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Ogrino - Livre 2: Au Sud de nulle part
Ogrino - Livre 2: Au Sud de nulle part
Ogrino - Livre 2: Au Sud de nulle part
Livre électronique330 pages5 heures

Ogrino - Livre 2: Au Sud de nulle part

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À propos de ce livre électronique

Une course contre la montre engagée contre des forces obscures anime ce second volet. Zwangler traque implacablement les criminels, Gervolt se débat contre une malédiction insidieuse, Rhénus affronte un étrange spectre, tandis qu’Ogrino et les Neuf se lancent dans une quête périlleuse aux confins des mers australes. Leur découverte mène les Neuf jusqu’à l’énigmatique Île Spectrale, où ils font face à de redoutables sorcières et leur sinistre armée. Umfrey, l’un de leurs mercenaires, se rebelle pour rejoindre la cause des Neuf. Cependant, la véritable révélation se trouve derrière la mystérieuse porte d’Entre-les-Mondes, où Ogrino sera confronté à l’Innommable, une puissance maléfique dont l’ombre plane sur tout l’univers. Le sort du Grand Équilibre repose sur le fil du rasoir et chaque décision pourrait avoir des conséquences cataclysmiques.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Pierre Jentile a puisé une source intarissable d’inspiration de ses nombreuses rencontres et voyages à travers le monde. Sa carrière, en tant qu’auteur d’Heroic Fantasy, a débuté, il y a des années, au travers des histoires qu’il inventait pour ses deux enfants au moment d’aller dormir. Depuis, l’écriture est devenue sa seconde nature, car il ne peut plus s’empêcher de partager son imaginaire et ses valeurs auprès du jeune public.
LangueFrançais
Date de sortie15 déc. 2023
ISBN9791042211561
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    Aperçu du livre

    Ogrino - Livre 2 - Jean-Pierre Jentile

    Misoa

    Une multitude d’îlots apparut au loin. Ogrino, qui était de vigie, fut le premier à les voir.

    — Terre, terre, droit devant ! cria-t-il.

    À mesure que l’Indomptable glissait sur l’onde, on voyait se dessiner des fonds multicolores, au travers d’une eau cristalline.

    — C’est magnifique, s’émerveilla, Tiboursio. On dirait que l’on a peint le fond de l’océan.

    — Oui, ce sont des coraux. Il y en a des verts, orange, bleus, jaunes et des rouges aussi, là-bas, dit Précélestin.

    — Ça réconcilierait presque un Ogre avec la mer.

    — Combien de tirants d’eau ? lança Jonathan.

    — 30 pieds, répondit Aristophane.

    — Mouillez l’ancre, maintenant ! cria le capitaine.

    En un clin d’œil, Hogar la jeta par-dessus bord et noua la corde autour du bastingage de la poupe. Le bateau s’immobilisa immédiatement. Quand ils regardèrent l’eau, on aurait dit qu’elle avait disparu, tant elle s’avérait transparente. Jonathan sauta joyeusement dans l’onde. Il atterrit debout. La moitié du corps sortant des flots.

    — Faites sortir les animaux. La plupart auront pied. Les autres prendront les canots. Nous allons nous installer sur cet îlot pour quelques jours. Le temps de refaire le plein d’eau et de fourrage pour les ruminants et les éléphants.

    C’était la première fois que la ménagerie sortait de la cale depuis le début de la traversée et les animaux en étaient tout excités. Il fallut une bonne heure pour faire migrer ce petit monde vers la terre ferme. Le lieu était recouvert d’un sable très fin et d’un blanc, presque étincelant, sous le soleil de midi. Après quelques mètres d’une plage légèrement inclinée émergeait une nature luxuriante faite de palmiers et de fougères arborescentes. Des cacatoès multicolores s’envolèrent à l’approche des singes qui montèrent illico en haut des cocotiers. Quand les Neuf arrivèrent à leur tour, ils trouvèrent des monceaux de noix de coco au pied des arbres.

    — C’est quoi ? demanda Tiboursio.

    — Des fruits, répondit Thémistomène.

    L’Ogre en prit trois dans sa main et les broya d’un coup de mâchoire.

    — Humm, c’est pas mauvais. C’est même crémeux et puis y a un arôme, un arrière-goût délicat.

    Ceci étant dit, il en prit deux poignées qu’il engloutit aussitôt.

