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Sous les glaces d'Europe
Sous les glaces d'Europe
Sous les glaces d'Europe
Livre électronique514 pages6 heures

Sous les glaces d'Europe

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À propos de ce livre électronique

En 2076, le réveil de la sonde BRUIE-3, immergée sous les glaces d’Europe depuis 2035 et complètement silencieuse pendant 10 ans, attire l’attention de QUARK, l’ordinateur intelligent spécialisé dans les télécommunications et la surveillance de l’espace profond au Centre de communication avec l’espace profond (CCEP) de Palo Alto en Californie.

Les conclusions du rapport que QUARK fait parvenir à William Perrin, ingénieur en télécommunications au CCEP, confirment la présence d’organismes vivants aux côtés de la sonde et recommandent la réalisation d’une mission destinée à obtenir les preuves de l’existence de la vie sur Europe !

Pour réussir à relever ce défi gigantesque en cette fin de 21e siècle, se jouera une partie d’échecs à caractère géopolitique, voire « spatiopolitique », où les États-Unis, la Chine, la Russie et le Canada joueront un rôle prépondérant.

Le roman nous plonge au cœur des préparatifs menant à la création du programme CAPHOS, jusqu’à sa réalisation dans les grottes sous-marines d’Europe où BRUIE-3 attend patiemment qu’on le trouve.
LangueFrançais
ÉditeurJean Hamel
Date de sortie11 déc. 2024
ISBN9782982234611
Sous les glaces d'Europe

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    Aperçu du livre

    Sous les glaces d'Europe - Jean Hamel

    Première partie :

    de la vie sur Europe ?

    Chapitre 1

    Le temps ne remplace jamais l’absence. Seules les autres rencontres peuvent combler l’impression de vide qu’elle nous laisse intérieurement…

    En ce matin ensoleillé et chaud du 18 août 2076, Paola se préparait à assister au congrès sur le développement des formes de vie primitives. Elle devait y prononcer une conférence sur les transformations génétiques inspirées des tardigrades, ces petits animaux mesurant moins d’un millimètre, capables de résister à des conditions extrêmes. Elle s’y intéressait déjà depuis plusieurs années, et portait une attention particulière aux expériences menées dans les Mariannes, ces fosses marines reconnues comme les plus profondes de la Terre.

    Elle emprunta le corridor menant à l’ascenseur qui conduisait à la terrasse B du Centre des Congrès de la Nouvelle-Orléans. Autrefois reconnue pour ses activités festives et sa musique inspirée du jazz et du soul, cette magnifique ville n’avait pas résisté aux tempêtes tropicales de 2043 et à la crue des eaux qui avait inondé la seule zone encore habitable de la ville. Pour honorer son passé, les autorités américaines avaient choisi de construire sur le site du Quartier Français un complexe commercial entouré d’eau, accessible par bateaux ou par navettes à partir des ports et des aéroports avoisinants.

    Aussitôt que la porte s’ouvrit, Paola pénétra dans l’ascenseur et celui-ci s’éleva durant quelques secondes, la transportant avec d’autres passagers à plus de cent mètres au-dessus du niveau de la mer. Arrivée à la Terrasse B, elle fut éblouie par le lever du soleil. Il faisait chaud et l’humidité était déjà bien présente. Elle s’approcha de la balustrade pour mieux apprécier le spectacle. De vieux airs de jazz se faisaient entendre aux quatre coins de la terrasse sans qu’on puisse deviner leur origine. Elle avait un peu de temps devant elle et ce magnifique paysage la plongea dans ses souvenirs.

    Saut d’espace temps.

    Dix ans s’étaient écoulés depuis le décès de Jorge. Paola se souvenait très bien de son départ pour la Station orbitale lunaire en 2065. Il était enjoué, presque fébrile à l’idée de passer les vingt prochains mois dans l’espace, comme un gamin de sept ans à qui on offrirait son premier drone en guise de cadeau d’anniversaire. Il s’agissait de sa troisième mission. Les deux premières l’avaient amené sur la même station pour un premier séjour de trois mois et un autre de huit mois. Pour cette dernière mission, il devait accompagner deux techniciens spécialisés dans les communications avec l’espace profond chargés de finaliser le montage des nouveaux modules de communication quantiques et retourner sur Terre. Trois autres astronautes installés en permanence sur la Station orbitale lunaire devaient alors se joindre à Jorge afin de préparer la seconde étape de leur mission : rejoindre la Station orbitale de Mars et installer les nouveaux modules.

