met en danger, mais il expose aussi la vie des sauveteurs, qui ont dû plusieurs fois le tirer des abîmes. Comme il fascine les foules, on tolère ses folies.
À mon grand désespoir, je vois Lynne lever son visage vers lui. La vision de ce demi-dieu, grand, musclé, au visage taillé au biseau, se reflète dans ses iris. Un sourire se dessine en réponse à l’hilarité affectée d’Arnaud.
Que je le hais !
Il a déjà tendu la main, et Lynne l’a saisie. Ils restent là, sans rien dire, les yeux dans les yeux. Arnaud, toujours appuyé sur moi, m’écrase de son poids. Je me libère en protestant. Je les présente l’un à l’autre. Je me sens ridicule et maladroit. Tout mon être aimerait avertir Lynne du danger qu’elle court. Qu’elle va devenir une ligne de plus sur la longue liste des conquêtes d’Arnaud. Séduite, baisée, abandonnée. Mais je balbutie quelques mots incohérents. Puis je me lève, et Arnaud s’assied à ma place. Quand je quitte le restaurant, je les aperçois qui commandent un verre.
II
Îles Turques-et-Caïques
Je continue à voir Lynne au gré des compétitions. Bahamas, Japon, États-Unis… Bien sûr, elle est tombée dans les filets d’Arnaud. Mais, à mon grand étonnement, il semble avoir changé pour elle ses habitudes de don Juan. En tout cas, c’est ce qu’il fanfaronne auprès de qui veut l’entendre. Elle est la femme de sa vie. Elle lui a ouvert les yeux. Il jure lui être fidèle.
Je n’en crois pas un mot, mais j’ai d’autres soucis. J’essaye en vain de retrouver un semblant de complicité avec Lynne. Nous continuons à travailler côte à côte. Même si elle a gardé ce dynamisme qui me plaît tant, je la trouve fermée. Est-ce par pudeur envers moi ? Avait-elle remarqué les sentiments qui m’animaient lors de notre rencontre et veut-elle maintenant éviter de m’imposer quotidiennement son bonheur ? Ou son silence cache-t-il une réalité plus sombre ? En tout cas, elle n’évoque jamais sa relation avec Arnaud. Lorsque je veux lui demander comment elle va, elle esquive, m’adressant un des grands sourires dont elle a le secret, et disparaît prestement, prétextant un formulaire à remplir ou des analyses à examiner. Même si je veux la voir heureuse, je dois me rendre à l’évidence que je guette plutôt un mot, un geste qui témoignerait d’une faille. Lorsque je perçois des signes de fatigue, je tente de les interpréter comme de la mélancolie.
L’apnée continue de prendre de l’essor. J’ai été nommé médecin-chef de l’association internationale en charge de ce sport. Je vis dans mes valises, ne sachant plus vraiment à quelle nation j’appartiens. Je suis devenu un citoyen du monde, sans attaches. Les apnéistes sont ma seule famille.
Avec l’engouement de nouveaux athlètes pour ce sport, je constate aussi un durcissement de l’esprit de compétition. Les classements ont lieu par pays, et les concurrents deviennent porte-drapeaux des ambitions nationales. Les Russes, notamment, ne reculent devant rien, n’hésitant pas à organiser des défilés séparés pour leurs plongeurs, sur les lieux de compétition, et à remettre en cause toutes les décisions des juges qui ne leur conviennent pas.
Dans cette ambiance, les règles de sécurité sont le dernier souci des équipes. Je me bats pour faire respecter les limites de profondeur et les intervalles de surface, mais mes recommandations ont peu de poids face aux demandes de certains sponsors. Au fur et à mesure de cette course effrénée aux records, les accidents se multiplient.
Arnaud suit la tendance. Il est devenu coach au sein de l’équipe de France mais continue à participer aux compétitions. Il repousse ses limites, descend toujours plus bas, au défi de toute raison.
Il a pris en charge Nicolas, le plus jeune membre du team. Nicolas a beaucoup de choses à prouver. Il n’a pas encore de médaille. C’est un jeune homme encore frêle, malgré ses talents sportifs évidents. Il est en admiration devant Arnaud, ses pectoraux et ses trophées. Les conseils que lui donne Arnaud sont diamétralement opposés aux miens. Je n’ai de cesse de rappeler à Nicolas que le corps humain est une belle machine qui fait preuve de beaucoup de flexibilité, mais que certains paramètres ne sauraient toutefois être outrepassés. Quand il me jette un regard mêlé de défiance et de mépris, je comprends qu’il n’écoute qu’Arnaud.
Nous sommes vendredi matin, dernier jour de la compétition. Nicolas n’a encore rien gagné. Il est visiblement nerveux. Sur les pontons, Arnaud le toise sans lui adresser la parole. À midi, Nicolas plonge sans respecter un intervalle de surface suffisant entre deux immersions. Quand il émerge, il ne respire plus. Lynne est la première à se précipiter auprès de lui. Avec l’énergie du désespoir, elle essaye de le réanimer, alternant le bouche-à-bouche et le massage cardiaque. Un peu d’eau mêlée de sang s’écoule entre les lèvres du jeune homme. Il ne reprend pas connaissance. À bout de forces, Lynne se laisse tomber à ses côtés. Je prends la relève avec le défibrillateur. Je lui administre des chocs électriques, même si je sais déjà qu’il n’y a plus d’espoir. Nicolas sursaute comme un pantin désarticulé. Un quart d’heure plus tard, je constate son décès.
Devant le corps inerte du coéquipier d’Arnaud, Lynne se met à sangloter doucement. Depuis que je travaille avec elle, jamais je ne l’ai vue dans cet état. Soudain, une idée étrange me saisit : il faut que j’essaie d’en profiter. Je m’agenouille à côté d’elle et lui entoure les épaules pour la consoler. Quelque chose en moi aimerait que cette mort lui ouvre les yeux sur l’attitude d’Arnaud, et qu’elle se tourne vers moi pour trouver du réconfort. Je la sens se laisser aller, un peu, dans mes bras. Je me risque à avancer quelques critiques. Elle se raidit. Se dégage. S’éloigne, me laissant confus et honteux.
Le soir, je retrouve Lynne et Arnaud comme chaque jour au restaurant. Arnaud arrive en premier. Il s’assied et commande immédiatement une tequila, qu’il descend sans m’adresser la parole. Lynne apparaît quelques minutes plus tard. Elle se glisse sur une chaise sans mot dire. Yeux bouffis, joues écarlates. Ses mains tremblent. Je cherche son regard, mais elle évite le mien. Trop inquisiteur, sans doute.
Arnaud commande une deuxième tequila et l’avale aussi vite. Puis une troisième. Il contemple les flots, qui à cette heure sont d’un noir épais. Au bout de la cinquième, d’une voix