    — Chai vraiment bon ! Hogar, viens goûter.

    Ils firent une orgie de coco, à tel point que les singes durent piller encore pas mal d’arbres pour alimenter le reste de l’équipage.

    Les Neuf travaillèrent toute l’après-midi, évacuant le fourrage souillé et le remplaçant par du frais, arraché à la savane de l’île. Le soir, ils se reposèrent autour d’un grand feu où rôtissaient lentement des tapirs capturés par les Ogres. Cette île était vraiment paradisiaque. Il y avait du gibier et de l’eau en abondance. Cette halte s’avérait vraiment salutaire. Elle permettait aux Neuf et aux bêtes de se détendre et de s’ébattre après le confinement et la promiscuité vécue sur le bateau. À la fin du repas, où Ogrino s’était délecté de viande grasse, il alla marcher sur la plage pour admirer les reflets de la lune sur l’écume immaculée des vagues. Il sentait le vent des alizés, chargé d’iode, lui ravir les narines. Il ferma ses paupières, afin de mieux profiter de l’instant. Il ressentait un sentiment de liberté et de plénitude, au contact de cette nature accueillante et magnifique. Quand il ouvrit les yeux, il aperçut une petite lueur qui vacillait sur les flots. Il scruta l’horizon et vit que la lumière grossissait. Au bout d’un moment, il distingua clairement une embarcation. Cinq silhouettes dépassaient d’une la coque basse qui se dirigeait droit vers lui. En quelques minutes, les marins accostèrent sur le rivage. La barque intrigua Ogrino, car d’elle partaient latéralement deux longues tiges de bambou fixées à un flotteur parallèle à l’embarcation. Il se demandait encore à quoi cela pouvait bien servir quand les arrivants se plantèrent devant lui. Il sursauta. Maintenant qu’ils étaient là, tout près, il les voyait distinctement. Des formes alambiquées formaient des dessins noirs, sur leurs corps et leurs visages. À tel point que l’on aurait dit qu’ils portaient des masques.

    — Qui êtes-vous ? Que faites-vous là ? demanda l’homme à l’épaisse chevelure bouclée, d’un noir d’ébène qui était le plus proche.

    Le ton ne sembla pas agressif à Ogrino, il y discerna plutôt un étonnement.

    — Nous sommes en route vers le Sud pour trouver la source d’une étrange maladie qui ronge notre monde.

    — D’où venez-vous ?

    — Nous avons fait un long voyage depuis les terres du Nord près de la Forêt Ancestrale.

    — Vous êtes bien loin des routes maritimes. Vous vous êtes perdus ?

    — Non, mais nous ne savons pas exactement où nous devons nous rendre. Nous comptons sur la providence et Felicia Regina pour guider nos pas.

    — Felicia Regina ? La reine des Elfes ?

    — Oui, c’est elle qui nous envoie. Nous sommes en mission pour préserver le Grand Équilibre.

    — Alors, bienvenue en Nanonésie, notre archipel aux mille îles ! Je suis Moganwa et voici mes frères. Nous appartenons à la tribu des Ulurahi, les fils du Grand Bleu. Nous sommes pêcheurs de perles.

    — Moi c’est Ogrino et mes parents et amis se trouvent derrière la dune. Venez, je vais vous les présenter.

    Les Nanonésiens suivirent le jeune Ogre jusqu’au campement. Ils sursautèrent quand Tiboursio et Hogar, assis auprès du feu, se levèrent d’un bloc. Leur stature et surtout l’œil unique de Tiboursio les impressionnèrent. Ils réalisèrent qu’ils n’étaient pas en présence d’hommes, mais de créatures du Monde Légendaire.

    — Vous êtes les Envoyés ! balbutièrent-ils.

    — Les quoi ? demanda Hogar.

    — Une antique prophétie annonçait la venue d’Envoyés. Des êtres magiques qui devaient nous ramener l’harmonie. Les temps semblent accomplis, car notre peuple souffre. Le poisson se fait rare et nos pêches sont de plus en plus maigres, ce qui nous pousse à aller toujours plus loin en mer. Nos jeunes sont malades et les soins de nos chamans ne suffisent pas à les guérir. La morosité s’installe peu à peu dans nos tribus.

    — La Souillure Grise, dit sobrement Précélestin, en s’avançant.

    Jusqu’à présent, il avait été, en partie, caché par l’ombre des grands Ogres. Lorsqu’ils virent sa longue barbe, les Nanonésiens reculèrent, en signe de respect.