    Avant son départ, Jorge avait passé les deux dernières semaines de sa quarantaine en compagnie de Paola à la base de Cap Canaveral en Floride. Grâce aux outils de dépistages d’agents pathogènes développés pendant et après la pandémie de 2020, les normes sanitaires avaient radicalement changé. Il était alors possible pour les proches d’un voyageur de l’espace de partager les derniers moments précédant un vol spatial à condition toutefois d’avoir réussi les tests et d’accepter de vivre en isolement durant une période minimale de deux semaines.

    Respectant ces critères, Paola avait pu se joindre à Jorge et aux deux techniciens qui devaient l’accompagner sur la Station orbitale lunaire durant les deux dernières semaines précédant le vol.

    Elle se souvenait très bien des échanges qu’elle avait eus avec Jorge lors de la dernière nuit qu’ils avaient passée ensemble.

    — Je serai de retour pour fêter ton trentième anniversaire, avait dit Jorge. Il y aura peut-être un peu de retard, mais si tout va bien, nous devrions être ensemble avant Noël l’an prochain.

    — Je n’y compte pas, tu sais, avait enchaîné Paola, feignant un certain détachement. J’ai vu plusieurs missions se prolonger pour toutes sortes de raisons.

    — Cette fois, tout fonctionnera à merveille. Les deux techniciens que je vais conduire jusqu’à la Station lunaire sont des spécialistes du domaine. Il est vrai qu’ils ont peu d’expérience de l’espace, mais aussitôt qu’ils auront terminé l’assemblage des modules sur la station, je pourrai décoller vers Mars en compagnie des trois astronautes spécialisés dans les vols de longue durée. Tu sais, ces gars-là ont littéralement construit la Station orbitale de Mars !

    Saut d’espace temps.

    Malgré la foule présente sur cette terrasse, Paola Vicente avait l’impression d’être seule au monde.

    Elle n’avait jamais aimé l’espace et se souvenait de ses appréhensions lors du départ de Jorge pour une si longue période. Elle savait que dans l’espace, la marge de manœuvre était mince. Une manipulation hasardeuse pouvait entraîner une mission et tout son équipage vers une fin tragique en une fraction de seconde.

    Elle avait fait ses études au Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Boston grâce à l’aide financière d’une bourse attribuée par le gouvernement espagnol aux étudiants les plus méritants du pays. Son programme d’études prégraduées, dans le domaine de la Terre, de l’Atmosphère et des Planètes (EAP Program) lui avait permis d’avoir une solide compréhension de l’univers. Par la suite, ses études de maîtrise et de doctorat en océanographie avaient fait d’elle une spécialiste du domaine de l’existence des formes de vie primitives, surtout grâce au partenariat du MIT avec le Woods Hole Oceanographic Institution (WHOI). C’est là qu’elle avait découvert sa véritable passion : les formes de vie élémentaires dans les profondeurs des océans. Une expédition effectuée en 2061 dans la fosse des Mariannes avait changé sa vie à jamais.

    L’eau était son élément. Lors de ses expéditions dans les Mariannes, elle ne s’était jamais sentie oppressée à l’intérieur d’un submersible à plus de 8 000 mètres sous l’eau, alors que la simple pensée de se retrouver dans le vide intersidéral lui faisait systématiquement perdre tous ses moyens. Elle ressentait alors une angoisse particulièrement désagréable, que seuls quelques kilomètres de nage dissipaient temporairement.

    Saut d’espace temps.

    Elle se souvint d’avoir ressenti cette même angoisse avant le départ de Jorge.

    Sur la Station orbitale lunaire, tout se passa normalement. Les deux techniciens, William Perrin et Sacha Virole, avaient assemblé les pièces du système de communication et fixé les transformateurs qui alimentaient les émetteurs, afin que la mise en opération se fasse sans problème une fois transportés sur la Station orbitale de Mars. Ils avaient séjourné une semaine de plus dans la Station lunaire en attendant le prochain départ vers la Terre. Perrin s’était fait remarquer par ses fréquents malaises gastriques. Il supportait mal le fait d’être dans l’espace et devenait facilement irascible si les choses ne se passaient pas comme prévu. Et puisque leur séjour avait dû se prolonger de trois jours, le commandant de bord lui avait proposé d’être en confinement dans le module de repos. Ce à quoi il avait acquiescé en maugréant quelque peu…

    Le vol des trois astronautes vers Mars avait duré moins de huit mois et les travaux de remplacement du module de communication avaient été exécutés sans encombre jusqu’au moment où, lors du démontage de l’ancien module, la combinaison de Jorge heurta la tige qui le retenait à la paroi de la station au même moment où il se penchait pour fixer sa courroie au crochet situé un peu plus bas.

    Une fois perforée, la combinaison s’était rapidement vidée de son oxygène. Jorge avait perdu connaissance quinze secondes plus tard et son système respiratoire avait survécu quelques minutes. Le cœur n’était déjà plus en fonction lorsque celui-ci avait tenté une dernière respiration.

    Il n’avait pas souffert.

    L’International Aeronautics and Space Administration (IASA), créée en 2035 afin de mieux coordonner les efforts des différentes nations en matière aérospatiale, avait fait les choses comme il le fallait dans les circonstances. Des funérailles d’honneur avaient été organisées en sa mémoire et la présidente du Chili, pays d’origine de Jorge, souligna abondamment son dévouement à la réalisation de périlleuses missions dans l’espace. Il devint un héros et inspira les jeunes chiliens à s’intéresser à l’espace profond.

    Le jour précédent les funérailles, Paola se souvenait avoir reçu un appel de la part de William Perrin, l’un des deux techniciens que Jorge avait reconduit à la Station orbitale lunaire quelques mois plus tôt. Il lui avait vanté l’humanisme de Jorge, ainsi que ses connaissances de l’espace profond, que peu de personnes pouvaient prétendre posséder. Cet homme lui avait été un peu antipathique et en même temps intriguant. Elle avait maintes fois entendu parler de ses compétences et de ses travaux. Elle l’avait côtoyé durant les deux semaines de préparation à la mission vers Mars. Elle savait qu’il était ingénieur en communication au Centre de communication avec l’espace profond (CCEP) affilié à l’IASA, et chargé des contacts avec les missions dans l’espace profond. Spécialisé dans les communications et l’intelligence artificielle, il avait passé plus de trente ans à chercher des moyens plus rapides de communiquer avec des installations de plus en plus éloignées de la Terre.

    Le volet scientifique de la mission de Jorge avait été un succès. Grâce à l’installation des modules de communication quantiques sur la Station orbitale de Mars, tous les signaux en provenance des objets scientifiques laissés sur les planètes ou les astéroïdes du système solaire pouvaient maintenant être retransmis avec une netteté inégalée et surtout au moment même où ils étaient redistribués, ce qui était le propre des systèmes de communication basé sur les applications de la physique quantique. Tous sauf un : celui de BRUIE-3, le robot largué sur Europe en 2035 par le vaisseau NÉRO, dont le signal avait perdu de sa puissance quelques années avant le départ de Jorge. Les experts en communication avaient espéré le raviver, mais ce ne fut pas le cas, et il cessa complètement d’émettre à peine un mois après la mise en service des nouveaux modules.

    Saut d’espace temps.

    Tous ces souvenirs défilaient dans la tête de Paola lorsqu’elle entendit une voix derrière elle.

    — Mme Vicente je crois, dit une voix masculine qui s’approcha lentement vers elle.

    — Oui, répondit Paola en se retournant, à qui ai-je l’honneur ?

    Un homme d’âge mûr apparut à contre-jour, s’avança vers elle et lui sourit.

    — Perrin, William Perrin, nous nous sommes rencontrés…

    — Attendez… Cap Canaveral… je crois… oui bien sûr, comment allez-vous ?

    — Très bien, je vous remercie. Qu’est-ce qui vous amène ici ?

    — Je suis ici pour le congrès sur le développement des formes de vie primitives, et vous ?

    William fixa l’horizon et répondit :

    — Et bien, je m’intéresse toujours aux systèmes de communication, mais ces derniers temps plusieurs recherches sur les modifications génétiques m’ont intrigué.

    — Ah oui, et depuis quand les êtres vivants vous intéressent-ils ? Ironisa quelque peu Paola, se souvenant de la difficulté de Perrin à entrer en relation avec les autres dans certaines circonstances.

    Paola replongea son regard vers la mer.

    — En fait, c’est justement leur capacité à demeurer vivant lors des voyages de longue durée dans l’espace qui m’intéresse.

    — Alors vous êtes à la bonne place ?