    — Vous devez être… le roi des Lutins… du Monde du Dessous, osa dire Moganwa.

    — En effet. L’heure est suffisamment grave pour que j’aie dû quitter mon Royaume et partir aux confins du Sud, afin de lutter contre cette maladie. Elle est l’expression d’un fléau qui souille tout ce qu’il touche, même dans le monde souterrain.

    — Hé moi, je suis Thémistomène, le Prince des végétaux, le gardien de la nature.

    Il s’avança, du pas assuré d’un vrai monarque. Les Nanonésiens restèrent bouche-bée.

    — Alors, il n’y a plus aucun doute, vous êtes bien les Envoyés. Ceux qui vont affronter le cœur du Mal, affirma Moganwa. Nos chamans se sont passé cette prophétie, de bouche à oreille, de père en fils. Elle se réalise aujourd’hui. C’est une grande joie pour notre peuple !

    Ogrino bâilla.

    — Vous devez être fatigués. Nous devrions tous aller nous coucher, car demain la route sera longue pour rejoindre notre île-mère, là où siège notre chef, Mungalawa.

    — À combien de miles se trouve votre île ? demanda Jonathan qui était resté silencieux et en retrait, jusque-là.

    — À un bon jour de rame, répondit Moganwa.

    — Hum, nous devrions y être en trois heures avec l’Indomptable.

    — L’indomptable ?

    — Oui, ma caravelle. Elle peut atteindre trente-cinq nœuds, en vent arrière.

    — Wahouuu ! s’exclamèrent en chœur les Ulurahi. Dans ce cas, fêtons cela avec du vin de palme !

    Ils sortirent des petits tonneaux de bois et versèrent un liquide teinté de jaune dans des écorces de noix de coco. Ogrino quitta le groupe au moment où tous portaient un toast. Il vit du coin de l’œil son père et Tiboursio se vider abondamment dans la bouche, le reste des tonneaux.

    Le lendemain à l’aube, les Ulurahi réveillèrent les Neuf à coups de longs sons graves provenant de grands coquillages pointus, nacrés et multicolores. Hogar avait la mine réjouie. La beuverie de la veille et une nuit sur la terre ferme ravivaient sa bonne humeur. Lui et Tiboursio avaient beaucoup pris sur eux, pendant la traversée. Bien qu’ils soient désormais plus à l’aise sur les flots, la mer restait, tout de même, un élément étranger pour des Ogres. De mauvaise grâce, il fit monter les animaux sur l’Indomptable, aidé des Neuf et des Nanonésiens perplexes, devant tant d’animaux étranges et inconnus. Au bout d’une heure, la caravelle était appareillée pour le départ.

    — Levez l’ancre ! cria Jonathan.

    Tiboursio tira hardiment sur la chaîne et le bateau se mit à voguer vers le large. Les Nanonésiens avaient amarré leur embarcation à la poupe et regardaient, fascinés, ce navire qui fendait les flots, à grande vitesse avec élégance. Il ne leur fallut pas plus de deux heures et demie pour rejoindre Muncatungalowa, l’île principale de l’archipel Nanonésien. C’est là que résidaient les autorités de la Fédération, constituée d’une Chefferie et de Chamans. Ils s’assuraient de la bonne harmonie des échanges entre les différentes îles et de la gestion des problèmes quand ils touchaient l’ensemble de l’archipel. Cela avait été le cas, plusieurs fois dans l’histoire du peuple Nanonésien. Des raz de marée avaient, jadis, affecté de nombreuses îles. Des cyclones s’y étaient abattus, parfois, détruisant les habitations. Le peuple avait souffert de périodes de disette quand les bancs de poissons s’étaient raréfiés. Toutes ces épreuves et leurs conséquences néfastes n’avaient pu être traversées et résolues que grâce à la solidarité des Nanonésiens, sous l’impulsion de la Chefferie. En effet, les chefs locaux bénéficiaient d’une grande autonomie dans l’administration de leur île, mais la Fédération apportait une sécurité appréciable à l’ensemble de la Nanonésie. Il faut dire que ces mille îles étaient parfois séparées les unes des autres par des centaines de kilomètres et que l’archipel s’étendait sur une surface plus grande que le Royaume. Cette géographie expliquait la grande connaissance que les Nanonésiens possédaient de la mer, de ses courants et du cycle des vents. Ogrino pensait que c’était une bénédiction d’avoir rencontré ces hommes à la peau tatouée de dessins aussi esthétiques que bizarres. Il était sûr qu’ils allaient pouvoir les aider dans leur mission. Certainement encore un clin d’œil de Felicia.