    — Et vous… Paola, … si ma mémoire est exacte, c’est bien votre prénom ?

    — Vous avez une bonne mémoire, dit Paola un peu surprise. En fait, je dois prononcer une conférence sur les transformations génétiques effectuées sur certains mammifères, inspirées des capacités de cryptobiose des tardigrades.

    — Hum, plutôt spécialisé comme sujet !

    — Si ça vous intéresse, je dois être à la salle B-204 vers 10 h 30. Il ne devrait pas être trop tard pour vous inscrire, dit Paola en se retournant vers l’ascenseur.

    — Je n’y manquerai pas, dit William. À plus tard.

    Elle s’éloigna d’un pas sûr vers la porte de l’ascenseur, y pénétra et se retourna pour faire face à la balustrade où était encore appuyé William. Il esquissa un sourire qu’elle lui rendit à peine et la porte se referma.

    Il resta là un moment à fouiller dans sa mémoire, tentant de trouver une raison, un indice lui permettant d’expliquer ou de qualifier cette rencontre. Il se souvenait d’une jeune femme volontaire, vive et indépendante, qui cherchait à tout comprendre. Directe et joviale, l’argumentation ne lui faisait pas peur et il se souvint qu’il s’était senti un peu bousculé par son attitude provocatrice.

    Elle n’avait pas changé.

    Chapitre 2

    Le temps est l’allié de la vie.

    Dans la salle de contrôle s’animaient de nombreux écrans dont la lumière projetait sur les murs dénudés une lueur bleuâtre, traçant des ombres qui apparaissaient et disparaissaient au rythme des images affichées par les écrans. L’un d’entre eux attira l’attention du directeur du Centre de communication avec l’espace profond (CCEP), Gueorgui Krasnov, que ses collègues appelaient Jora.

    Le clignotant rouge au centre de l’écran montrait l’emplacement précis d’un émetteur situé près de Jupiter. Tous les autres voyants sur l’écran étaient verts. Ce qui signifiait que leurs émetteurs correspondants étaient reconnus et que les signaux étaient émis selon les paramètres habituels. Sur l’écran, on pouvait observer une représentation tridimensionnelle du système solaire et chaque point représentait l’un des émetteurs actuellement en fonction sur les différentes planètes et satellites gravitant autour du Soleil.

    QUARK, l’ordinateur intelligent de 4e génération du CCEP dont le nom avait été emprunté à l’une des particules élémentaires étudiée en physique quantique, avait détecté le réveil d’un ancien émetteur silencieux depuis presque dix ans. Il s’agissait de celui qui avait été installé à bord de BRUIE-3, le robot explorateur largué sur Europe le 10 mars 2035, qui avait émis sans interruption jusqu’en 2066.

    Le niveau d’autorité de Jora était requis pour que QUARK puisse établir la communication avec BRUIE-3.

    — Directeur Krasnov, votre autorisation est requise pour que j’envoie une réponse aux nouveaux signaux en provenance de la zone identifiée. J’attends vos instructions, dit QUARK en utilisant le système de communication privé de Jora.

    Celui-ci s’approcha de l’écran principal, fit défiler quelques fenêtres, et s’arrêta sur celle représentant Europe. L’image qu’il balayait lentement montrait l’emplacement exact où s’était posé BRUIE-3 plus de quarante ans auparavant. Il vérifia les coordonnées du signal et l’identité de la source, et les compara avec celles obtenues au même moment par les antennes de la Station orbitale lunaire. Tout concordait. Il s’agissait bien de BRUIE-3.

    — J’autorise, dit Jora.

    QUARK reconnut la voix et le visage de Jora et le voyant passa à l’orange. Jora savait qu’il avait tout au plus deux heures devant lui avant de recevoir le rapport détaillé de QUARK.

    Cette autorisation aurait normalement dû être accordée par William Perrin, l’ingénieur en chef du CCEP et spécialiste des communications avec les stations de l’espace profond, mais il était retenu au Centre des Congrès de la Nouvelle-Orléans. Dans le cadre de ses récents travaux, il avait toutefois pris soin de concevoir un système informatique qui produisait des rapports évolutifs de l’état des communications avec toutes les stations émettrices de l’espace profond et, si un nouveau signal était capté, QUARK en vérifiait l’origine, demandant l’approbation de la personne en autorité avant de procéder à son analyse.