    — Jetez l’ancre ! ordonna Jonathan.

    Hogar lança la lourde chaîne par-dessus bord et l’instant d’après, l’Indomptable s’arrêta près d’un sol sablonneux. Une foule nombreuse s’amassa sur la plage, pour examiner ces curieux visiteurs et leur étrange navire. Il est vrai que, rarement, des bateaux venaient mouiller dans ces eaux et rien que cela constituait déjà une attraction, en soi. Les Neuf furent accueillis sous les hourras, bien que les Ogres, tant par leur taille que par leur aspect, suscitaient un peu de crainte. Une haie d’honneur se créa spontanément à leur approche. Au bout, un homme de bonne stature les attendait, immobile. Il portait des habits colorés qui, à mesure que les Neuf s’approchaient, s’avéraient être de longues plumes d’oiseaux. Des coquillages nacrés magnifiques, aux teintes multicolores et brillantes, ornaient son poitrail. Le plus impressionnant était son couvre-chef fait de grandes palmes vertes et ocre, plantées dans un casque d’os qui lui couvrait le haut du crane. Le tout formait une sorte de couronne qui mesurait bien un mètre d’envergure. On aurait dit qu’un soleil couchant auréolait sa tête. Quand Ogrino fut assez près, il vit que l’homme était tatoué de partout. Chaque centimètre carré de sa peau portait un dessin alambiqué à la teinte sombre. L’ensemble faisait penser à une tapisserie aux motifs resserrés. C’est pourtant le visage qui impressionna le plus Ogrino. Des tatouages géométriques mettaient en valeur des yeux bleu azur, encadrés d’une chevelure ondulée, d’un noir luisant. Le plus surprenant provenait des ossements plantés dans les narines qui formaient des spirales de part et d’autre de la bouche à la manière de moustaches rigides. Tout cet accoutrement lui donnait un air royal qui inspirait naturellement le respect.

    — Voici notre Chef, Mungalawa, dit avec déférence, Moganwa.

    Les Neuf inclinèrent la tête, en signe de salut.

    — Bienvenue aux Envoyés ! dit, en réponse, Mungalawa, dans un large sourire.

    Le peuple lança des hourras et des viva. Certains soufflèrent dans des coquillages et d’autres entonnèrent un chant joyeux, fait de cliquetis et de cris aigus. Puis le Chef leva la main et le silence se fit.

    — La nuit dernière, les Chamans ont vu, dans les astres, votre venue. Il y a des siècles qu’une prophétie prédisait ce moment. Alors, venez. Allons dans la case de la Chefferie, les Anciens et les Chamans nous y attendent. Nous avons à parler. Ils arrivèrent devant une longue bâtisse aux murs de bambous et au toit de feuilles de palmiers. Les volutes d’une fumée grise s’échappaient de son sommet. Les Neuf rentrèrent les uns après les autres par la large porte. Seuls Hogar et Tiboursio eurent un peu de mal à passer. Tous furent invités à s’asseoir autour d’un grand feu. Dans la pénombre, on distinguait une douzaine d’hommes tous tatoués de la tête aux pieds. Ils portaient des costumes semblables à Mungalawa, mais en plus sobre, et, surtout sans la coiffe qui restait l’emblème au Chef. La réunion dura des heures où les Ulurahi voulait tout savoir de chacun des Neuf. Puis, vinrent les palabres incessantes sur l’interprétation de la prophétie. À la fin, Ogrino en avait mal à la tête. Il demanda la permission de sortir, immédiatement suivi d’Hogar et Tiboursio qui ne supportaient plus de rester enfermés. Ils marchèrent tous les trois sur une plage de sable blanc, savourant, à pleines narines, le grand air iodé.

    Le soir, les Neuf furent invités à dîner dans la case du Chef Mungalawa. Ils durent grimper une longue échelle de bambous qui tangua sous le poids des Ogres. Elle menait à une plateforme de rondins, puis à une seconde, avant d’arriver à la maisonnette de trois pièces qui abritait toute la petite famille, à dix mètres du sol. L’édifice monté sur de très hauts pilotis donnait sur l’océan et la vue était superbe. À mesure que le jour déclinait, les étoiles s’allumaient, une à une, drapant la voûte céleste d’un manteau scintillant. Ogrino avait le nez en l’air et n’écoutait que distraitement les propos de Mungalawa, tant la pleine lune, d’une teinte rousse, semblait proche d’eux.