    QUARK s’était mis au travail aussitôt qu’il avait obtenu l’autorisation de Jora. Il avait tout d’abord revérifié la localisation du message, décodé les lettres d’appel afin de s’assurer qu’il s’agissait bien de BRUIE-3, et envoyé à son tour un message de confirmation. Le robot avait répondu en envoyant le code d’accès aux nouvelles données recueillies par son ordinateur de bord depuis son réveil. QUARK pouvait maintenant transférer les données et procéder à l’analyse.

    QUARK était conçu pour produire un rapport automatisé précisant les sources et la nature des données recueillies. Il procédait aussi à une analyse approfondie des variations observées depuis l’origine des premiers signaux et interprétait les écarts. Une autre fonctionnalité développée par Perrin lui permettait de proposer des recommandations et le cas échéant de préciser les actions à prendre. Un autre système totalement indépendant et inconnu de QUARK analysait le travail de ce dernier totalement en parallèle afin de s’assurer qu’il ne s’était pas égaré dans ses conclusions. Seuls Jora et Perrin pouvaient accéder à ARGOS, nommé ainsi en l’honneur du dieu grec connu pour les cent yeux qu’il possédait autour de sa tête, grâce auxquels il était totalement impossible de tromper sa vigilance.

    Le développement de l’intelligence artificielle s’était accéléré au tournant du 21e siècle. Le rêve d’une forme d’intelligence intégrant tous les savoirs et possédant une capacité d’apprentissage illimitée s’était buté aux dérives des premiers systèmes. Plusieurs concepteurs et scientifiques de renom avaient même suggéré de suspendre le développement des systèmes intelligents afin de mieux l’encadrer.

    La machine était peu à peu devenue une ressource spécialisée dans un ou quelques secteurs d’activités prédéterminés. Ainsi la force de QUARK résidait dans sa capacité à traiter un ensemble de données brutes au niveau de la chimie, de l’astrobiologie, de la communication avec les objets célestes de l’espace profond, et à en extraire des valeurs en fonction des actions qu’un centre de contrôle des missions spatiales pouvaient être appelées à prendre.

    ARGOS, pour sa part, se concentrait sur les erreurs de raisonnement des autres systèmes, détectait les faux raisonnements les plus subtils. Il décortiquait les probabilités en certitudes et en risques pour l’avenir de l’humanité, dans une approche éthique validée et reconnue par les normes interculturelles adoptées par l’Organisation des Nations Unies (ONU). C’était en quelque sorte le plus « sage » de tous les systèmes intelligents. ARGOS connaissait ce qui était bien pour le maintien de la vie et son développement.

    Jora avait tout juste eu le temps de prendre un repas léger à la cafétéria du centre et de revenir au poste de contrôle qu’il reçut un message dans les oreillettes qu’il portait presqu’en permanence. QUARK venait de produire son rapport et était prêt à lui fournir les conclusions.

    — De quoi s’agit-il QUARK ?

    — M. le directeur, les signaux reçus de BRUIE-3 sont clairs. Après avoir été en dormance durant dix ans, il vient de se réveiller sans que je puisse préciser comment. De plus, l’information qu’il nous fait parvenir suggère la présence de formes de vie. Il n’est pas seul sur Europe.

    — De formes de vie, dis-tu ? Tu es bien certain de tes conclusions ?

    — Bien sûr, tout cela est préliminaire, mais une analyse prolongée me permettrait d’approfondir la question.

    — Et que nous proposes-tu ?

    — Tout d’abord, maintenir la communication afin d’analyser le plus de données possibles sur une période de quelques jours. Les systèmes de cueillette d’informations datent de la période précédant son lancement. Il ne faut pas oublier aussi qu’il œuvre dans les profondeurs de l’eau sous les banquises d’Europe. Son instrumentation peut seulement enregistrer l’activité chimique et biologique de son environnement en fonction des paramètres que nous connaissons. Il peut très bien exister d’autres formes de vie qu’il ne pourrait pas reconnaître.

    — Durant combien de temps crois-tu qu’il sera nécessaire de cumuler les données.

    — J’estime à six jours le temps nécessaire pour valider le tout et préciser mes recommandations. Il ne faut pas oublier que la communication entre BRUIE-3 et la Station orbitale de Mars se fait plus lentement à cause des anciens systèmes d’émission au laser utilisés à cette époque. À partir de la station jusqu’ici, la transmission de l’information est presque instantanée.