    — Ici, l’air est si pur que l’on pourrait presque la toucher, déclara, amusé, Mungalawa, en regardant, Ogrino, droit dans les yeux.

    Ce dernier, confus, ne savait plus où se mettre, en réalisant son impolitesse.

    — J’allais justement vous présenter ma fille, reprit le Chef. Misoa ! Ma chérie, il est temps de saluer nos invités.

    — J’arrive tout de suite, père, mais je viens d’avoir une touche et je ne voudrais pas la perdre.

    — Elle adore pêcher et sa chambre donne sur un tombant sous-marin très profond ce qui est propice à de grosses prises, expliqua Mungalawa.

    On entendit soudain, un cri et la case s’ébranla. Une sorte de tremblement de terre arracha toute la partie gauche de la maison. Ogrino, déstabilisé glissa sur le sol, désormais oblique, en direction du vide. Il se raccrocha, in extremis, à une des poutres du plancher juste avant de voir Misoa disparaître dans les flots.

    — Ma fille ! cria Mungalawa, en se penchant sur le trou qui avait été une chambre.

    Misoa réapparut bien vite. Excellente nageuse, à l’instar de tout le peuple des Ulurahi, elle surfait sur les vagues vers le rivage. Tout à coup, un énorme remous fut suivi de l’éruption d’une gigantesque masse sombre qui creva les flots. Une large gueule béante, remplie de crocs acérés frôla la frêle jeune fille. Ne cédant pas à la panique, Misoa redoubla d’efforts pour échapper au monstre. Ogrino ne put s’empêcher de penser au Métanor et un frisson le parcourut. Misoa n’avait aucune chance d’échapper au dragon. À ce moment-là, il vit une sorte de longue palissade ocre fendre l’eau à la poursuite de sa proie. Misoa atteint un des piliers de la case et, s’y cramponnant, s’éleva au-dessus de l’eau. Les mâchoires d’acier du monstre se refermèrent sur le pilier et le sectionnèrent comme de la paille. Toute la structure s’affaissa et la maison bascula sur le côté jusqu’à se retrouver à quelques mètres de la surface.

    — Le Krazoar ! hurla Mungawala en s’agrippant à un montant de porte. Le Krazoar va dévorer ma fille et nous avec !

    Ogrino avait deviné par la forme du dos de l’animal qu’il ne s’agissait pas du Métanor, mais il n’avait aucune idée de ce que pouvait être un Krazoar, si ce n’est qu’il devait être monstrueusement gros et féroce. Il lâcha prise et se retrouva immergé dans l’eau. Remontant à la surface, il prit une bouffée d’air et remit la tête sous l’eau, à l’affût. Avant qu’il n’ait pu distinguer quoi que ce soit, il sentit un frôlement derrière lui. Il fit volte-face, prêt au combat. Une prise ferme lui serra l’épaule. La forme devant lui était celle de Misoa qui lui faisait signe de se retourner. Toujours sous l’eau, il vit alors une scène d’horreur. Un requin de la taille d’un cachalot fonçait sur eux, la bouche grande ouverte, son museau hérissé de cornes et de dents courbées. Ogrino n’eut que le temps de pousser sur Misoa pour créer un espace sur la trajectoire du monstre qui passa juste au milieu d’eux. Ils furent pris dans le tourbillon engendré par le Kraozar. Réussissant à se stabiliser, Ogrino remonta à la surface pour respirer et rechercher Misoa. Rien n’émergeait des vagues, alors il replongea. Le monstre fondait sur lui, ses crocs exubérants, en avant, tels ceux d’un crocodile géant. Il fit une pirouette, évitant de justesse une gigantesque mâchoire qui se referma, dans un claquement, sur du vide. Solidement accroché à l’épine dorsale du Krazoar, Ogrino avait l’impression de chevaucher un cheval en furie. Le monstre piqua vers les profondeurs. Il fallait faire vite, car Ogrino savait qu’il ne tiendrait pas longtemps du fait de la pression croissante de l’eau. Il mordit de toutes ses forces le dos de l’animal. Celui-ci de broncha pas, indifférent à la douleur, malgré l’épais filet de sang qui s’échappait de sa blessure. Alors Ogrino rampa vers la tête du requin, s’accrochant aux pics dorsaux et aux moindres aspérités de la peau. Il arriva au niveau des yeux et y planta ses doigts. Le Krazoar secoua la tête de manière désordonnée et se mit à tourner sur lui-même pour faire lâcher prise à son agresseur, mais Ogrino tenait bon. L’air commençait à lui manquer et il avait mal aux tympans. Dans un sursaut d’énergie, il lâcha sa main gauche et la ramena à l’orbite de l’œil droit du monstre, puis il hissa son visage à son niveau et, avec force, mordit le globe oculaire du Krazoar. Cette fois, l’animal se débattit avec rage et par une série de soubresauts particulièrement violents, il se débarrassa d’Ogrino. Désorienté, fou de douleur, le Krazoar disparut dans un halo de sang. Ogrino, à demi rassuré, mobilisait ces dernières forces pour remonter à la surface coûte que coûte. Par manque d’oxygène, des vertiges apparaissaient. Il palmait des jambes et battait des bras à la manière d’un oiseau. Ses gestes devenaient mécaniques, il ne contrôlait plus vraiment ses membres, la tête lui tournait. Il ressentait une ivresse. Il vit des ondulations lumineuses et colorées au-dessus de lui, puis plus rien…

    — Tu nous as fait une de ces peurs. On a cru que la Krazoar t’avait dévoré !

    Ogrino ouvrit les yeux et vit son père qui lui souriait.

    — Nous avions sauté à l’eau pour te prêter main forte. Nous t’avons cherché longtemps, éclairés par des filets remplis de poissons fluorescents, mais tu avais disparu avec le monstre.

    — Heureusement que Razenbruck t’a aperçu et qu’il s’est transformé en calamar géant pour te remonter rapidement à la surface, enlacé dans ses tentacules. Tu étais inconscient. Le manque d’oxygène assurément. Tu es resté dix minutes sous l’eau, ce qui est déjà un exploit en soi, précisa Lovestone.

    Ogrino se tourna vers le Lutin, le regard rempli de reconnaissance. Razenbruck souriait, sans rien dire, en signe d’amitié. Il remarqua que l’ensemble des villageois était rassemblé sur la plage en compagnie du Chef et des Neuf.

    — Misoa est saine et sauve, et toi comment te sens-tu ? demanda Erasmus.

    — J’ai mal à la tête. À part ça, ça va.

    — Le Krazoar semble avoir abandonné sa chasse, ce qui est rarissime. D’ordinaire, il ne lâche pas sa proie aussi facilement, déclara Mungalawa.

    — Je lui ai donné une leçon qu’il n’est pas près d’oublier.

    — Qu’est-ce à dire ? demanda Aristophane.

    — Je lui ai crevé un œil et abîmé l’autre. Il aura plus de mal à chasser à présent.

    Tous se mirent à rire.

    — Tu es le digne fils de ton père, renchérit Hogar.

    — Tu as sauvé ma fille, dit le Chef en prenant la main d’Ogrino et la plaçant sur son cœur. Je ne l’oublierai jamais. Tu es des nôtres désormais. Ma tribu te doit reconnaissance et respect jusqu’à la fin des temps.

    — Merci, c’est trop d’honneur. Vous auriez fait la même chose à ma place.

    — Bien sûr, mais ton courage n’a d’égal que ta modestie. Viens ma fille, viens remercier ton héros.

    Ogrino quitta sa position allongée et se remit debout pour accueillir Misoa. Lorsqu’il la vit, sa tête tournait encore. La jeune fille avait la peau d’une couleur brune et les traits fins, avec de longs cheveux torsadés. Ses yeux étaient verts et, sur une bonne partie du corps, elle avait des dessins qui dépassaient de son pagne. Ogrino la trouva jolie et le rouge lui monta aux joues. Sous l’eau et dans l’excitation du combat, il n’avait pas remarqué tous ces détails qui le ravissaient à présent.

    — Je... tu... enfin, je voulais dire...