    — Autorisation accordée.

    — Je vais maintenir le contact avec BRUIE-3 et produire un nouveau rapport le 24 août 2076 à 00 : 00. Voulez-vous que j’envoie le rapport préliminaire à M. Perrin ?

    — Oui. Dis-lui aussi que je veux qu’il soit ici à 9 h le jour de la production de ton rapport.

    — Très bien M. Krasnov. Je suis déjà à l’œuvre. Avez-vous toujours besoin de moi.

    — Non QUARK, tu peux disposer.

    La voix de QUARK cessa de se faire entendre et seules les caméras installées à des endroits stratégiques affichaient le petit voyant vert habituel attestant de leur attention.

    Jora s’était habitué à cette présence discrète dans la salle de contrôle. Bien qu’il eût été nommé à son poste depuis seulement cinq mois, il avait convaincu le conseil d’administration du centre de retirer les autres caméras installées dans les endroits de repos afin de protéger l’intimité des employés, par respect pour la vie privée des individus.

    Étant empreint de liberté depuis son jeune âge, Jora considérait qu’on l’avait choisi pour ses compétences certes, mais aussi pour ses valeurs. À son embauche, il avait donc proposé plusieurs mesures afin de libéraliser l’administration du Centre de communication avec l’espace profond. La réorganisation des systèmes de surveillance avait été l’une de ses premières mesures.

    Jora décida d’appeler ARGOS en mode privé.

    — As-tu pris connaissance du rapport préliminaire de QUARK ?

    — Oui M. Krasnov, et j’estime que ses conclusions sont justes sur le plan scientifique. Il faudra être attentif au mécanisme qui a procédé au réveil de BRUIE-3.

    — Lorsqu’il produira son rapport d’étape, j’aimerais que tu analyses les impacts géoéthiques et surtout les hypothèses de propagation de la vie au sein de notre système solaire en fonction de ce que nous pourrions trouver sur Europe.

    — Ce sera fait.

    Saut d’espace temps.

    Au même moment à la Nouvelle-Orléans, une lumière bleu clair scintillait dans le coin droit des lunettes de William Perrin. Au début, il n’y porta pas attention, mais lorsque la couleur tourna au rouge, il se leva lentement de son siège pour ne pas attirer l’attention de ses voisins et sortit de la salle où Paola prononçait sa conférence.

    Il trouva un endroit discret et appela Zira, son agente personnelle intelligente, au moyen du système de communication privée intégré à sa monture, afin de vérifier l’urgence de la situation.

    — Vous avez reçu un message prioritaire de la part de Jora. Un rapport succinct fait mention de la reprise des communications avec BRUIE-3 sur Europe, dit Zira.

    — Peux-tu me lire le résumé, demanda William.

    — Le voici :

    18 août 2076 à 05 : 24 Heure avancée

    Sur le fuseau horaire de Los Angeles

    La communication a été rétablie avec BRUIE-3 en fonction sur Europe depuis le 10 mars 2035. BRUIE-3 avait cessé d’émettre le 30 novembre 2066.

    L’analyse préliminaire des données suggère l’existence d’organismes vivants sur Europe.

    Je propose au CCEP de faire l’étude approfondie des données recueillies par BRUIE-3 pour une période de 6 jours.

    Un nouveau rapport sera produit le 24 août 2076 à 00 : 00 sur le réseau horaire de Los Angeles.

    — De plus, votre présence est requise dans les bureaux du CCEP le 24 août à 9 h. Une rencontre est prévue avec le directeur Krasnov. Voulez-vous que je confirme votre présence ?

    — Oui, j’y serai, dit William. Peux-tu aussi déposer le fichier du rapport dans mon répertoire prioritaire. Je vais en prendre connaissance ce soir. À plus tard.

    — Très bien, finalisa Zira.

    Les gens sortaient de la salle de conférence et discutaient avec vigueur des applications possibles des résultats de recherche présentés par la docteure Vicente. William décida d’entrer dans la salle et d’aller à la rencontre de Paola.

    — Vous semblez avoir suscité beaucoup de curiosité si j’en juge par les échanges animés entre les gens qui sortent de la salle, dit William.

    — Ils ont posé de bonnes questions, c’est bon signe, repris Paola.

    — Êtes-vous libre pour le dîner, j’aimerais vous parler d’un sujet en lien avec vos travaux ?

    — Avec plaisir, je n’ai rien de prévu avant 14 h. Si vous me donnez quelques minutes pour laisser mes documents à ma chambre, je peux vous rejoindre…

    — … pourquoi pas au Cajun Flavor, on y sert un menu inspiré de la région ou du moins de ce qu’il en reste…

    — Très bien, je serai là dans quinze minutes.

    — Je vais réserver à mon nom.

    Saut d’espace temps.

    Le Cajun Flavor avait gardé son cachet d’autrefois. Derrière les murs recouverts des articles de pêche et des boiseries datant des années 1970, se cachait une cuisine entièrement robotisée où les plats commandés à partir d’un menu virtuel, étaient composés par des robots culinaires orchestrés par un système de gestion alimentaire très sophistiqué.

    William s’était installé face à l’entrée de la salle à manger C-28 afin d’être reconnu rapidement par Paola. Elle avait pris le temps de se changer et le vêtement qu’elle portait s’apparentait à une salopette de l’IASA mieux ajustée et de couleur jade rejoignant la couleur de ses iris. Ses cheveux noirs plutôt courts, complétaient agréablement l’ensemble.

    — Vous avez fait vite, dit-il.

    — J’avoue que la présentation m’a ouvert l’appétit.

    — Je vous recommande les écrevisses braisées servies sur un riz aux épices cajuns.

    — Hum, va pour le riz aux épices, mais je préfère qu’il soit accompagné d’une carpe des bayous.

    — Va pour la carpe !

    William sélectionna les choix sur l’écran affichant le menu et effectua le paiement en BITUS, monnaie électronique ayant succédé au dollar américain. Une voix presqu’humaine retentit à la gauche de l’écran :

    — Vos repas seront prêts dans quatre minutes et vingt-secondes. Un serveur les apportera à votre table. Merci d’avoir choisi le Cajun Flavor.

    Paola se souvenait du caractère plutôt nerveux et un peu impatient de William. Elle l’avait côtoyé durant une période suffisamment longue, avant le départ de Jorge, pour avoir saisi quelques-unes des caractéristiques de sa personnalité. Toutefois, bien qu’il eût 50 ans à l’époque, elle avait l’impression que l’homme qui était aujourd’hui devant elle n’avait pratiquement pas vieilli.

    — Alors dites-moi M. Perrin… William… je peux vous appeler par votre prénom ?

    — Bien sûr, faites donc.

    — Vous m’avez dit ce matin que vous étiez ici pour votre travail ?

    — C’est exact. Je travaille toujours à Palo Alto pour le Centre de Communication avec l’espace profond, et je compte bien le faire encore quelques années. Vous savez, la retraite n’est pas pour moi. Pour être franc avec vous, j’ai encore la passion des communications. Les capteurs que nous avons déployés sur plusieurs planètes et satellites du système solaire nous apporteront des explications de plus en plus riches sur la vie et son développement. Avec un peu de chance, nous arriverons peut-être à mieux comprendre ce qui s’est vraiment passé chez nous !

    — C’est une quête sans fin, dit-elle.

    — En effet, sans fin, mais combien stimulante. Vous êtes bien placée pour le savoir ! J’ai cru comprendre que vous vous intéressez aux manipulations génétiques chez certains mammifères. J’ai malheureusement dû quitter votre allocution avant la fin. J’aimerais bien que vous me parliez davantage de votre sujet.

    — Je le ferais avec plaisir, mais je crois qu’on nous apporte notre repas.

    Un androïde transportait avec adresse deux cabarets de formats identiques recouverts d’un couvercle transparent, laissant voir les mets qui avaient été commandés. Arrivé à la table, il nomma le met qu’il transportait à l’aide de sa main droite.

    — Carpe sur riz aux épices cajun ?

    — C’est pour madame, dit William, pointant Paola assise face à lui.

    Sans attendre, il s’exécuta et enchaîna aussitôt en déposant l’autre plat en face de William.

    — Bon appétit, dit le serveur. Si vous avez besoin d’autre chose, veuillez utiliser la commande prévue à cet effet sur l’écran.

    — Merci, dirent ensemble Paola et William, ce qui les fit sourire.

    L’androïde retourna aux cuisines.

    — Ils sont plutôt sympathiques ces serveurs, dit Paola.