    — Ne dis rien. C’est à moi de parler, en mon nom, et en celui de mon peuple. Ta bravoure te met au rang des miens. Aucun d’entre nous n’avait osé affronter le Krazoar avec une telle détermination. Non seulement tu m’as sauvé la vie, mais, en plus, tu as contribué à nous débarrasser d’une menace qui a endeuillé mon peuple depuis des générations. Jamais ce monstre n’avait subi pareille défaite. Ni nos flèches ni nos harpons n’avaient réussi à le mettre en déroute. Pour tout cela, je te remercie du fond du cœur.

    Elle l’embrassa avec fougue sur la joue, près de ses lèvres. Elle embaumait un parfum ambré et ses yeux invitaient à s’y perdre. Il en fut gêné et essaya de cacher autant que possible la teinte cramoisie qui se diffusait sur son visage jusqu’aux oreilles.

    — Et maintenant, buvons du vin de palme à la santé d’Ogrino « le Dompteur de Krazoar », déclara Mungalawa.

    Les Neuf empoignèrent les verres, posés sur une longue table pleine de poissons, et trinquèrent à la fin de la malédiction du Krazoar et à la joie d’être ensemble. Ensuite, ils se mirent à manger. Ogrino fit sensation en goûtant à tous les plats et surtout en se re-servant moult fois, jusqu’à ce qu’il ne reste rien dans les assiettes, casseroles et autres marmites. Cependant, Ogrino n’arrivait pas à quitter Misoa des yeux. Sa grâce, sa fraîcheur, son énergie le subjuguaient. Il arborait un sourire béat et se trouvait incapable d’aligner deux mots alors qu’elle lui racontait comment elle avait échappé au monstre grâce à lui. Ogrino ne pouvait détacher son regard de son visage si fin et de ses bras si longilignes. Les marques noires, qui ornaient sa peau, l’intriguaient.

    — Qu’est-ce que c’est ? osa-t-il enfin demander.

    — Ça, ce sont des Alundaya !

    — Des quoi ?

    — Des signes des Dieux.

    — Ça veut dire quelque chose ?

    — Oui et non. Comme ma mère, Miloa, est la femme du Chef, à chaque fois qu’elle est tombée enceinte, le sorcier Monunga a fait des imprécations pour que ses enfants soient en bonne santé, courageux et qu’ils soient protégés. Mes deux frères et moi, nous sommes tous nés avec ces marques. Les Alundaya nous confèrent une puissance bénéfique qui nous accompagne tout au long de notre vie. Aujourd’hui, tu en es la preuve.

    — Comment ça ?

    — Au moment où j’aurais dû être dévorée, tu es intervenu et cela a changé le cours de mon destin. C’est ça l’influence des Alundaya.

    — Moi, j’appelle ça de la chance.

    — Oui, c’est vrai, mais quand elle se répète tout le temps, c’est plus que de la chance, c’est une protection.

    — Moi aussi, j’ai une protection annonça fièrement Ogrino en sortant son Losange de dessous sa chemise.

    — Qu’est-ce que c’est ?

    — Un cadeau d’une grande valeur donné par une personne qui m’est très chère, Felicia la reine des Elfes.

    — Tu connais la reine des Elfes ? demanda Misoa très excitée.

    — Oui, elle me l’a remis personnellement, en me donnant sa bénédiction et depuis j’œuvre pour elle et elle me protège.

    — Waahouu ! Ça alors ! Tu es vraiment un chevalier de lumière.

    Ogrino rougit à nouveau avant que Misoa ne l’enlace, en le serrant fortement contre elle. Il entendait son cœur battre la chamade, en faisant un bruit de tonnerre. Il s’étonnait que personne ne l’entende, pas même Misoa. Elle le pressait de questions de toutes sortes sur sa vie, comment il avait rencontré Felicia, qui étaient les Neuf ? Ils parlèrent ainsi une bonne partie de la nuit. Ogrino ne voyait pas le temps passer tant il buvait les paroles de Misoa, son parfum et sa beauté.

    — Ces Alundaya n’ont vraiment pas de signification ? insista-t-il. On dirait des cartes maritimes.

    — Je n’ai jamais vraiment su. Il est vrai que je n’ai pas pensé à poser la question. Ta présence étant un bon présage, demain, nous irons demander à Monunga.

    — Il est l’heure d’aller dormir, cria Mungalawa en titubant légèrement sous l’effet du vin de palme.

    Hogar, aussi, ne marchait pas très droit. C’est vrai qu’il en avait bu deux tonneaux. Les autres membres des Neuf n’étaient pas

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