    — Ils ne sont pas très futés, mais ils font bien ce qu’ils ont été programmés à faire, dit William. Et personnellement, j’aime bien l’idée d’avoir « quelqu’un » qui nous apporte notre repas, au lieu de ces distributrices impersonnelles qu’on retrouve presque partout aujourd’hui.

    — Vous voulez toujours que je vous parle de mes travaux, dit Paola ?

    — Mais bien sûr.

    — Dites-moi, à quel moment avez-vous quitté la salle ?

    — Je crois que vous parliez des souris dont on avait modifié quelques gènes afin qu’elles puissent acquérir les propriétés de cryptobiose des tardigrades.

    — Ah oui, j’y suis. Ça n’a pas été aussi simple. Vous connaissez sans doute les tardigrades ?

    — Pas intimement, mais suffisamment pour savoir qu’on peut les transporter dans l’espace, les laisser sans protection dans le vide à des températures extrêmes durant des jours, voire des semaines et les ramener en cabine dans des conditions proches de ce qui est nécessaire à la survie des humains et elles recommencent à bouger, se nourrir et se reproduire.

    — Ce sont en effet d’étonnantes petites bestioles. Le processus que nous étudions consiste à agir sur les gènes responsables du remplacement des molécules d’eau par du tréhalose reconnu pour protéger les protéines membranaires. Nous comprenons assez bien ce processus chez les tardigrades, mais induire le même processus chez les petits mammifères est une autre histoire. Prenez par exemple une souris non génétiquement modifiée, faites-lui subir le même traitement accordé aux tardigrades dont vous venez de parler et je peux vous garantir qu’elle ne résistera pas deux secondes. Son rythme cardiaque est tellement élevé qu’il suffit de la priver d’oxygène une seconde ou deux et hop, c’est terminé.

    — Je peux imaginer.

    — Mais prenez la même souris, modifiez les gènes de ses tissus afin de produire du tréhalose lors de situations extrêmes et vous verrez qu’elles peuvent être réanimées en étant simplement replacées dans des conditions favorables à la vie telles que nous les connaissons.

    — Vraiment ?

    — Presque. Tout n’est pas encore gagné mais les progrès sont étonnants. Pour une raison que nous ignorons, à leur retour dans des conditions normales, elles perdent la vue, le sens de l’orientation et ne survivent pas plus d’une journée. Elles ont complétement oublié qu’elles avaient besoin de se nourrir pour survivre. Nous devons alors les nourrir nous-mêmes.

    — J’imagine qu’un être humain connaîtrait le même sort, dit William.

    — Nous ne sommes pas encore rendus là. N’ayez crainte. Cependant, un état de dormance prolongé est aujourd’hui tout à fait accessible à l’humain. Ce qui rend possible le déplacement vers d’autres planètes. Bien sûr plusieurs considérations éthiques nous empêchent encore aujourd’hui de faire des modifications dans l’ADN d’un être humain, mais nous y arriverons. C’est une question de temps.

    — Je ne serais pas votre cobaye pour une telle expérience, dit William en se reculant tout en avalant une bouchée de son repas.

    — Mais au fait, si je me souviens bien, c’est vous qui vouliez m’entretenir d’un sujet en lien avec votre travail, n’est-ce pas ?

    — Oui, j’avais oublié. Désolé. Délicieux ce repas !

    — Parlez-moi de votre sujet et j’aurai le temps d’y goûter, dit Paola tout en souriant…

    — Vous avez raison. Voilà que tout à l’heure, durant votre conférence, j’ai reçu un message prioritaire en provenance du CCEP. Habituellement, on me laisse tranquille lorsque je suis en dehors du centre, mais cette fois, le niveau de priorité du message exigeait de moi que je m’y attarde.

    — De quoi s’agit-il ?… peut-être est-ce confidentiel, ajoute-t-elle avant qu’il ne réponde ?

    — Certains éléments le sont, mais je peux quand même vous en donner les grandes lignes.

    William relata rapidement les éléments du message que Zira lui avait lu, et termina en disant :

    — Je vais recevoir une copie du rapport préliminaire préparé par QUARK, l’ordinateur intelligent du CCEP. Il l’a rédigé à partir des premières données transférées par BRUIE-3.

    — Et bien ! De la vie sur Europe ! Ce n’est pas vraiment surprenant. Les scientifiques sont unanimes pour affirmer que la vie, telle que nous la connaissons, peut se développer lorsque les six éléments de base sont réunis dans un environnement où il y a de l’eau à l’état liquide

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